Déclaration de Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'Etat aux personnes handicapées et à la lutte contre l'exclusion, sur le développement du travail social et de l'action sociale, Nancy le 22 octobre 2015.

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Hier, en Conseil des ministres, avec Marisol TOURAINE, ministre des Affaires sociales, de la Santé et des Droits des femmes, j'ai présenté le plan d'action en faveur du travail social et du développement social. C'était Monsieur Manuel VALLS, Premier ministre qui nous avait chargées de l'élaborer, il y a de cela, plus d'un mois. Tout ça faisait suite, aux États généraux du travail social qui depuis deux ans ont réunis l'ensemble des acteurs du travail social.
En janvier 2013, le Président de la République a lancé cette idée des États généraux, ensuite il y a eu des Assises territoriales partout en France, et ici y compris. Des milliers de personnes ont participé : des étudiants, des travailleurs sociaux, et le grand public. A la suite de quoi, des rapports ont été demandés à des experts, 5 rapports pour synthétiser vos propositions et vos attentes. Et enfin, il y a une mission parlementaire, menée par Brigitte BOURGUIGNON, députée du Pas-de-Calais, qui s'est terminée début septembre.
Vous allez me dire que c'est long. Quand ont veut aboutir à un projet dans la concertation, cela prend du temps.
J'ai souhaité en faire la première présentation publique ici à, à Nancy. Pour plusieurs raisons.
La première, c'était une volonté de m'adresser à la jeune génération, vous qui êtes l'avenir du travail social, qui allez prendre le relais.
Et puis la deuxième, c'est que je souhaitais rendre hommage à la politique de développement social conduite par Michel DINET, votre ancien président, qui fut le président de l'ODAS (l'Observatoire de l'Action Sociale Décentralisée). Michel DINET a porté le renouveau de l'action sociale, la modernisation de l'action sociale en France. Je crois que ce territoire et particulièrement le Conseil départemental de Meurthe-et-Moselle a cette culture de l'action sociale et du développement social, qui est poursuivie aujourd'hui. De ce point de vue, ici, vous êtes pionniers.
Le plan d'action en faveur du travail social et du développement social part d'un constat très clair. Nous avons un système de protection sociale qui est l'un des meilleurs du monde, mais il est aussi l'un des plus compliqués. Il s'est construit progressivement, ce qui explique un empilement des dispositifs qui peut nuire à son efficacité. Un empilement de dispositifs ne fait pas une politique sociale.
Notre système d'action sociale est né dans les années 60, dans une société différente : dans une société de quasi plein emploi, avec moins de chômage. Et puis les modes de vie étaient différents, avec des solidarités familiales plus fortes.
Aujourd'hui les choses ont beaucoup changé. La crainte de se trouver en situation précaire, la crainte du déclassement concerne tout le monde. Le lien social se recompose autour de nouvelles solidarités sous l'influence notamment des nouveaux modes de communication qui bousculent les fonctionnements.
Et puis il y a eu un certain nombre d'alertes qui nous ont été adressées :
- alerte des travailleurs sociaux nous disant perdre le sens de leur mission d'accompagnement pour être cantonnés à faire de l'instruction stricte de droits.
- alerte des personnes qui disent se sentir « ballotées » entre divers dispositifs, plusieurs guichets – de la Caisse d'allocations familiales, de l'Assurance Maladie, du Conseil départemental, du CCAS- et disent qu'ils en ont assez de raconter 10 fois la même histoire à 10 personnes différentes.
Pour répondre à ces constats, Michel DINET avait construit un projet de développement social de territoire avec 3 axes :
- une logique de projet global de solidarités traversant l'ensemble des politiques publiques, autrement dit, il n'y a pas que le social, par exemple, quand vous faites une politique de transports en commun pratiques et peu onéreux,
- une démarche de territoire constituant à la fois l'espace de connaissance des besoins, l'espace de coordination et l'espace de création de projets,
- une dynamique de participation de tous à la création et à la consolidation du lien social.
C'est dans cette logique de développement social que le travail social doit désormais s'inscrire.
Le travail social aujourd'hui, vous le savez, ne peut plus être uniquement centré sur la réparation. Il doit aussi contribuer à retisser du lien social. En tant que futurs travailleurs sociaux, vous y contribuerez.
Le plan que je suis venu vous présenter, a été élaboré avec les départements et les régions, avec les communes et intercommunalités. Il traduit trois volontés fortes :
- faire participer les personnes et mieux les accompagner,
- simplifier les dispositifs et mieux coordonner les politiques publiques,
- mieux reconnaître, mieux former et mieux valoriser les travailleurs sociaux.
Le premier axe de ce plan, c'est la participation des personnes, et l'amélioration des conditions d'accompagnement.
Le plan d'action prévoit tout d'abord de simplifier nos interventions sociales en recentrant le travail des intervenants sociaux sur leur coeur de métier : l'accompagnement. Plusieurs mesures sont adoptées à cet effet. D'abord, lutter contre l'errance administrative. Ce parcours du combattant n'est satisfaisant pour personne.
Un « premier accueil social inconditionnel de proximité » sera donc organisé par l'Etat et le Département. Partagé entre divers acteurs existant (centres sociaux, caisses, CCAS, associations par exemple), au plus près des personnes, il permettra de proposer le plus tôt possible une information immédiate ou une orientation adaptée. Il faudra que ce premier accueil soit visible, identifié par les habitants du territoire. Il sera organisé en fonction des ressources de chaque territoire.
Et ce premier accueil permettra si nécessaire d'être mis en relation avec un « référent de parcours ». Sur le modèle du « médecin traitant », ce « référent de parcours » a vocation à avoir une vision globale des diverses interventions sociales en faveur d'une personne et de son environnement proche, ainsi qu'à les coordonner. Par exemple, un travailleur social du CCAS, pourra s'occuper d'aller téléphoner pour un demandeur, à la CAF, à la CPAM, et résoudre ainsi les problèmes de la personne en question. Ce référent donnera une réponse globale.
Cette fonction sera expérimentée dans un premier temps, car elle requiert des délégations spécifiques pour que ce professionnel soit réellement en mesure d'apporter la cohérence et la continuité requises pour faire face aux situations les plus complexes.
Enfin, des mesures concernant la participation permettront de renforcer la qualité de nos interventions publiques en plaçant les personnes auxquelles elles sont destinées au coeur de leur élaboration et de leur évaluation, à l'image de ce qui a été fait avec le CNLE et son 8ème Collège. Ce sujet me tient particulièrement à coeur. Participation dans nos instances tout d'abord. J'en parlais à l'instant, et en particulier au Conseil supérieur du travail social, mais aussi participation réelle dans les projets et le fonctionnement des établissements et services sociaux et médico-sociaux, pour apporter leur expertise.
Enfin, les personnes pourront ainsi nous aider à simplifier nos procédures et notre langage administratif et à faire évoluer notre regard sur la pauvreté, le surendettement, le handicap, la perte d'autonomie…
C'est pourquoi il faut aller plus loin que la participation formelle et institutionnelle et relever le défi de la co-construction avec les personnes. On ne fera jamais rien sans les gens. Tel est le sens de ce premier axe du plan. Co-construire les parcours et les accompagnements, co-construire les projets d'établissement et services, co-construire les politiques. Et en faire un critère de qualité de nos interventions.
Le deuxième axe du plan est celui du développement social pour simplifier les politiques publiques et les organisations.
Michel DINET a engagé dans ce département, la coordination des politiques sociales avec la création du Conseil Départemental de Développement Social, visant à mieux articuler les politiques.
C'est ce que nous voulons faire dans tous les départements de France, avec la création progressive d'un seul et unique « Pacte des solidarités et du développement social » par département fusionnant les divers plans départementaux. Ce Pacte permettra de décloisonner, de renforcer la cohérence des politiques publiques et leur coordination avec les acteurs associatifs et privés au service des habitants et avec leur participation.
En second lieu, pour inscrire le travail social dans cette dynamique collective de développement social, et faciliter la fonction de "référent de parcours", les organisations et les pratiques seront adaptées.
Le travail des professionnels en réseau sera reconnu comme une mission incontournable, et à ce titre prévu dans le temps de travail. Échanger à tous les étages est un impératif.
L'analyse de pratiques sera également systématisée : le but est que les professionnels puissent aussi se conseiller mutuellement.
Le travail social collectif sera développé. Il est vecteur à la fois de participation et de développement social, car il se fonde sur les échanges entre membres d'un groupe pour reprendre confiance en soi et enrichir le parcours personnel des personnes, leur vie sociale, ou proposer des évolutions de leur environnement.
Enfin, la question du partage d'information entre intervenants sociaux est indispensable au travail en réseau et au développement de référents de parcours. Ce partage est aujourd'hui compliqué. Le Conseil supérieur du travail social a donné un cadre déontologique, il faut le diffuser et le rendre opérationnel. Cela fera l'objet d'une Conférence de consensus nationale, travaillée à partir de conférences de consensus locales, pour fixer le cadre.
Un plan numérique pour le travail social sera mis en place. Il y a quelques écueils à éviter dans ce domaine. Il n'est pas question que les formulaires numériques remplacent l'humain. Ces outils devront permettre de passer plus de temps sur l'humain.
J'ai également décidé de relancer le chantier du « dossier social unique » afin de ne recueillir qu'une fois les principales informations requises pour l'ouverture des droits ou le suivi des personnes. Il est clair que préparer un formulaire de 3 pages, ce n'est pas simple. En revanche je pense qu'il est envisageable d'avoir un dossier social unique, à remplir sur ordinateur, et qu'ensuite il puisse circuler entre institutions, avec l'accord des personnes, un préalable obligatoirement. Enfin, je demande à vos instituts de prévoir un plan de formation des travailleurs sociaux aux usages du numérique. C'est sans doute déjà le cas.
Les formations continues ouvertes à divers professionnels de plusieurs institutions seront par ailleurs facilitées afin de favoriser l'émergence d'actions communes. Sur des sujets faisant intervenir de nombreux acteurs, comme par exemple les violences faites aux femmes, cela signifie qu'il faut pouvoir organiser une formation conjointe entre travailleurs sociaux, policiers et gendarmes, magistrats, animateurs, soignants… Cela se fait aujourd'hui, mais cela doit être organisé aujourd'hui plus facilement.
Le troisième axe du plan d'action prévoit un programme ambitieux et nécessaire : se donner cinq ans pour moderniser l'appareil de formation et revaloriser les métiers du travail social. Ce volet est essentiel pour ouvrir, pour vous, de belles perspectives professionnelles.
Il s'appuie sur le texte relatif aux « parcours professionnels, aux carrières et aux rémunérations » dans la fonction publique. Celui-ci prévoit que « les fonctionnaires relevant de la filière sociale, dans les trois versants de la fonction publique, bénéficieront d'une revalorisation, à compter de 2018, en reconnaissance de leur diplôme au niveau licence et du niveau des missions exercées ».
Mesure très attendue, ce reclassement se fera donc au terme d'une réingénierie complète des diplômes. Pour amener les établissements de formation en travail social à offrir des formations ouvrant des équivalences entre les diplômes d'État et le niveau licence, une dizaine de mesures sont requises :
- élaboration de programmes nationaux en complément des référentiels métiers,
- mise en place de passerelles avec les universités,
- définition par arrêté des conditions de validation des équivalences universitaires.
En relation avec l'Association des régions de France, l'État définira ensuite un cahier des charges de la qualité des établissements de formation. Ce cahier des charges sera obligatoirement respecté pour délivrer des diplômes d'État de niveau licence.
Toutes ces évolutions seront bien sûr accompagnées, et les premiers étudiants en travail social titulaires de diplômes au niveau licence sortiront en 2021 ! La recherche académique dans le champ de l'intervention sociale sera également développée et promue. En plus de cette évolution profonde, les questions de la formation continue et de la formation en alternance seront désormais traitées dans le cadre d'une conférence des partenaires sociaux des secteurs publics et privés qui se tiendra tous les trois ans en présence des régions. Cette concertation pourra aboutit à offrir des formations continues favorisant les mobilités professionnelles, y compris en relation avec les secteurs connexes de l'animation ou le paramédical.
Ce plan d'action, vous le voyez, marque la fin des États généraux du Travail social, mais il constitue un cadre commun et partagé qui lance des chantiers et identifie les moyens pour y parvenir. Il prévoit un calendrier : certaines mesures sont d'application immédiate, d'autres prendront plusieurs années.
Le plan prévoit un quatrième axe intitulé « Rénover la gouvernance du travail social ». Pour suivre l'ensemble de ces chantiers, le Conseil Supérieur du travail social deviendra un Conseil interministériel. Car l'action sociale ça ne se limite pas au ministère des Affaires sociales. Il sera rénové dans sa composition comme dans son fonctionnement pour favoriser une réflexion transversale sur l'intervention sociale et la rendre davantage accessible aux professionnels et institutions.
Garant de la qualité des interventions, il continuera d'animer une réflexion éthique et déontologique en relation étroite avec les départements.
Le suivi du plan et son évaluation sont essentiels pour valoriser les progrès et identifier les axes d'amélioration au fur et à mesure de sa mise en oeuvre. Ils seront assurés par Monsieur François SOULAGE, président du collectif ALERTE, assisté de l'Inspection générale des Affaires sociales. Les indicateurs du plan seront des indicateurs d'investissement social. Ces indicateurs d'un nouveau genre consistent à considérer l'action sociale, non pas comme une charge, mais comme un levier de développement économique.
Vous le voyez, ce plan d'action, c'est un pacte d'engagement, une mise en avant de ce que vous êtes.
S'engager dans un métier du travail social, ça demande forcément un investissement personnel, de chaque jour. Être travailleur social, c'est être « au service de ». C'est un engagement pour la société. On se doit d'être pleinement investi. Vous devez y croire. Le gouvernement y croit. Ce travail de deux ans redonne sa juste place à plus d'un million de travailleurs sociaux. C'est un signal fort pour vos professions. Vous devez être fiers. Je compte sur vous pour porter ce plan d'action.
Source http://www.social-sante.gouv.fr, le 3 novembre 2015