Interview de Mme Myriam El Khomri, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social à BFMTV le 5 novembre 2015, sur la réforme du code du travail et de l'organisation du travail dans l'entreprise.

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Texte intégral


JEAN-JACQUES BOURDIN
Myriam EL KHOMRI est notre invitée ce matin, bonjour.
MYRIAM EL KHOMRI
Bonjour.
JEAN-JACQUES BOURDIN
C'est une première, merci d'être venue nous voir. Vous êtes ministre de l'Emploi, du Travail, de la Formation professionnelle…
MYRIAM EL KHOMRI
Du Dialogue social.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Du Dialogue social. Myriam EL KHOMRI, nous allons parler évidemment de ce que vous avez présenté hier avec le Premier ministre, de ce que le Premier ministre a présenté avec vous, hier, nous allons respecter les règles, mais moi j'ai une question qui n'a rien à voir avec le code du travail, pour commencer, « donner le droit de vote aux étrangers non communautaires ce n'est plus une bonne idée, on ne le proposera plus » dit Manuel VALLS. La droite se réjouit, Jean-Pierre CHEVENEMENT se réjouit, vous aussi vous vous réjouissez ?
MYRIAM EL KHOMRI
Ecoutez, il faut, à un moment, regarder la faisabilité des choses. Depuis que le Sénat est passé à droite cette réforme n'a aucune chance de passer, donc, à un moment il est bien… je ne nie pas que…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Donc c'est pragmatique, ce n'est pas idéologique, c'est un choix forcé en quelque sorte ?
MYRIAM EL KHOMRI
C'est une réalité, donc il faut arrêter de faire croire qu'on peut y arriver, on ne peut pas y arriver, donc assumons les choses.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Donc on ne fait pas.
MYRIAM EL KHOMRI
Voilà.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Et vous assumez. Donc on ne le fait pas.
MYRIAM EL KHOMRI
Assumons le fait qu'on ne puisse pas le faire aujourd'hui.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Ce n'est plus une bonne idée ?
MYRIAM EL KHOMRI
Ah non, mais je suis toujours pour le droit de vote des étrangers, si c'est ça la question que vous posez.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Non, mais parce que Manuel VALLS dit, lui, « ce n'est plus une bonne idée. »
MYRIAM EL KHOMRI
Dans le contexte politique actuel, et notamment avec un Sénat qui est à droite, ça ne passe pas. On voit bien qu'il y a une défiance en direction des personnalités politiques aujourd'hui, il faut être en capacité de dire que quand une réforme est impossible à aboutir, eh bien il faut être pragmatique.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Myriam EL KHOMRI, la SOCIETE GENERALE ferme 20 % de ses agences en France, ça a été annoncé officiellement ce matin. Ça veut dire quoi en termes d'emplois ?
MYRIAM EL KHOMRI
Je ne sais pas en termes d'emplois aujourd'hui, il va y avoir bien sûr, sans doute, un PSE qui va être proposé, c'est un plan de sauvegarde de l'emploi…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous ne savez rien, des intentions ?
MYRIAM EL KHOMRI
Aujourd'hui je ne sais rien des intentions, je ne sais pas…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais quand vous voyez une grande banque dire « on va fermer 20 % de nos agences », vous vous inquiétez ?
MYRIAM EL KHOMRI
Bien sûr ça m'inquiète et je peux comprendre l'inquiétude également des salariés, et la colère, parfois, des salariés. Aujourd'hui, moi, je n'ai pas d'objectivation de la situation financière de la banque, donc…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Je vous la donne. Bénéfice au troisième trimestre, vous connaissez ce bénéfice ?
MYRIAM EL KHOMRI
Non.
JEAN-JACQUES BOURDIN
1,1 milliard d'euros, +27 % de bénéfices.
MYRIAM EL KHOMRI
Donc il faut…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Quand on fait des bénéfices on ne supprime pas d'emplois, on est bien d'accord ?
MYRIAM EL KHOMRI
Tout à fait. Donc aujourd'hui, moi, ce que j'attends de voir, pour… vous savez, pour avoir un dialogue social il faut de la loyauté, et pour de la loyauté il faut de la transparence, donc objectiver la situation financière, comprendre pourquoi ils souhaitent fermer… il y a aussi une évolution de la banque, on voit bien que les banques en ligne prennent de la place et que les guichets sont de moins en moins utilisés. Moi je ne suis pas pour bloquer toute évolution, mais la réalité…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais quand on fait 1 milliard d'euros de bénéfice, on ne supprime aucun poste, on est bien d'accord ?
MYRIAM EL KHOMRI
Moi, à ce stade, Jean-Jacques BOURDIN, je ne connais pas la situation et le pourquoi de la fermeture de certaines agences. Il y a des évolutions parfois….
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, non mais je comprends très bien qu'il y a des évolutions à faire…
MYRIAM EL KHOMRI
Il y a des évolutions à faire.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais quand on fait 1 milliard d'euros de bénéfice sur un trimestre, est-ce qu'on supprime des postes, oui ou non ?
MYRIAM EL KHOMRI
A mes yeux on reconvertit, on regarde s'il y a des départs volontaires, s'il y a des besoins…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Donc on ne supprime pas de postes ?
MYRIAM EL KHOMRI
Non, pour moi l'objectif c'est d'éviter les licenciements.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Code du travail. Ce code du travail, 2 ans, 2 ans de travail, pour revoir ce code du travail, c'est bien cela ?
MYRIAM EL KHOMRI
Non, pas revoir, ce n'est pas une simple codification…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Alors, qu'est-ce que vous allez faire, vous allez réécrire ?
MYRIAM EL KHOMRI
C'est réécrire le code du travail avec une philosophie nouvelle.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Les 3000 et quelques pages ?
MYRIAM EL KHOMRI
Oui, avec une philosophie nouvelle. Ce n'est pas juste une recodification, comme ça a été fait en 2008. Déjà on assume qu'il y a un besoin de clarification, on assume que pour un chef de TPE, et de PME, aujourd'hui, les choses sont devenues trop complexes. On assume aussi une philosophie qui est totalement nouvelle, ce que nous allons inscrire dans la loi que je vais porter en 2016, c'est les grands principes…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Quand ? Cette loi, quand ?
MYRIAM EL KHOMRI
Cette loi elle va être votée avant l'été 2016.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Avant l'été 2016, elle sera présentée à l'Assemblée début 2016 ?
MYRIAM EL KHOMRI
Elle sera présentée à l'Assemblée février/ mars 2016.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Très bien.
MYRIAM EL KHOMRI
Concrètement, c'est quoi ? Il s'agit de dire aujourd'hui il y a un besoin de clarification parce qu'il y a des mutations, aujourd'hui, dans notre société, dans le monde du travail. Est-ce que ces mutations on les subit, et on voit bien qu'aujourd'hui un droit, c'est un droit qui ne protège plus si on n'est pas en capacité de s'adapter, ou est-ce qu'on anticipe ces changements ? La révolution numérique apporte des mutations, la question de… il y a différentes questions, le télétravail, tout ça, ça pose des mutations. Donc aujourd'hui il faut clarifier…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Tout bouge.
MYRIAM EL KHOMRI
Il faut clarifier. Et notre esprit, la philosophie nouvelle, et la philosophie politique derrière ce programme, c'est de réécrire, de réécrire les choses avec trois étages. Le premier étage c'est nos principes fondamentaux, c'est notre ordre public social, où, pour nous, nous mettons les 35 heures, le CDI et également le SMIC. A partir de ces principes fondamentaux, on fait un travail de réécriture sur 2 ans, donc avec ces 3 étages, ce qui est de l'ordre public social, ce qui relève de la négociation collective, dans les branches professionnelles et dans les accords d'entreprise.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Ça c'est le socle, on est bien d'accord.
MYRIAM EL KHOMRI
Exactement.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Ensuite.
MYRIAM EL KHOMRI
Le socle sera intégré dans la loi que je porterai en 2016. Ça c'est la mission confiée à BADINTER, pendant 2 mois.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Ensuite, vous allez modifier, si j'ai bien compris, l'organisation même du travail dans l'entreprise. C'est cela ?
MYRIAM EL KHOMRI
La philosophie nouvelle c'est plus de place à la négociation collective, mais bien évidemment, vu que… on sait bien que ce travail c'est titanesque, donc ça prend 2 ans, mais on fait ce travail en 3 mois, sur une partie du code du travail, qui est le temps de travail, et les congés. Pourquoi cette partie-là ? Cette partie, parce que c'est ce qui concerne le plus le quotidien des salariés et des employeurs. Vous savez, les exemples que nous avons des demandes de chefs d'entreprise, quand on a un pic d'activité, quand on a une commande, le fait que ce soit trop complexe, qu'on a du mal à s'organiser…
JEAN-JACQUES BOURDIN
On assouplit, en quelque sorte, les règles à l'intérieur de l'entreprise.
MYRIAM EL KHOMRI
On laisse plus de place aux acteurs de terrain, les représentants des salariés, et les chefs d'entreprise…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Donc, assouplissement, flexibilité, on est bien d'accord, dans l'entreprise.
MYRIAM EL KHOMRI
Oui, mais moi je ne suis pas là… je vais vous dire les choses…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous avez peur des mots ?
MYRIAM EL KHOMRI
Justement, je vais vous dire les choses très sincèrement.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Allez-y.
MYRIAM EL KHOMRI
Moi je suis ministre du Travail depuis 2 mois, sincèrement, la liste des mots interdits ce n'est pas…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Pourquoi sont-ils interdits ?
MYRIAM EL KHOMRI
Mais je vous le dis, il y a des mots interdits.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Alors prononcez-les s'ils ne sont pas interdits, assouplissement, flexibilité.
MYRIAM EL KHOMRI
Moi ce n'est pas moi sujet. Aujourd'hui ce n'est pas mon sujet, aujourd'hui moi, ce que je dis de façon très claire c'est qu'à un moment, on va arrêter de passer du temps sur le diagnostic des problèmes, on va traiter les problèmes, et ce qu'on propose…
JEAN-JACQUES BOURDIN
On est d'accord, c'est un assouplissement, une flexibilité.
MYRIAM EL KHOMRI
Ce qu'on propose c'est, en effet, de permettre une adaptation…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Dites-le assouplissement, allez-y, laissez-vous aller. Laissez-vous aller, assouplissement, flexibilité, vous pouvez très bien le dire.
MYRIAM EL KHOMRI
Mais, écoutez-moi, la négociation collective ça veut dire quoi ? Ça veut dire qu'on laisse plus de place aux représentants des salariés et aux chefs d'entreprise pour regarder quelles sont les règles…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, on assouplit les relations du travail !
MYRIAM EL KHOMRI
Notamment en termes d'organisation du travail, en nouant des compromis. La négociation ça veut dire, ce n'est pas on dialogue pour dialoguer…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Pourquoi ne pas dire franchement les choses ?
MYRIAM EL KHOMRI
On dialogue pour nouer des compromis.
JEAN-JACQUES BOURDIN
C'est ce que vous voulez, vous voulez que ça se passe mieux dans l'intérêt de l'entreprise et dans l'intérêt du salarié, vous savez bien Myriam EL KHOMRI.
MYRIAM EL KHOMRI
C'est exactement cela, et donc…
JEAN-JACQUES BOURDIN
D'accord, alors je vais être concret.
MYRIAM EL KHOMRI
On noue des compromis.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Alors je vais être concret. Qu'est-ce que ça va changer ? Parce que je ne comprends pas. Vous dites, on maintient les 35 heures, durée légale…
MYRIAM EL KHOMRI
Oui.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Très bien, à côté de ça, ça veut dire quoi ? Ça veut dire que…
MYRIAM EL KHOMRI
Il y a 125 pages dans le chapitre qu'on va réécrire.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Bon on maintient les 35 heures, on est bien d'accord, durée légale.
MYRIAM EL KHOMRI
Tout à fait.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais concrètement comment allez-vous assouplir, dites moi parce que là je ne comprends pas sur le temps de travail ?
MYRIAM EL KHOMRI
Très clair.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Deux exemples, prenez-moi deux exemples.
MYRIAM EL KHOMRI
Un chef d'entreprise qui a 80 % de femmes à temps partiel dans son entreprise, qui a un pic d'activités, aujourd'hui pour lui c'est extrêmement compliqué justement de leur faire augmenter leur temps de travail même si elles le souhaitent. Il y a la loi, qui dit on peut augmenter de 10 %, il y a après la convention collective, ça c'est les branches professionnelles, donc là qui rajoutent une norme, aujourd'hui avec la loi que je porterai en 2016, par un accord d'entreprise majoritaire, il pourra augmenter le temps de travail partiel par exemple de ces femmes qui le souhaitent, avec leur accord, en échange de contrepartie. Voilà l'adaptation au plus près du terrain selon les réalités. Mais il y a plusieurs niveaux de régulation, il y a l'ordre public social, les grands principes dont j'ai parlé, sur le temps, la durée légale c'est 35 heures, toute heure supplémentaire doit être majorée.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Toute heure supplémentaire sera payée et majorée, on est bien d'accord.
MYRIAM EL KHOMRI
Ça, ça va être le principe. Après tout le travail là, les trois mois qui me restent, c'est un travail titanesque, c'est inédit de travailler sur ces 125 pages dans les trois prochains mois. Ce travail, on va le faire, les partenaires sociaux, ce que je vais faire avec eux, la concertation sur ce chapitre là, ce que nous allons faire, c'est qu'est-ce qui relève de l'ordre public social, qu'est-ce qui relève de la branche ? Vous savez la branche professionnelle…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous allez réduire le nombre de branches.
MYRIAM EL KHOMRI
La branche professionnelle, c'est très important, c'est ce qui permet de réguler la concurrence dans un même secteur.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais vous allez réduire le nombre de branches, on est bien d'accord.
MYRIAM EL KHOMRI
Tout à fait. Pourquoi ? Parce que je suis là pour traiter les problèmes, ça fait 20 ans qu'on en parle, et ça fait 20 ans qu'on n'a pas été en capacité, donc il y a 700 branches, on se compare souvent à l'Allemagne, il y en a 150 en Allemagne.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Alors vous allez réduire à combien ?
MYRIAM EL KHOMRI
400 d'ici la fin de l'année, voilà, en éliminant les branches qui sont territoriales, les branches qui n'ont plus d'activité.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Et après ?
MYRIAM EL KHOMRI
Et puis après dans ma loi, il y aura des délais pour les réductions, nous souhaitons arriver à 200 en deux, trois ans. Donc on est vraiment… pourquoi on fait ça ? Pourquoi, excusez-moi, pourquoi on fait ça ?
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui pourquoi, très vite.
MYRIAM EL KHOMRI
Parce qu'on parle souvent de la complexité du code du travail, vous avez des conventions collectives qui sont aussi extrêmement importantes, et que pour un chef d'entreprise, notamment TPE et PME, c'est particulièrement compliqué de s'y retrouver. Donc aujourd'hui des branches plus fortes, ça veut dire qu'il y aura plus de négociations, donc ce que nous prévoyons, c'est de la régulation, plus de négociations collectives à l'échelle à la fois de la branche professionnelle et à l'échelle de l'entreprise.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Alors Myriam EL KHOMRI, on va entrer dans des questions très directes, le CDI. Le CDI, il y en a de moins en moins, vous l'avez vu, vous êtes au courant.
MYRIAM EL KHOMRI
Il y a 87 % des salariés qui ont des CDI.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Pardon ?
MYRIAM EL KHOMRI
87 %.
JEAN-JACQUES BOURDIN
2 900 000 CDI en 2014, en baisse, forte baisse, de plus en plus de CDD, vous le savez et d'emploi précaire, ou d'emploi partiel.
MYRIAM EL KHOMRI
Oui, il y a de plus en plus d'emploi…
JEAN-JACQUES BOURDIN
De plus en plus d'intérim…
MYRIAM EL KHOMRI
Mais il n'y a pas de baisse du CDI.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Ah bon ?
MYRIAM EL KHOMRI
Non pour moi il n'y a pas de baisse de CDI, et c'est le contrat…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Le CDD, il ne change pas, d'ailleurs c'est combien le CDD, on peut le renouveler combien de fois le CDD ?
MYRIAM EL KHOMRI
Trois fois, jusqu'à trois ans.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Non, mais combien Myriam EL KHOMRI ? Trois fois, vous êtes certaine de ça ? Un CDD, combien.
MYRIAM EL KHOMRI
Un CDD peut être requalifié… pardon, un CDD peut être requalifié en CDI quand justement le cadre du recours au CDD n'a pas été …
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais dites-moi il peut être renouvelé combien de fois le CDD ?
MYRIAM EL KHOMRI
Il peut être renouvelé plusieurs fois.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Combien de fois maximum ?
MYRIAM EL KHOMRI
Je ne pourrais pas vous le dire.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Parce que vous ne le savez pas. Deux fois, il peut être renouvelé deux fois. Savez-vous depuis quand ? Depuis le mois d'août dernier, qui est une mesure gouvernementale de votre gouvernement, Myriam EL KHOMRI.
MYRIAM EL KHOMRI
C'est possible.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Je vous le dis franchement.
MYRIAM EL KHOMRI
J'ai dit trois fois et j'ai bien senti…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Heures supplémentaires défiscalisées, est-ce que c'était une mauvaise mesure franchement ? Soyez franche.
MYRIAM EL KHOMRI
Oui. Le débat sur le CDI, permettez-moi d'y revenir, le débat aujourd'hui sur le CDI, je vois bien les propositions du MEDEF sur le sujet. Parlons-en sérieusement. La loi que je porte, elle n'est pas là pour faciliter les licenciements. Non, elle est là pour créer de la croissance, pour permettre de répondre aux commandes, pour permettre de répondre aux pics d'activité. Voilà quelle est la réalité. On voit bien, aujourd'hui on a frémissement de l'activité économique.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Tant mieux.
MYRIAM EL KHOMRI
Et tant mieux, nous avons des signaux qui sont positifs.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Je vois que le secteur du BTP s'attend à perdre quinze mille emplois en 2015, pire année depuis trente ans.
MYRIAM EL KHOMRI
J'ai rencontré encore la CAPEB récemment, il y a un frémissement dans le secteur du BTP. Les mesures qu'a pris par exemple le président HOLLANDE sur l'accès justement au prêt à taux zéro pour l'accession sociale à la propriété permet de relancer l'ANRU, les cinq milliards d'investissement pour la rénovation urbaine, permet aussi l'investissement public local.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Je voudrais revenir sur ma question. Est-ce que c'était une erreur de supprimer les heures supplémentaires défiscalisées ? Franchement ? Dites-moi franchement ce que vous en pensez. Non ? Parce que ça donnait du pouvoir d'achat quand même, non ?
MYRIAM EL KHOMRI
Mais écoutez, quel est le projet de la droite actuellement quand on le débat sur les trente-cinq heures ? La réalité, c'est quoi ? On dit les trente-heures : la réalité, c'est que les Français travaillent trente-neuf heures mais que les heures travaillées au-delà des trente-cinq heures, c'est des heures qui sont majorées. Donc quand on nous propose de travailler trente-neuf heures, ça veut dire qu'il n'y a plus de majoration des heures supplémentaires. Donc déplacer la durée légale, ça veut dire quoi ? Ça veut dire moins de pouvoir d'achat pour les salariés. C'est ça la réalité. On a une vraie différence entre la gauche et la droite de ce point de vue-là. Sur la réforme du Code du travail, pourquoi nous voulons faire plus de place à la négociation collective ? C'est parce que nous souhaitons justement renforcer le rôle des syndicats et renforcer leurs responsabilités.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Et renforcer le rôle des acteurs ? Renforcer le rôle du chef d'entreprise, renforcer le rôle du salarié et, pourquoi pas, autoriser des référendums dans les entreprises ? Vous êtes pour ou contre d'ailleurs ?
MYRIAM EL KHOMRI
Moi, les consultations ne me posent jamais de difficulté mais le référendum, pour moi, c'est une manière de contourner les syndicats. Moi, je considère les syndicats comme légitimes, ce qui n'est pas le cas justement de la droite. Est-ce qu'on se pose la question dans la politique ? Est-ce qu'on remet en cause la légitimité des hommes et des femmes politiques ? On peut être défiant, on peut avoir de la défiance en direction mais est-ce qu'on remet en cause leur légitimité ? Est-ce qu'on les contourne ? Est-ce qu'on met en place des référendums justement pour contourner cette légitimité ? Je ne le crois pas.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous aimeriez être remise en cause à travers des référendums vous, Myriam EL KHOMRI ?
MYRIAM EL KHOMRI
Non. Alors ce que je ne souhaite pas pour moi, je ne le souhaite pas pour les syndicats. Vous savez, il y a soixante-cinq pourcent de vote aux élections professionnelles ; j'aimerais bien qu'en vie politique nous ayons les mêmes taux de participation aux élections professionnelles.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Ça c'est certain, oui. Mais vous êtes élue ? Vous êtes élue ?
MYRIAM EL KHOMRI
Oui, je suis élue à Paris dans le XVIIIème arrondissement.
JEAN-JACQUES BOURDIN
C'est pour ça, c'est pour ça. Dans votre arrondissement, vous organiseriez des référendums sur votre action ? « Oui, non, mon action » ?
MYRIAM EL KHOMRI
Non. Ce que je dis de la droite, c'est qu'eux souhaitent contourner les syndicats, ce qui n'est absolument pas le cas.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Dites-moi, pourquoi est-ce que chaque entreprise ne pourrait pas être libre de s'organiser comme elle veut après accord, évidemment, entre le chef d'entreprise et les salariés, et les représentants des salariés ?
MYRIAM EL KHOMRI
Il y a deux choses. La branche professionnelle, c'est ce qui recoupe tous les secteurs, pour pas qu'il y ait de concurrence.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Secteurs d'activité.
MYRIAM EL KHOMRI
Secteurs d'activité. Il ne faut pas qu'il y ait de concurrence déloyale, donc c'est normal que la branche professionnelle ait un niveau des normes sociales qui soit identique. L'objectif de la loi que je porte, ce n'est pas d'avoir un droit du travail qui ait des absences de garanties, des garanties différentes pour les salariés. Mais ce que nous souhaitons en effet, c'est que l'adaptation puisse se faire sur certaines choses, notamment sur le temps de travail, notamment sur l'organisation de ce temps de travail, sur la question de la prise des congés, et cætera, qu'il puisse y avoir de la souplesse, de la respiration. Ça, c'est demandé.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Myriam EL KHOMRI, cette réforme est impérative.
MYRIAM EL KHOMRI
Oui, elle est impérative. Vous savez pourquoi ?
JEAN-JACQUES BOURDIN
Non.
MYRIAM EL KHOMRI
Parce qu'aujourd'hui, on idéalise beaucoup le passé mais on est incapable de construire.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Alors pourquoi attendre 2018 ?
MYRIAM EL KHOMRI
Mais parce que c'est un travail titanesque. Le rapport de Jean-Denis COMBREXELLE, il nous donnait quatre ans pour faire ce travail-là : on le fait en deux ans, on fait le travail dans la loi sur le temps de travail, on assume de renforcer la légitimité, de renforcer la négociation collective pour maintenir à la fois des garanties pour les salariés mais être en capacité de donner plus de souplesse également aux chefs d'entreprise. Et puis, il y a des mesures fortes en direction des TPE et des PME qui, elles en effet, ne sont pas toujours dans la même situation, n'ont pas toujours de grands services de DRH justement.
JEAN-JACQUES BOURDIN
AIR FRANCE, un mot quand même parce que ça vous concerne, c'est l'emploi aussi même si vous n'avez pas le dossier directement. Les syndicats demandent une réunion direction syndicale-gouvernement. Vous êtes favorable à ça ? C'est ce que disent les syndicats, tous les syndicats réunis, l'intersyndicale.
MYRIAM EL KHOMRI
Moi, sur le dossier AIR FRANCE, je vais vous dire les choses telles que je les pense.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Allez-y franchement. Moi j'aime bien ça. Allez-y.
MYRIAM EL KHOMRI
Moi je pense que le dialogue social ne se fait pas dans les colonnes des journaux. Le dialogue social se fait avec les représentants des salariés, ça c'est la première chose.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Pour l'instant, il n'est pas formidable le dialogue social à AIR FRANCE, pardonnez-moi.
MYRIAM EL KHOMRI
La deuxième chose : le dialogue social, si on veut le développer, il faut créer un climat de confiance. Et pour créer un climat de confiance déjà, il faut une loyauté, une transparence, il faut objectiver les difficultés. Je pense qu'en effet, la direction d'AIR FRANCE doit faire des efforts en matière de transparence et de créer les conditions du vrai dialogue.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Elle ne crée pas les conditions ? Elle ne crée pas les conditions du dialogue social ?
MYRIAM EL KHOMRI
La transparence pour moi au début n'a pas été complète de la part de la direction.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Donc elle a une part de responsabilité, elle est responsable, coresponsable.
MYRIAM EL KHOMRI
En termes de transparence, tout à fait.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Je voudrais terminer avec ce mail. Vous savez, il y a des auditeurs qui nous envoient des mails, Myriam EL KHOMRI. Il est sévère : « Comment peut-on à trente-sept ans conduire le ministère du Travail sans avoir jamais travaillé dans le privé ? »
MYRIAM EL KHOMRI
Comment ça, je n'ai jamais travaillé dans le privé ?
JEAN-JACQUES BOURDIN
Justement, alors dites-nous.
MYRIAM EL KHOMRI
J'ai commencé à travailler à l'âge de dix-sept ans pour mon père qui était commerçant. J'étais étudiante salariée, je travaillais vingt heures par semaine. Puis après, j'ai fait tous les petits jobs possibles de la Terre. J'ai été étudiante salariée pendant mes cinq ans d'études.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Qu'est-ce que vous avez appris à ce moment-là ?
MYRIAM EL KHOMRI
J'ai appris à quel point pour un commerçant ça peut être compliqué pour lui. Déjà, souvent on ne se paye pas toujours quand on est chef d'entreprise.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Ça me fait plaisir ce que vous me dites.
MYRIAM EL KHOMRI
Je vais vous dire, j'ai appris que les tâches administratives, que le ménage dans sa boutique, on le fait bien souvent le week-end, le dimanche, parce que la semaine on est dans le jus. Voilà ma réalité.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Ça, c'est le petit artisan-commerçant, la TPE, la PME. Nous les défendons ardemment.
MYRIAM EL KHOMRI
Mais je les défends et mon projet de loi - vous savez, la restructuration…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Alors, qu'est-ce que vous allez leur offrir ?
MYRIAM EL KHOMRI
Pour eux, la restructuration des branches professionnelles, c'est impératif pour eux. Les accords type de branche, ils sont en demande, il faut les aider. Ils n'ont pas de service de DRH comme les grands groupes. Ça, c'est pour eux. Moi, je travaille également à un contrat de travail sécurisé, c'est-à-dire qu'un commerçant puisse dire : « Je veux embaucher, je suis dans tel secteur », qu'on lui sorte le contrat de travail sécurisé, qu'il n'ait plus de doute par rapport à cela. Ça, ça doit être…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Avec la possibilité de se séparer du salarié quand il le veut ?
MYRIAM EL KHOMRI
Non, mais moi je suis là pour créer de l'emploi, pas pour faciliter les licenciements. Je vous le dis et vous le redis. Vous savez, quand on compare le contrat de travail, le CDI au contrat de mariage, juste dans le mariage il y a le partage aussi. C'est aussi comme ça que je conçois cette réforme du droit du travail et la loi que je porte vise aussi à mieux sécuriser les parcours professionnels, à être en phase avec la réalité quotidienne des Français. Pourquoi on a pris le temps de travail ? Un mot là-dessus, pourquoi ? Parce que c'est le sujet qui est le plus impacté par la révolution numérique, le forfait jour, le télétravail, le principe et le devoir de déconnexion. C'est ça la réalité. Et donc aujourd'hui est-ce qu'on ferme les yeux sur ces évolutions ou est-ce qu'on les prend en compte et on les traite.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Myriam EL KHOMRI était notre invitée ce matin. Merci.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 6 novembre 2015