Déclaration de M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international, sur les défis et priorités du ministère des affaires étrangères et du développement international, à Paris le 6 janvier 2016.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Voeux aux agents du ministère des affaires étrangères et du développement international, à Paris le 6 janvier 2015

Texte intégral


Monsieur le Secrétaire général,
Madame et Messieurs les Ministres,
Monsieur le Président,
Chers Amis,
Merci, Cher Christian Masset, pour les mots que vous venez de prononcer. Vous l'avez rappelé : le Quai d'Orsay est un ministère de traditions, Il est aussi un ministère d'innovation ; mais c'est aussi une maison attachée aux traditions. Celle de nos «voeux croisés» en fait partie, et c'est avec beaucoup de plaisir que je m'y plie aussi cette année.
Je vous présente donc, à vous-même, Monsieur le Secrétaire général, à Matthias et à Harlem, à vous toutes et tous qui êtes ici rassemblés et à travers vous à l'ensemble des collaborateurs du ministère, à Paris, à Nantes, à l'étranger, mes voeux très chaleureux pour l'année qui s'ouvre. Que cette année vous apporte réussite professionnelle, santé et bonheur personnel et pourquoi pas, l'amour.
J'adresse un salut particulier aux nouveaux agents, récents lauréats des concours, recrutés sur contrat à Paris ou en poste. Je leur souhaite la bienvenue dans notre maison, une des plus belles administrations de notre République.
Une même pensée pour les collègues en poste dans des zones très difficiles, difficiles. Je leur rends hommage pour le travail qu'ils accomplissent, travail qui demande toutes les vertus ordinaires plus le courage.
Mes remerciements renouvelés aux agents du Quai d'Orsay qui ont participé à la Cellule interministérielle d'aide aux victimes à laquelle vous avez fait allusion, Monsieur Masset, mise en place au lendemain des attentats du 13 novembre et hébergée par notre centre de crise et de soutien. Cette cellule a eu une tâche difficile, elle a informé et accompagné les familles et les proches des victimes, en assurant la bonne coordination des services de l'État. Ceux qui y ont participé se sont remarquablement acquittés de leur tâche : je leur exprime ma gratitude.
Enfin, je veux adresser, au-delà de vous-même mes très vifs remerciements à l'ensemble des agents de notre ministère, qui ont été particulièrement sollicités cette année et qui ont accompli un travail d'une grande qualité. Comme vous l'avez rappelé, Monsieur le Secrétaire général, la revue Acteurs publics qui, reconnaissons-le, n'a pas la même diffusion que Paris-Match m'a décerné fin décembre le «Prix de la performance publique», pour les réformes initiées dans cette maison que je dirige depuis 2012 et pour la COP21. J'ai obtenu d'ailleurs plusieurs récompenses que je ne vais pas hiérarchiser au cours de l'année précédente : j'ai été élu la personnalité de l'année par la revue des vins ; j'ai été intronisé dans la guilde des fromagers ; j'ai eu ce prix de la revue Acteurs publics et il semble que je vais recevoir bientôt une autre récompense. Mise à part la question du formage et du vin, en fait, c'est à toute la Maison que ces distinctions s'adressent. Et chaque fois que je fais un discours pour remercier de ces distinctions, je ne peux pas m'empêcher de rappeler que j'avais, au siècle dernier, reçu le prix du parlementaire de l'année et j'avais, avec un peu de facétie fait remarquer au jury qu'il m'avait accordé ce prix la seule année où je n'avais pas pris la parole à l'Assemblée. C'est donc une grande leçon de modestie.
En tout cas, cette récompense, très sérieuse celle-là, je veux la partager avec vous tous car le Quai d'Orsay c'est vous. En 2015, le Quai d'Orsay a été sur tous les fronts. Il a confirmé, dans notre pays comme à l'étranger, sa réputation d'excellence, à tous égards, bravissimo.
Chers Amis,
Il y a un an, au moment même où je prononçais mon discours de voeux, nous parvenait la nouvelle du massacre de la rédaction de Charlie Hebdo. Dans les deux jours suivants, d'autres attentats se produisaient. Dix mois plus tard, c'était le carnage terroriste du 13 novembre, d'une ampleur et d'une barbarie sans précédent sur notre sol.
Ces attentats ont bouleversé notre pays, ils ont aussi marqué le monde. Chacun garde à l'esprit la marche du 11 janvier, même si bien sûr, les souvenirs galopent, cette marche extraordinaire, ce rassemblement exceptionnel de dirigeants venus de toute la planète - M. Stefanini s'en souvient -, les conditions dans lesquelles cela avait été organisé. Ils venaient dire à Paris leur solidarité avec la France et l'unité face au terrorisme. Chacun se souvient de l'élan de solidarité internationale après les attentats du 13 novembre, plus fort encore qu'en janvier. De nombreux chefs d'État et de gouvernement dans nos ambassades pour exprimer personnellement leurs condoléances. Il y a eu des rassemblements populaires spontanés un peu partout. Des Marseillaises chantées avec des accents étrangers, c'était encore plus émouvant. Il y a eu des monuments emblématiques illuminés aux couleurs du drapeau français, depuis la porte de Brandebourg à Berlin jusqu'aux remparts de Jérusalem, depuis Trafalgar Square à Londres jusqu'aux grandes tours de Riyad, de Kuala Lumpur, et à l'Opéra de Sydney.
Cet élan de solidarité dans le drame a souligné une fois de plus la place singulière qu'occupe notre pays. Nous avons une Histoire singulière, nous avons des valeurs, nous avons une image particulière et quand tout cela est frappé, d'une certaine façon c'est la France mais aussi le monde qui se sent blessé.
Pour autant, n'oublions jamais que nous n'avons pas été les seuls à être touchés par le terrorisme en 2015 : les fusillades de Copenhague, les attentats du Bardo, de Sousse et de Tunis, le massacre de l'Université de Garissa au Kenya, le crash d'un avion russe dans le Sinaï, l'attaque d'un hôtel à Bamako, l'attentat déjoué du Thalys, les attentats-suicides de Boko Haram... Plus encore que les précédentes, cette année a montré que la menace terroriste était mondiale, et que, par conséquent, la seule réponse efficace l'était évidemment aussi.
Mais, comme vous l'avez fort bien souligné, Monsieur le Secrétaire général, pour dramatique qu'elle ait été, 2015 fut aussi et d'un autre point de vue porteuse d'avancées. Sur deux questions majeures - le réchauffement climatique et le nucléaire iranien -, deux sujets sur lesquels la communauté internationale butait depuis de longues années, un accord diplomatique a été trouvé. Par deux fois, l'épithète «historique» a été méritée. Et par deux fois, le rôle de la diplomatie française - votre rôle - a été tout à fait essentiel.
Dans nos sociétés où règne l'immédiateté médiatique, l'accord obtenu à Vienne le 14 juillet 2015 sur le dossier du nucléaire iranien pourrait presque paraître lointain, mais pourtant, je pense que les historiens n'oublieront pas cet acquis majeur. Pendant douze ans, la question avait occupé et préoccupé la communauté internationale. Une issue positive a finalement pu être trouvée, grâce notamment pas uniquement mais notamment à la position de «fermeté constructive» adoptée par notre pays qui, tout au long de ces négociations, a, en pleine indépendance et responsabilité, défendu les intérêts de la sécurité internationale et de la paix. J'ai beaucoup réfléchi à cette négociation, longue et difficile et l'une des leçons que j'ai retirée de nos négociations, c'est qu'il fallait être constructif pour obtenir un accord ; il fallait être ferme pour obtenir un bon accord. Nous avons été l'un et l'autre. L'accord de Vienne, éloigne le risque de prolifération nucléaire au Proche et au Moyen-Orient, et je pense qu'il restera comme l'une des contributions les plus importantes de ces dernières années à la construction d'un monde plus sûr et la diplomatie française y est évidemment associée.
Plus près de nous, la COP21 a été un exceptionnel et incontestable succès. On me demande souvent comment j'explique ce succès. Je vais essayer de le faire ce soir mais en général, je réponds - pas simplement parce que j'aime les pirouettes - que je préfère ne pas comprendre les résultats d'un succès plutôt que de déployer des trésors d'intelligence comme on le fait souvent pour expliquer un échec. En tout cas, Le succès a d'abord été - c'est très matériel et tout commence avec le matériel - l'organisation même de la conférence : le site a été livré à temps, ce qui était quand même utile. Les participants ont été très satisfaits et il y a une interaction profonde entre le contenant et le contenu. La sécurité assurée - dans un contexte particulièrement difficile -, la certification «développement durable» ISO 20121 a été décernée à la COP, la première fois pour une manifestation de ce type. Et au-delà de l'anecdote cela a montré, plus que toutes les autres démonstrations, que nous pouvions accueillir dans n'importe quelles conditions les plus grandes manifestations du monde. Ce n'est pas sans intérêt pour des projets que la France a dans le futur. Le succès, essentiel : c'est l'accord intergouvernemental lui-même du 12 décembre 2015, le premier pacte climatique universel de l'Histoire. Pour y parvenir, le travail minutieux, tenace, systématique de l'ensemble de notre diplomatie, de tous nos postes a été déterminant et salué partout. Comme je l'ai dit en frappant avec mon marteau lors de l'approbation du texte : «c'est un petit marteau, mais il aura de grandes conséquences», car il y aura incontestablement un avant et un après Paris 2015. Et Paris 2015 a exorcisé le fantôme de Copenhague 2009, d'autant que, au-delà même de l'accord entre États, la dynamique de la COP21 a permis un basculement vers le développement bas carbone d'un nombre considérable de villes et de régions, d'entreprises, d'institutions financières, de syndicats, d'ONG, de citoyens. Cet «agenda des solutions», qui engage une mutation profonde et irréversible de nos économies et de nos sociétés, restera l'une des marques de cette COP21. Le mot d'historique n'est donc pas galvaudé.
Si on la résume à grands traits, l'année 2015 a donc oscillé entre drames et succès, entre inquiétudes liées au terrorisme et espoirs portés par des avancées de la diplomatie. En 2016, des opportunités s'ouvrent à nous, mais le risque existe aussi que s'amplifient les turbulences du système international sans que des réussites comparables à celles de 2015 ne se reproduisent. Car à une économie internationale en mal de dynamisation, à une dispersion croissante de la puissance, s'ajoute cette année une conjonction frappante qui pousse les grands acteurs du système international à l'introversion plutôt qu'à la recherche réelle en commun de solutions. Dans ce contexte, quelles seront nos priorités ? Elles n'ont pas changées depuis l'an dernier, elles répondent aux quatre orientations qu'avec le président de la République et le Premier ministre, nous avons fixées à notre diplomatie : la paix et la sécurité - priorité numéro un ; la planète - priorité numéro deux ; l'Europe - priorité numéro trois ; le rayonnement de la France - priorité numéro quatre.
La première priorité, que je rappelle le jour même où la Corée du Nord procède à un nouvel essai nucléaire, c'est la sécurité. La recherche de la sécurité et de la paix, ce sera l'axe central en 2016 de notre action diplomatique.
La lutte contre Daech et le terrorisme sera au coeur de notre action diplomatique et militaire. En Irak, la France continuera d'intervenir dans le cadre de l'opération Chammal. Sur le plan politique, nous soutiendrons le gouvernement irakien dans la mise en oeuvre des mesures de réconciliation nationale qui sont indispensables. En Syrie nous poursuivrons nos frappes contre les cibles terroristes qui menacent notre sécurité, ainsi que notre appui aux forces d'opposition modérée. Dans un contexte mêlant les lueurs d'espoir de la fin 2015 et les graves inquiétudes liées aux tensions de ce début d'année entre l'Arabie saoudite et l'Iran, nous poursuivrons nos efforts pour une transition crédible dont, évidemment, Bachar al-Assad ne peut pas être le terme et un cessez-le-feu durable au bénéfice des populations. Nul besoin de souligner combien ces tâches sont à la fois nécessaires et extrêmement difficiles.
En Libye, l'accord signé en décembre est prévu pour amorcer, espérons-le, un processus de stabilisation politique : au Conseil de sécurité comme avec nos partenaires les plus impliqués, nous devrons travailler à le consolider - Harlem Désir a suivi ce dossier récemment - afin d'empêcher que ce pays, potentiellement très riche, ne s'enfonce dans le chaos et ne devienne un refuge encore plus massif pour les terroristes.
S'agissant du conflit israélo-palestinien, nous devrons continuer - j'ai encore reçu le ministre des affaires étrangères palestinien hier - de mobiliser, au-delà du Quartet, les acteurs arabes clés et, d'une façon générale, tous nos grands partenaires dans le cadre du groupe international de soutien, comme dans le cadre du Conseil de sécurité. Je le répète, même si la voix de la France est malheureusement un peu isolée, la situation israélo-palestinienne reste une poudrière qui peut éclater à tout moment, tout simplement parce qu'il n'y a pas de paix sans justice. Nous ne pouvons pas et nous ne voulons pas laisser se déliter la solution des deux États, déjà assez largement compromise, mais au contraire chercher à recréer un horizon politique pour les deux peuples.
Ces efforts pour la paix et la sécurité, nous les mènerons aussi sur l'ensemble du continent africain. Au Mali, où presque tout le monde a oublié qu'il a de cela trois ans les terroristes se trouvaient à 150 kilomètres de Bamako et où, après avoir aidé à ramener la paix et la démocratie, nous soutenons et nous soutiendrons la mise en oeuvre de l'accord d'Alger signé entre les autorités et les groupes armés non terroristes. En Centrafrique, nous accompagnerons le retour espéré, dans les semaines qui se profilent, à une situation «normale» dans un pays qui, là encore, ne l'oublions pas, était il y a deux ans au bord de la guerre civile. Nous plaiderons pour que l'Europe aide davantage les pays de la région du Lac Tchad à supporter l'effort de guerre contre Boko Haram. Au Burundi, où la situation inspire de l'inquiétude, nous soutiendrons le dialogue, sous conduite africaine, entre Burundais.
Dans un autre contexte, nous continuerons notre action pour la paix en Ukraine. Les accords de Minsk, obtenus en février grâce aux efforts conjoints de la France et de l'Allemagne, ont permis une certaine désescalade. Leur mise en oeuvre devra se poursuivre en 2016 puisque que nous ne sommes pas parvenus à leur terme en 2015. Tout n'est pas réglé, mais nous sommes passés d'un conflit ouvert à un dialogue mieux organisé, ouvrant peu à peu la voie vers une Ukraine plus stable et pacifiée. La France, à travers le «format Normandie», continuera de jouer son rôle majeur dans ce processus. Paix et sécurité.
La deuxième priorité de notre diplomatie en 2016 sera le suivi et la mise en oeuvre des décisions de la COP21. Car on l'oublie, mais moi je ne l'oublie pas, nous continuons à présider la COP21 jusqu'au mois de novembre de cette année. L'espoir, l'enjeu, c'est de construire à partir du momentum de Paris et de «capitaliser» sur le succès du 12 décembre. Pour cela, nous devrons exploiter au mieux ma présidence de la COP21, qui se poursuivra jusqu'à la COP22 de Marrakech, en novembre prochain. En 2016, notre diplomatie restera donc fortement mobilisée sur l'enjeu climatique.
Nous devrons nous concentrer, en particulier, sur la mise en oeuvre des décisions du 12 décembre. Pour le dire d'une façon qui, juridiquement, n'est pas très exacte, avec l'accord de Paris, nous avons adopté une bonne «loi» ; nous devons maintenant préparer de bons «textes d'application». Notre présidence en 2016 n'aura évidemment pas le même objet que les efforts déployés en amont de la COP21, mais elle demandera elle-aussi un investissement très important si nous voulons - et c'est indispensable - que se poursuive à Marrakech l'élan de Paris. Dans les semaines qui viennent, nous devrons travailler de près avec les autorités marocaines. La qualité de notre collaboration avec la présidence péruvienne de la COP20 tout au long de l'année écoulée a été extrêmement utile. Dans les jours qui viennent, j'aurai à m'exprimer plusieurs fois à ce titre : le 18 janvier à Abou Dhabi pour une conférence internationale ; le 20, le président Schultz m'a invité à m'exprimer devant le Parlement européen sur la COP21 ; le 21, je serai au sommet de Davos ; et mi-février à la Wehrkunde de Munich.
Plusieurs rendez-vous marqueront notre présidence de la COP21. D'une part, la cérémonie d'ouverture de l'accord à la signature, qui aura lieu le 22 avril à New York et nul doute que le président de la République, le Secrétaire général des Nations unies et moi-même auront évidemment à coeur d'être présents. D'autre part, une réunion dite d'intersessions, aura lieu dans la deuxième quinzaine de mai à Bonn, afin de préparer la COP de Marrakech pour novembre. Ce sera la première réunion du «Ad hoc Paris Agreement Group», chargé de préparer les décisions de mise en oeuvre de l'accord de décembre dernier. Des orientations devront être prises sur le renforcement des capacités des pays qui en ont besoin, sur la poursuite de la mobilisation des financements et des technologies avant 2020, sur les nouvelles règles de «transparence» concernant le suivi des engagements pris par tous les pays, en vue de premières décisions lors de la conférence de Marrakech. Il faudra aussi que le Parlement français ratifie l'accord de Paris et il faudra préparer le passage de relais à nos amis marocains en novembre. Enfin, le président de la République et moi-même pensons que le 12 décembre 2016, nouvelle date historique, devra être marquée comme telle.
Au-delà des suites de l'accord de Paris, dont l'entrée en vigueur est prévue en 2020, un suivi sera nécessaire concernant l'action à mener d'ici 2020 et la mise en oeuvre du «Plan d'action Lima-Paris». Nous devrons couvrir à la fois le suivi des engagements financiers pris par les pays donateurs, celui des initiatives engagées ou annoncées à Paris par les différents acteurs étatiques et non étatiques, et la cristallisation d'initiatives nouvelles, mobilisant des communes, des départements, des régions, des entreprises, des investisseurs, etc. Comme président de la COP21, je nommerai prochainement l'un des deux «champions» - c'est le nom qu'on leur donne dans l'accord - chargés d'assurer le suivi des initiatives des acteurs non gouvernementaux - l'autre sera nommé par mon homologue marocain. Je réunirai aussi les principaux acteurs du Plan d'action Lima-Paris, afin de définir les prochaines étapes. Il faudra que notre réseau diplomatique continue de s'investir dans cette tâche, en particulier lorsqu'il s'agira de la mise en oeuvre d'initiatives prises ou appuyées par notre pays - je pense par exemple aux engagements financiers pour l'électrification et la lutte contre la désertification en Afrique, à la généralisation des systèmes d'alerte précoce face aux catastrophes, qu'a suivie spécialement Annick Girardin, et d'assurances climatiques dans les pays vulnérables, ou encore à la protection des forêts tropicales. Je pense à la protection des forêts tropicales et pense aussi à l'Alliance solaire lancée avec nous par le Premier ministre indien M. Modi et à la «Mission innovation», avec Bill Gates, Barack Obama, etc. pour le développement de technologies propres. Sur tous ces aspects, la Conférence de Paris a créé un esprit de confiance ; il faut que cet esprit se maintienne et ce sera le cas dès lors que nous nous montrerons capables de mettre en oeuvre les actions concrètes et rapides annoncées.
Au plan européen, un important travail de mise en oeuvre nous attend également. Les travaux législatifs permettant à l'Union européenne d'atteindre ses objectifs de réduction d'émissions ont commencé, avec la révision du marché carbone européen qui englobe l'énergie et les industries lourdes. Les secteurs ne relevant pas du marché carbone, sur lesquels porteront 30% de l'effort de réduction, devront maintenant être traités : transports, agriculture, bâtiments, déchets... Les discussions européennes ne seront pas faciles, mais il faut avancer rapidement sur ce point.
Enfin, nous devrons entretenir la dynamique de la COP21 dans la mobilisation de tous les acteurs en France même, acteurs publics et privés. Le ministère de l'écologie sera particulièrement actif aux plans européen et français. Ce sera nécessaire notamment pour traduire la transition écologique en actions pour l'emploi et dans la perspective d'un rehaussement de nos engagements en matière d'atténuation avant 2020, comme l'a annoncé le président de la République lors de la clôture de la COP21. Bref, vous l'avez compris - et j'ai voulu à dessein être un peu détaillé -, la COP21 ne s'est pas terminée au mois de décembre, elle se poursuivra activement en 2016 et ce ministère comme moi-même y jouerons leur plein rôle.
L'Europe constitue la troisième priorité de notre diplomatie. C'est Harlem Désir qui suit particulièrement ces sujets sur lesquels je veux parler clair. 2016 pourrait bien être pour l'Union européenne l'année de tous les dangers. Croissance économique encore insuffisante, menace terroriste, mouvements migratoires massifs, risque de fragmentation de l'espace Schengen, tensions sur la question des relations avec la Russie, forces de dissociation à l'oeuvre - je pense notamment au référendum sur la sortie ou la non sortie de l'Union prévu cette année au Royaume-Uni, ou encore à la montée des populismes nationaux et des souverainismes régionaux : la liste est extrêmement longue de ces interrogations ou même de ces mises en danger concernant l'Europe en 2016.
En 2015, l'Europe a dû répondre à l'urgence. Urgence dans la lutte contre le terrorisme, mais aussi face à la crise grecque, à l'afflux migratoire massif, à la situation en Ukraine. Des décisions importantes ont été prises, elles devront être mises en oeuvre : nous devrons y être très attentifs dans le domaine qui concerne les frontières et les migrations.
En 2016, l'un des objectifs prioritaires de notre action européenne devra être le rétablissement de la maîtrise de l'espace Schengen : nous devrons renforcer le contrôle des frontières extérieures et des flux migratoires. Cela passe en particulier par le renforcement des outils de surveillance des frontières, notamment Frontex. Ce travail devra s'accompagner de la mise en oeuvre du volet extérieur de la gestion des flux migratoires. Concernant la sécurité extérieure de l'Union européenne, nous devrons nous appuyer sur la mobilisation de nos partenaires au titre de l'article 42-7 du Traité de l'Union européenne pour insister sur les enjeux de politique étrangère et de renforcement de la politique de sécurité et de défense commune, en particulier dans le cadre d'une révision de la stratégie européenne de sécurité présentée en juin 2016.
Au-delà de ces tâches qui elles-mêmes sont très difficiles, nous devrons poursuivre le travail engagé en faveur d'une croissance européenne durable. Cela impliquera de consolider la zone euro, d'achever de mettre en place ses mécanismes de stabilisation - je pense à l'Union bancaire - et d'encourager l'investissement avec l'amplification de la mise en oeuvre du plan Juncker. N'essayons pas d'inventer de nouvelle mécaniques beaucoup trop longue à mettre en place, utilisons plutôt les fonds structurels du plan Juncker et, par rapport aux chiffres qui ont été envisagés, nous sommes très loin du compte. Entre le plan Juncker et les fonds de cohésion, ce sont plusieurs milliards d'euros doivent être investis dans l'économie française : ce sont ces fonds qu'il faut exploiter au mieux et dont il faut accélérer la mise en oeuvre. Cela signifie aussi faire profiter nos entreprises d'un commerce international préservant les intérêts européens : nous continuerons de suivre de près les discussions sur le partenariat commercial transatlantique, et c'est Matthias Fekl qui suit tout cela. Nous aurons enfin à mettre en oeuvre l'indispensable transition énergétique au niveau européen, dans le prolongement de l'accord de Paris, et à accélérer les travaux engagés dans le domaine du numérique.
Lors du semestre qui s'ouvre sous présidence néerlandaise, les relations entre le Royaume-Uni et l'Union européenne susciteront des débats sur l'avenir de l'Europe. Soyons là aussi très clairs, la sortie du Royaume-Uni serait extrêmement négative à la fois pour lui et pour l'Europe. Pourtant, le risque, un risque très sérieux existe. Nous aborderons cela avec un mot d'ordre clair en ce qui concerne le gouvernement français : oui aux améliorations de l'Union européenne, non à son démantèlement. D'une façon plus générale, malgré certains progrès européens enregistrés, souvent à l'initiative de la France, ne nous dissimulons pas les difficultés : les forces de dispersion sont puissantes, la construction européenne elle-même, selon mon point de vue, est menacée pour de multiples raisons, notamment pour une raison sur laquelle insistait, à juste titre, Harlem Désir ce matin et qui peut être résumée ainsi : les questions de sécurité extérieure et intérieure sont devenues tout à fait centrales en Europe et, pour nos concitoyens, alors même que l'Europe n'a pas été construite dans cet esprit, ni avec cet objectif central. Sur tout cela, nous devrons en particulier nous concerter étroitement avec nos amis allemands et ne pas être seulement en position défensive mais avoir une certaine perspective européenne à proposer. En 2016 en tout cas, il est clair que l'Europe sera au coeur de notre action. Face à la diversité des défis européens qui s'annoncent, je compte sur chacune et chacun d'entre vous.
J'en viens à notre quatrième priorité de politique étrangère : la poursuite de notre mobilisation au service du rayonnement de la France. Celui-ci passe en particulier par la culture. J'ai confié il y a quelques mois à l'Institut français - je pense comme chacun d'entre vous à notre ami Denis -, l'opérateur de notre diplomatie culturelle, la mission d'organiser une grande «Nuit des idées» : double défi pour cette Maison qui devra donc avoir des idées et se réunir la nuit. Elle aura lieu ici au Quai d'Orsay le 27 janvier. Il s'agira d'un moment exceptionnel d'échanges entre intellectuels, artistes, chercheurs du monde entier, réunis à Paris avec le public pour toute une nuit afin de réfléchir au monde de demain. Il y sera question notamment de justice - Robert Badinter m'a fait le plaisir d'accepter de discuter de la justice du futur avec un de ses homologues juge à la Cour suprême des États-Unis -, de climat, de santé, d'art, de science, de nouvelles technologies. Cet événement international et pluridisciplinaire constituera un hommage au travail de nos Instituts qui font vivre chaque jour ce dialogue des cultures, et la première étape d'une série de nuits de débats que je souhaite organiser dans le monde entier. J'espère un fort retentissement pour l'événement du 27 janvier. Vous y êtes tous les très bienvenus. La priorité accordée à la diplomatie économique a pu, à tort, faire passer au deuxième plan - en tout cas dans la perception de notre Maison - les autres facettes de la diplomatie. Ce serait une très grave erreur. Dans mon esprit, notre diplomatie doit être globale et la nuit des idées, avec beaucoup d'autres manifestations y contribuera.
En 2016, nous nous mobiliserons également, dans cette perspective globale, dans un tout autre domaine, pour faire de l'Euro de football un atout au service de notre attractivité. Nous amplifierons nos efforts en faveur de notre candidature pour l'accueil des Jeux Olympiques de 2024 et de l'Exposition universelle de 2025. Nous poursuivrons le déploiement de la campagne «Créative France» dans le monde. Nous renouvellerons le 21 mars l'opération «Goût de France», dont la première édition en 2015 avait été un succès au service de la promotion de notre gastronomie et de notre tourisme. Nous redoublerons d'efforts pour promouvoir notre tourisme, dans un contexte délicat. Sur tous ces sujets importants pour le rayonnement de la France, comme sur la Francophonie, notre diplomatie globale devra continuer à être novatrice et dynamique.
Voilà, Chers Amis, à grands traits, les principaux aspects de notre, de votre «agenda 2016». Les défis sont extrêmement nombreux. D'où la nécessité de disposer d'un ministère des affaires étrangères en plein ordre de marche, en phase avec les grandes évolutions du monde, tourné vers l'avenir, et dans lequel les conditions de travail permettent à chaque agent de donner le meilleur de lui-même.
C'est l'objet - M. Masset l'a rappelé -, du projet - qui n'est plus un projet, c'est maintenant une série de décisions - «MAEDI 21 - une diplomatie globale pour le 21ème siècle». J'en avais exposé l'esprit l'an dernier, pour la première fois, à l'occasion de ce même discours de voeux. Il y a eu une large consultation interne et externe. J'avais annoncé fin août, en clôturant la Semaine des Ambassadeurs, les principales décisions retenues. Et je m'étais engagé à dresser un point d'étape de la mise en oeuvre de ces réformes début 2016, ce que j'ai pu faire, même brièvement, à l'occasion de mon message électronique de voeux aux agents le 1er janvier. Quelques mots, avant de conclure, sur ce sujet, en abordant quelques-unes des réformes engagées dans et pour notre ministère des affaires étrangères, devenu désormais aussi ministère du développement international, et, à la vérité, ministère de l'action extérieure de l'État. Car c'est bien de cela qu'il s'agit : en quelques années, nous sommes devenus - c'était mon objectif - le ministère de l'action extérieure de l'État.
Dans le projet MAEDI21, la sécurité et la réponse aux crises occupent, comme il est normal, une place importante. La cellule interministérielle d'assistance aux victimes (CIAV) sera dorénavant rattachée au centre de crise et de soutien. La nouvelle équipe de soutien montera en puissance en 2016 pour atteindre en 2017 un total de 100 agents déployables en 48 heures. Le travail s'accélère également pour renforcer la sécurité des Français de l'étranger en général et celle de nos implantations diplomatiques, consulaires, en particulier culturelles et scolaires : 10 audits de sûreté ont déjà été menés sur les 40 prévus dans les pays prioritaires, la revue complète sera achevée mi-2016. Davantage de personnes et davantage de matériel seront dédiés à la sécurité, à l'étranger comme en administration centrale. Dix postes d'appui régional seront opérationnels dès le début de cette année afin de porter assistance à des postes à effectifs limités en cas de crise. Et désormais - vous l'avez dit, Monsieur Masset -, chaque nouveau projet immobilier devra comporter parmi ses objectifs le regroupement des services et ces aspects-là.
Une autre priorité de MAEDI21 concerne l'adaptation de notre ministère aux enjeux de la diplomatie globale et la simplification. Depuis ce 1er janvier, la nouvelle organisation du ministère est en vigueur avec la mise en place, au sein de la direction générale de la mondialisation, de la direction de la culture, de l'enseignement, de la recherche et du réseau (DCE2R), et la création de la mission de la promotion du tourisme au sein de la direction des entreprises. Le redéploiement de nos effectifs avance, afin de renforcer notre présence dans les pays émergents du G20 : la Chine deviendra ainsi notre première ambassade en 2017. Des expériences innovantes seront lancées en 2016 avec l'ouverture de «bureaux de France» dans de grandes métropoles où nous devons être présents, en Chine, en Inde, en Indonésie et au Mexique. Des conseillers diplomatiques seront placés dès cette année auprès de chaque préfet des nouvelles régions, afin d'améliorer le lien entre notre réseau et les territoires, après une expérimentation concluante à Paris et à Lyon. Sont également en cours le renforcement et le pilotage des opérateurs, qui ont été regroupés (Business France, Expertise France, Campus France, Institut français, Atout France, France Médias Monde, AFD, IRD...) : je présiderai prochainement le premier comité des opérateurs. Quant à la rénovation physique du site du Quai d'Orsay pour permettre le regroupement de nos sites, elle commencera dès cet été 2016 avec la construction d'un nouveau bâtiment le long de l'aile des archives, qui sera terminé en 2018 et reflétera la manière de travailler au 21ème siècle.
Autre chantier majeur du MAEDI21 : le renforcement des outils de cette Maison au service du développement international de notre pays. Notre action dans le domaine de la diplomatie économique - qui n'est absolument pas contradictoire avec la défense des droits de l'Homme - et notre volonté de promotion du tourisme continueront de se renforcer, avec notamment la multiplication des rencontres ambassadeurs/entrepreneurs - le fameux «speed dating», la réédition du «mois de l'investissement en France», la montée en gamme de France.fr, portail unique pour le tourisme en France. Notre action en matière de visas continuera en 2016 de servir notre politique d'attractivité, avec l'extension du dispositif «visas en 48 heures» à de nouveaux pays - Indonésie et Turquie depuis le 1er janvier ; Vietnam, Arménie et Géorgie au cours du premier semestre -, cependant que ce délai passera à 24 heures en Chine - un record ! - pour les groupes de touristes. Le «Passeport Talents» sera mis en place en 2016, à la fois visa et titre de séjour pluriannuel destiné à faciliter la venue en France de publics particulièrement importants pour notre économie et notre rayonnement. Les missions consulaires seront simplifiées. Les travaux avancent pour la mise en place des plateformes numériques qui seront ouvertes en 2017, qu'il s'agisse du portail commun offrant l'accès à la culture et à la création française ou du développement de l'école numérique française. Je souligne enfin cette réforme très importante que j'ai proposée et qui sera annoncée par le président de la République dans quelques jours : le rapprochement de l'AFD et de la caisse des dépôts et consignations sera effectif dès cette année. Il permettra d'amplifier notre action en faveur du développement durable.
Enfin, MAEDI21 accorde à juste titre une place centrale à la modernisation de la gestion des ressources humaines. Notre objectif est, vous le savez, de mieux prendre en compte les aspirations des agents, les vôtres, pour l'évolution de leurs parcours professionnels et de mieux concilier vie professionnelle et vie privée. La délégation aux familles sera pleinement opérationnelle d'ici l'été, elle pourra apporter une aide dans la préparation de l'expatriation ou dans celle des retours de poste. L'évaluation FANEV permettra de mieux valoriser les compétences professionnelles acquises au long de la carrière et de mieux répondre aux besoins de formation. Les «conseillers parcours», en fonction dès le début 2016, apporteront leur expertise pour conseiller chacune et chacun dans ses choix d'affectations et de formation, ainsi que dans la construction de son parcours professionnel. Les efforts pour faciliter l'emploi des conjoints à l'étranger seront amplifiés. J'avais annoncé en août ma décision de nommer médiateur du MAEDI l'Ambassadeur de France Pierre Vimont : celui-ci a pris ses fonctions le 1er janvier et, à l'issue même de notre rencontre, tous les agents peuvent désormais s'adresser à lui.
La mise en oeuvre de MAEDI21 est donc en marche. Elle est conforme au calendrier fixé. Elle s'accompagne de la mobilisation des moyens budgétaires nécessaires. Elle fait l'objet d'un dialogue avec les organisations syndicales. Les premiers résultats sont encourageants. Je veux en féliciter et en remercier en particulier le Secrétaire général, M. Masset, qui suit cela de très près. Et remercier tous ceux qui prennent part à sa mise en oeuvre, c'est-à-dire finalement vous toutes et vous tous.
Bien sûr, je mesure l'ampleur des efforts qui restent à accomplir. Mais je suis convaincu que, de ce point de vue-là, nous sommes sur de bons rails. Si j'ai engagé ce chantier d'envergure, c'est parce que j'avais la conviction profonde, acquise au fil des années, que la tâche d'un ministre n'est pas seulement, comme certains le croient parfois, de définir et de défendre une politique, mais aussi de diriger et d'animer une administration, une collectivité humaine, en l'occurrence celle du Quai d'Orsay. Or ces réformes me semblent indispensables à la fois pour faire progresser notre collectivité humaine et pour préparer notre outil diplomatique, plus largement notre pays, aux évolutions du monde dans les vingt ou trente prochaines années. Avec MAEDI21, nous faisons donc oeuvre durable : l'effort de réforme que nous accomplissons servira durablement à la fois la diplomatie française et tous ceux, nombreux, auxquels notre action bénéficie.
Monsieur le Secrétaire général,
Chers Amis Ministres,
Monsieur le Président Schweitzer,
Chers Amis,
L'année qui s'en va a été douloureuse pour notre pays, mais, comme cela a été fort bien souligné - elle nous a donné aussi de puissants motifs de fierté. La fierté de voir le monde nous témoigner sa solidarité. La fierté de voir notre peuple, ici comme à l'étranger, se rassembler dans l'adversité. La fierté de voir notre pays servir de grandes causes et contribuer à d'importantes avancées.
Cette fierté française, qui ne doit jamais être confondue avec une arrogance déplacée, notre ministère peut en prendre sa pleine part. Nous continuerons à promouvoir au plan international les atouts dont notre pays dispose. Nous continuerons à porter dans le monde, en toute indépendance, un message universel et solidaire, qui nous vaut le privilège - je le constate chaque jour - d'être un pays écouté et estimé.
Dans cette tâche, comme dans toutes celles que j'ai évoquées au cours de mon propos, je sais, quelle que soit votre fonction, que le gouvernement de la République peut totalement s'appuyer sur chacune et sur chacun de vous. Vous êtes dignes de la confiance que nos compatriotes et beaucoup de pays dans le monde placent dans la diplomatie française. Quant à moi, je dirai simplement ceci : je dirige notre diplomatie avec fierté et je la sers avec bonheur. À toutes et à tous, très heureuse année 2016 et, au nom de notre pays, du fond du coeur, merci.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 11 janvier 2016