Conférence de presse de M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international, sur la coopération européenne dans la lutte contre le terrorisme, la situation en Syrie, l'Union européenne face à la question migratoire et sur le statut d'économie de marché de la Chine, à Strasbourg le 20 janvier 2016.

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Texte intégral


* Lutte contre le terrorisme - Union européenne - Défense
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Q - Le Parlement européen va débattre ce soir de la clause de défense mutuelle qui a été invoquée par la France. J'imagine que vous en parlez avec vos partenaires ici ?
R - Oui, des choses ont déjà avancé dans ce domaine, puisque la France ne peut pas tout faire seule en matière militaire ; nous faisons déjà beaucoup de choses. Nous avons demandé à nos partenaires de nous aider. Beaucoup l'ont fait ; pas encore tous mais disons que le mouvement va dans le bon sens.
D'ailleurs, quand vous abordez la question de la défense, vous soulevez un problème de fond. Aujourd'hui, quand on interroge les citoyens d'Europe, ils se posent des questions par rapport à la sécurité, la sécurité intérieure, la sécurité extérieure, la lutte contre le terrorisme, etc. Or, l'Europe n'a pas été conçue dans ce contexte. Il y a donc tout un travail à faire pour renforcer la défense intérieure et extérieure de l'Europe. La France est prête mais il y a une conviction à obtenir des autres pays parce qu'il faut vraiment que l'accent soit mis sur la sécurité.
Je viens de m'entretenir avec le président du Parlement, M. Schulz, et je lui ai dit - il en est bien conscient - qu'il faut, par exemple, que les textes sur le traitement et le transfert de données des dossiers passagers - ce qu'on appelle le PNR - pour être sûrs qu'il y a un échange d'informations, un contrôle des passagers, etc. - viennent vite. D'autres textes doivent être examinés rapidement par le Parlement européen pour que les décisions prises soient mises en application. Cette question de la sécurité est devenue peut-être la question majeure en Europe.
Q - Il semble que vos partenaires ne se bousculent pas pour aider la France en Centrafrique. Est-ce que c'est un problème ?
R - Pas mal d'efforts ont quand même été faits. Les Britanniques ont toujours eu des positions très positives en matière de défense mais il y a des efforts, par exemple de la part des Allemands qui sont disponibles pour faire un certain nombre de choses. Il y a d'autres pays encore, mais il faudrait aller plus loin.
Ce que je dis souvent, c'est que la France peut, et elle l'a montré, apporter pas mal de choses en matière de sécurité mais elle ne peut pas à elle seule assurer la défense de l'Europe et être présente dans tous les pays du monde ; ce n'est pas possible. Il faut donc que l'on se rende compte que la sécurité est devenue une exigence majeure dans le monde dangereux où nous sommes. Et jusqu'à présent, il faut bien reconnaître que l'Europe n'a pas été aussi active que l'on pourrait le souhaiter dans ce domaine. Il y a une évolution à faire, à opérer.
* Syrie - Négociations de Genève
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Q : Est-ce que vous pensez que cette réunion de lundi, cette conférence de paix à Genève pourra avoir lieu ?
R - Écoutez, il est souhaitable qu'il y ait des négociations parce que ce n'est pas uniquement par des moyens militaires qu'on va mettre fin au drame syrien. Je rappelle qu'il y a déjà plus de 250.000 morts, ce qui est effrayant, donc il faut un accord politique. Pour qu'il y ait un accord politique, il faut qu'il y ait une négociation. Donc on a travaillé pour cela, il y a une résolution des Nations unies, il y a la conférence de Vienne. Mais pour que la négociation ait lieu, il faut d'abord que des deux côtés, c'est-à-dire du côté de la Syrie de Bachar al-Assad et du côté de l'opposition, on se mette en situation de négocier ; il faut qu'il y ait un certain nombre de mesures qui soient prises pour qu'on arrête les bombardements, par exemple, et puis il faut aussi que l'on soit sûr que dans la négociation, les points clés sont abordés, en répondant à la question : «qui va gouverner ?».
Et aujourd'hui, au moment où vous m'interrogez, ces questions ne sont pas encore tranchées. Donc nous, la France, qui visons à la paix et à la sécurité en Syrie, nous travaillons avec nos collègues du conseil de sécurité pour favoriser cette négociation ; mais aujourd'hui, au moment où je m'exprime, on ne peut pas être sûr encore qu'elle va avoir lieu, même si elle est souhaitable qu'elle ait lieu.
(...).
* Migrations - Union européenne - Frontières
Q - Sur Schengen, le président de la Commission, M. Juncker, a dit que la Commission a mis sur la table tous les éléments et que, si ça ne marchait pas, c'est parce que les États ne s'y mettaient pas. Est-ce que vous êtes d'accord ?
R - C'est une question de mise en oeuvre, car il est vrai que les décisions ont été prises, mais si les décisions restent théoriques, évidemment, cela ne permet pas d'avoir un bon contrôle. C'est vrai, aussi bien de ce qu'on appelle les «hot spots», que de la relocalisation, ou des agents à mettre en route... J'en parlais encore ce matin au Conseil des Ministres avec mon ami Bernard Cazeneuve, les décisions sont prises mais il faut les appliquer, et vite.
Q - Qu'est ce qui bloque, alors ?
R - Il y a une certaine résistance sociologique. Cela prend du temps, on nous dit que c'est compliqué... Enfin, il faut aller vite. Je parlais aussi de cela avec Martin Schulz. Par exemple, le texte sur le PNR doit venir ici et certains disaient : «mais cela peut venir au mois d'avril, au mois de mai...» Non, c'est beaucoup trop tard, il faut que cela vienne rapidement. Les citoyens ne peuvent pas se contenter du fait qu'on leur dise que cela va être fait. Cela a été décidé et il faut que cela s'applique. Ce sont des mesures très concrètes à prendre.
Vous avez vu - je ne sais pas s'il faut appeler cela un «coup de gueule» comme on parle vulgairement - que notre ministre de l'intérieur a un peu élevé le ton et il a eu raison. Des difficultés sérieuses existent, il ne faut pas les nier, des décisions qui sont bonnes ont été prises ; très bien, mais il faut les appliquer et la France demande qu'elles soient vite appliquées.
(...).
* Chine - Union européenne - Statut d'économie de marché de la Chine
(...)
Q - Est-ce que vous pensez que l'Union européenne et la France doivent soutenir le statut d'économie de marché pour la Chine ?
R - C'est quelque chose qui est étudié en ce moment par la Commission, qui travaille sur ce sujet. On verra quels sont les éléments que donnera la Commission. La décision n'est pas d'actualité.
Q - Vous à titre personnel, enfin dans vos fonctions...
R - Sur la question du principe, des décisions ont été prises en 2001. Maintenant, il faut voir quelles sont les conditions d'application. Maintenant, le travail est confié à la Commission et on va voir les appréciations qu'elle porte. (...).
source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 26 janvier 2016