Interview de M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'Etat aux relations avec le Parlement, à LCI le 14 janvier 2016, sur la finalisation du texte de révision constitutionnelle concernant l'état d'urgence et la déchéance de nationalité, la situation de l'emploi et le débat à gauche sur une éventuelle primaire pour l'élection présidentielle.

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Média : La Chaîne Info

Texte intégral

ARLETTE CHABOT
Bonjour Jean-Marie LE GUEN.
JEAN-MARIE LE GUEN
Bonjour Arlette CHABOT. Bonne année.
ARLETTE CHABOT
Merci. Bonne année. Monsieur le Secrétaire d'Etat, chargé des Relations avec le Parlement, pouvez-vous dire ce matin quel jour, à quelle date, les députés et les parlementaires en général, auront le texte de la réforme constitutionnelle, et notamment celui concernant la déchéance de nationalité ?
JEAN-MARIE LE GUEN
Eh bien, le texte de la réforme constitutionnelle, il est connu, c'est celui qui a été présenté en Conseil des ministres. Il va être retravaillé en commission, à la veille du débat. Le débat aura lieu vraisemblablement tout début février, le 5, 6, 7. Et on devrait…
ARLETTE CHABOT
J'ai l'impression que ça se retarde tout le temps, 5, 6, 7…
JEAN-MARIE LE GUEN
Non, non, non, il y a des débats, le temps est très précis, c'est constitutionnel, il faut six… – après – il faut six semaines, pardon, excusez-moi d'être un peu court, il faut six semaines, et donc la question est de savoir, le jeudi, ce n'est pas possible, c'est une journée qui est réservée à l'opposition, le vendredi, ce n'est pas un jour traditionnel de fonctionnement de l'Assemblée, le lundi, non plus. Voilà, on cherche à caler les choses en fonction aussi de l'ampleur de l'ordre du jour.
ARLETTE CHABOT
Oui, alors, vous dites : le texte est connu, mais pas le texte définitif, puisque j'ai bien compris qu'on recherche encore un compromis à l'Assemblée, avec les députés socialistes notamment, et puis peut-être ensuite avec les sénateurs de droite, il y a la recherche d'un compromis ?
JEAN-MARIE LE GUEN
Eh bien, évidemment, à la fois parce que l'objet premier de cette proposition du président de la République, c'était évidemment de conforter notre état de droit et de donner les moyens à l'Etat, notamment à travers l'état d'urgence, d'agir, mais avec des garanties constitutionnelles sur le terrain évidemment des libertés publiques, et l'autre élément, et l'autre objet de cette proposition, c'était de rassembler la nation, de montrer qu'il y avait un rassemblement de la nation. Donc nous cherchons à avoir la proposition, c'est le travail des parlementaires maintenant, puisque le gouvernement a rendu sa copie en quelque sorte, donc les parlementaires travaillent, à la fois à éviter toutes les polémiques qui n'ont pas lieu d'être, je pense notamment…
ARLETTE CHABOT
C'est raté, pour l'instant, les polémiques, elles sont là…
JEAN-MARIE LE GUEN
Oui, mais bon, la France, et parfois aussi la gauche, aime bien se gratter dès qu'il y a une petite rougeur, on aime bien se gratter beaucoup…
ARLETTE CHABOT
Plus qu'une rougeur, là, c'est franchement de l'urticaire géant !
JEAN-MARIE LE GUEN
Oui, pour certains, c'est vrai, il y a un vrai sentiment d'émotion, mais en même temps, quand on va dans le débat, au fond des choses, beaucoup de reproches ont été faits, l'idée qu'on remettrait en cause le droit du sol, c'est totalement inexact, la stigmatisation des doubles nationaux, c'est inexact. Il est vrai qu'il resterait une certaine forme d'inégalité de traitement, comme elle existe aujourd'hui d'ailleurs, comme elle existe aujourd'hui puisque, vous le savez, les naturalisés eux-mêmes peuvent déjà être déchus de leur nationalité. Donc il y a une évolution, il faut qu'on débatte, il faut qu'on donne des garanties…
ARLETTE CHABOT
Qu'est-ce qui est acceptable, Jean-Marie LE GUEN ? Qu'est-ce qui est acceptable pour le gouvernement ? Quelles modifications ?
JEAN-MARIE LE GUEN
Et qui est acceptable, c'est qu'en tout état de cause, on ne remette pas en cause la déchéance de nationalité, d'une part, donc on ne dénature pas le texte, maintenant, on le précise, on l'écrit mieux, et évidemment, il faut rassembler de ce point de vue l'ensemble des parlementaires, aplanir un certain nombre de craintes, qui existent à gauche, parfois à droite d'ailleurs, et en même temps, rassembler une très large majorité pour que cette réforme de la Constitution soit adoptée, c'est bien ça dont il s'agit.
ARLETTE CHABOT
Ça veut dire que vous pouvez accepter des amendements à l'Assemblée, au Sénat…
JEAN-MARIE LE GUEN
Oui, oui.
ARLETTE CHABOT
Un vrai oui ou un faux oui ?
JEAN-MARIE LE GUEN
Alors, oui, il peut y avoir un texte qui améliore… un travail de l'Assemblée, Assemblée nationale, et du Sénat, qui améliore le texte, mais…
ARLETTE CHABOT
Qu'est-ce que ça veut dire améliorer ?
JEAN-MARIE LE GUEN
C'est-à-dire que dans l'écriture juridique des choses, c'est assez compliqué, on peut améliorer les choses, vous savez qu'en même temps que la proposition de loi constitutionnelle, il y aura en même temps de publique la proposition de loi qui viendra s'articuler sur la proposition constitutionnelle, pour la rendre pratique. Donc on travaille sur les deux…
ARLETTE CHABOT
Elle sera connue en même temps ?
JEAN-MARIE LE GUEN
Elle sera connue parallèlement, absolument.
ARLETTE CHABOT
Parallèlement.
JEAN-MARIE LE GUEN
Donc elle ne sera pas discutée, mais elle sera connue, et les engagements du gouvernement seront connus. Donc on peut affiner, si vous voulez, comme on affine une pièce qui a été usinée par ailleurs. Voilà. On est en train d'affiner mais le but, ce n'est évidemment pas de tordre la pièce, de la dénaturer, et ce n'est pas non plus de créer des problèmes avec d'autres. Il faut rassembler, c'est le but de ce texte, et apaiser, ce qui est évidemment la volonté et elle est bien justifiée. Alors de ce point de vue, ne perdons pas de temps. J'ai entendu le président du Sénat expliquer qu'il pourrait y avoir un intérêt à faire des amendements, et cætera. Vous savez que le texte, pour qu'il soit adopté, il faut qu'il soit adopté dans les même termes entre l'Assemblée et le Sénat. Si chacun y va de son hémistiche, de sa virgule, nous allons avoir sans arrêt des textes qui reviennent et les Français ne le comprendront pas. Ils ont besoin de mesures efficaces, urgentes et de rassemblement. Je pense que tout le monde peut apporter sa pierre mais qu'ils le fassent en amont et que ça aille vite. C'est un impératif. Nos compatriotes ne comprendraient pas des jeux soit politiciens ou des jeux, j'allais dire, de juriste puriste qui feraient qu'on n'arriverait pas en temps et en heure.
ARLETTE CHABOT
Donc vous dites presque non au président du Sénat.
JEAN-MARIE LE GUEN
En amont. Travaillons en amont, travaillons vite et allons à l'essentiel.
ARLETTE CHABOT
Mais les Français ne comprennent pas non plus pourquoi vous avez aussi mal préparé ce dispositif. Franchement, ça sent l'improvisation tous les jours.
JEAN-MARIE LE GUEN
Ecoutez, d'abord très sincèrement, lorsque les attentats arrivent le 13 novembre et qu'on réunit le Congrès le 16 novembre, je demande à tout le monde et surtout aux responsables politiques surtout à gauche, de comprendre dans quel état et quels sont les enjeux de cette période. Dans cette période, la France vacille. Elle a la colère qui monte après avoir eu la peur, la stupéfaction, la tristesse – et le mot est faible – la colère est là et il faut transformer cette colère en volonté de résister et de rassembler. Pas en haine, pas en division, pas en affrontement. Et ça, ç'a été le travail en quelques heures du président de la République et du Premier ministre que de faire des propositions. Et ce qui se passe à Versailles, c'est que les parlementaires debout applaudissent le président de la République. Est-ce que vous imaginez ce qu'aurait été la France si nous avions eu à Versailles la séance qu'on a eue le lendemain à l'Assemblée ? Si tout le monde était parti de ces critiques, et cætera ? Mais le pays vacillait ! Il y a une responsabilité de l'Etat. Est-ce que tous ceux qui critiquent aujourd'hui savent ce que c'est que d'avoir la responsabilité de l'Etat dans une crise comme celle-là ?
ARLETTE CHABOT
Jean-Marie LE GUEN, vous êtes sûr que le président de la République aura la majorité, les trois cinquièmes qu'il faut ?
JEAN-MARIE LE GUEN
J'en suis convaincu.
ARLETTE CHABOT
Certain ? Et si ce n'est pas le cas, c'est envisageable ?
JEAN-MARIE LE GUEN
Mais non, ce n'est pas envisageable. Si la classe politique – je dis bien la classe politique, je déteste ce mot, mais enfin, l'ensemble des politiques en responsabilité – ne sont pas capables de prendre leurs responsabilités, la colère du peuple sera terrible.
ARLETTE CHABOT
Ça veut dire que le président pourrait consulter le peuple français par référendum ?
JEAN-MARIE LE GUEN
Non, ce n'est pas dans l'agenda du gouvernement mais on voit bien que quelles que soient les modalités, les échéances viendraient bouleverser et sanctionner ceux qui se sont opposés à ce qui est une démarche voulue très majoritairement par les Français qui ne sont pas tous ignorants, contrairement à ce que pensent certains beaux esprits, et qui ne sont pas tous non plus convaincus qu'il faut des politiques, au contraire, qui souhaitent le rassemblement : liberté, égalité, fraternité. C'est ça qui anime le peuple français.
ARLETTE CHABOT
Christiane TAUBIRA sera encore là pour défendre la réforme pénale ? Vous avez répondu à sa place à une question mardi. On s'est dit : « Définitivement, c'est Silence Christiane en attendant le remaniement. »
JEAN-MARIE LE GUEN
Vous avez vu sur les questions…
ARLETTE CHABOT
Non mais elle sera encore là pour défendre la réforme pénale ?
JEAN-MARIE LE GUEN
Mais bien sûr, mais bien sûr. Christiane TAUBIRA a présenté en Conseil des ministres – non seulement elle était là quand a été présentée la réforme constitutionnelle.
ARLETTE CHABOT
D'accord, mais elle est contre la déchéance. Ce n'est pas possible un ministre qui est contre une réforme aussi importante, vous venez de le dire.
JEAN-MARIE LE GUEN
Elle a émis en son temps des réserves qui ont été d'ailleurs – qui étaient présentes dans les esprits de beaucoup de gens et qui en même temps, elle a dit très clairement : « Lorsque le président a choisi, je me rallie au président. » Les choses sont très claires. Personne ne demande aux responsables politiques de ne pas avoir des doutes et des interrogations.
ARLETTE CHABOT
Au gouvernement ça ne se fait pas sur un sujet aussi important.
JEAN-MARIE LE GUEN
Mais non, dans l'action, ce qui est important c'est, quand est venu le temps de l'action, à ce moment-là, le gouvernement est rassemblé, c'est le cas avec Christiane TAUBIRA.
ARLETTE CHABOT
Alors, on le disait, les sondages sont en baisse pour le président de la République et pour le Premier ministre, retour à la défiance…
JEAN-MARIE LE GUEN
Ils avaient monté énormément…
ARLETTE CHABOT
Alors là, l'emploi, le chômage, les Français…
JEAN-MARIE LE GUEN
Mais la situation est très dure Arlette CHABOT, je ne vais pas vous le cacher, que ce soit sur le terrain économique, où nous continuons à payer lourdement le fait que notre industrie…
ARLETTE CHABOT
D'accord, mais 3,5 ans après, Jean-Marie LE GUEN, vous déclarez l'état d'urgence économique et social. Il était temps !
JEAN-MARIE LE GUEN
Mais attendez, je vais vous dire, Arlette CHABOT, qu'il s'agisse des questions touchant à la reconquête républicaine, qu'il s'agisse des questions touchant à la lutte contre le terrorisme, qu'il s'agisse de la mutation industrielle et économique que nous connaissons, c'est un travail qui durera des années, et ceux qui viendront vous dire il suffit de claquer dans les doigts, sont des menteurs, des démagogues, qui amèneront d'autres insatisfactions et d'autres déceptions. Nous sommes dans un travail de fond, nous le mettons en oeuvre, de façon volontaire, nous écoutons…
ARLETTE CHABOT
Sans résultat pour l'instant.
JEAN-MARIE LE GUEN
Ecoutez, ce n'est pas exact en termes de créations d'emplois. Ce n'est pas parce que nous avons, nous, plus de gens qui viennent sur le marché du travail, à cause de notre démographie, n'empêche que nous créons des emplois, ce pays crée des emplois.
ARLETTE CHABOT
Jean-Marie LE GUEN, ces sondages en baisse vont conforter ceux qui réclament des primaires à gauche et qui veulent obliger François HOLLANDE à se soumettre à ces primaires. Ils ont raison, ce n'est pas naturel, la candidature de François HOLLANDE aujourd'hui elle n'est pas naturelle.
JEAN-MARIE LE GUEN
Je crois que c'est hors sol de présupposer une primaire, et d'ailleurs, j'allais dire pourquoi ? Il y a à gauche un vrai débat, il y a des orientations différentes. Monsieur MELENCHON qui, et d'autres d'ailleurs, qui aujourd'hui jouent la primaire, qui n'ont cessé de critiquer radicalement…
ARLETTE CHABOT
Mais lui il ne veut pas y participer, c'est bien, mais ça ne vous sort pas d'affaires.
JEAN-MARIE LE GUEN
Mais au moins il a l'honnêteté de la clarté politique.
ARLETTE CHABOT
Il ne voudra pas soutenir François HOLLANDE quoi qu'il arrive.
JEAN-MARIE LE GUEN
C'est vrai que quand, je vois sur les questions de l'état d'urgence, quand je vois sur les questions de la reconquête républicaine, quand je vois sur les questions de la compétitivité de l'économie, il y a deux lignes à gauche. Ce qui fait d'ailleurs que nous, gens de gauche en responsabilités, qui assumons le pouvoir, parce que nous pensons que la gauche aujourd'hui a une responsabilité historique, nous ne devons pas nous adresser, comme si nous étions bornés, simplement à des gens qui ont l'étiquette de gauche, nous voulons parler à tous les Français. Et d'ailleurs, cette signification, gauche, droite, qui a une signification historique, qui a une signification philosophique, culturelle, elle ne correspond plus aujourd'hui à la grille de lecture…
ARLETTE CHABOT
C'est mort.
JEAN-MARIE LE GUEN
Ce n'est pas mort, ça a une vie…
ARLETTE CHABOT
Vive la recomposition au lendemain des présidentielles.
JEAN-MARIE LE GUEN
Mais vive la nécessité de parler à tous les Français, sur les problèmes qui les concernent, dans une période qui est une période de rupture. Nous ne sommes pas dans la continuité depuis maintenant 30 ou 60 ans, nous sommes dans une période où tout change, on le voit bien. Les priorités ne sont plus les mêmes, la façon d'aborder les choses ne sont plus les mêmes, les illusions sur certains sujets se sont dissipées, il faut créer de nouvelles mobilisations.
ARLETTE CHABOT
Voilà, la rupture par Jean-Marie LE GUEN. Merci.
JEAN-MARIE LE GUEN
Merci Arlette CHABOT.
Source Service d'information du Gouvernement, le 15 janvier 2016