Texte intégral
ENTRETIEN DU MINISTRE DES AFFAIRES ETRANGERES,
M. HUBERT VEDRINE,
AVEC "FRANCE INFO"
(Paris, 17 octobre 1997)
Q - Le pouvoir a donc changé de main au Congo, à l'issue de cinq mois de guerre. Les expatriés français de Pointe-Noire sont-ils en sécurité ?
R - Oui, je crois que l'on peut le dire. Toutes les dispositions ont été prises pour cela.
Q - Donc, aucune mesure de retour. La capitale pétrolière du Congo connaît l'ordre à nouveau...
R - Je ne sais pas quelle est la situation exacte sur place dans les rues, mais ce que je peux vous dire c'est que nous avons fait ce qu'il fallait pour que les Français, d'ailleurs plus généralement les étrangers présents au Congo, soient en sécurité. En tout cas, nous avons tout fait pour cela.
Q - Denis Sassou Nguesso est donc à nouveau l'interlocuteur de la France à Brazzaville...
R - En effet.
C'est l'interlocuteur, non seulement de la France, mais de l'ensemble des autres pays.
Q -Avez-vous des nouvelles de l'ancien président Lissouba ?
R - Aucune nouvelle qui soit sûre ou confirmée.
Q - Savez-vous pourquoi il n'avait pas été reçu à Paris, à l'hôtel de Matignon ou à l'Elysée, lorsqu'il était passé cet été en tant que président démocratiquement élu du Congo et en difficulté ?
R - A l'époque, le message lui avait été indiqué qu'il serait le bienvenu à Paris dans la mesure où il aurait pris des engagements par rapport au cessez-le-feu qui était déjà activement recherché par le président Bongo, dans le cadre de sa médiation. Il avait cherché à inverser la chronologie en essayant de venir pour se faire consolider avant de prendre des engagements qui lui étaient demandés dans le cadre de cette médiation. Pour ne pas compliquer la tâche de la médiation du président Bongo, les dirigeants français avaient pensé qu'il ne devait pas inverser la chronologie.
Q - Ce conflit congolais a, semble-t-il, une forte odeur de pétrole. C'est Elf qui a gagné aux côtés de Sassou Nguesso...
R - Il faut se méfier des interprétations simplistes sur le sujet. Ce qu'il faut déplorer de toute façon, c'est que les Congolais n'aient pas réussi à régler leurs légitimes et nombreux désaccords politiques sur le terrain électoral, et qu'ils aient transposé leurs affrontements sur le terrain militaire et sur le terrain de la force. Ce qui a entraîné plusieurs mois de guerre, des destructions, des morts nombreux, un élargissement du conflit, les interventions étrangères, bref, tout l'engrenage qui se produit dans ces cas-là et qui, de toutes façons, est déplorable. Voilà ce qu'il faut regretter. Donc, maintenant il y a une situation dans laquelle dans les faits et sur le terrain, l'un des eux l'a emporté sur l'autre, il s'agit de savoir maintenant ce qu'il veut faire de cette victoire. Je note avec intérêt que M. Sassou Nguesso a parlé d'élections, il a parlé de gouvernement d'union nationale, il n'a pas cité de calendrier pour les élections, mais ce qu'il a commencé à dire est intéressant à relever. Il faut savoir maintenant quel est le contenu exact qu'il va donner à ces débuts d'engagement.
Q - Un certain réalisme et même une grande franchise prévalent aujourd'hui au Quai d'Orsay, et on y appelle un chat un chat. Sans doute cette affaire est un nouvel échec de la diplomatie française et de la communauté internationale en Afrique ?
R - Non, je ne vois pas pourquoi. Non, je ne sens pas les choses ainsi. Chaque fois qu'il y a des affrontements internes en Afrique, naturellement la France comme d'autres pays, là c'était le cas, par exemple, du Conseil de sécurité, tente de mettre un terme à ce type d'affrontement, de les ramener sur le terrain politique ou diplomatique et de les faire déboucher sur l'organisation d'élections, ce qui, quand même, est une moins mauvaise façon de régler les différends. Je note que tous les pays qui ont fait preuve de dévouement, de bonne volonté, d'initiative, malheureusement n'ont pas réussi à faire en sorte que ce soient les armes qui tranchent dans cette phase. En tout cas, c'est naturellement à regretter, mais il ne faut pas regretter les efforts en question. Ils ont été méritoires. Quant à la France, elle a constamment, depuis le début, appuyé les efforts de médiation du président Bongo. C'est une politique de non-ingérence. Donc, ceux qui la contestent doivent avoir le courage de dire qu'ils défendent une politique d'ingérence. Mais, on ne peut pas faire les deux en même temps. Si on ne s'ingère pas, naturellement, on ne doit pas régler les conflits entre les différents clans dans les pays d'Afrique par la force, directement. On essaye de trouver un cadre légitime, c'est-à-dire, un cadre multilatéral en l'espèce, le Conseil de sécurité des Nations unies, la médiation du président Bongo, appuyée par le médiateur Sahnoun. Si cela n'aboutit pas sous cette forme, c'est naturellement regrettable.
Q - On est frappé par la répétition des formes dans cette région du continent. Au Congo, comme au Zaïre, un chef de guerre aidé par un pays voisin s'emploie à renverser le régime, les Américains bloquent à l'ONU la force internationale qui est préconisée par la France. L'ONU déplore...
R - Non, le véritable élément dans cette Afrique centrale, en ce moment notamment dans un certain nombre de pays, Rwanda, Congo-Kinshasa, Congo-Brazzaville, c'est de voir des équipes qui arrivent au pouvoir par la force. Mais, nous revenons aux propos précédents. Est-ce que les pays occidentaux et la France doivent avoir une politique d'ingérence systématique sur le continent africain, dans la mesure où nous désapprouvons les méthodes qui sont employées pour régler les différends et dans la mesure où naturellement nous préconisons que les affrontements politiques légitimes aient lieu sur le terrain électoral. Si on répond non à cette question, en disant que le temps d'ingérence est terminé, aussi bien du point de vue de la France que du point de vue de l'Afrique, on doit être sur un terrain politique et diplomatique. La réponse est la même.
Q - Vous étiez la semaine dernière en Afrique noire, deux pays francophones, deux pays anglophones, quel enseignement en tirez-vous de la position de la France sur ce continent ?
R - L'enseignement que j'en tire, c'est que les pays proches de la France souhaitent intensément que celle-ci préserve son engagement et ses liens avec eux. Et c'est ce que j'ai dit. J'ai réaffirmé la fidélité de la France à ses partenaires traditionnels et à ses amis. Fidélité à eux et, d'autre part, fidélité d'une politique générale d'aide au développement. La France étant le premier pays occidental à soutenir ce type de politique dans les enceintes multilatérales où l'on en débat. Deuxième chose, la nécessaire adaptation de cette politique française en Afrique est ressentie, me semble-t-il, aussi bien là-bas qu'ici. Puisque les dirigeants africains souhaitent que cette politique s'adapte à des réalités économiques qui changent, que nous adaptions notre politique de visas, par exemple, les relations en matière de formation et en matière culturelle. D'autre part, nous avons entamé une adaptation des modalités de notre présence militaire et de notre politique de formation militaire. Donc, cette adaptation qui est intimement liée à la réaffirmation de la fidélité, je crois, est bien comprise. Il faut en parler, l'expliquer inlassablement et c'est ce que j'ai été faire sur place, notamment à Libreville et à Abidjan. Le complément de cela c'est une politique que j'ai appelée d'ouverture, de fidélité et qui consiste à ce que la France parle de plus en plus à tous les autres pays du continent avec qui les relations étaient moins anciennes, moins étroites, ce qui est souhaité de part et d'autre, je veux dire dans toutes les parties d'Afrique, l'Afrique anglophone, l'Afrique lusophone souhaitent parler avec nous... Nous sommes perçus comme étant le partenaire occidental le plus engagé par rapport au continent africain et c'est une façon de parler à l'Afrique francophone, qui souhaite que nous soyons un interlocuteur politique entre les parties de l'Afrique. Il y a là un rôle qui est un rôle d'avenir je crois.
Q - A propos des visas et de l'ouverture, de plus en plus de jeunes élites du continent noir vont aux Etats-Unis où les universités américaines les accueillent à bras ouverts, et on a un peu l'impression que la France, pour des raisons que l'on connaît, se replie un peu et ne les accueille plus...
R - Vous avez raison de noter cette évolution qui n'en est qu'à ses débuts. En tout cas, il faut la prendre au sérieux. Ce que j'ai constaté dans mes différentes étapes c'est qu'il y a un désir de venir en France pour se former, pour travailler pour les chercheurs, notamment dans les milieux intellectuels, de garder des relations intellectuelles et culturelles extrêmement étroites avec notre pays, est toujours aussi vif. En effet, c'est l'un des sujets sur lequel sans que cela entraîne naturellement de risque migratoire et de risque de quelque sorte que ce soit, nous devons certainement adapter notre politique. Cela correspond à leur désir, cela correspond à notre intérêt.
Q - Quels sont les critères d'aide ? Quand un député français veut aller plaider pour un opposant à Djibouti, il se fait refouler à l'aéroport. Du coup, il demande : ''va-t-on encore longtemps aider et sans rien dire des pays qui bafouent les Droits de l'Homme ?''...
R - Là, ce n'est pas un problème d'aide, c'est un problème d'application d'une convention judiciaire et dans le cas d'espèce, il n'y a pas d'automaticité prévue par cette convention judiciaire pour que des avocats français puissent intervenir. Il faut, au terme des textes existants, un accord du gouvernement sur place. Donc, il faut interpréter vigoureusement ce point. Cela ne pose pas le problème général de l'aide au développement.
Q - C'est le cas particulier du député avocat ?
R - C'est un cas de figure un peu particulier. Quant à l'aide au développement, la politique de la France est très simple. Elle souhaite que son aide soit de plus en plus transparente, de mieux en mieux coordonnée parce qu'il y a parfois des doubles emplois. Vous savez qu'il y a beaucoup d'organismes qui s'en occupent, et naturellement de plus en plus utiles au développement des pays, notamment, dans le cadre d'un co-développement, parce que l'on ne peut pas décider depuis Paris. On ne peut pas octroyer l'aide. Et c'est d'ailleurs pour toutes ces raisons que le Premier ministre, M. Lionel Jospin, a demandé à son gouvernement de réfléchir à une adaptation de modernisation de l'aide au développement et nous sommes en train d'y réfléchir M. Strauss-Kahn, M. Josselin et moi. Et dans quelques semaines nous présenterons nos propositions au Premier ministre qui, à son tour, en parlera avec le président de la République.
Q - Le président précisément s'intéresse beaucoup à l'Afrique. On est dans une période de cohabitation. Le même député socialiste demandait à voix haute récemment si Hubert Védrine était le ministre de Jacques Chirac ou de Lionel Jospin...
R - Cela vous fait rappeler que c'est naturellement les deux. C'est une évidence constitutionnelle et politique.
Q - Et à propos de l'Afrique la cohabitation se passe bien ?
R - Je crois que cette idée de réaffirmer la fidélité d'adapter notre politique et d'ouvrir notre action diplomatique à l'ensemble des pays de ce continent est une façon de raffermir notre présence, mais à l'échelle d'un continent tout entier, pas simplement l'échelle d'une vingtaine d'amis proches. C'est quelque chose qui est, à la fois un grand objectif du président de la République et du gouvernement./.
(Source : http://www.diplomatie.gouv.fr/actu/bulletin.asp, le 22 juillet 2002)
ENTRETIEN ACCORDE
PAR LE MINISTRE DES AFFAIRES ETRANGERES,
M. HUBERT VEDRINE,
AU SERVICE FRANCAIS DE LA "BBC"
(Paris, 20 octobre 1997)
Q - Monsieur le Ministre, la France parle de normalisation des relations avec les Etats d'Afrique. Concernant le Congo, le président Lissouba a affirmé avoir demandé l'aide de la France et estime ne pas avoir été entendu.
R - Dans sa politique actuelle à l'égard des pays d'Afrique, la France se refuse à toute ingérence dans des conflits internes qui, malheureusement peuvent éclater çà ou là. Il y a une politique claire : dès lors que l'on décide de ne pas s'ingérer, on ne s'ingère pas. Il faut être cohérent avec soi-même.
Dans cette affaire déplorable et navrante du Congo-Brazzaville qui a entraîné beaucoup de destructions et malheureusement de nombreux morts, la politique de la France a été constamment de soutenir les médiations internationales, notamment celle du président Bongo et de l'envoyé du Secrétaire général des Nations unies pour essayer de ramener les protagonistes sur un terrain politique pour qu'ils règlent leurs différends, d'une autre façon, dans un cadre constitutionnel. Finalement, un camp l'a emporté sur l'autre, et maintenant, nous notons avec précision, et attente et espérance, les engagements que commence à prendre M. Sassou N'Guesso. Sur l'accord politique, le retour à un cadre constitutionnel, des perspectives électorales, tout cela doit être maintenant noté, enregistré encouragé.
Q - Certains ont été surpris de la rapidité avec laquelle la France a accueilli le général Sassou N'Guesso comme nouveau maître du pays. Pourquoi cet étonnement ?
R - Je réponds que ce n'est pas une position spécifiquement française. Il m'a semblé que, par exemple, le Conseil de sécurité des Nations unies qui, naturellement ne comprend pas que la France, dès le début, a noté que ce projet de force d'interposition, qui avait un peu de mal à voir le jour ne se justifiait plus puisqu'il n'y avait plus deux camps entre lesquels s'interposer. Les membres du Conseil et le secrétariat général des Nations unies ont réagi comme nous, c'est-à-dire que nous avons noté ce fait, ce qui ne veut pas dire que nous ne regrettions pas que les affrontements entre Congolais se soient passés sur ce terrain. C'est l'ensemble de cet engrenage qui était tout à fait fâcheux : affrontements militaires, ingérence étrangère, etc... Il faut en sortir. Ce n'est pas une position française singulière, surtout lorsque vous regardez ce que nous disons sur les perspectives d'avenir.
Q - Aurait-on pu imaginer que la France intervienne d'une façon pacifique, en envoyant certaines forces de l'ordre pour maintenir la paix et sauvegarder le pouvoir du président en place ?
R - Cela, c'est de l'ingérence.
Q - Cela a été fait dans le passé par la France...
R - Précisément, il y a un changement. L'on décide de ne plus s'ingérer parce que cela ne correspond plus à l'esprit du temps, ce n'est plus ce que veulent les Africains, et cela ne correspond pas à l'état du monde, et notamment à cette ouverture et cette modernisation de l'ensemble de l'Afrique qui ne nous amène d'ailleurs pas à normaliser notre politique par rapport à l'Afrique mais simplement à l'adapter aux réalités d'aujourd'hui. Donc, dans ce contexte-là, aussi bien le président de la République que le gouvernement français estiment qu'il n'y a pas à s'ingérer, même dans des situations qui sont déplorables mais dont il faut sortir par des procédés politiques et diplomatiques, pour préparer le moment le plus tôt possible où les Africains n'auront plus jamais recours à ce type de moyens pour régler leurs affrontements.
Q - Peut-on dire que, d'une certaine manière, le président Lissouba est la première victime de cette nouvelle politique de la France ?
R - Non, parce qu'il y a un esprit du temps qui est plus large, il y a une évolution de l'Afrique par elle-même et l'histoire mouvementée de l'Afrique ne commence pas à ce qui s'est passé depuis quelques semaines au Congo-Brazzaville.
Ce serait un raccourci inexact. Ce qu'il faut savoir, c'est ce que l'on veut maintenant. Veut-on en Afrique maintenir pour un mélange de bonnes ou de mauvaises raisons des pratiques qui nous semblent dépassées ? Nous répondons : non. Le temps de l'ingérence est terminé. Il faut savoir comment nous pouvons maintenir une présence en Afrique puisqu'il n'est pas du tout question une seconde de se désengager. Mais quelles sont les formes modernes tournées vers l'avenir, quelles sont les formes de présence en Afrique qui aident ces pays à s'adapter, à consolider non seulement l'émergence de leur économie mais aussi la consolidation de l'Etat de droit, qui est l'humus nécessaire de la démocratie politique.
Q - Finalement, en ce qui concerne le Congo, les conséquences immédiates de cette nouvelle politique française sont bien le remplacement d'un président élu par un général ?
R - Si vous dites cela, c'est que vous plaidez pour l'ingérence, ce qui est votre droit d'ailleurs, c'est une opinion comme une autre.
Q - Je cherche seulement à comprendre...
R - Il me semble quand même que c'est une façon de plaider pour l'ingérence puisque l'on ne peut pas dire que ce qui s'est passé soit la conséquence de la politique de la France, sauf à considérer que le Congo-Brazzaville n'est pas un Etat indépendant. Ce qui s'est passé, c'est encore une fois regrettable.
Q - C'est simplement un président élu qui demande une aide...
R - C'est vous qui l'analysez comme cela. Si l'on reprenait les épisodes et l'enchaînement des dernières semaines, c'est beaucoup plus compliqué que cela.
Q - Que dites-vous aux gens qui affirment aujourd'hui que cette guerre a été conduite pour défendre des intérêts pétroliers ?
R - La France n'a pas eu une attitude attentiste. Elle a eu une attitude de non-ingérence, je le répète, puisqu'apparemment c'est un concept qui a du mal à être compris et qui a été constant dans toute la crise. La France a eu en revanche une attitude active sur le plan politique et diplomatique pour la recherche d'une solution.
Quant aux reconstitutions rocambolesques de gens qui expliquent tout par des données économiques et qui auraient expliqué aussi bien l'inverse si c'était l'autre camp qui l'avait emporté, je pense que c'est exactement le type d'interprétation dont il faut se débarrasser, qu'il faut dépasser et auquel il faut savoir résister si l'on veut aider les Africains eux-mêmes à regarder vers l'avenir et non pas vers le passé. Cela me paraît un échafaudage de spéculations.
Q - Sur la Tunisie, pour le gouvernement français qui a accueilli le président Ben Ali, il est forcément question d'échanges économiques, mais qu'en est-il des Droits de l'Homme ?
R - Le sens général des relations entre la France et la Tunisie doit s'inscrire dans un cadre plus général qui est notre projet d'avenir pour les relations entre la France et le Maghreb, l'Europe et le Maghreb. Ce sont des pays voisins, des partenaires, des partenaires proches, des amis. Nous souhaitons bâtir avec ces pays une relation euro-maghrébine de croissance, de prospérité et naturellement de consolidation de la démocratie politique qui sont des processus difficiles, longs, compliqués, mais dont nous pensons que nous devons les encourager. C'est pour cela que, dans cette visite qui est évidemment une visite politique avant tout, qui comporte des volets économiques, culturels, c'est-à-dire des volets bilatéraux, nous souhaitons répondre aux choix stratégiques des dirigeants tunisiens qui veulent engager leur pays dans un rapprochement de plus en plus étroit avec l'Union européenne, avec tout ce que cela comporte. D'autre part, nous voulons leur dire en amis, - puisque notre une relation est fondée sur l'amitié, sur le respect mutuel -, qu'à partir de la situation qu'ils ont rétablie à un moment donné, dans un contexte comportant un véritable risque intégriste violent, ce qui n'est, je crois, contesté par personne, ils ont donc rétabli une situation à partir de laquelle nous pensons, et nous le dirons avec respect et amitié, qu'ils peuvent poursuivre maintenant cette évolution politique et l'améliorer.
Q - Que peut faire la France sur cette question des Droits de l'Homme ?
R - La dimension des Droits de l'Homme est une dimension constante dans la politique de la France. Il n'y a pas un seul exemple dans lequel nous fassions l'impasse sur cette notion. D'autre part, nous sommes en charge d'intérêts nombreux, également très importants et nous ne pouvons pas mener la politique de la France à partir uniquement de cette considération, même quand elle est fondée. Ce qui veut dire qu'en pratique, nous avons une approche de cette question qui nous amène à chercher et à privilégier l'utilité.
Que peut-on faire à propos des Droits de l'Homme, non pas simplement pour en parler, - les organisations qui le font sont dans leur rôle quand elles le font. Mais notre tâche à nous gouvernement, c'est de préparer l'avenir et d'engager, de soutenir, de conforter des processus qui permettent à des pays qui connaissent ces difficultés et qui réagissent d'une façon qui, parfois n'est pas conforme à celle que nous souhaiterions, qui leur permette d'avancer dans ces processus, de façon à ce que la démocratie politique soit constamment consolidée étape après étape. Là, nous sommes dans notre rôle./.
(Source : http://www.diplomatie.gouv.fr/actu/bulletin.asp, le 22 juillet 2002)
M. HUBERT VEDRINE,
AVEC "FRANCE INFO"
(Paris, 17 octobre 1997)
Q - Le pouvoir a donc changé de main au Congo, à l'issue de cinq mois de guerre. Les expatriés français de Pointe-Noire sont-ils en sécurité ?
R - Oui, je crois que l'on peut le dire. Toutes les dispositions ont été prises pour cela.
Q - Donc, aucune mesure de retour. La capitale pétrolière du Congo connaît l'ordre à nouveau...
R - Je ne sais pas quelle est la situation exacte sur place dans les rues, mais ce que je peux vous dire c'est que nous avons fait ce qu'il fallait pour que les Français, d'ailleurs plus généralement les étrangers présents au Congo, soient en sécurité. En tout cas, nous avons tout fait pour cela.
Q - Denis Sassou Nguesso est donc à nouveau l'interlocuteur de la France à Brazzaville...
R - En effet.
C'est l'interlocuteur, non seulement de la France, mais de l'ensemble des autres pays.
Q -Avez-vous des nouvelles de l'ancien président Lissouba ?
R - Aucune nouvelle qui soit sûre ou confirmée.
Q - Savez-vous pourquoi il n'avait pas été reçu à Paris, à l'hôtel de Matignon ou à l'Elysée, lorsqu'il était passé cet été en tant que président démocratiquement élu du Congo et en difficulté ?
R - A l'époque, le message lui avait été indiqué qu'il serait le bienvenu à Paris dans la mesure où il aurait pris des engagements par rapport au cessez-le-feu qui était déjà activement recherché par le président Bongo, dans le cadre de sa médiation. Il avait cherché à inverser la chronologie en essayant de venir pour se faire consolider avant de prendre des engagements qui lui étaient demandés dans le cadre de cette médiation. Pour ne pas compliquer la tâche de la médiation du président Bongo, les dirigeants français avaient pensé qu'il ne devait pas inverser la chronologie.
Q - Ce conflit congolais a, semble-t-il, une forte odeur de pétrole. C'est Elf qui a gagné aux côtés de Sassou Nguesso...
R - Il faut se méfier des interprétations simplistes sur le sujet. Ce qu'il faut déplorer de toute façon, c'est que les Congolais n'aient pas réussi à régler leurs légitimes et nombreux désaccords politiques sur le terrain électoral, et qu'ils aient transposé leurs affrontements sur le terrain militaire et sur le terrain de la force. Ce qui a entraîné plusieurs mois de guerre, des destructions, des morts nombreux, un élargissement du conflit, les interventions étrangères, bref, tout l'engrenage qui se produit dans ces cas-là et qui, de toutes façons, est déplorable. Voilà ce qu'il faut regretter. Donc, maintenant il y a une situation dans laquelle dans les faits et sur le terrain, l'un des eux l'a emporté sur l'autre, il s'agit de savoir maintenant ce qu'il veut faire de cette victoire. Je note avec intérêt que M. Sassou Nguesso a parlé d'élections, il a parlé de gouvernement d'union nationale, il n'a pas cité de calendrier pour les élections, mais ce qu'il a commencé à dire est intéressant à relever. Il faut savoir maintenant quel est le contenu exact qu'il va donner à ces débuts d'engagement.
Q - Un certain réalisme et même une grande franchise prévalent aujourd'hui au Quai d'Orsay, et on y appelle un chat un chat. Sans doute cette affaire est un nouvel échec de la diplomatie française et de la communauté internationale en Afrique ?
R - Non, je ne vois pas pourquoi. Non, je ne sens pas les choses ainsi. Chaque fois qu'il y a des affrontements internes en Afrique, naturellement la France comme d'autres pays, là c'était le cas, par exemple, du Conseil de sécurité, tente de mettre un terme à ce type d'affrontement, de les ramener sur le terrain politique ou diplomatique et de les faire déboucher sur l'organisation d'élections, ce qui, quand même, est une moins mauvaise façon de régler les différends. Je note que tous les pays qui ont fait preuve de dévouement, de bonne volonté, d'initiative, malheureusement n'ont pas réussi à faire en sorte que ce soient les armes qui tranchent dans cette phase. En tout cas, c'est naturellement à regretter, mais il ne faut pas regretter les efforts en question. Ils ont été méritoires. Quant à la France, elle a constamment, depuis le début, appuyé les efforts de médiation du président Bongo. C'est une politique de non-ingérence. Donc, ceux qui la contestent doivent avoir le courage de dire qu'ils défendent une politique d'ingérence. Mais, on ne peut pas faire les deux en même temps. Si on ne s'ingère pas, naturellement, on ne doit pas régler les conflits entre les différents clans dans les pays d'Afrique par la force, directement. On essaye de trouver un cadre légitime, c'est-à-dire, un cadre multilatéral en l'espèce, le Conseil de sécurité des Nations unies, la médiation du président Bongo, appuyée par le médiateur Sahnoun. Si cela n'aboutit pas sous cette forme, c'est naturellement regrettable.
Q - On est frappé par la répétition des formes dans cette région du continent. Au Congo, comme au Zaïre, un chef de guerre aidé par un pays voisin s'emploie à renverser le régime, les Américains bloquent à l'ONU la force internationale qui est préconisée par la France. L'ONU déplore...
R - Non, le véritable élément dans cette Afrique centrale, en ce moment notamment dans un certain nombre de pays, Rwanda, Congo-Kinshasa, Congo-Brazzaville, c'est de voir des équipes qui arrivent au pouvoir par la force. Mais, nous revenons aux propos précédents. Est-ce que les pays occidentaux et la France doivent avoir une politique d'ingérence systématique sur le continent africain, dans la mesure où nous désapprouvons les méthodes qui sont employées pour régler les différends et dans la mesure où naturellement nous préconisons que les affrontements politiques légitimes aient lieu sur le terrain électoral. Si on répond non à cette question, en disant que le temps d'ingérence est terminé, aussi bien du point de vue de la France que du point de vue de l'Afrique, on doit être sur un terrain politique et diplomatique. La réponse est la même.
Q - Vous étiez la semaine dernière en Afrique noire, deux pays francophones, deux pays anglophones, quel enseignement en tirez-vous de la position de la France sur ce continent ?
R - L'enseignement que j'en tire, c'est que les pays proches de la France souhaitent intensément que celle-ci préserve son engagement et ses liens avec eux. Et c'est ce que j'ai dit. J'ai réaffirmé la fidélité de la France à ses partenaires traditionnels et à ses amis. Fidélité à eux et, d'autre part, fidélité d'une politique générale d'aide au développement. La France étant le premier pays occidental à soutenir ce type de politique dans les enceintes multilatérales où l'on en débat. Deuxième chose, la nécessaire adaptation de cette politique française en Afrique est ressentie, me semble-t-il, aussi bien là-bas qu'ici. Puisque les dirigeants africains souhaitent que cette politique s'adapte à des réalités économiques qui changent, que nous adaptions notre politique de visas, par exemple, les relations en matière de formation et en matière culturelle. D'autre part, nous avons entamé une adaptation des modalités de notre présence militaire et de notre politique de formation militaire. Donc, cette adaptation qui est intimement liée à la réaffirmation de la fidélité, je crois, est bien comprise. Il faut en parler, l'expliquer inlassablement et c'est ce que j'ai été faire sur place, notamment à Libreville et à Abidjan. Le complément de cela c'est une politique que j'ai appelée d'ouverture, de fidélité et qui consiste à ce que la France parle de plus en plus à tous les autres pays du continent avec qui les relations étaient moins anciennes, moins étroites, ce qui est souhaité de part et d'autre, je veux dire dans toutes les parties d'Afrique, l'Afrique anglophone, l'Afrique lusophone souhaitent parler avec nous... Nous sommes perçus comme étant le partenaire occidental le plus engagé par rapport au continent africain et c'est une façon de parler à l'Afrique francophone, qui souhaite que nous soyons un interlocuteur politique entre les parties de l'Afrique. Il y a là un rôle qui est un rôle d'avenir je crois.
Q - A propos des visas et de l'ouverture, de plus en plus de jeunes élites du continent noir vont aux Etats-Unis où les universités américaines les accueillent à bras ouverts, et on a un peu l'impression que la France, pour des raisons que l'on connaît, se replie un peu et ne les accueille plus...
R - Vous avez raison de noter cette évolution qui n'en est qu'à ses débuts. En tout cas, il faut la prendre au sérieux. Ce que j'ai constaté dans mes différentes étapes c'est qu'il y a un désir de venir en France pour se former, pour travailler pour les chercheurs, notamment dans les milieux intellectuels, de garder des relations intellectuelles et culturelles extrêmement étroites avec notre pays, est toujours aussi vif. En effet, c'est l'un des sujets sur lequel sans que cela entraîne naturellement de risque migratoire et de risque de quelque sorte que ce soit, nous devons certainement adapter notre politique. Cela correspond à leur désir, cela correspond à notre intérêt.
Q - Quels sont les critères d'aide ? Quand un député français veut aller plaider pour un opposant à Djibouti, il se fait refouler à l'aéroport. Du coup, il demande : ''va-t-on encore longtemps aider et sans rien dire des pays qui bafouent les Droits de l'Homme ?''...
R - Là, ce n'est pas un problème d'aide, c'est un problème d'application d'une convention judiciaire et dans le cas d'espèce, il n'y a pas d'automaticité prévue par cette convention judiciaire pour que des avocats français puissent intervenir. Il faut, au terme des textes existants, un accord du gouvernement sur place. Donc, il faut interpréter vigoureusement ce point. Cela ne pose pas le problème général de l'aide au développement.
Q - C'est le cas particulier du député avocat ?
R - C'est un cas de figure un peu particulier. Quant à l'aide au développement, la politique de la France est très simple. Elle souhaite que son aide soit de plus en plus transparente, de mieux en mieux coordonnée parce qu'il y a parfois des doubles emplois. Vous savez qu'il y a beaucoup d'organismes qui s'en occupent, et naturellement de plus en plus utiles au développement des pays, notamment, dans le cadre d'un co-développement, parce que l'on ne peut pas décider depuis Paris. On ne peut pas octroyer l'aide. Et c'est d'ailleurs pour toutes ces raisons que le Premier ministre, M. Lionel Jospin, a demandé à son gouvernement de réfléchir à une adaptation de modernisation de l'aide au développement et nous sommes en train d'y réfléchir M. Strauss-Kahn, M. Josselin et moi. Et dans quelques semaines nous présenterons nos propositions au Premier ministre qui, à son tour, en parlera avec le président de la République.
Q - Le président précisément s'intéresse beaucoup à l'Afrique. On est dans une période de cohabitation. Le même député socialiste demandait à voix haute récemment si Hubert Védrine était le ministre de Jacques Chirac ou de Lionel Jospin...
R - Cela vous fait rappeler que c'est naturellement les deux. C'est une évidence constitutionnelle et politique.
Q - Et à propos de l'Afrique la cohabitation se passe bien ?
R - Je crois que cette idée de réaffirmer la fidélité d'adapter notre politique et d'ouvrir notre action diplomatique à l'ensemble des pays de ce continent est une façon de raffermir notre présence, mais à l'échelle d'un continent tout entier, pas simplement l'échelle d'une vingtaine d'amis proches. C'est quelque chose qui est, à la fois un grand objectif du président de la République et du gouvernement./.
(Source : http://www.diplomatie.gouv.fr/actu/bulletin.asp, le 22 juillet 2002)
ENTRETIEN ACCORDE
PAR LE MINISTRE DES AFFAIRES ETRANGERES,
M. HUBERT VEDRINE,
AU SERVICE FRANCAIS DE LA "BBC"
(Paris, 20 octobre 1997)
Q - Monsieur le Ministre, la France parle de normalisation des relations avec les Etats d'Afrique. Concernant le Congo, le président Lissouba a affirmé avoir demandé l'aide de la France et estime ne pas avoir été entendu.
R - Dans sa politique actuelle à l'égard des pays d'Afrique, la France se refuse à toute ingérence dans des conflits internes qui, malheureusement peuvent éclater çà ou là. Il y a une politique claire : dès lors que l'on décide de ne pas s'ingérer, on ne s'ingère pas. Il faut être cohérent avec soi-même.
Dans cette affaire déplorable et navrante du Congo-Brazzaville qui a entraîné beaucoup de destructions et malheureusement de nombreux morts, la politique de la France a été constamment de soutenir les médiations internationales, notamment celle du président Bongo et de l'envoyé du Secrétaire général des Nations unies pour essayer de ramener les protagonistes sur un terrain politique pour qu'ils règlent leurs différends, d'une autre façon, dans un cadre constitutionnel. Finalement, un camp l'a emporté sur l'autre, et maintenant, nous notons avec précision, et attente et espérance, les engagements que commence à prendre M. Sassou N'Guesso. Sur l'accord politique, le retour à un cadre constitutionnel, des perspectives électorales, tout cela doit être maintenant noté, enregistré encouragé.
Q - Certains ont été surpris de la rapidité avec laquelle la France a accueilli le général Sassou N'Guesso comme nouveau maître du pays. Pourquoi cet étonnement ?
R - Je réponds que ce n'est pas une position spécifiquement française. Il m'a semblé que, par exemple, le Conseil de sécurité des Nations unies qui, naturellement ne comprend pas que la France, dès le début, a noté que ce projet de force d'interposition, qui avait un peu de mal à voir le jour ne se justifiait plus puisqu'il n'y avait plus deux camps entre lesquels s'interposer. Les membres du Conseil et le secrétariat général des Nations unies ont réagi comme nous, c'est-à-dire que nous avons noté ce fait, ce qui ne veut pas dire que nous ne regrettions pas que les affrontements entre Congolais se soient passés sur ce terrain. C'est l'ensemble de cet engrenage qui était tout à fait fâcheux : affrontements militaires, ingérence étrangère, etc... Il faut en sortir. Ce n'est pas une position française singulière, surtout lorsque vous regardez ce que nous disons sur les perspectives d'avenir.
Q - Aurait-on pu imaginer que la France intervienne d'une façon pacifique, en envoyant certaines forces de l'ordre pour maintenir la paix et sauvegarder le pouvoir du président en place ?
R - Cela, c'est de l'ingérence.
Q - Cela a été fait dans le passé par la France...
R - Précisément, il y a un changement. L'on décide de ne plus s'ingérer parce que cela ne correspond plus à l'esprit du temps, ce n'est plus ce que veulent les Africains, et cela ne correspond pas à l'état du monde, et notamment à cette ouverture et cette modernisation de l'ensemble de l'Afrique qui ne nous amène d'ailleurs pas à normaliser notre politique par rapport à l'Afrique mais simplement à l'adapter aux réalités d'aujourd'hui. Donc, dans ce contexte-là, aussi bien le président de la République que le gouvernement français estiment qu'il n'y a pas à s'ingérer, même dans des situations qui sont déplorables mais dont il faut sortir par des procédés politiques et diplomatiques, pour préparer le moment le plus tôt possible où les Africains n'auront plus jamais recours à ce type de moyens pour régler leurs affrontements.
Q - Peut-on dire que, d'une certaine manière, le président Lissouba est la première victime de cette nouvelle politique de la France ?
R - Non, parce qu'il y a un esprit du temps qui est plus large, il y a une évolution de l'Afrique par elle-même et l'histoire mouvementée de l'Afrique ne commence pas à ce qui s'est passé depuis quelques semaines au Congo-Brazzaville.
Ce serait un raccourci inexact. Ce qu'il faut savoir, c'est ce que l'on veut maintenant. Veut-on en Afrique maintenir pour un mélange de bonnes ou de mauvaises raisons des pratiques qui nous semblent dépassées ? Nous répondons : non. Le temps de l'ingérence est terminé. Il faut savoir comment nous pouvons maintenir une présence en Afrique puisqu'il n'est pas du tout question une seconde de se désengager. Mais quelles sont les formes modernes tournées vers l'avenir, quelles sont les formes de présence en Afrique qui aident ces pays à s'adapter, à consolider non seulement l'émergence de leur économie mais aussi la consolidation de l'Etat de droit, qui est l'humus nécessaire de la démocratie politique.
Q - Finalement, en ce qui concerne le Congo, les conséquences immédiates de cette nouvelle politique française sont bien le remplacement d'un président élu par un général ?
R - Si vous dites cela, c'est que vous plaidez pour l'ingérence, ce qui est votre droit d'ailleurs, c'est une opinion comme une autre.
Q - Je cherche seulement à comprendre...
R - Il me semble quand même que c'est une façon de plaider pour l'ingérence puisque l'on ne peut pas dire que ce qui s'est passé soit la conséquence de la politique de la France, sauf à considérer que le Congo-Brazzaville n'est pas un Etat indépendant. Ce qui s'est passé, c'est encore une fois regrettable.
Q - C'est simplement un président élu qui demande une aide...
R - C'est vous qui l'analysez comme cela. Si l'on reprenait les épisodes et l'enchaînement des dernières semaines, c'est beaucoup plus compliqué que cela.
Q - Que dites-vous aux gens qui affirment aujourd'hui que cette guerre a été conduite pour défendre des intérêts pétroliers ?
R - La France n'a pas eu une attitude attentiste. Elle a eu une attitude de non-ingérence, je le répète, puisqu'apparemment c'est un concept qui a du mal à être compris et qui a été constant dans toute la crise. La France a eu en revanche une attitude active sur le plan politique et diplomatique pour la recherche d'une solution.
Quant aux reconstitutions rocambolesques de gens qui expliquent tout par des données économiques et qui auraient expliqué aussi bien l'inverse si c'était l'autre camp qui l'avait emporté, je pense que c'est exactement le type d'interprétation dont il faut se débarrasser, qu'il faut dépasser et auquel il faut savoir résister si l'on veut aider les Africains eux-mêmes à regarder vers l'avenir et non pas vers le passé. Cela me paraît un échafaudage de spéculations.
Q - Sur la Tunisie, pour le gouvernement français qui a accueilli le président Ben Ali, il est forcément question d'échanges économiques, mais qu'en est-il des Droits de l'Homme ?
R - Le sens général des relations entre la France et la Tunisie doit s'inscrire dans un cadre plus général qui est notre projet d'avenir pour les relations entre la France et le Maghreb, l'Europe et le Maghreb. Ce sont des pays voisins, des partenaires, des partenaires proches, des amis. Nous souhaitons bâtir avec ces pays une relation euro-maghrébine de croissance, de prospérité et naturellement de consolidation de la démocratie politique qui sont des processus difficiles, longs, compliqués, mais dont nous pensons que nous devons les encourager. C'est pour cela que, dans cette visite qui est évidemment une visite politique avant tout, qui comporte des volets économiques, culturels, c'est-à-dire des volets bilatéraux, nous souhaitons répondre aux choix stratégiques des dirigeants tunisiens qui veulent engager leur pays dans un rapprochement de plus en plus étroit avec l'Union européenne, avec tout ce que cela comporte. D'autre part, nous voulons leur dire en amis, - puisque notre une relation est fondée sur l'amitié, sur le respect mutuel -, qu'à partir de la situation qu'ils ont rétablie à un moment donné, dans un contexte comportant un véritable risque intégriste violent, ce qui n'est, je crois, contesté par personne, ils ont donc rétabli une situation à partir de laquelle nous pensons, et nous le dirons avec respect et amitié, qu'ils peuvent poursuivre maintenant cette évolution politique et l'améliorer.
Q - Que peut faire la France sur cette question des Droits de l'Homme ?
R - La dimension des Droits de l'Homme est une dimension constante dans la politique de la France. Il n'y a pas un seul exemple dans lequel nous fassions l'impasse sur cette notion. D'autre part, nous sommes en charge d'intérêts nombreux, également très importants et nous ne pouvons pas mener la politique de la France à partir uniquement de cette considération, même quand elle est fondée. Ce qui veut dire qu'en pratique, nous avons une approche de cette question qui nous amène à chercher et à privilégier l'utilité.
Que peut-on faire à propos des Droits de l'Homme, non pas simplement pour en parler, - les organisations qui le font sont dans leur rôle quand elles le font. Mais notre tâche à nous gouvernement, c'est de préparer l'avenir et d'engager, de soutenir, de conforter des processus qui permettent à des pays qui connaissent ces difficultés et qui réagissent d'une façon qui, parfois n'est pas conforme à celle que nous souhaiterions, qui leur permette d'avancer dans ces processus, de façon à ce que la démocratie politique soit constamment consolidée étape après étape. Là, nous sommes dans notre rôle./.
(Source : http://www.diplomatie.gouv.fr/actu/bulletin.asp, le 22 juillet 2002)