Texte intégral
Monsieur le président,
Mesdames et messieurs,
C'est un plaisir pour moi de me trouver parmi vous. D'abord parce que j'y retrouve, est-ce un hasard, nombre de visages que j'ai déjà croisés ici, là et ailleurs. Ensuite parce que nous sommes unis par une entrée en matière suffisamment fracassante pour que j'en garde le souvenir. Un sous-titre est inutile, tout le monde comprend et je crois que c'est une bonne chose. Je ne pense pas manquer à la dignité de la fonction que j'exerce en assumant à la fois les devoirs de gestion qui font ma charge et le devoir d'éclairage et de visée prospective qui s'attachent à la mission d'un homme politique. Un ministre est un homme politique. Je suis un ministre de gauche. Je suis membre du Parti socialiste. Je suis membre d'un Gouvernement de gauche. Aussi, l'action technique, quotidienne à mes yeux, doit-elle illustrer les valeurs dont je me sens porteur et qui ne sont pas des valeurs consensuelles dans notre société. Les dialogues que, reprenant les propos du président MITTERRAND, j'ai parfois qualifiés de "fracassants" me paraissent contribuer plus utilement à la bonne compréhension des problèmes auxquels nous sommes confrontés que de n'en parler qu'en termes de structures et de moyens. L'obsession des structures et des moyens, langage de la technostructure - langage qui n'est pas neutre - fait souvent oublier, petit à petit, les finalités poursuivies.
Le nouveau dispositif de l'enseignement professionnel
Le Gouvernement de Lionel JOSPIN a mis en place un nouveau dispositif en matière d'enseignement professionnel. Pas aussi nouveau pourtant que vous avez l'air de le croire, Monsieur le président, puisque je ne suis pas en charge du dossier de la " formation " professionnelle. J'ai cru noter que, comme moi, vous le regrettiez. Votre demande sera transmise ! Cependant, et c'est une première, un ministère de l'enseignement professionnel touche l'ensemble du champ éducatif : du secondaire au supérieur. Sans en faire le détail, je rappelle qu'un milliard de dépenses nouvelles ont été injectées. Cet investissement est significatif et traduit une volonté politique. Nous ne nous sommes pas contentés d'enregistrer la baisse démographique ni de laisser les indicateurs d'encadrement s'améliorer tous seuls pour nous présenter ensuite devant les congrès de parents d'élèves en disant : " Vous voyez cela va mieux ! ". Nous avons fait l'inverse ! Nous y avons mis les grands moyens. Mais ces moyens ne sont rien s'ils n'ont pas pour objectif le perfectionnement pédagogique et l'avancée sur les points essentiels que vos fiches passionnantes, dois-je vous le dire, ciblent d'une manière très précise et très claire. Aussi je situe mon intervention, puisque j'ai appris que votre débat durerait toute l'année, plutôt dans le cadre d'une contribution à ce débat en apportant un éclairage sur la volonté politique du gouvernement en la matière.
Mais je faillirais à ma réputation et je ne répondrais pas à ce que vous attendez de moi si je ne vous disais, qu'à mes yeux, il faut d'abord mettre la philosophie politique au poste de commandes. Un homme de gauche, comme moi, ne peut pas faire autrement que de chercher toujours à déconstruire les évidences techniques qu'on lui oppose. Je suis obligé de dire que la négation de la valeur intellectuelle des métiers de notre époque et le mépris du travail participent en fin du compte d'un certain appareil de dressage idéologique qui finit dans le mépris des travailleurs eux-mêmes. Je ne suis donc pas étonné qu'on oublie si souvent que la moitié de chaque classe d'âge des jeunes Français, sous statut scolaire et sous statut d'apprentissage, relève de l'enseignement professionnel. Aussi, dans bien des discours sur l'enseignement professionnel considéré comme une voie de relégation et malgré les accents compassionnels qui parfois les accompagnent, je trouve souvent quelque chose qui ressemble à une certaine frilosité de caste. Parfois même j'y trouve un esprit de classe face à la classe sociale la plus nombreuse de ce pays, face à la valeur qu'elle représente pour la Patrie. A ceux qui s'interrogent sur le résultat de l'investissement éducatif dans le bilan de la Nation, je rappelle sans cesse, que nous Français, qui ne sommes que 60 millions, ce qui est bien peu parmi les multitudes humaines, nous sommes la quatrième puissance économique du monde. Nous exportons le quart de notre production, nous sommes le deuxième pays exportateur par tête. Ces résultats ne sont pas tombés du ciel. Il a bien fallu qu'il y ait des enseignants qui enseignent et des élèves qui apprennent. Puis des gens qui inventent et produisent à partir de ce qu'ils ont appris. Il a bien fallu que ce système éducatif ait assez de valeur pour nous permettre, dans la compétition générale des nations et des peuples, de nous hisser à ce niveau d'excellence. Ne l'oublions jamais quand on parle de l'école ! Pour autant, cette valeur, fruit de l'éducation et des efforts consentis par la Nation elle-même, ne nous émancipe d'aucun travail de perfectionnement de notre système. Alors, dans le concret des dossiers qu'ouvre votre débat, il y a des questions préalables et des points précis soulevés qu'il me faut aborder et éclaircir pour bien nous comprendre si nous voulons travailler utilement tout au long de l'année ensemble.
L'exigence de professionnalisation
La première question est de nature philosophique : Quelle place reconnaissons-nous à la professionnalisation ? Il faut s'accorder sur les mots. J'appartiens à une génération, je ne dois pas être le seul dans cette salle, qui a longtemps considéré que tout rapprochement de l'école et de l'entreprise était par nature suspect. Je me donne rétrospectivement raison pour ce qui concerne les années 70. Depuis, il s'est écoulé trente ans et les choses vont autrement. Il faut donc en finir avec quelques idées préconçues, notamment pour ce qui se rapporte à ce que sont les métiers de notre époque. La France dispose d'une économie avancée. Elle " marche en tête ". Elle est par exemple le pays qui produit les moteurs de l'ensemble des avions du monde, AIRBUS, BOEING, les moteurs SNECMA. C'est le pays qui a mis au point le grand logiciel de production assisté par ordinateur - qui n'est pas celui de Monsieur Bill GATES - tel qu'il n'est plus un bateau, plus un avion, plus un train et bientôt plus une automobile, depuis que TOYOTA aussi a adopté ce logiciel, qui ne soit produit avec ce logiciel français ! Je ne le dis pas par chauvinisme. Je le dis parce que c'est aussi le résultat de notre école, de la formation de nos informaticiens, de nos ingénieurs. Quand on est cette nation là, on peut comprendre que les métiers de notre époque sont bel et bien des sciences pratiques. Tous les métiers, y compris les métiers de l'artisanat. Et nous les Français si nous voulons demeurer dans cette dimension d'excellence, pas par pur esprit de compétition, mais parce qu'elle est la garantie de notre liberté, la garantie de notre capacité à faire rayonner les valeurs dont la République française est porteuse de par le monde, nous avons besoin de cette puissance. Nous devons assimiler jusqu'au bout ce que signifie la définition du métier comme science pratique. Et nous avons raison lorsque ces logiciels dont j'ai parlé tout à l'heure nous les diffusons gratuitement non seulement dans l'enseignement supérieur mais aussi dans l'enseignement secondaire, contrairement à ce qui se passe dans les universités américaines où l'usage de ces mêmes logiciels est enseigné dans des cours payants. Nous avons eu raison par exemple de faire rentrer le processus de la numérisation dans les enseignements des métiers de l'industrie de la chaussure (une chaussure c'est près de cent soixante pièces à assembler). Nous avons eu raison de faire utiliser ce logiciel dans le BTS concerné par cette industrie.
Parce que les métiers sont des sciences pratiques, il n'y a pas de divorce entre enseignement des métiers, professionnalisation et élargissement des champs intellectuels et culturels de l'individu. Il ne faut donc pas confondre le processus de professionnalisation avec une spécialisation étroite. C'est véritablement une distinction aux enjeux politiques et sociaux. Le système français de conception des diplômes professionnels et de ses référentiels repose sur une méthode absolument originale : les référentiels sont établis conjointement avec les entreprises. Nous sommes les seuls à disposer d'un système de Commissions Professionnelles Consultatives dans le secondaire et le supérieur. J'ai toujours dit aux entreprises et aux dirigeants des branches patronales, que la porte était ouverte en permanence pour perfectionner, améliorer, pallier les manques de toute nature, à la condition d'arrêter de jouer la ritournelle partout sur la prétendue distance entre l'école et l'entreprise. La distance réelle entre l'école et l'entreprise est égale à zéro. Je leur répète que s'ils sont mécontents du contenu des référentiels, ils doivent s'en prendre à leurs représentants ! Les branches patronales sont représentées dans les CPC. Qu'on ne vienne pas me dire que l'Education nationale est trop lente à réagir. Il faut trois ans pour produire une nouvelle automobile. Il nous faut un an pour mettre en place une formation complémentaire d'initiative locale. La lenteur n'est pas de mon côté ! Mais, bien sûr, exiger la réactivité suppose que l'on sache ce que l'on veut, un an à l'avance !
Connaissances, qualifications, compétences
Je le répète : les métiers sont des sciences pratiques. S'agissant de techniques, le rapprochement avec l'entreprise est excellent. Certes, on pourrait par exemple me reprocher de faire des lycées des métiers " SNECMA " ! Mais ce reproche serait à peu près aussi absurde que de me reprocher de faire une UFR de physique Einstein. Eh bien oui, car il me suffit de constater que le moteur produit par la SNECMA est le meilleur moteur du monde ! C'est donc l'excellence ! Et ce que nous voulons pour nos diplômes, c'est l'excellence technique fondée sur le système des référentiels et le monopole de l'État en ce domaine. J'assume pleinement mon désaccord avec certains sur ce point. Ce monopole nous l'avons acquis au prix de la lutte sociale. Il est une garantie de qualité et de liberté dans la mesure où le diplôme peut se négocier dans une convention collective c'est-à-dire s'inscrire dans un rapport de force social. C'est une question clef. Aujourd'hui, nous avons d'un côté ce système national qui a fait ses preuves et de l'autre une soit disant alternative. Quelle alternative ? D'abord, au lieu de trouver la Nation transmettant à chaque jeune l'héritage gratuit des savoirs à travers l'école, on propose un système payant. Avez-vous remarqué que l'offre marchande d'éducation se concentre sur les diplômes professionnels ? Bien sûr. Parce que le diplôme professionnel a une valeur marchande. Le travail est humain mais c'est aussi une valeur marchande. De plus, ce système réputé alternatif repose sur une homologation de "compétences" étroites à laquelle je m'oppose. J'ai dit à l'éminent représentant de l'UIMM avec qui j'ai eu cette discussion que la certification des compétences telle qu'il me la décrivait ne pourrait fonctionner que dans une économie en stagnation technique. Raisonnablement, il a bien voulu admettre qu'il y a problème dès lors que la machine change tous les trois ou quatre ans. Sa réponse (je ne l'invente pas) : " Eh bien nous millésimerons les certificats de compétence ! " peut rencontrer un accueil favorable chez les Anglais avec le résultat que vous savez, en regardant rouler leurs trains !
Nos sujets de discussion se situent donc bien à l'intersection du monde de l'éducation et du monde du travail. Ce sont des questions politiques. Elles engagent l'avenir du pays. J'ai cru comprendre que cet aspect du problème était soulevé dans la négociation sur la formation continue. C'est bien que cette discussion existe ! Il faut que le pays s'en saisisse et que chacun comprenne de quoi il est question.
Deux systèmes, disais-je, et je suis chargé de faire vivre celui que la Nation s'est donnée au terme d'une longue histoire. C'est mon rôle de le défendre. C'est mon rôle de l'enrichir. Dès lors, un premier débat s'impose : " Quelle est réellement la place de la professionnalisation dans le processus éducatif d'une génération ? ". La professionnalisation n'est pas une restriction des champs mentaux, intellectuels, culturels des personnes. C'est l'inverse. En le disant je me réclame de la continuité de la " Philosophie des Lumières ". Je renvoie chacun à DIDEROT et à l'ouverture des pages de l'Encyclopédie où, déjà, il discutait de la place relative des arts libéraux et des arts mécaniques selon les expressions de l'époque. L'esprit des lumières, c'est bien de tirer du réel les lois universelles qui ensuite permettent de se doter de la capacité de maîtrise ce réel. C'est cela l'esprit des lumières. ! Oui, c'est le contraire de la litanie psalmodiée de façon permanente, selon laquelle certaines cultures sont considérées comme étant le signe d'appartenance à une élite. La seule élite qui vaille, c'est celle qui est capable de maîtriser son environnement, de proposer des évolutions profitables à l'Humanité, à son propre pays, lorsqu'une difficulté ou un besoin concret sont posés ! Je ne confonds pas, comme me l'a soufflé tout à l'heure le recteur MONTEIL, l'excellence et la rareté. 400.000 titulaires d'un CAP, c'est l'excellence et ce n'est pas un inconvénient que cela ne soit pas rare pour un grand peuple que de compter beaucoup de gens qui soient excellents à leur niveau de qualification. Un mot donc pour terminer cette première question. Je n'accepte pas, ni comme ministre, ni comme homme de gauche que l'on distingue les connaissances des compétences. Je le dis très tranquillement mais très fermement ! Je n'accepte donc pas la répartition des rôles que certains m'ont proposée : L'école certifie les connaissances et l'entreprise certifie les compétences. " Pas question ! La connaissance est une compétence et je ne permettrai pas que sous couleur de certification particulière des compétences on institue un permis de travailler. Oui. Il faut parler franchement, sinon ce n'est pas la peine de faire un congrès et d'inviter un ministre.
Quel horizon de formation ?
Deuxième question : quel est l'horizon que nous proposons à notre jeunesse ? Je sens qu'une ambiguïté se glisse peut-être dans les débats. Depuis la Loi JOSPIN, la gauche gouvernementale dit que l'objectif est de 80 % d'une classe d'âge au baccalauréat et une qualification pour tous. On dit bien une qualification, pas une compétence, une qualification reconnue, donc un diplôme. Cela reste l'objectif pour lequel je me sens mandaté. Vous demanderez peut-être : " mais pourquoi parle-t-il de ça ? ". Le rappel m'est suggéré par le contexte. Le débat sur la formation tout au long de la vie a commencé en Europe. C'est une très bonne chose. D'une part, le sommet de Lisbonne décrit les connaissances comme la ressource stratégique fondamentale du modèle du vieux continent. Cela nous convient pleinement à nous les Français. C'est une bonne idée que nous devons accompagner et dynamiser. D'autre part, il nous est proposé de faire converger nos systèmes éducatifs, qui vous le savez ne relèvent pas du domaine communautaire. Cela nous convient également fort bien à nous les Français. Nous sommes forts d'une réussite certaine. Il faut être très clair : le système éducatif français est certainement le seul système éducatif global (on doit le perfectionner mais ce n'est pas le sujet) qui existe en Europe. À la condition de ne pas écraser les compartiments qui le constituent. Je l'ai dit lors de la rencontre européenne de Biarritz qu'avait organisée ma collègue Nicole PERI. Au cours de cette magnifique réunion, j'ai dit, m'adressant à quelques-uns des auditeurs qui se trouvaient dans la salle : " Ce n'est pas au nom de la formation tout au long de la vie que l'on va pouvoir se dire : faisons des économies sur la formation initiale, puisqu'il y a la formation continue. Sinon tout aussitôt les mêmes diront : faisons des économies sur la formation continue puisqu'il y a la validation des acquis de l'expérience ". On m'a reproché de faire des procès d'intention. Je suis obligé de dire que j'ai retrouvé ce raisonnement dans un éditorial de l'UIMM à peine quinze jours après. Puis les faits suivent. Dans tel département de l'Est de la France, 1 500 élèves ont quitté leur formation avant d'aller au terme de la préparation de leurs diplômes. La réponse de certaines branches, je dis bien certaines branches patronales - malgré la protestation de mon recteur, malgré la protestation de la CFDT, malgré ma propre protestation - a été la suivante : " De quoi vous mêlez-vous ? La scolarité obligatoire s'arrête à 16 ans ! Les jeunes font ce qu'ils veulent ! Et pourquoi osez-vous dire que c'est du temps perdu, puisque - de toute façon - il y a la validation des acquis de l'expérience ". Vous le voyez, de bonnes et louables intentions peuvent être investies de l'intérieur pour être transformées en tout autre chose. On ne doit pas écraser les étages du système éducatif global de ce pays ? Aussi, je le redis : j'espère que personne ne propose sérieusement de considérer que parce qu'il y a une formation tout au long de la vie, la Nation devrait se donner pour premier objectif de faire une formation fondamentale qui, par exemple, s'arrêterait au niveau du brevet, après quoi, chacun irait son bonhomme de chemin et complèterait sa formation par des droits de tirage. Je crains fort, Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, que cet aspect du problème n'ait pas toujours été très bien maîtrisé lors d'un débat récent par ceux qui auraient dû légitimement se trouver ensemble pour prendre certaines précautions. Alors, l'horizon du BAC ainsi que la séquence de formation doivent être pris pour ce qu'ils sont : à 16 ans, fin de la scolarité obligatoire, on est en fin de 2nde, pas en 3ème. Je le dis avec énergie, me rappelant quelques discussions : le tronc commun de la formation que nous donnons à nos jeunes doit être pensé aussi en fonction de l'horizon du baccalauréat. Et dès lors, cela nous libère l'espace pour travailler à la construction de l'ensemble de ce parcours. La place du collège se pense par rapport à l'ensemble de ce parcours !
(source http://www.fcpe.asso.fr, le 7 août 2001)
La fluidité des parcours
Autre question : Comment articuler le secondaire et le supérieur si l'horizon est le baccalauréat pour tous et qu'il demeure le premier grade universitaire ? Cette posture nous contraint à mettre en place tout ce qui doit l'être pour garantir la fluidité des parcours. Fluidité des parcours que les parents vont ressentir comme une garantie. Le jeune, s'il en a le talent, s'il en a le mérite, s'il en a le goût doit être certain d'avoir la possibilité offerte d'aller aussi loin qu'il le peut.
Je crois que chacun, légitimement, se dit qu'il faut que son enfant puisse aller le plus loin possible et je crains que l'on n'ait pas totalement intégré le fait que la filière professionnelle que l'on baptisait - je l'entends encore - de filière " courte " soit calée sur le bac pro. Avant la création du bac pro, bien sûr, il n'y avait que l'horizon du CAP. On pouvait donc parler de filière courte. Mais aujourd'hui, faire un bac pro c'est s'engager dans une filière longue, parce que cela prend tout de même un an de plus que la filière d'enseignement général.
L'objectif de fluidité maximum nécessite qu'on s'interroge aussi sur l'homogénéité de la voie des métiers. On doit pouvoir en effet passer d'une formation à une autre et c'est possible dans le système français. Les IUT sont la démonstration qu'avec 25 départements seulement on peut préparer des milliers de postes de travail différents, des centaines de métiers différents. Je le redis, les métiers de notre époque sont des sciences pratiques ; les savoirs requis donc souvent sont des savoirs extrêmement transversaux à de très nombreux métiers. Cela peut d'ailleurs nous interpeller sur un certain retard des structures socio-éducatives par rapport au niveau de développement des forces productives de notre pays. Quelqu'un peut-il m'expliquer quelle différence existe entre le tertiaire enseigné dans les lycées agricoles et le tertiaire enseigné dans les sections de l'Éducation Nationale ? Peut-être 10 % voire 20 % ? Il n'y en a pas ! Je pourrais prendre comme exemples plusieurs formations. Ces observations méritent qu'on y réfléchisse parce que ce sont elles qui fondent mon projet de lycée des métiers. Rien ne s'oppose à la circulation entre différentes formations professionnalisantes. Si on comprend bien cela et à condition d'accepter l'idée que la professionnalisation est une exigence de haut niveau de savoirs fondamentaux et de haut niveau de savoirs techniques, tout se tient.
La fluidité doit être inscrite à l'intérieur de l'enseignement secondaire parce qu'elle est possible. J'ai dit que je souhaitais, voire que j'exigeais - certaines fois il m'arrive de dire : j'ordonne - que l'école ne s'appartienne pas. Elle appartient à la Nation. Il ne doit plus y avoir de BEP sans un bac pro correspondant, c'est-à-dire que l'on ne doit plus trouver de section de BEP sans qu'ensuite on puisse continuer en bac pro. Ça, c'est affaire d'organisation et de création. Il m'est arrivé d'entendre : " Monsieur le ministre, tout est en place : nous sommes dans un bassin de formation ". Fort bien, je ne suis pas un dilapidateur de fonds publics et je suis partisan d'une certaine rationalisation de nos organisations bien sûr ! Mais examinons de plus près certains bassins de formation et essayons de répondre à certaines questions simples.
Par exemple, comment fait-on pour aller des Andelys à Vernon quand on a fait son BEP aux Andelys et que la section de bac pro, elle, se trouve à Vernon ? Peut-on prendre un train ? Non ! Peut-on prendre un bus ? Non ! Que reste-t-il ? La voiture des parents ? La mobylette ? Ce n'est pas sérieux ! Je peux également prendre l'exemple de l'Isère où toutes les formations d'enseignement professionnel sont concentrées en un seul secteur du département. C'est injuste. Et quand on y regarde de plus près encore on s'aperçoit que cette injustice cumule, par un effet boule de neige, toutes les tares de notre société. Qui se déplace d'un bout à l'autre du département, quand il finit par se déplacer ? Le garçon ! Pas la fille !
La fluidité est donc au total à la fois une exigence démocratique sociale et une exigence intellectuelle. Voyons à présent le passage du secondaire au supérieur. On ne peut avancer sur ce sujet qu'au consensus : la discussion est ouverte avec l'enseignement supérieur pour que nous réussissions la jonction des baccalauréats professionnels et de l'enseignement supérieur. En effet, aujourd'hui, seulement 17 % des jeunes de bac pro passent en STS (Section de Technicien Supérieur). Cela représente 7 000 jeunes. Mais il ne suffit pas seulement de passer dans l'enseignement supérieur. On peut faire du chiffre si on veut ! Mais, il s'agit de jeunes qui ont la tête sur les épaules et qu'on n'embarque pas comme ça dans n'importe quelle aventure Les jeunes savent qu'il faut qu'ils réussissent. Il faut donc aménager et réfléchir à la façon de mixer les publics. C'est une technique très délicate à mettre au point. Mais on sait le faire et on va le faire. Le même effort doit être réalisé avec les DUT en s'inspirant de la démarche expérimentée pour les licences professionnelles qui, aujourd'hui, ne correspondent plus tout à fait à ce qui avait été prévu hier. À l'intérieur de la séquence licence professionnelle, on mixe des publics : public de formation continue et public de formation initiale. C'est possible et c'est une bonne leçon car une des questions essentielles qui se pose à nous, y compris dans le secondaire, c'est d'assurer la maîtrise technique, pédagogique de ce mixage. J'ai vu fonctionner ce mixage dans plus d'un lycée professionnel. Je connais l'inquiétude : "On va submerger la classe !". Mais pour nos jeunes de 17 ou 18 ans, l'arrivée de deux ou trois adultes de 35 ou 40 ans qui viennent apprendre dans la même école ce qu'ils sont en train d'apprendre eux-mêmes constitue un formidable encouragement. C'est un excellent processus d'identification à l'adulte, un processus positif pour le jeune. Et pour l'adulte aussi. C'est un plaisir pour l'adulte de mettre en partage avec les jeunes ce qu'il a appris, ce qu'il sait faire, ce qu'il est. N'oublions pas qu'avant l'emprunt du modèle de l'école des frères chrétiens comme modèle universel d'enseignement dans la salle de classe, d'autres avaient imaginé un système d'enseignement dans lequel l'entraide mutuelle jouait un rôle essentiel. Vous voyez, parfois il est aussi utile d'interroger l'histoire La licence professionnelle nous apprend aussi à mettre au point des parcours pédagogiques différenciés, suivant les publics qui y participent. Parce que, à l'évidence, un jeune avec un DEUG en poche n'a pas autant de chances de réussite qu'un jeune qui possède un DUT, pour passer la licence professionnelle Eh bien, inspirons-nous de cette situation à d'autres niveaux ! Dès lors, peut-être aborderons-nous d'une manière un peu plus décontractée la question relative à la diversité des offres de formation pédagogique. Le modèle contre lequel je proteste, c'est l'uniformité. Pas seulement celle des bâtiments... J'ai l'impression que l'on se concentre trop sur l'élargissement de l'offre des formations dans le secondaire et au collège. Sur ce point, je note que le problème n'est plus posé de savoir si un jeune doit et peut choisir... Pour moi, au-delà de la diversité de l'offre de formations existe la diversité de l'offre des méthodes pédagogiques. Cette diversité est essentielle. Le modèle hégémonique actuel a sa valeur. J'en suis un enfant, comme vous Monsieur DUPON-LAHITTE. Ce modèle est le modèle hypothético-déductif, un bien grand mot, mais tout le monde comprend ici ce que cela veut dire. Si on n'entre pas dans ce moule hégémonique, on est réputé mort pour son avenir scolaire. Je vous fais grâce à cet instant de la déconstruction idéologique nécessaire pour expliquer ce qu'est ce modèle. Avant même d'avoir commencé, le jeune est trié ! Et puis, il y a l'autre méthode pédagogique, dite inductive et fondée sur le parcours concret. C'est celle qu'on applique dans les établissements d'enseignement professionnel. Des bouches se tordent alors Dans le concert d'acclamations et de félicitations qui m'a entouré pour avoir décidé que dorénavant le diplôme d'un des meilleurs ouvriers de France était équivalent à un bac plus deux, c'est-à-dire d'un diplôme universitaire de technologie ou d'un brevet de technicien supérieur, certains ont du mal à accepter l'idée qu'un meilleur ouvrier de France glacier est l'équivalent d'un technicien supérieur. Pourtant, du point de vue de nos papilles : il l'est ! Le modèle pédagogique inductif a des vertus aussi nobles que le modèle déductif. Pardon si je vous donne le sentiment de redire des choses que vous-même avez dites. Mais enfin : ce sont les mêmes lois universelles qui sont enseignées ! Les mêmes ! Il n'y a pas des mathématiques pour les travailleurs et des mathématiques pour les intellectuels. Ce sont les mêmes ! La chimie. C'est la même ! L'anglais, c'est le même ! L'allemand, c'est le même ! Mais le modèle pédagogique déductif ouvre un autre chemin pour l'esprit à éduquer. C'est un chemin dans lequel l'enseignement professionnel est engagé à fond. A preuve, nos PPCP. Cette année est l'année où nous avons mis en place les projets pluri-disciplinaires à caractère professionnel qui ont soulevé toutes sortes de polémiques. Vous êtes des partisans de cette innovation pédagogique ! Les PPCP sont des merveilles pédagogiques. Bien sûr il y a des erreurs ici ou là. Certains traînent les pieds, d'autres sont plus enthousiastes. Mais ça, c'est la vie ! L'Éducation nationale n'est pas une armée et on ne demande pas à nos professionnels d'avoir pour vertu principale de marcher au pas. Finalement, tout le monde y est allé et a fait. On s'aperçoit, contrairement à ce que racontent des ignorants, que la pluridisciplinarité est une modalité pédagogique très complexe. Ce n'est pas un potage occupationnel qu'on déverse ensuite sur la tête de l'élève. Il faut à la fois le disciplinaire mais aussi la convergence des disciplines. Eh bien on y arrive ! Je peux, au lieu d'évoquer les moyens déployés pour la mise en uvre des PPCP, vous parler tout aussi bien des classes à projets artistiques et culturels dont nous avons convenu, avec Jack LANG, que la moitié d'entre elles seraient ouvertes en enseignement professionnel. Il n'y a aucune opposition entre l'entrée dans la démarche culturelle et la qualification professionnelle. Quand des enseignants organisent un PPCP aboutissant à la création de statues métalliques géantes, non seulement ils font reculer du tout au tout l'absentéisme, non seulement ils améliorent les résultats scolaires, mais concrètement, à travers une pratique culturelle qui éveille l'esprit, les élèves apprennent le traçage, la physique, la chimie, la soudure. Il n'existe pas, en enseignement professionnel, une différence de nature entre la pratique culturelle et la qualification professionnelle !
Puisque je suis sur ce sujet, je veux interpeller ceux qui regardent de haut les jeunes de l'enseignement professionnel. Ceux qui tiennent des discours de relégation : " Si tu n'es pas sage en classe, tu iras en lycée professionnel ! ". Des discours si souvent et stupidement répétés qu'on a fini par se demander quel était le public relevant des lycées professionnels ! À peine parfois utilise-t-on quelques mots d'humanité pour se souvenir tout de même que ce sont nos jeunes, que nous les aimons, qu'ils ont 17-18 ans, et qu'ils aiment aussi. J'en profite pour rappeler que la moitié des poèmes qui viennent de la jeunesse à l'occasion du Printemps des poètes sont écrits par des jeunes des lycées professionnels !
Restez à l'école ! Revenez à l'école !
Je veux dire à nos jeunes, comme quelqu'un l'a dit tout à l'heure et comme le président le redira à son tour : " Restez à l'école ! Ne partez pas avant l'obtention du diplôme ! Bien sûr, vous avez les compétences ! La preuve on vous embauche ! Mais vous n'avez pas la reconnaissance de votre qualification et ça : c'est votre liberté ! ".
Si on est capable de mixer, techniquement, d'une manière assurée et maîtrisée des publics, alors j'ai envie de dire aussi à de nombreux autres jeunes : " Revenez à l'école ! Revenez à l'école avec la formation continue ! " Et nous, nous tous citoyens qui avons des responsabilités, cessons d'intérioriser l'idée d'après laquelle l'école serait un lieu détestable. Je sais bien qu'il y a les humiliés de l'école et vous avez eu raison Monsieur le président de rappeler que dans les sources de la violence il y a aussi notre propre échec. Ne m'en voulez pas si je reviens là-dessus, Monsieur le Président. Je sais que quand on a quinze ans et plus et qu'on est en classe de 4ème, sous la pédagogie hypothético-déductive, chaque jour qui passe est une crucifixion. Nous sommes coupables et responsables de cette situation. Moi qui suis un élu du quartier populaire, je sais comment ces choses là se déroulent. Tant et si bien qu'à certains moments on peut même dire que l'absentéisme correspond quasiment à une mesure de survie personnelle. Cette situation est absurde et il faut en finir avec elle. Pourtant je dis : "Revenez à l'école" parce qu'il ne faut pas toujours penser aux dispositifs de réparation mais d'abord porter et utiliser à son niveau extrême d'excellence l'existant. Nous savons le faire notamment en formation initiale et dans notre capacité à accueillir dans des cadres prévus pour ce faire. Notre pays paie plus de 430 milliards par an pour cela. Aussi a-t-il le droit d'exiger que cela marche toujours mieux. Et c'est à nous de le faire. Mais le pays a surtout le droit d'exiger que ces moyens soient utilisés à pleine capacité.
De la régulation citoyenne à l'école
Les derniers éléments que je souhaite aborder, parce qu'il faut vraiment conclure, tiennent au rôle de la régulation citoyenne à l'école, dans le respect du principe de la laïcité. La première des régulations citoyennes, c'est de ne pas accepter que la discrimination sociale fasse le tri. Je ne vais pas dire à cette tribune que je garantis la gratuité absolue et totale. Je vais dire où nous en sommes à partir de deux questions qui se combinent. Pour commencer, je vous rappelle qu'à la rentrée le Gouvernement a décidé de doubler la prime d'équipement des lycéens professionnels, ce qui n'est pas rien. Elle passe de 1 100 à 2 200 francs. Je sais bien que cela ne suffit pas ! C'est pour cela qu'il faut que l'on réfléchisse globalement, comme le propose une de vos fiches. On ne fera pas tout d'un coup, et il nous faut définir des priorités. Vous devinez ce que peut en penser le ministre de l'enseignement professionnel. Il se sentirait plus fort s'il était accompagné.
Un statut social pour les jeunes
Autre élément, la question débattue tout à l'heure du statut social du jeune en formation. Un pays qui a compris l'intérêt d'élever le niveau de qualification de son peuple doit comprendre aussi que cela coûte. Combien ai-je d'élèves de l'enseignement professionnel qui, parfois par section entière, travaillent le soir, travaillent le week-end ? Parmi ces élèves, combien ai-je de jeunes pères de famille, combien de jeunes mères de famille pour qui c'est dur, très dur ? C'est pour ces différentes raisons que j'ai ouvert la discussion sur la rétribution des périodes de formation d'entreprise. Jusqu'à présent, la solution la plus simple, c'était l'alternance en apprentissage. L'apprentissage est une bonne chose. C'est une des voies de formation. Mais cela ne peut pas être la voie royale qui débarrasse la société, hypocritement, du problème du statut social du jeune en formation. C'est pourtant ainsi que cela a marché. C'est pour cela aussi que l'apprentissage a décollé. On se disait : " C'est le chômage de masse. Le patron le gardera plus facilement après une formation chez lui par apprentissage ". Nous sommes sortis de cette période. Nous devons nous poser la question de savoir, aujourd'hui, ce que nous pouvons proposer à nos élèves. D'où le débat sur l'autonomie financière des jeunes. Ma propre contribution arrive ici. C'est la rétribution des périodes de formation en entreprise. Le gouvernement montre l'exemple en débloquant plus de 250 millions de francs pour rembourser les frais entraînés par les périodes de formation en entreprise. C'est dans ce sens que j'ai engagé des discussions avec les représentants des branches patronales. Je ne dis pas le MEDEF. C'est une organisation idéologique qui m'a envoyé une lettre pour me dire qu'elle ne voulait pas discuter avec moi de payer quoique ce soit de plus ! Eh bien ! Qu'elle ne discute pas ! Mais quand on discute avec les responsables de certaines branches patronales eux savent ce qu'il faut faire. Et puis comme il n'y a pas dix chômeurs pour attendre à la porte pour une place, cela crée une ambiance du travail qui est bien meilleure. Il faut discuter. On discute et on discute sérieusement. J'ai donc proposé à 130 branches patronales et grandes entreprises d'ouvrir la discussion sur la rétribution et sur la mise au point d'un protocole relatif à la période de formation des jeunes qui se passe dans l'entreprise. Parce dans les entreprises on trouve le pire mais aussi le meilleur. Là aussi, généralisons les bonnes pratiques ! Certaines branches patronales, certains patrons prennent très à cur l'accueil et l'accompagnement des jeunes en période de formation. Ils les rétribuent ! Puisque tout le monde est de bonne volonté et que cela semble possible, pourquoi ne ferions-nous pas partout la même chose ? Plus de cinquante rencontres sont prévues. J'espère aboutir et je suis même sûr qu'on aboutira. Comme je l'ai annoncé, on réglementera. Les chartes c'est bien ; on en a déjà fait plusieurs dans le passé. Mais c'est insuffisant. Il faut créer une règle applicable par tous. Cette démarche est bien une contribution à la discussion sur la gratuité, parce qu'elle touche à la question du statut social du jeune en formation et que c'est le vrai problème qui nous est posé. Nous allons approfondir cette réflexion ensemble.
Je vais vous faire une proposition concernant un autre aspect de la régulation citoyenne : Quand l'école primaire a été créée, pour la généraliser et lui permettre d'atteindre les objectifs fixés, on ne s'est pas seulement appuyé sur l'institution. On s'est appuyé aussi sur le peuple citoyen. Il faut souvent partir de l'histoire, de ce qu'elle nous apprend, de l'intention, du sens et c'est cela qui peut souvent donner un éclairage pour la suite. Peut-on étendre cette idée à l'enseignement professionnel ? Nous avons les outils. On va le faire. Il le faut. Sur le terrain, j'observe que quand on ferme une classe dans le primaire, le bureau du maire est envahi. C'est une pratique que je ne recommande pas mais que je constate. Si on ferme une option au collège, le bureau du président du Conseil général est - c'est une image - envahi. En revanche, quand on ferme une section de bac de pro. Qui est envahi ? Personne ! Non, personne ! Comment dépasser ce silence ?
Qu'il s'agisse de l'observation du niveau d'échange des bonnes pratiques d'un établissement à l'autre ou qu'il s'agisse de la manière dont la carte des formations est établie, je pense qu'il peut y avoir une intervention légitime des parents. Ne pourrait-on imaginer des délégués parentaux par bassin de formation ? Voyez comme vous êtes ! J'ai à peine ouvert cette porte que vous êtes déjà en train de discuter des moyens...
Je propose donc à la FCPE, si elle en est d'accord, et comme je le proposerai à l'autre organisation de parents d'élèves, que nous ouvrions ce chantier ensemble. Je crois, à partir de ce que je sais de mes contacts avec les proviseurs, avec les enseignants, que ce serait une manière aussi d'élargir l'attention, la discussion, la préoccupation pour cette moitié de chaque classe d'âge qu'enseignent les lycées professionnels.
Le lycée des métiers
Enfin, un dernier thème. Ce dernier thème, auquel je tiens, est celui qui concerne ma volonté de mise en cohérence de la voie des métiers. Je suis certain que nous perdons des ressources extraordinaires en termes de synergie à distinguer sous des tutelles différentes, des outils complémentaires, telle que ceux de la formation continue et de la formation initiale, en matière d'enseignement professionnel. Je ne suis pas sûr que ce soit très efficace de voir côte à côte sous des tutelles différentes qui, sous l'autorité du ministère de l'Agriculture, qui, sous l'autorité du ministère des Transports, qui sous l'autorité de l'Enseignement professionnel N'est-ce pas une certaine forme de gâchis ? Mon propos ne cache aucune volonté de remise en cause des spécificités des uns ou des autres ! Et j'en veux pour preuve, la maquette du lycée des métiers que je propose et je mets en discussion avec les régions. Ce lycée des métiers existe déjà, ici ou là, sous une forme plus ou moins complète. Qu'y trouve-t-on ? La voie technologique, la voie professionnelle, le centre de formation des apprentis publics, le centre de validation des acquis professionnels, des classes préparant au BTS et parce qu'elle existe également : la licence professionnelle. Eh bien, l'une des premières maquettes proposées l'a été par la présidence de la Région Pays de Loire, président de l'AFR, en accord avec les élus de Poitiers et de la région. Il s'agit du " Lycée des Saveurs " destiné à regrouper lycée agricole, lycée professionnel, lycée technologique et apprentissage. Ainsi allons-nous avoir là des métiers directement liés à l'agriculture, d'autres liés à l'industrie, des métiers qui ont des bases de savoirs communs. Nous allons pouvoir non seulement développer le maximum d'effets de synergie, mais aussi démultiplier les circulations possibles entre différents métiers pour les jeunes. Mais nous allons aussi profiter de l'expérience de ce lycée pour pousser une technique propre aux Français, la meilleure du monde, celle de la cuisine sous vide, avec l'immense impact commercial et technique de ce procédé. Cet exemple particulier nous montre bien pourquoi la mise en cohérence des outils d'enseignement professionnels doit être recherchée avec ardeur. Peut-être doit-on trouver une autre expression ou un autre mot qui "mise en cohérence" ? homogénéisation ? Je ne sais comment dire Mais vous allez trouver... On ne peut pas dire unification, cela peut rappeler de mauvais souvenirs à certains... Donc, comme vous le voyez, il ne s'agit pas de provoquer une guerre idéologique mais d'organiser rationnellement un projet qui finalement doit faire converger des gens qui le reste du temps ne convergent pas. Il nous faut bâtir quelque chose de grand, de beau, d'honnête et d'efficace.
Je parle avec passion, Mesdames, Messieurs, parce que j'aime ce que je fais. Je pense que vous êtes, vous aussi, dans les mêmes dispositions. Je pense qu'il faut que les ministres acceptent le rôle qui leur est confié, celui de porter une parole politique, une parole qui ouvre les portes, provoque les débats, brise les routines. Je m'y efforce Surtout parce que je sais que je parle pour une certaine partie de la jeunesse du peuple français, qui n'a jamais la parole.
(source http://www.fcpe.asso.fr, le 7 août 2001)
Mesdames et messieurs,
C'est un plaisir pour moi de me trouver parmi vous. D'abord parce que j'y retrouve, est-ce un hasard, nombre de visages que j'ai déjà croisés ici, là et ailleurs. Ensuite parce que nous sommes unis par une entrée en matière suffisamment fracassante pour que j'en garde le souvenir. Un sous-titre est inutile, tout le monde comprend et je crois que c'est une bonne chose. Je ne pense pas manquer à la dignité de la fonction que j'exerce en assumant à la fois les devoirs de gestion qui font ma charge et le devoir d'éclairage et de visée prospective qui s'attachent à la mission d'un homme politique. Un ministre est un homme politique. Je suis un ministre de gauche. Je suis membre du Parti socialiste. Je suis membre d'un Gouvernement de gauche. Aussi, l'action technique, quotidienne à mes yeux, doit-elle illustrer les valeurs dont je me sens porteur et qui ne sont pas des valeurs consensuelles dans notre société. Les dialogues que, reprenant les propos du président MITTERRAND, j'ai parfois qualifiés de "fracassants" me paraissent contribuer plus utilement à la bonne compréhension des problèmes auxquels nous sommes confrontés que de n'en parler qu'en termes de structures et de moyens. L'obsession des structures et des moyens, langage de la technostructure - langage qui n'est pas neutre - fait souvent oublier, petit à petit, les finalités poursuivies.
Le nouveau dispositif de l'enseignement professionnel
Le Gouvernement de Lionel JOSPIN a mis en place un nouveau dispositif en matière d'enseignement professionnel. Pas aussi nouveau pourtant que vous avez l'air de le croire, Monsieur le président, puisque je ne suis pas en charge du dossier de la " formation " professionnelle. J'ai cru noter que, comme moi, vous le regrettiez. Votre demande sera transmise ! Cependant, et c'est une première, un ministère de l'enseignement professionnel touche l'ensemble du champ éducatif : du secondaire au supérieur. Sans en faire le détail, je rappelle qu'un milliard de dépenses nouvelles ont été injectées. Cet investissement est significatif et traduit une volonté politique. Nous ne nous sommes pas contentés d'enregistrer la baisse démographique ni de laisser les indicateurs d'encadrement s'améliorer tous seuls pour nous présenter ensuite devant les congrès de parents d'élèves en disant : " Vous voyez cela va mieux ! ". Nous avons fait l'inverse ! Nous y avons mis les grands moyens. Mais ces moyens ne sont rien s'ils n'ont pas pour objectif le perfectionnement pédagogique et l'avancée sur les points essentiels que vos fiches passionnantes, dois-je vous le dire, ciblent d'une manière très précise et très claire. Aussi je situe mon intervention, puisque j'ai appris que votre débat durerait toute l'année, plutôt dans le cadre d'une contribution à ce débat en apportant un éclairage sur la volonté politique du gouvernement en la matière.
Mais je faillirais à ma réputation et je ne répondrais pas à ce que vous attendez de moi si je ne vous disais, qu'à mes yeux, il faut d'abord mettre la philosophie politique au poste de commandes. Un homme de gauche, comme moi, ne peut pas faire autrement que de chercher toujours à déconstruire les évidences techniques qu'on lui oppose. Je suis obligé de dire que la négation de la valeur intellectuelle des métiers de notre époque et le mépris du travail participent en fin du compte d'un certain appareil de dressage idéologique qui finit dans le mépris des travailleurs eux-mêmes. Je ne suis donc pas étonné qu'on oublie si souvent que la moitié de chaque classe d'âge des jeunes Français, sous statut scolaire et sous statut d'apprentissage, relève de l'enseignement professionnel. Aussi, dans bien des discours sur l'enseignement professionnel considéré comme une voie de relégation et malgré les accents compassionnels qui parfois les accompagnent, je trouve souvent quelque chose qui ressemble à une certaine frilosité de caste. Parfois même j'y trouve un esprit de classe face à la classe sociale la plus nombreuse de ce pays, face à la valeur qu'elle représente pour la Patrie. A ceux qui s'interrogent sur le résultat de l'investissement éducatif dans le bilan de la Nation, je rappelle sans cesse, que nous Français, qui ne sommes que 60 millions, ce qui est bien peu parmi les multitudes humaines, nous sommes la quatrième puissance économique du monde. Nous exportons le quart de notre production, nous sommes le deuxième pays exportateur par tête. Ces résultats ne sont pas tombés du ciel. Il a bien fallu qu'il y ait des enseignants qui enseignent et des élèves qui apprennent. Puis des gens qui inventent et produisent à partir de ce qu'ils ont appris. Il a bien fallu que ce système éducatif ait assez de valeur pour nous permettre, dans la compétition générale des nations et des peuples, de nous hisser à ce niveau d'excellence. Ne l'oublions jamais quand on parle de l'école ! Pour autant, cette valeur, fruit de l'éducation et des efforts consentis par la Nation elle-même, ne nous émancipe d'aucun travail de perfectionnement de notre système. Alors, dans le concret des dossiers qu'ouvre votre débat, il y a des questions préalables et des points précis soulevés qu'il me faut aborder et éclaircir pour bien nous comprendre si nous voulons travailler utilement tout au long de l'année ensemble.
L'exigence de professionnalisation
La première question est de nature philosophique : Quelle place reconnaissons-nous à la professionnalisation ? Il faut s'accorder sur les mots. J'appartiens à une génération, je ne dois pas être le seul dans cette salle, qui a longtemps considéré que tout rapprochement de l'école et de l'entreprise était par nature suspect. Je me donne rétrospectivement raison pour ce qui concerne les années 70. Depuis, il s'est écoulé trente ans et les choses vont autrement. Il faut donc en finir avec quelques idées préconçues, notamment pour ce qui se rapporte à ce que sont les métiers de notre époque. La France dispose d'une économie avancée. Elle " marche en tête ". Elle est par exemple le pays qui produit les moteurs de l'ensemble des avions du monde, AIRBUS, BOEING, les moteurs SNECMA. C'est le pays qui a mis au point le grand logiciel de production assisté par ordinateur - qui n'est pas celui de Monsieur Bill GATES - tel qu'il n'est plus un bateau, plus un avion, plus un train et bientôt plus une automobile, depuis que TOYOTA aussi a adopté ce logiciel, qui ne soit produit avec ce logiciel français ! Je ne le dis pas par chauvinisme. Je le dis parce que c'est aussi le résultat de notre école, de la formation de nos informaticiens, de nos ingénieurs. Quand on est cette nation là, on peut comprendre que les métiers de notre époque sont bel et bien des sciences pratiques. Tous les métiers, y compris les métiers de l'artisanat. Et nous les Français si nous voulons demeurer dans cette dimension d'excellence, pas par pur esprit de compétition, mais parce qu'elle est la garantie de notre liberté, la garantie de notre capacité à faire rayonner les valeurs dont la République française est porteuse de par le monde, nous avons besoin de cette puissance. Nous devons assimiler jusqu'au bout ce que signifie la définition du métier comme science pratique. Et nous avons raison lorsque ces logiciels dont j'ai parlé tout à l'heure nous les diffusons gratuitement non seulement dans l'enseignement supérieur mais aussi dans l'enseignement secondaire, contrairement à ce qui se passe dans les universités américaines où l'usage de ces mêmes logiciels est enseigné dans des cours payants. Nous avons eu raison par exemple de faire rentrer le processus de la numérisation dans les enseignements des métiers de l'industrie de la chaussure (une chaussure c'est près de cent soixante pièces à assembler). Nous avons eu raison de faire utiliser ce logiciel dans le BTS concerné par cette industrie.
Parce que les métiers sont des sciences pratiques, il n'y a pas de divorce entre enseignement des métiers, professionnalisation et élargissement des champs intellectuels et culturels de l'individu. Il ne faut donc pas confondre le processus de professionnalisation avec une spécialisation étroite. C'est véritablement une distinction aux enjeux politiques et sociaux. Le système français de conception des diplômes professionnels et de ses référentiels repose sur une méthode absolument originale : les référentiels sont établis conjointement avec les entreprises. Nous sommes les seuls à disposer d'un système de Commissions Professionnelles Consultatives dans le secondaire et le supérieur. J'ai toujours dit aux entreprises et aux dirigeants des branches patronales, que la porte était ouverte en permanence pour perfectionner, améliorer, pallier les manques de toute nature, à la condition d'arrêter de jouer la ritournelle partout sur la prétendue distance entre l'école et l'entreprise. La distance réelle entre l'école et l'entreprise est égale à zéro. Je leur répète que s'ils sont mécontents du contenu des référentiels, ils doivent s'en prendre à leurs représentants ! Les branches patronales sont représentées dans les CPC. Qu'on ne vienne pas me dire que l'Education nationale est trop lente à réagir. Il faut trois ans pour produire une nouvelle automobile. Il nous faut un an pour mettre en place une formation complémentaire d'initiative locale. La lenteur n'est pas de mon côté ! Mais, bien sûr, exiger la réactivité suppose que l'on sache ce que l'on veut, un an à l'avance !
Connaissances, qualifications, compétences
Je le répète : les métiers sont des sciences pratiques. S'agissant de techniques, le rapprochement avec l'entreprise est excellent. Certes, on pourrait par exemple me reprocher de faire des lycées des métiers " SNECMA " ! Mais ce reproche serait à peu près aussi absurde que de me reprocher de faire une UFR de physique Einstein. Eh bien oui, car il me suffit de constater que le moteur produit par la SNECMA est le meilleur moteur du monde ! C'est donc l'excellence ! Et ce que nous voulons pour nos diplômes, c'est l'excellence technique fondée sur le système des référentiels et le monopole de l'État en ce domaine. J'assume pleinement mon désaccord avec certains sur ce point. Ce monopole nous l'avons acquis au prix de la lutte sociale. Il est une garantie de qualité et de liberté dans la mesure où le diplôme peut se négocier dans une convention collective c'est-à-dire s'inscrire dans un rapport de force social. C'est une question clef. Aujourd'hui, nous avons d'un côté ce système national qui a fait ses preuves et de l'autre une soit disant alternative. Quelle alternative ? D'abord, au lieu de trouver la Nation transmettant à chaque jeune l'héritage gratuit des savoirs à travers l'école, on propose un système payant. Avez-vous remarqué que l'offre marchande d'éducation se concentre sur les diplômes professionnels ? Bien sûr. Parce que le diplôme professionnel a une valeur marchande. Le travail est humain mais c'est aussi une valeur marchande. De plus, ce système réputé alternatif repose sur une homologation de "compétences" étroites à laquelle je m'oppose. J'ai dit à l'éminent représentant de l'UIMM avec qui j'ai eu cette discussion que la certification des compétences telle qu'il me la décrivait ne pourrait fonctionner que dans une économie en stagnation technique. Raisonnablement, il a bien voulu admettre qu'il y a problème dès lors que la machine change tous les trois ou quatre ans. Sa réponse (je ne l'invente pas) : " Eh bien nous millésimerons les certificats de compétence ! " peut rencontrer un accueil favorable chez les Anglais avec le résultat que vous savez, en regardant rouler leurs trains !
Nos sujets de discussion se situent donc bien à l'intersection du monde de l'éducation et du monde du travail. Ce sont des questions politiques. Elles engagent l'avenir du pays. J'ai cru comprendre que cet aspect du problème était soulevé dans la négociation sur la formation continue. C'est bien que cette discussion existe ! Il faut que le pays s'en saisisse et que chacun comprenne de quoi il est question.
Deux systèmes, disais-je, et je suis chargé de faire vivre celui que la Nation s'est donnée au terme d'une longue histoire. C'est mon rôle de le défendre. C'est mon rôle de l'enrichir. Dès lors, un premier débat s'impose : " Quelle est réellement la place de la professionnalisation dans le processus éducatif d'une génération ? ". La professionnalisation n'est pas une restriction des champs mentaux, intellectuels, culturels des personnes. C'est l'inverse. En le disant je me réclame de la continuité de la " Philosophie des Lumières ". Je renvoie chacun à DIDEROT et à l'ouverture des pages de l'Encyclopédie où, déjà, il discutait de la place relative des arts libéraux et des arts mécaniques selon les expressions de l'époque. L'esprit des lumières, c'est bien de tirer du réel les lois universelles qui ensuite permettent de se doter de la capacité de maîtrise ce réel. C'est cela l'esprit des lumières. ! Oui, c'est le contraire de la litanie psalmodiée de façon permanente, selon laquelle certaines cultures sont considérées comme étant le signe d'appartenance à une élite. La seule élite qui vaille, c'est celle qui est capable de maîtriser son environnement, de proposer des évolutions profitables à l'Humanité, à son propre pays, lorsqu'une difficulté ou un besoin concret sont posés ! Je ne confonds pas, comme me l'a soufflé tout à l'heure le recteur MONTEIL, l'excellence et la rareté. 400.000 titulaires d'un CAP, c'est l'excellence et ce n'est pas un inconvénient que cela ne soit pas rare pour un grand peuple que de compter beaucoup de gens qui soient excellents à leur niveau de qualification. Un mot donc pour terminer cette première question. Je n'accepte pas, ni comme ministre, ni comme homme de gauche que l'on distingue les connaissances des compétences. Je le dis très tranquillement mais très fermement ! Je n'accepte donc pas la répartition des rôles que certains m'ont proposée : L'école certifie les connaissances et l'entreprise certifie les compétences. " Pas question ! La connaissance est une compétence et je ne permettrai pas que sous couleur de certification particulière des compétences on institue un permis de travailler. Oui. Il faut parler franchement, sinon ce n'est pas la peine de faire un congrès et d'inviter un ministre.
Quel horizon de formation ?
Deuxième question : quel est l'horizon que nous proposons à notre jeunesse ? Je sens qu'une ambiguïté se glisse peut-être dans les débats. Depuis la Loi JOSPIN, la gauche gouvernementale dit que l'objectif est de 80 % d'une classe d'âge au baccalauréat et une qualification pour tous. On dit bien une qualification, pas une compétence, une qualification reconnue, donc un diplôme. Cela reste l'objectif pour lequel je me sens mandaté. Vous demanderez peut-être : " mais pourquoi parle-t-il de ça ? ". Le rappel m'est suggéré par le contexte. Le débat sur la formation tout au long de la vie a commencé en Europe. C'est une très bonne chose. D'une part, le sommet de Lisbonne décrit les connaissances comme la ressource stratégique fondamentale du modèle du vieux continent. Cela nous convient pleinement à nous les Français. C'est une bonne idée que nous devons accompagner et dynamiser. D'autre part, il nous est proposé de faire converger nos systèmes éducatifs, qui vous le savez ne relèvent pas du domaine communautaire. Cela nous convient également fort bien à nous les Français. Nous sommes forts d'une réussite certaine. Il faut être très clair : le système éducatif français est certainement le seul système éducatif global (on doit le perfectionner mais ce n'est pas le sujet) qui existe en Europe. À la condition de ne pas écraser les compartiments qui le constituent. Je l'ai dit lors de la rencontre européenne de Biarritz qu'avait organisée ma collègue Nicole PERI. Au cours de cette magnifique réunion, j'ai dit, m'adressant à quelques-uns des auditeurs qui se trouvaient dans la salle : " Ce n'est pas au nom de la formation tout au long de la vie que l'on va pouvoir se dire : faisons des économies sur la formation initiale, puisqu'il y a la formation continue. Sinon tout aussitôt les mêmes diront : faisons des économies sur la formation continue puisqu'il y a la validation des acquis de l'expérience ". On m'a reproché de faire des procès d'intention. Je suis obligé de dire que j'ai retrouvé ce raisonnement dans un éditorial de l'UIMM à peine quinze jours après. Puis les faits suivent. Dans tel département de l'Est de la France, 1 500 élèves ont quitté leur formation avant d'aller au terme de la préparation de leurs diplômes. La réponse de certaines branches, je dis bien certaines branches patronales - malgré la protestation de mon recteur, malgré la protestation de la CFDT, malgré ma propre protestation - a été la suivante : " De quoi vous mêlez-vous ? La scolarité obligatoire s'arrête à 16 ans ! Les jeunes font ce qu'ils veulent ! Et pourquoi osez-vous dire que c'est du temps perdu, puisque - de toute façon - il y a la validation des acquis de l'expérience ". Vous le voyez, de bonnes et louables intentions peuvent être investies de l'intérieur pour être transformées en tout autre chose. On ne doit pas écraser les étages du système éducatif global de ce pays ? Aussi, je le redis : j'espère que personne ne propose sérieusement de considérer que parce qu'il y a une formation tout au long de la vie, la Nation devrait se donner pour premier objectif de faire une formation fondamentale qui, par exemple, s'arrêterait au niveau du brevet, après quoi, chacun irait son bonhomme de chemin et complèterait sa formation par des droits de tirage. Je crains fort, Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, que cet aspect du problème n'ait pas toujours été très bien maîtrisé lors d'un débat récent par ceux qui auraient dû légitimement se trouver ensemble pour prendre certaines précautions. Alors, l'horizon du BAC ainsi que la séquence de formation doivent être pris pour ce qu'ils sont : à 16 ans, fin de la scolarité obligatoire, on est en fin de 2nde, pas en 3ème. Je le dis avec énergie, me rappelant quelques discussions : le tronc commun de la formation que nous donnons à nos jeunes doit être pensé aussi en fonction de l'horizon du baccalauréat. Et dès lors, cela nous libère l'espace pour travailler à la construction de l'ensemble de ce parcours. La place du collège se pense par rapport à l'ensemble de ce parcours !
(source http://www.fcpe.asso.fr, le 7 août 2001)
La fluidité des parcours
Autre question : Comment articuler le secondaire et le supérieur si l'horizon est le baccalauréat pour tous et qu'il demeure le premier grade universitaire ? Cette posture nous contraint à mettre en place tout ce qui doit l'être pour garantir la fluidité des parcours. Fluidité des parcours que les parents vont ressentir comme une garantie. Le jeune, s'il en a le talent, s'il en a le mérite, s'il en a le goût doit être certain d'avoir la possibilité offerte d'aller aussi loin qu'il le peut.
Je crois que chacun, légitimement, se dit qu'il faut que son enfant puisse aller le plus loin possible et je crains que l'on n'ait pas totalement intégré le fait que la filière professionnelle que l'on baptisait - je l'entends encore - de filière " courte " soit calée sur le bac pro. Avant la création du bac pro, bien sûr, il n'y avait que l'horizon du CAP. On pouvait donc parler de filière courte. Mais aujourd'hui, faire un bac pro c'est s'engager dans une filière longue, parce que cela prend tout de même un an de plus que la filière d'enseignement général.
L'objectif de fluidité maximum nécessite qu'on s'interroge aussi sur l'homogénéité de la voie des métiers. On doit pouvoir en effet passer d'une formation à une autre et c'est possible dans le système français. Les IUT sont la démonstration qu'avec 25 départements seulement on peut préparer des milliers de postes de travail différents, des centaines de métiers différents. Je le redis, les métiers de notre époque sont des sciences pratiques ; les savoirs requis donc souvent sont des savoirs extrêmement transversaux à de très nombreux métiers. Cela peut d'ailleurs nous interpeller sur un certain retard des structures socio-éducatives par rapport au niveau de développement des forces productives de notre pays. Quelqu'un peut-il m'expliquer quelle différence existe entre le tertiaire enseigné dans les lycées agricoles et le tertiaire enseigné dans les sections de l'Éducation Nationale ? Peut-être 10 % voire 20 % ? Il n'y en a pas ! Je pourrais prendre comme exemples plusieurs formations. Ces observations méritent qu'on y réfléchisse parce que ce sont elles qui fondent mon projet de lycée des métiers. Rien ne s'oppose à la circulation entre différentes formations professionnalisantes. Si on comprend bien cela et à condition d'accepter l'idée que la professionnalisation est une exigence de haut niveau de savoirs fondamentaux et de haut niveau de savoirs techniques, tout se tient.
La fluidité doit être inscrite à l'intérieur de l'enseignement secondaire parce qu'elle est possible. J'ai dit que je souhaitais, voire que j'exigeais - certaines fois il m'arrive de dire : j'ordonne - que l'école ne s'appartienne pas. Elle appartient à la Nation. Il ne doit plus y avoir de BEP sans un bac pro correspondant, c'est-à-dire que l'on ne doit plus trouver de section de BEP sans qu'ensuite on puisse continuer en bac pro. Ça, c'est affaire d'organisation et de création. Il m'est arrivé d'entendre : " Monsieur le ministre, tout est en place : nous sommes dans un bassin de formation ". Fort bien, je ne suis pas un dilapidateur de fonds publics et je suis partisan d'une certaine rationalisation de nos organisations bien sûr ! Mais examinons de plus près certains bassins de formation et essayons de répondre à certaines questions simples.
Par exemple, comment fait-on pour aller des Andelys à Vernon quand on a fait son BEP aux Andelys et que la section de bac pro, elle, se trouve à Vernon ? Peut-on prendre un train ? Non ! Peut-on prendre un bus ? Non ! Que reste-t-il ? La voiture des parents ? La mobylette ? Ce n'est pas sérieux ! Je peux également prendre l'exemple de l'Isère où toutes les formations d'enseignement professionnel sont concentrées en un seul secteur du département. C'est injuste. Et quand on y regarde de plus près encore on s'aperçoit que cette injustice cumule, par un effet boule de neige, toutes les tares de notre société. Qui se déplace d'un bout à l'autre du département, quand il finit par se déplacer ? Le garçon ! Pas la fille !
La fluidité est donc au total à la fois une exigence démocratique sociale et une exigence intellectuelle. Voyons à présent le passage du secondaire au supérieur. On ne peut avancer sur ce sujet qu'au consensus : la discussion est ouverte avec l'enseignement supérieur pour que nous réussissions la jonction des baccalauréats professionnels et de l'enseignement supérieur. En effet, aujourd'hui, seulement 17 % des jeunes de bac pro passent en STS (Section de Technicien Supérieur). Cela représente 7 000 jeunes. Mais il ne suffit pas seulement de passer dans l'enseignement supérieur. On peut faire du chiffre si on veut ! Mais, il s'agit de jeunes qui ont la tête sur les épaules et qu'on n'embarque pas comme ça dans n'importe quelle aventure Les jeunes savent qu'il faut qu'ils réussissent. Il faut donc aménager et réfléchir à la façon de mixer les publics. C'est une technique très délicate à mettre au point. Mais on sait le faire et on va le faire. Le même effort doit être réalisé avec les DUT en s'inspirant de la démarche expérimentée pour les licences professionnelles qui, aujourd'hui, ne correspondent plus tout à fait à ce qui avait été prévu hier. À l'intérieur de la séquence licence professionnelle, on mixe des publics : public de formation continue et public de formation initiale. C'est possible et c'est une bonne leçon car une des questions essentielles qui se pose à nous, y compris dans le secondaire, c'est d'assurer la maîtrise technique, pédagogique de ce mixage. J'ai vu fonctionner ce mixage dans plus d'un lycée professionnel. Je connais l'inquiétude : "On va submerger la classe !". Mais pour nos jeunes de 17 ou 18 ans, l'arrivée de deux ou trois adultes de 35 ou 40 ans qui viennent apprendre dans la même école ce qu'ils sont en train d'apprendre eux-mêmes constitue un formidable encouragement. C'est un excellent processus d'identification à l'adulte, un processus positif pour le jeune. Et pour l'adulte aussi. C'est un plaisir pour l'adulte de mettre en partage avec les jeunes ce qu'il a appris, ce qu'il sait faire, ce qu'il est. N'oublions pas qu'avant l'emprunt du modèle de l'école des frères chrétiens comme modèle universel d'enseignement dans la salle de classe, d'autres avaient imaginé un système d'enseignement dans lequel l'entraide mutuelle jouait un rôle essentiel. Vous voyez, parfois il est aussi utile d'interroger l'histoire La licence professionnelle nous apprend aussi à mettre au point des parcours pédagogiques différenciés, suivant les publics qui y participent. Parce que, à l'évidence, un jeune avec un DEUG en poche n'a pas autant de chances de réussite qu'un jeune qui possède un DUT, pour passer la licence professionnelle Eh bien, inspirons-nous de cette situation à d'autres niveaux ! Dès lors, peut-être aborderons-nous d'une manière un peu plus décontractée la question relative à la diversité des offres de formation pédagogique. Le modèle contre lequel je proteste, c'est l'uniformité. Pas seulement celle des bâtiments... J'ai l'impression que l'on se concentre trop sur l'élargissement de l'offre des formations dans le secondaire et au collège. Sur ce point, je note que le problème n'est plus posé de savoir si un jeune doit et peut choisir... Pour moi, au-delà de la diversité de l'offre de formations existe la diversité de l'offre des méthodes pédagogiques. Cette diversité est essentielle. Le modèle hégémonique actuel a sa valeur. J'en suis un enfant, comme vous Monsieur DUPON-LAHITTE. Ce modèle est le modèle hypothético-déductif, un bien grand mot, mais tout le monde comprend ici ce que cela veut dire. Si on n'entre pas dans ce moule hégémonique, on est réputé mort pour son avenir scolaire. Je vous fais grâce à cet instant de la déconstruction idéologique nécessaire pour expliquer ce qu'est ce modèle. Avant même d'avoir commencé, le jeune est trié ! Et puis, il y a l'autre méthode pédagogique, dite inductive et fondée sur le parcours concret. C'est celle qu'on applique dans les établissements d'enseignement professionnel. Des bouches se tordent alors Dans le concert d'acclamations et de félicitations qui m'a entouré pour avoir décidé que dorénavant le diplôme d'un des meilleurs ouvriers de France était équivalent à un bac plus deux, c'est-à-dire d'un diplôme universitaire de technologie ou d'un brevet de technicien supérieur, certains ont du mal à accepter l'idée qu'un meilleur ouvrier de France glacier est l'équivalent d'un technicien supérieur. Pourtant, du point de vue de nos papilles : il l'est ! Le modèle pédagogique inductif a des vertus aussi nobles que le modèle déductif. Pardon si je vous donne le sentiment de redire des choses que vous-même avez dites. Mais enfin : ce sont les mêmes lois universelles qui sont enseignées ! Les mêmes ! Il n'y a pas des mathématiques pour les travailleurs et des mathématiques pour les intellectuels. Ce sont les mêmes ! La chimie. C'est la même ! L'anglais, c'est le même ! L'allemand, c'est le même ! Mais le modèle pédagogique déductif ouvre un autre chemin pour l'esprit à éduquer. C'est un chemin dans lequel l'enseignement professionnel est engagé à fond. A preuve, nos PPCP. Cette année est l'année où nous avons mis en place les projets pluri-disciplinaires à caractère professionnel qui ont soulevé toutes sortes de polémiques. Vous êtes des partisans de cette innovation pédagogique ! Les PPCP sont des merveilles pédagogiques. Bien sûr il y a des erreurs ici ou là. Certains traînent les pieds, d'autres sont plus enthousiastes. Mais ça, c'est la vie ! L'Éducation nationale n'est pas une armée et on ne demande pas à nos professionnels d'avoir pour vertu principale de marcher au pas. Finalement, tout le monde y est allé et a fait. On s'aperçoit, contrairement à ce que racontent des ignorants, que la pluridisciplinarité est une modalité pédagogique très complexe. Ce n'est pas un potage occupationnel qu'on déverse ensuite sur la tête de l'élève. Il faut à la fois le disciplinaire mais aussi la convergence des disciplines. Eh bien on y arrive ! Je peux, au lieu d'évoquer les moyens déployés pour la mise en uvre des PPCP, vous parler tout aussi bien des classes à projets artistiques et culturels dont nous avons convenu, avec Jack LANG, que la moitié d'entre elles seraient ouvertes en enseignement professionnel. Il n'y a aucune opposition entre l'entrée dans la démarche culturelle et la qualification professionnelle. Quand des enseignants organisent un PPCP aboutissant à la création de statues métalliques géantes, non seulement ils font reculer du tout au tout l'absentéisme, non seulement ils améliorent les résultats scolaires, mais concrètement, à travers une pratique culturelle qui éveille l'esprit, les élèves apprennent le traçage, la physique, la chimie, la soudure. Il n'existe pas, en enseignement professionnel, une différence de nature entre la pratique culturelle et la qualification professionnelle !
Puisque je suis sur ce sujet, je veux interpeller ceux qui regardent de haut les jeunes de l'enseignement professionnel. Ceux qui tiennent des discours de relégation : " Si tu n'es pas sage en classe, tu iras en lycée professionnel ! ". Des discours si souvent et stupidement répétés qu'on a fini par se demander quel était le public relevant des lycées professionnels ! À peine parfois utilise-t-on quelques mots d'humanité pour se souvenir tout de même que ce sont nos jeunes, que nous les aimons, qu'ils ont 17-18 ans, et qu'ils aiment aussi. J'en profite pour rappeler que la moitié des poèmes qui viennent de la jeunesse à l'occasion du Printemps des poètes sont écrits par des jeunes des lycées professionnels !
Restez à l'école ! Revenez à l'école !
Je veux dire à nos jeunes, comme quelqu'un l'a dit tout à l'heure et comme le président le redira à son tour : " Restez à l'école ! Ne partez pas avant l'obtention du diplôme ! Bien sûr, vous avez les compétences ! La preuve on vous embauche ! Mais vous n'avez pas la reconnaissance de votre qualification et ça : c'est votre liberté ! ".
Si on est capable de mixer, techniquement, d'une manière assurée et maîtrisée des publics, alors j'ai envie de dire aussi à de nombreux autres jeunes : " Revenez à l'école ! Revenez à l'école avec la formation continue ! " Et nous, nous tous citoyens qui avons des responsabilités, cessons d'intérioriser l'idée d'après laquelle l'école serait un lieu détestable. Je sais bien qu'il y a les humiliés de l'école et vous avez eu raison Monsieur le président de rappeler que dans les sources de la violence il y a aussi notre propre échec. Ne m'en voulez pas si je reviens là-dessus, Monsieur le Président. Je sais que quand on a quinze ans et plus et qu'on est en classe de 4ème, sous la pédagogie hypothético-déductive, chaque jour qui passe est une crucifixion. Nous sommes coupables et responsables de cette situation. Moi qui suis un élu du quartier populaire, je sais comment ces choses là se déroulent. Tant et si bien qu'à certains moments on peut même dire que l'absentéisme correspond quasiment à une mesure de survie personnelle. Cette situation est absurde et il faut en finir avec elle. Pourtant je dis : "Revenez à l'école" parce qu'il ne faut pas toujours penser aux dispositifs de réparation mais d'abord porter et utiliser à son niveau extrême d'excellence l'existant. Nous savons le faire notamment en formation initiale et dans notre capacité à accueillir dans des cadres prévus pour ce faire. Notre pays paie plus de 430 milliards par an pour cela. Aussi a-t-il le droit d'exiger que cela marche toujours mieux. Et c'est à nous de le faire. Mais le pays a surtout le droit d'exiger que ces moyens soient utilisés à pleine capacité.
De la régulation citoyenne à l'école
Les derniers éléments que je souhaite aborder, parce qu'il faut vraiment conclure, tiennent au rôle de la régulation citoyenne à l'école, dans le respect du principe de la laïcité. La première des régulations citoyennes, c'est de ne pas accepter que la discrimination sociale fasse le tri. Je ne vais pas dire à cette tribune que je garantis la gratuité absolue et totale. Je vais dire où nous en sommes à partir de deux questions qui se combinent. Pour commencer, je vous rappelle qu'à la rentrée le Gouvernement a décidé de doubler la prime d'équipement des lycéens professionnels, ce qui n'est pas rien. Elle passe de 1 100 à 2 200 francs. Je sais bien que cela ne suffit pas ! C'est pour cela qu'il faut que l'on réfléchisse globalement, comme le propose une de vos fiches. On ne fera pas tout d'un coup, et il nous faut définir des priorités. Vous devinez ce que peut en penser le ministre de l'enseignement professionnel. Il se sentirait plus fort s'il était accompagné.
Un statut social pour les jeunes
Autre élément, la question débattue tout à l'heure du statut social du jeune en formation. Un pays qui a compris l'intérêt d'élever le niveau de qualification de son peuple doit comprendre aussi que cela coûte. Combien ai-je d'élèves de l'enseignement professionnel qui, parfois par section entière, travaillent le soir, travaillent le week-end ? Parmi ces élèves, combien ai-je de jeunes pères de famille, combien de jeunes mères de famille pour qui c'est dur, très dur ? C'est pour ces différentes raisons que j'ai ouvert la discussion sur la rétribution des périodes de formation d'entreprise. Jusqu'à présent, la solution la plus simple, c'était l'alternance en apprentissage. L'apprentissage est une bonne chose. C'est une des voies de formation. Mais cela ne peut pas être la voie royale qui débarrasse la société, hypocritement, du problème du statut social du jeune en formation. C'est pourtant ainsi que cela a marché. C'est pour cela aussi que l'apprentissage a décollé. On se disait : " C'est le chômage de masse. Le patron le gardera plus facilement après une formation chez lui par apprentissage ". Nous sommes sortis de cette période. Nous devons nous poser la question de savoir, aujourd'hui, ce que nous pouvons proposer à nos élèves. D'où le débat sur l'autonomie financière des jeunes. Ma propre contribution arrive ici. C'est la rétribution des périodes de formation en entreprise. Le gouvernement montre l'exemple en débloquant plus de 250 millions de francs pour rembourser les frais entraînés par les périodes de formation en entreprise. C'est dans ce sens que j'ai engagé des discussions avec les représentants des branches patronales. Je ne dis pas le MEDEF. C'est une organisation idéologique qui m'a envoyé une lettre pour me dire qu'elle ne voulait pas discuter avec moi de payer quoique ce soit de plus ! Eh bien ! Qu'elle ne discute pas ! Mais quand on discute avec les responsables de certaines branches patronales eux savent ce qu'il faut faire. Et puis comme il n'y a pas dix chômeurs pour attendre à la porte pour une place, cela crée une ambiance du travail qui est bien meilleure. Il faut discuter. On discute et on discute sérieusement. J'ai donc proposé à 130 branches patronales et grandes entreprises d'ouvrir la discussion sur la rétribution et sur la mise au point d'un protocole relatif à la période de formation des jeunes qui se passe dans l'entreprise. Parce dans les entreprises on trouve le pire mais aussi le meilleur. Là aussi, généralisons les bonnes pratiques ! Certaines branches patronales, certains patrons prennent très à cur l'accueil et l'accompagnement des jeunes en période de formation. Ils les rétribuent ! Puisque tout le monde est de bonne volonté et que cela semble possible, pourquoi ne ferions-nous pas partout la même chose ? Plus de cinquante rencontres sont prévues. J'espère aboutir et je suis même sûr qu'on aboutira. Comme je l'ai annoncé, on réglementera. Les chartes c'est bien ; on en a déjà fait plusieurs dans le passé. Mais c'est insuffisant. Il faut créer une règle applicable par tous. Cette démarche est bien une contribution à la discussion sur la gratuité, parce qu'elle touche à la question du statut social du jeune en formation et que c'est le vrai problème qui nous est posé. Nous allons approfondir cette réflexion ensemble.
Je vais vous faire une proposition concernant un autre aspect de la régulation citoyenne : Quand l'école primaire a été créée, pour la généraliser et lui permettre d'atteindre les objectifs fixés, on ne s'est pas seulement appuyé sur l'institution. On s'est appuyé aussi sur le peuple citoyen. Il faut souvent partir de l'histoire, de ce qu'elle nous apprend, de l'intention, du sens et c'est cela qui peut souvent donner un éclairage pour la suite. Peut-on étendre cette idée à l'enseignement professionnel ? Nous avons les outils. On va le faire. Il le faut. Sur le terrain, j'observe que quand on ferme une classe dans le primaire, le bureau du maire est envahi. C'est une pratique que je ne recommande pas mais que je constate. Si on ferme une option au collège, le bureau du président du Conseil général est - c'est une image - envahi. En revanche, quand on ferme une section de bac de pro. Qui est envahi ? Personne ! Non, personne ! Comment dépasser ce silence ?
Qu'il s'agisse de l'observation du niveau d'échange des bonnes pratiques d'un établissement à l'autre ou qu'il s'agisse de la manière dont la carte des formations est établie, je pense qu'il peut y avoir une intervention légitime des parents. Ne pourrait-on imaginer des délégués parentaux par bassin de formation ? Voyez comme vous êtes ! J'ai à peine ouvert cette porte que vous êtes déjà en train de discuter des moyens...
Je propose donc à la FCPE, si elle en est d'accord, et comme je le proposerai à l'autre organisation de parents d'élèves, que nous ouvrions ce chantier ensemble. Je crois, à partir de ce que je sais de mes contacts avec les proviseurs, avec les enseignants, que ce serait une manière aussi d'élargir l'attention, la discussion, la préoccupation pour cette moitié de chaque classe d'âge qu'enseignent les lycées professionnels.
Le lycée des métiers
Enfin, un dernier thème. Ce dernier thème, auquel je tiens, est celui qui concerne ma volonté de mise en cohérence de la voie des métiers. Je suis certain que nous perdons des ressources extraordinaires en termes de synergie à distinguer sous des tutelles différentes, des outils complémentaires, telle que ceux de la formation continue et de la formation initiale, en matière d'enseignement professionnel. Je ne suis pas sûr que ce soit très efficace de voir côte à côte sous des tutelles différentes qui, sous l'autorité du ministère de l'Agriculture, qui, sous l'autorité du ministère des Transports, qui sous l'autorité de l'Enseignement professionnel N'est-ce pas une certaine forme de gâchis ? Mon propos ne cache aucune volonté de remise en cause des spécificités des uns ou des autres ! Et j'en veux pour preuve, la maquette du lycée des métiers que je propose et je mets en discussion avec les régions. Ce lycée des métiers existe déjà, ici ou là, sous une forme plus ou moins complète. Qu'y trouve-t-on ? La voie technologique, la voie professionnelle, le centre de formation des apprentis publics, le centre de validation des acquis professionnels, des classes préparant au BTS et parce qu'elle existe également : la licence professionnelle. Eh bien, l'une des premières maquettes proposées l'a été par la présidence de la Région Pays de Loire, président de l'AFR, en accord avec les élus de Poitiers et de la région. Il s'agit du " Lycée des Saveurs " destiné à regrouper lycée agricole, lycée professionnel, lycée technologique et apprentissage. Ainsi allons-nous avoir là des métiers directement liés à l'agriculture, d'autres liés à l'industrie, des métiers qui ont des bases de savoirs communs. Nous allons pouvoir non seulement développer le maximum d'effets de synergie, mais aussi démultiplier les circulations possibles entre différents métiers pour les jeunes. Mais nous allons aussi profiter de l'expérience de ce lycée pour pousser une technique propre aux Français, la meilleure du monde, celle de la cuisine sous vide, avec l'immense impact commercial et technique de ce procédé. Cet exemple particulier nous montre bien pourquoi la mise en cohérence des outils d'enseignement professionnels doit être recherchée avec ardeur. Peut-être doit-on trouver une autre expression ou un autre mot qui "mise en cohérence" ? homogénéisation ? Je ne sais comment dire Mais vous allez trouver... On ne peut pas dire unification, cela peut rappeler de mauvais souvenirs à certains... Donc, comme vous le voyez, il ne s'agit pas de provoquer une guerre idéologique mais d'organiser rationnellement un projet qui finalement doit faire converger des gens qui le reste du temps ne convergent pas. Il nous faut bâtir quelque chose de grand, de beau, d'honnête et d'efficace.
Je parle avec passion, Mesdames, Messieurs, parce que j'aime ce que je fais. Je pense que vous êtes, vous aussi, dans les mêmes dispositions. Je pense qu'il faut que les ministres acceptent le rôle qui leur est confié, celui de porter une parole politique, une parole qui ouvre les portes, provoque les débats, brise les routines. Je m'y efforce Surtout parce que je sais que je parle pour une certaine partie de la jeunesse du peuple français, qui n'a jamais la parole.
(source http://www.fcpe.asso.fr, le 7 août 2001)