Texte intégral
R. Elkrief Vous êtes député et conseiller politique du RPR. Hier soir, les sept groupes parlementaires de l'opposition se sont émus du livre d'O. Schrameck, que le directeur de cabinet de L. Jospin publie demain, "Matignon rive-gauche." Ils ont demandé sa démission. Est-ce que vous voulez faire une crise de la cohabitation ?
- "Non, au contraire même. Ce livre est consternant d'irresponsabilité. Parce qu'on a envie de dire à monsieur Schrameck : "Pas maintenant, et pas vous" ! D'abord, parce que nous sommes à un moment de l'histoire où la France est affrontée à un grave danger, celui du terrorisme, et où on a besoin d'un Etat efficace pour protéger les Français. On peut avoir un attentat tous les jours. Et pour cela, il faut que l'exécutif fonctionne bien. Et monsieur Schrameck, par ses fonctions, est lui-même chargé de faire fonctionner la cohabitation. C'est vrai que la cohabitation est difficile. Mais précisément, il y a des rouages, des acteurs, lui à l'Hôtel Matignon, le secrétaire général à l'Elysée, D. de Villepin, qui sont chargés de bien faire fonctionner les rouages, avec, naturellement, un Premier ministre et un président de la République qui ne pensent pas à la même chose, qui sont des deux bords de l'échiquier politique. Donc, précisément en ce moment, on a besoin de tout le talent pour que l'unité de l'exécutif fonctionne bien au profit de la sécurité des Français. Et c'était le rôle primordial de monsieur Schrameck. Que fait-il ? Il rend la cohabitation plus difficile, au moment, précisément, où on a le plus besoin d'elle. Dans l'opposition, nous avons été plutôt responsables devant cette crise. La semaine dernière, on nous accusait presque d'avoir soutenu le Gouvernement. Parce que nous sommes conscients des enjeux..."
Vous avez applaudi L. Jospin dans l'explication sur la crise internationale...
- "Oui, parce que ce n'est pas le moment de se livrer à des querelles politiciennes. C'est donc très malvenu."
Tout de même, il y a eu le communiqué d'hier : "pamphlet", "haineux", "personnel.".. Avez-vous lu le livre ?
- "J'ai lu le livre, oui."
Vous avez trouvé que c'était un "pamphlet haineux" ?
- "C'est un livre qui, paraît-il, a été écrit en 12 jours. Et qui, entre nous, se lit en 12 minutes. Parce qu'en dehors d'un extraordinairement contentement de soi-même - c'est d'abord ce qu'il y a de dominant dans le livre -, et le mépris souverain de l'adversaire, il y a, ça et là, distillé, beaucoup de mépris, en particulier pour le président de la République. On ne peut que le ressentir."
Quand on lit : "[Il] manie la critique, le contre-pied", quand O. Schrameck parle de J. Chirac, en s'attachant à ce qu'il entend dénoncer "comme des lacunes graves de la situation de Matignon"...
- "Je n'ai pas l'intention d'en faire l'exégèse. Je crois d'ailleurs que ça ne le mérite pas, entre nous."
Mais il n'y a pas de mots particulièrement personnels.
- "Il ne dissimule pas une profonde hostilité au président de la République. C'est d'ailleurs permis dans le combat politique. Sauf que lui est un haut fonctionnaire astreint au devoir de réserve et qu'il a pour devoir de faire fonctionner les institutions dans une période qui est difficile. Et demain, en raison de ce livre, les choses vont être plus difficiles à l'intérieur de l'exécutif, alors que lui aurait dû les rendre plus faciles. En quelque sorte, c'est une sorte de "trahison" des devoirs de sa charge."
Autour d'O. Schrameck et de Matignon, on dit aussi que le Président ne s'est pas privé, y compris dans cette situation internationale tendue, de faire campagne d'une certaine manière - à Perpignan, la semaine dernière, il y avait une sorte de comité de soutien dans les rues qui applaudissait Chirac Président ; le 14 Juillet dernier. Alors, évidemment il n'y avait pas de tension internationale. Mais il a été extrêmement virulent. Est-ce qu'à votre avis, ce n'est pas tout simplement la réponse du berger à la bergère ?
- "Je comprends très bien que les adversaires politiques du président de la République se livrent à des critiques. D'ailleurs, ils ne se privent pas, et nous ne protestons pas contre ça, c'est dans la nature des choses. De temps en temps, le Premier ministre lui-même envoie une pique au président de la République. C'est un peu le jeu."
Et pas l'inverse ?
- "Oui, l'inverse aussi. Ces deux hommes pensent des choses différentes. On l'accepte, on le conçoit. Ce sont deux hommes politiques, tous les deux porteurs d'un mandat de la nation. L'affrontement entre eux est naturel et inévitable. Mais quand le Gouvernement en est à reprocher au président de la République de se faire applaudir, comme à Perpignan, il perd la tête. Tous les présidents de la République se sont toujours faits applaudir, monsieur Jospin aussi, en principe, se fait applaudir - peut-être un peu moins souvent en ce moment. Mais c'est dans la nature des choses que les grands responsables de l'exécutif se fassent applaudir. Je crois qu'ils perdent un peu la tête de ce côté là !"
Mais sur le fond, ne pensez-vous pas que la cohabitation est cette "guerre de tranchées" qui est dénoncée par O. Schrameck, où "le pouvoir est écartelé, le pouvoir est divisé" ? A la limite, on dit que J. Chirac en a subi les conséquences...
- "Sur la conclusion, je suis tout à fait d'accord avec ce que disait A. Duhamel, tout à l'heure : je préfère que nous gagnons les élections présidentielles et les élections législatives la prochaine fois. Mais monsieur Schrameck préfère l'inverse, il n'a pas laissé l'alternative. Il préfère que ce soit - c'est d'ailleurs naturel - monsieur Jospin qui gagne. Mais malgré tout, c'est assez étonnant d'entendre, pour la première fois, une candidature d'un premier ministre, annoncée par son directeur de cabinet ! C'est quand même quelque chose de tout à fait inusité dans le fonctionnement des institutions."
Ce n'est pas un scoop non plus. Vous n'êtes pas franchement surpris ?
- "Ce n'est pas un scoop, mais ce livre annonce pratiquement la candidature de L. Jospin. Faire annoncer sa candidature par son directeur de cabinet est original, et c'est finalement assez distancé à l'égard des Français."
Comment interprétez-vous ce geste ? A votre avis, la publication de ce livre est une gaffe ou au contraire un acte politique important ?
- "Non, je crois que c'est une gaffe. D'ailleurs, il y a tellement de contentement de soi-même dans son livre qu'on comprend que monsieur Schrameck ait voulu se faire plaisir. Et se laissant aller, il a débordé très largement de son devoir de réserve. Alors, bien entendu, il a le droit d'être engagé, mais il a été choisi dans son rôle pour faire fonctionner les institutions. Et avec ce livre et avec la position qu'il prend, les institutions vont fonctionner encore plus mal que ce qu'il déplore. C'est sa contradiction."
Sur le fond, lorsqu'un directeur de cabinet est en action, il vient peut-être de la haute publique, mais lorsqu'il est en place, il est un politique, non ? Il agit politiquement ?
- "Il défend la politique du Gouvernement, c'est normal. Mais il doit le faire sans tenir un discours public engagé à l'égard d'autres responsables institutionnels. Le président de la République, ce n'est pas l'opposition, c'est le président de la République ! D'ailleurs, monsieur Schrameck voit le président de la République comme "le chef de l'opposition." Il est d'abord le président de la République, même si bien sûr c'est un adversaire politique. Donc, de ce point de vue, il manque à ses devoirs !"
(Source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 24 octobre 2001)
- "Non, au contraire même. Ce livre est consternant d'irresponsabilité. Parce qu'on a envie de dire à monsieur Schrameck : "Pas maintenant, et pas vous" ! D'abord, parce que nous sommes à un moment de l'histoire où la France est affrontée à un grave danger, celui du terrorisme, et où on a besoin d'un Etat efficace pour protéger les Français. On peut avoir un attentat tous les jours. Et pour cela, il faut que l'exécutif fonctionne bien. Et monsieur Schrameck, par ses fonctions, est lui-même chargé de faire fonctionner la cohabitation. C'est vrai que la cohabitation est difficile. Mais précisément, il y a des rouages, des acteurs, lui à l'Hôtel Matignon, le secrétaire général à l'Elysée, D. de Villepin, qui sont chargés de bien faire fonctionner les rouages, avec, naturellement, un Premier ministre et un président de la République qui ne pensent pas à la même chose, qui sont des deux bords de l'échiquier politique. Donc, précisément en ce moment, on a besoin de tout le talent pour que l'unité de l'exécutif fonctionne bien au profit de la sécurité des Français. Et c'était le rôle primordial de monsieur Schrameck. Que fait-il ? Il rend la cohabitation plus difficile, au moment, précisément, où on a le plus besoin d'elle. Dans l'opposition, nous avons été plutôt responsables devant cette crise. La semaine dernière, on nous accusait presque d'avoir soutenu le Gouvernement. Parce que nous sommes conscients des enjeux..."
Vous avez applaudi L. Jospin dans l'explication sur la crise internationale...
- "Oui, parce que ce n'est pas le moment de se livrer à des querelles politiciennes. C'est donc très malvenu."
Tout de même, il y a eu le communiqué d'hier : "pamphlet", "haineux", "personnel.".. Avez-vous lu le livre ?
- "J'ai lu le livre, oui."
Vous avez trouvé que c'était un "pamphlet haineux" ?
- "C'est un livre qui, paraît-il, a été écrit en 12 jours. Et qui, entre nous, se lit en 12 minutes. Parce qu'en dehors d'un extraordinairement contentement de soi-même - c'est d'abord ce qu'il y a de dominant dans le livre -, et le mépris souverain de l'adversaire, il y a, ça et là, distillé, beaucoup de mépris, en particulier pour le président de la République. On ne peut que le ressentir."
Quand on lit : "[Il] manie la critique, le contre-pied", quand O. Schrameck parle de J. Chirac, en s'attachant à ce qu'il entend dénoncer "comme des lacunes graves de la situation de Matignon"...
- "Je n'ai pas l'intention d'en faire l'exégèse. Je crois d'ailleurs que ça ne le mérite pas, entre nous."
Mais il n'y a pas de mots particulièrement personnels.
- "Il ne dissimule pas une profonde hostilité au président de la République. C'est d'ailleurs permis dans le combat politique. Sauf que lui est un haut fonctionnaire astreint au devoir de réserve et qu'il a pour devoir de faire fonctionner les institutions dans une période qui est difficile. Et demain, en raison de ce livre, les choses vont être plus difficiles à l'intérieur de l'exécutif, alors que lui aurait dû les rendre plus faciles. En quelque sorte, c'est une sorte de "trahison" des devoirs de sa charge."
Autour d'O. Schrameck et de Matignon, on dit aussi que le Président ne s'est pas privé, y compris dans cette situation internationale tendue, de faire campagne d'une certaine manière - à Perpignan, la semaine dernière, il y avait une sorte de comité de soutien dans les rues qui applaudissait Chirac Président ; le 14 Juillet dernier. Alors, évidemment il n'y avait pas de tension internationale. Mais il a été extrêmement virulent. Est-ce qu'à votre avis, ce n'est pas tout simplement la réponse du berger à la bergère ?
- "Je comprends très bien que les adversaires politiques du président de la République se livrent à des critiques. D'ailleurs, ils ne se privent pas, et nous ne protestons pas contre ça, c'est dans la nature des choses. De temps en temps, le Premier ministre lui-même envoie une pique au président de la République. C'est un peu le jeu."
Et pas l'inverse ?
- "Oui, l'inverse aussi. Ces deux hommes pensent des choses différentes. On l'accepte, on le conçoit. Ce sont deux hommes politiques, tous les deux porteurs d'un mandat de la nation. L'affrontement entre eux est naturel et inévitable. Mais quand le Gouvernement en est à reprocher au président de la République de se faire applaudir, comme à Perpignan, il perd la tête. Tous les présidents de la République se sont toujours faits applaudir, monsieur Jospin aussi, en principe, se fait applaudir - peut-être un peu moins souvent en ce moment. Mais c'est dans la nature des choses que les grands responsables de l'exécutif se fassent applaudir. Je crois qu'ils perdent un peu la tête de ce côté là !"
Mais sur le fond, ne pensez-vous pas que la cohabitation est cette "guerre de tranchées" qui est dénoncée par O. Schrameck, où "le pouvoir est écartelé, le pouvoir est divisé" ? A la limite, on dit que J. Chirac en a subi les conséquences...
- "Sur la conclusion, je suis tout à fait d'accord avec ce que disait A. Duhamel, tout à l'heure : je préfère que nous gagnons les élections présidentielles et les élections législatives la prochaine fois. Mais monsieur Schrameck préfère l'inverse, il n'a pas laissé l'alternative. Il préfère que ce soit - c'est d'ailleurs naturel - monsieur Jospin qui gagne. Mais malgré tout, c'est assez étonnant d'entendre, pour la première fois, une candidature d'un premier ministre, annoncée par son directeur de cabinet ! C'est quand même quelque chose de tout à fait inusité dans le fonctionnement des institutions."
Ce n'est pas un scoop non plus. Vous n'êtes pas franchement surpris ?
- "Ce n'est pas un scoop, mais ce livre annonce pratiquement la candidature de L. Jospin. Faire annoncer sa candidature par son directeur de cabinet est original, et c'est finalement assez distancé à l'égard des Français."
Comment interprétez-vous ce geste ? A votre avis, la publication de ce livre est une gaffe ou au contraire un acte politique important ?
- "Non, je crois que c'est une gaffe. D'ailleurs, il y a tellement de contentement de soi-même dans son livre qu'on comprend que monsieur Schrameck ait voulu se faire plaisir. Et se laissant aller, il a débordé très largement de son devoir de réserve. Alors, bien entendu, il a le droit d'être engagé, mais il a été choisi dans son rôle pour faire fonctionner les institutions. Et avec ce livre et avec la position qu'il prend, les institutions vont fonctionner encore plus mal que ce qu'il déplore. C'est sa contradiction."
Sur le fond, lorsqu'un directeur de cabinet est en action, il vient peut-être de la haute publique, mais lorsqu'il est en place, il est un politique, non ? Il agit politiquement ?
- "Il défend la politique du Gouvernement, c'est normal. Mais il doit le faire sans tenir un discours public engagé à l'égard d'autres responsables institutionnels. Le président de la République, ce n'est pas l'opposition, c'est le président de la République ! D'ailleurs, monsieur Schrameck voit le président de la République comme "le chef de l'opposition." Il est d'abord le président de la République, même si bien sûr c'est un adversaire politique. Donc, de ce point de vue, il manque à ses devoirs !"
(Source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 24 octobre 2001)