Texte intégral
* Lutte contre le terrorisme - Daech - Syrie - Libye
L'objet de cette réunion, vous le savez, est de faire le point au sein de la coalition sur où l'on en est des opérations sur le terrain. Il s'agit de la troisième réunion de ce type, la précédente ayant eu lieu à Paris, et nous avons eu un exposé de la part des spécialistes qui ont décrit leur analyse de ce qui se passait sur le terrain, une analyse de notre hôte, qui est le ministre italien, une analyse de John Kerry et ensuite des interventions successives.
Pour ce qui concerne la France, quel est notre constat ? Ce que j'essaie de montrer à mes collègues, c'est qu'il faut à la fois avoir une stratégie tout à fait déterminée contre Daech et en même temps faire une évaluation lucide de la situation actuelle. La stratégie qui a été mise en place il y a maintenant pas mal de temps est assez ambitieuse, puisque nous avons maintenant 66 pays dans la coalition et 9 pays qui effectuent réellement des frappes. Mais notre analyse est qu'il faut encore intensifier l'effort. La France s'en est donné les moyens, à la fois par ses propres forces et en mobilisant, comme vous le savez, les Européens, en utilisant après les attentats du 13 de novembre l'article 42.7 du traité de l'Union européenne. Cela a été pour moi l'occasion de remercier nos partenaires européens pour leur mobilisation.
Maintenant, il y a eu un certain nombre d'avancées, qui signifient aussi un recul de Daech à la fois en Irak et en Syrie, mais il faut faire un certain nombre de progrès, en augmentant, selon nous, le nombre de frappes, en visant des objectifs qui soient évidemment plus stratégiques et en développant la politique du renseignement. J'ai essayé de montrer à mes collègues à la fois ce qui avait été fait de positif et ce qui reste à faire, puisqu'il faut avoir une vision lucide, alors que très souvent, la présentation qui est faite est «tout va très bien, nous progressons», et que les choses sont plus complexes.
Un autre point sur lequel j'insiste est le lien entre ce qui se passe sur le terrain et le processus politique, lien qui joue d'ailleurs dans les deux sens. Nous savons que la solution en Syrie est politique, aussi il faut qu'il y ait une négociation. Mais celle-ci, on est en train de le voir maintenant, dépend largement de ce que ce passe sur le terrain. Sur le plan politique, les négociations sous les auspices de M. de Mistura ont, si l'on peut dire, commencé et nous soutenons très fortement ces négociations. Maintenant il faut que les bases du succès soient claires et dites comme telles.
La première base qui semble avoir été obtenue, et j'y ai beaucoup insisté et je me suis mobilisé en ce sens, c'est le soutien à ce qu'on appelle la plateforme de Riyad comme représentant légitime de l'opposition. Nous avons eu des discussions approfondies là-dessus, très difficiles, et nous, nous soutenons cette plateforme de Riyad.
Deuxième élément tout à fait fondamental, c'est que si l'on veut avoir une vraie négociation, il faut que les bombardements s'arrêtent, il faut que les prisonniers soient libérés et que l'aide humanitaire arrive aux populations. Et on ne peut pas admettre qu'il y ait de la part d'un certain nombre d'intervenants, et je pense notamment à la Russie, une stratégie consistant à dire «on bombarde en Syrie et on discute à Genève, puisque les choses sont liées». Et puis évidemment il faut que dans ces négociations on puisse parler de tout, et notamment de l'essentiel, qui est l'avenir politique de la Syrie comment on y va, c'est toute la question de la transition politique. On ne peut admettre que la négociation se déroule et qu'elle n'aborde pas le problème principal. C'est tout cela que j'ai eu l'occasion de rappeler à mes collègues et amis.
Enfin, le dernier point, c'est qu'il faut avoir aussi à l'esprit ce qui se passe en Libye. J'ai rencontré ce matin l'envoyé spécial des Nations unies, et aussi mes collègues britannique, Philip Hammond, australienne, Julie Bishop, et allemand, Frank-Walter Steinmeier, et nous avons échangé sur la situation de la Libye qui est très préoccupante. D'une part, nous avons une certaine extension de Daech et des renseignements selon lesquels il existe de plus en plus de forces qui arrivent en Libye, et, d'autre part, vous connaissez la situation interne de la Libye.
J'ai renouvelé au représentant du secrétaire général des Nations unies le soutien de la France pour aboutir, très rapidement, à un gouvernement d'union nationale. Une fois que ce gouvernement d'union nationale aura été constitué, la communauté internationale lui apportera son soutien, peut-être par la voix d'une résolution des Nations unies, ou peut-être à l'occasion de la conférence de Munich, ou d'une autre forme. Et il faudra que ce gouvernement s'installe, dispose de l'administration, dispose des forces nécessaires, et puisse ainsi ramener la Libye à une situation plus normale. Parce que ce qui se passe en Libye est une menace lourde, à la fois pour la Libye, pour la Tunisie, pour les pays voisins, pour la zone sahélienne, et aussi pour l'Europe, voire la question des migrations.
Voilà, nous avons abordé tout cela, et d'une autre façon nous allons avoir à nouveau l'occasion de revenir ces sujets puisque beaucoup d'entre nous se retrouveront à la Wehrkunde où traditionnellement beaucoup d'entre nous se rendent.
Q - Par rapport au ministre de la défense qui s'inquiète des possibles infiltrations djihadistes dans les embarcations qui vont des côtes libyennes aux côtes siciliennes, et qui semble un peu pousser vers une accélération d'une intervention, quelle est votre position ?
R - Il n'y a qu'un seul gouvernement, vous l'avez remarqué, et c'est le président de la République qui prend des décisions sur ce sujet. Nous avons d'ailleurs eu un conseil restreint hier où toute une série de sujets ont été abordés. Je vois des titres dans les journaux affirmant que «les Français s'apprêtent à intervenir en Libye», c'est totalement inexact. Peut-être y a-t-il des groupes qui veulent faire pression en ce sens mais telle n'est pas la position du président de la République ni celle du gouvernement dans son ensemble. Ce qui est vrai c'est que nous sommes préoccupés comme tous par la situation en Libye, pour des raisons évidentes, à cause de la proximité géographique, à cause de l'extension de Daech, à cause des conséquences que vous évoquez, mais par rapport à ça, quelle est notre position ? Pousser pour qu'il y ait un gouvernement d'union nationale et ça c'est le travail, avec notre soutien et celui d'autres pays, de l'envoyé spécial des Nations unies. Il y a eu un premier essai, qui n'a pas été conclusif, parce qu'il a été dit à l'envoyé que les membres du gouvernement étaient trop nombreux. Il va faire une autre tentative, avec une proposition d'un gouvernement plus restreint, il va le faire dans les jours qui viennent, il me l'a assuré ce matin. Si, comme nous le souhaitons, ce gouvernement est accepté, il recevra le soutien de la communauté internationale et devra pouvoir s'installer, et, bien évidemment, nous, avec d'autres, lui apporterons notre soutien. Mais voilà la façon dont cela doit se passer, et toute autre perspective que je lis et qui devrait nous pousser à je ne sais quelle intervention, n'est pas d'actualité.
(...)
Q - Une fois le gouvernement d'union nationale constitué en Libye, l'idée c'est qu'il réclame l'aide de la communauté internationale, qu'il y ait une intervention, quelle forme pourrait prendre cette intervention ? Est-ce que l'idée est d'envoyer des troupes au sol ?
R - J'en ai parlé ce matin avec M. Gentiloni et avec l'envoyé spécial du secrétaire général des Nations unies. Le premier stade - je vous dis ce qu'on souhaite - est que ce gouvernement, qui sera plus resserré que le gouvernement précédent qui était composé de 32 personnes - le motif principal pour lequel il a été récusé par le Parlement est «trop nombreux» - soit approuvé par le Parlement. S'il est approuvé par le Parlement, il sera aussi approuvé par la communauté internationale ; et nous verrons ce que ce gouvernement peut faire par lui-même ou nous demande comme soutien. Il est souhaitable, à mon sens, que ce gouvernement puisse siéger à Tripoli ; mais la situation à Tripoli n'est pas facile et il aura peut-être besoin d'aide, d'appui. Et à ce moment-là on verra qui peut appuyer ce gouvernement légitime. Je crois que les Italiens sont très en pointe dans ce domaine, et il y a d'autres pays qui peuvent venir en soutien de ce gouvernement, qui dès lors sera le gouvernement de toute la Libye, le gouvernement légitime.
Q - Il s'agit de se limiter à l'aider à aller à Tripoli, pas d'aller...
R - ...Oui, après il y a tout un travail à faire pour qu'il reprenne le contrôle d'un certain nombre de forces, pour qu'il y ait de la formation, etc.
Q - Le ministre Gentiloni dit qu'avant une intervention militaire, beaucoup de temps se passera, que personne n'a vraiment envie d'y aller, que les Libyens n'y sont pas tellement favorables, ni la communauté internationale. Est-ce que l'on peut avoir une idée des délais que se pose la communauté internationale pour stabiliser la situation et contenir Daech ?
R - Les délais sont difficiles à établir parce que vous avez différents schémas. Vous avez le schéma que je souhaite, que nous souhaitons, que je vous ai décrit : un gouvernement est nommé, il est accepté par le Parlement, du même coup il est soutenu par la communauté internationale. Ce gouvernement s'installe, et s'il a besoin de soutien supplémentaire, ces soutiens lui sont apportés, et du même coup, parmi ces actions, il y aura une action à mener contre Daech. C'est le schéma souhaitable.
Il peut y avoir, par rapport à ce schéma, toute une série d'obstacles. Et s'il y a ces obstacles, cela prendra du temps et cela obligera à utiliser d'autres formes. Mais c'est sur le premier schéma qu'il faut se concentrer et demander à toutes les parties prenantes, y compris les voisins de la Libye, de soutenir ce schéma, puisque vous savez qu'il y a des pays qui peuvent être le soutien de telle ou telle faction et à qui, là, en l'espèce, on demande vraiment de soutenir le gouvernement légitime.
Q - À partir de quel moment on va décider que les obstacles sont indépassables ? Daech avance, est-ce qu'on a un délai raisonnable à partir duquel on change de stratégie
R - Je pense que la proposition de gouvernement qui va être faite, c'est vraiment le moment qu'il faut saisir pour prendre la bonne voie. On ne va pas non plus reculer éternellement l'objectif, il est tout à fait possible d'ailleurs que, si telle ou telle personnalité refuse d'entériner le gouvernement, nous demandions des sanctions à l'encontre de ces personnes.
Q - Qu'est-ce que vous attendez du gouvernement italien qui a un intérêt particulier pour la Libye ?
R - Je n'ai pas suivi dans les détails les prises de position de tel ou tel, donc je ne veux pas dire des choses inexactes. Mais, ce que nous avons compris dans nos conversations c'est que, comme vous dites, il a un intérêt particulier et qu'il va prendre ce qu'on appelle dans notre jargon le lead d'un certain nombre d'initiatives en direction d'une stabilisation de la Libye, que ce soit sur le plan de la discussion gouvernementale, en lien avec l'envoyé spécial des Nations unies, ou ensuite lorsqu'il il faudra accompagner l'action du gouvernement. Il ne va pas agir tout seul, c'est dans le cadre de la communauté internationale avec d'autres, mais je crois que les Italiens se sentent très engagés, et nous, nous sommes à leurs côtés.
(...)
Q - Monsieur le Ministre, quelle est la fenêtre de temps en Libye avant d'être forcé d'intervenir même sans un gouvernement légitime ?
R - Je ne pose pas la question comme cela, puisque cela supposerait qu'une décision a été prise, ce qui n'est pas le cas. La direction qu'il faut suivre, celle qui est efficace et conforme au droit international, c'est la constitution d'un gouvernement, soutenu par le Parlement et par la communauté internationale et ensuite qu'on aidera par des moyens, des moyens propres qu'il aura et des moyens internationaux. Et il faut tendre tous nos efforts vers cela. Que cela veut-il dire ? Évidemment que l'envoyé des Nations unies fait son travail, fera son travail, cela veut dire qu'il faut convaincre les voisins - ce qu'on est en train de faire - de soutenir cette solution, et cela veut dire, en tout cas en ce qui concerne la France, mais aussi d'autres, que nous sommes prêts à demander des sanctions personnelles pour ceux qui se mettent en travers de la route, parce que, au nom de telle ou telle conception, ils n'accepteraient pas ce gouvernement raisonnable qui serait proposé.
Q - On a quand même l'impression qu'il y a une attente, on ne comprend pas comment vous avez avancé ce matin. S'il y avait un attentat, ou plusieurs attentats, est-ce que cela ne changerait pas un peu la donne dans le sens de dire «on attend que le gouvernement se forme, que...» ?
R - Vous savez, votre remarque est tout à fait juste, mais en ce qui concerne la nécessité d'agir d'urgence et l'action d'urgence, ce n'est pas à la France qu'il faut faire ce reproche.
Lorsqu'il faut agir vite, lorsqu'il faut être sur le terrain et ne pas seulement se payer de mots, la France est là, et parfois elle se sent un peu seule.
Q - Vous visez un pays en particulier ?
R - Non, non, je constate. Alors, nous avons été aidés, et je remercie les pays qui nous aident, lorsque nous avons demandé d'utiliser l'article de l'Union européenne pour nous aider. Nous avons parlé de l'Italie, l'Italie nous aide, et quasiment tous les pays nous aident, dans des proportions différentes.
Q - L'Italie n'a pas répondu !
R - Si, l'Italie a répondu. Ce n'est pas encore public, mais c'est certain, j'ai une note dans mon dossier qui m'indique ce qu'a décidé de faire l'Italie. Ce qui est certain, c'est que la France a dit ce que vous avez dit : il ne faut pas seulement délibérer, que cela prenne des mois. Les décisions sont urgentes et l'application des décisions est urgente. Et s'il y a un sentiment de crise en Europe, c'est parce que les citoyens ont le sentiment que les augures discutent pendant qu'il y a des problèmes sérieux et immédiats.
Merci beaucoup.
* Union européenne - Migrations
(...)
Q - Par rapport à la question de la collègue, je voulais vous demander, comme la maire de Lampedusa s'est très fâchée, et même notre ministre de la défense a dit, «il ne faut pas s'inquiéter, l'Italie est très attentive», je voulais vous demander s'il y a de la part de la France la peur que l'Italie ne peut pas arriver à bien gérer la situation à Lampedusa, s'il y a une inquiétude de ce type-là ?
R - Non, mais la situation de l'Italie, comme celle d'autres pays, d'ailleurs, est une situation difficile, parce que déjà, actuellement, et dans le passé, vous avez eu beaucoup de réfugiés qui sont venus sur vos côtes. Évidemment si la situation n'était pas maîtrisée en Libye, il est probable que cela rendrait la situation plus compliquée.
Notre rôle, aux uns et autres, et j'en ai parlé ce matin avec mon ami Gentiloni, c'est de pousser - et les Italiens le font - pour trouver une solution politique en Libye. À partir du moment où vous aurez un gouvernement d'union qui pourra intervenir, reprendre le contrôle de son administration, on peut espérer que les choses seront davantage maîtrisées. Mais l'intérêt de l'Italie, l'intérêt de la France, vont exactement dans le même sens. L'Italie a déjà eu dans le passé beaucoup de difficultés, car quand arrive dans un endroit quelconque, cela peut être l'Italie, la Grèce, ou ailleurs, une population extrmement nombreuse, dans ces situations très difficiles, évidemment c'est très délicat pour les autorités locales de faire face.
Q - Surtout quand on a du mal à identifier...
R - Oui, alors ça c'est un autre point, et là aussi il faut être lucide, cela ne sert à rien de raconter des choses qui ne sont pas exactes. L'immense majorité des réfugiés sont des réfugiés, mais on a découvert, notamment avec les drames qui se sont produits en France, qu'il y avait une production de faux passeports. Et à l'intérieur de ce nombre des réfugiés, il peut y avoir quelques individus qui eux, avaient d'autres visées et étaient, appelons un chat un chat, des terroristes. Et ça, on ne peut pas l'accepter.
D'où la proposition qui a été faite par le ministre de l'intérieur français qui est d'avoir une unité qui puisse particulièrement travailler pour lutter contre les faux passeports, car les faux passeports sont des vrais-faux passeports, qui ont été volés, et qui sont ensuite utilisés. Et pour déceler ces faux passeports, il faut des spécialistes, puisqu'ils sont très bien faits, et il faut une connexion des fichiers, et ça, jusqu'à présent, ce n'était pas suffisamment fait. Il y a des décisions qui ont été prises, qui sont positives, mais il ne faut pas seulement que les décisions soient prises, il faut aussi qu'elles soient mises en application de manière urgente.
Q - Au niveau européen ?
R - Au niveau européen, il faut que cela circule à l'intérieur des pays européens.
(...)
Q - Hier, notre président du Conseil a discuté avec l'Union européenne de la flexibilité, c'est-à-dire, de la possibilité de dépasser le déficit pour les frais pour gérer l'urgence du problème des réfugiés, je voudrais savoir ce que vous en pensez?
R - Je n'ai pas suivi ces déclarations aussi je ne vais pas prendre de position.
Le sujet est assez récurrent, depuis longtemps. Il y a des critères, qui sont ceux de la gestion européenne, et lorsqu'il y a telle ou telle situation qui se produit, on dit «est-ce qu'on ne pourrait pas mettre ces dépenses hors du déficit». J'ai entendu ça pour les dépenses de recherche, de défense, ici pour les migrations/réfugiés. Je crois que la solution qui est généralement adoptée, ce n'est pas de mettre ces dépenses hors contingent, c'est plutôt de considérer qu'il peut y avoir une flexibilité, pour les nations qui font face à ces dépenses. (...).
source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 11 février 2016