Texte intégral
Bonjour à toutes et tous,
Je suis ravi qu'on puisse se retrouver pour cette cérémonie de voeux, alors que s'ouvre une année qui sera le 60ème anniversaire de l'Association des Journalistes Economiques et Financiers. Et je veux ici saluer le travail remarquable fait par l'AJEF tout au long de ces années et le professionnalisme dans lequel collectivement, vous travaillez et nous travaillons : c'est celui d'une exigence mutuelle, et je vais peut-être commencer par là.
Aujourd'hui peut-être plus encore qu'hier, nous sommes toutes et tous plongés dans cet « ordre du discours » dont parlait FOUCAULT, et qui n'est jamais innocent. Ça parle, ça commente, ça écrit, c'est repris et nous avons je crois eu égard à tout cela une vraie responsabilité. Celle d'abord de toujours expliquer : je sais que c'est précisément cette exigence qui vous anime, et j'ai la même. Parce que si nous n'expliquons pas, nous sommes condamnés mutuellement à disparaître. Si vous n'expliquez pas, les faits seront rendus bruts, ils se succèderont et ils seront toujours plus rapides que votre propre travail.
La seule résistance possible à des changements de pratique, à un monde qui va de plus en plus vite, c'est précisément de savoir expliquer, de savoir « recontextualiser », de savoir redonner du sens. Vous évoquiez les petites phrases c'est parfois l'univers dans lequel nous vivons les uns et les autres. Et je crois que la seule façon d'en sortir, c'est en effet de déplier les choses, de les remettre dans le temps, dans leur contexte, dans leurs intentions, et d'éviter finalement qu'on ne préfère collectivement la comédie humaine à l'explication du cours du monde. Pour ma part, j'ai choisi mon camp.
Nous, notre responsabilité c'est aussi de redonner du sens, de bien nommer les choses, d'expliquer l'action et de la mettre en perspective. Et puis même si le langage politique a ce privilège qui est d'être parfois performatif, notre responsabilité est de faire lorsqu'on a dit et d'être à la hauteur des engagements pris. Parce que c'est à l'aune de cette exigence en actes que la crédibilité de la parole se tient.
Je souhaite donc que l'année qui s'ouvre puisse nous faire vivre dans cette exigence mutuelle. Pourquoi est-elle absolument fondamentale ? Vous l'avez dit, nous avons vécu une année 2015 extraordinairement difficile, qui n'a fait qu'accroître la défiance, parfois la perte de repères de nos concitoyens. Le monde qui nous environne se transforme, les choses s'accélèrent, les ajustements sont multiples, l'immédiateté crée son imperium et les façons de consommer, de vivre, d'innover et de produire pour ce qui concerne ce ministère plus encore sont en profonde transformation. Elles impliquent d'être expliquées mais aussi de s'adapter, sans pour autant renoncer à ce que nous sommes.
A cela se sont ajoutées de nouvelles inquiétudes, de nouvelles incertitudes, celles de l'économie mondiale, avec là aussi ce qui pouvaient être des idées acquises il y a 6 mois qui sont balayées. Personne n'a anticipé il y a 6 mois un prix du pétrole au niveau où il est aujourd'hui. Et depuis nos voeux de l'année dernière, la Chine s'est mise à toussoter, elle qui tirait la croissance mondiale depuis 10 ans. Les pays émergents traversent des crises, les uns en raison de leur forte dépendance au pétrole et aux matières premières, les autres en raison de crises internes d'ajustements politique, social ou économique, ou encore une forte dépendance de change.
Notre économie mondiale a un moteur qui pour l'instant se tient le moteur américain , et beaucoup d'incertitudes, beaucoup de volatilité, nous l'avons encore vu ces dernières semaines, auxquelles s'ajoutent évidemment les risques géopolitiques qui ont là aussi refait leur apparition. Dans ce contexte, l'Europe apparaît comme un continent plus sûr qu'il y a 2 ans, mais à la croissance encore trop faible et qui est traversé par de nouveaux risques celui des réfugiés, celui du terrorisme et en quelque sorte des tentations profondes de divergence.
Et puis il y a bien entendu les deux séries d'attentats qui ont frappé notre pays, qui ont ajouté au grand bouleversement du monde une plaie en notre pays. Une plaie qui sont évidemment les vies perdues, mais aussi le traumatisme profond, la sidération que notre pays a vécus en début et en fin d'année dernière. Et en même temps ce travail que nous avons à faire d'agir, de comprendre, de répondre.
Je l'ai dit à plusieurs reprises, ce défi est un défi évidemment sécuritaire et géopolitique, mais c'est aussi très profondément un défi culturel, moral, économique et social. Parce que comme je le disais au début de mon propos, nous devons comprendre ce qui s'est passé, non pas pour l'excuser ou l'expliquer mais il faut comprendre. Parce que les femmes et les hommes qui ont commis ces atrocités sont nés, ont été élevés, ont grandi dans notre pays ou dans nos pays : ces trajectoires existent parmi nous. Et la responsabilité des sociétés démocratiques contemporaines, c'est aussi de penser le mal, d'apprendre à vivre avec dans son atrocité la plus extrême, de tout faire pour le corriger, le prévenir, le sanctionner implacablement mais aussi le penser.
Face à cela, nous devons revenir à des idées simples : celles de toujours chercher à comprendre le monde dans son cours des choses, cette espèce de fresque que je viens ici de rappeler ; et en même temps d'inscrire notre action en quelque sorte dans sa téléologie, pourquoi nous faisons les choses. Il n'y a qu'une question à laquelle nous devons répondre. C'est : « Quelle société voulons-nous, quel pays voulons-nous ? ».
Nous avons des réponses de court-terme qui sont une nécessité la sécurité en est une. Nous devons la sécurité aux Françaises et aux Français, à toutes celles et ceux qui sont sur notre territoire, c'est notre responsabilité en tant que gouvernement et c'est ce qui fonde même l'existence de l'Etat.
Mais la sécurité n'est pas un projet politique. Notre projet, c'est la construction d'une société qui soit efficace, juste et ouverte. C'est cela notre défi collectif. Il est encore plus difficile qu'il y a un an, parce que les menaces auxquelles nous devons faire face, la brutalité insigne, la violence aveugle qui nous ont touchés, pourraient nous conduire à oublier ou à perdre la finalité de notre projet.
Avoir une société et une économie efficaces, c'est d'abord réussir dans la mondialisation. Ça ne veut pas dire perdre nos repères, ni oublier ce que nous sommes ni nos préférences collectives, mais ça veut dire que nous avons des rigidités, parfois des fermetures, qui ne nous permettent pas toujours de réussir dans le monde tel qu'il va et tel qu'il accélère. C'est à l'aune de ce constat, en tout cas avec cette ambition sincère chevillée au corps, qu'à la demande du président de la République et du Premier ministre, j'ai porté l'année dernière ce texte pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques avec au fond une finalité qui est d'aider le pays à s'adapter à la mondialisation : ouvrir différemment et plus facilement les commerces le dimanche, faciliter la mobilité interurbaine, faciliter l'ouverture de certaines données, faciliter l'investissement, la responsabilisation des dirigeants ou des créateurs de start-up, ouvrir davantage certaines professions, alléger le coût de l'énergie pour les grandes entreprises, etc.
Ce sont autant de leviers auxquels on doit redonner leur cohérence d'ensemble, qui est de rendre notre économie plus forte ; et de dire que notre économie ne peut pas réussir à la limite de ces simples frontières mais dans un monde qui va où les choses s'accélèrent, où des déséquilibres se sont construits que nous devons prendre en compte.
Nous avons besoin de plus de flexibilité en matière d'organisation du travail. C'est pour ça que nous avons réformé les accords de maintien dans l'emploi défensifs, c'est aussi pour cela que nous avons voulu porter la réforme des Prud'hommes, pour que lorsqu'il y a un contentieux sur un litige individuel, ça puisse aller plus vite, de manière plus lisible et plus simple avec la volonté, pour donner de la visibilité aux deux parties, d'avoir un plafond. Il a été censuré par le Conseil constitutionnel, nous allons le remettre dans la loi.
C'est aussi pour cela que nous avons pris des mesures pour rendre notre tissu économique plus efficace et investir davantage, parce que la bataille pour l'investissement privé est une nécessité de l'adaptation du pays à ce cours des choses. Et donc nous avons décidé un sur-amortissement fiscal pour les entreprises, mais également tout un ensemble de mesures qui facilitent l'investissement dans les talents et dans le capital productif. Parce que si notre économie est aujourd'hui encore trop faible, c'est faute d'avoir suffisamment investi sur le capital productif et sur le capital humain pendant tant d'années.
Nous devons continuer ce travail de modernisation de l'économie pour la rendre plus efficace, plus forte, dans ce monde. Et c'est à l'aune de ce constat que dans les prochains mois, ma collègue Myriam EL KHOMRI présentera un texte pour continuer à moderniser le droit du travail, le cadre de la négociation et les sécurités qui vont avec, parce que c'est toujours cet équilibre que nous devons donner ; et faciliter là aussi les accords au niveau de l'entreprise dans le cadre du rapport qui a été soumis par monsieur BADINTER entre autres.
C'est aussi à l'aune de cette plus grande efficacité que nous voulons moderniser le cadre d'innovation, et le cadre de la création d'entreprise dans notre pays. Parce qu'il faut pouvoir aujourd'hui innover plus vite, plus fort et qu'il faut pouvoir investir plus d'argent dans l'innovation. Et donc nous prendrons dans les prochaines semaines, dans un texte de loi qui sera porté par Michel SAPIN, plusieurs mesures en faveur de l'innovation, qui permettent soit des simplifications sectorielles, soit des procédures d'allègement des charges aux entreprises, soit des procédures qui permettent de réorienter l'épargne financière abondante de nos concitoyens, du financement obligataire vers le financement des entreprises en particulier, des entreprises les plus innovantes.
Le deuxième objectif, c'est une société plus juste, parce que ce monde qui se transforme accroît les inégalités et parce que notre pays accroît certains types d'inégalités. Le numérique, et tout ce qui va avec, a en effet en quelque sorte fracturé, et continuera à le faire, les grands équilibres sociaux dans lesquels nous nous sommes construits depuis l'après-guerre. Et les emplois les plus menacés par cette révolution du numérique, ce sont en quelque sorte les emplois de qualification moyenne. Mais en même temps des opportunités se créent, pour les plus qualifiés et les moins qualifiés.
Nous devons donc tout faire pour libérer ce potentiel d'activité, mais en construisant les protections qui vont avec et en redonnant plus de mobilité à notre société. Redonner de la mobilité, c'est justement permettre aux uns et aux autres d'avoir à chaque moment important de la vie plus d'autonomie. Car le malaise français se nourrit de ce manque de mobilité.
Nous sommes confrontés à un paradoxe. La France est en moyenne beaucoup moins inégalitaire que nombre de pays, en particulier les pays anglo-saxons, tous les indices bien connus le montrent. Mais faites l'expérience de demander à un Britannique ou un Américain s'il pense que son pays est juste, quand bien même il est de condition modeste, il pourra vous répondre oui parce qu'il a autour de lui des exemples de réussites individuelles. Faites l'expérience en France et vous aurez à peu près le contraire.
Prenez un taxi, puisque c'est l'actualité du jour, à New York, il sera Syrien ou Irakien, mais il vous citera une dizaine d'exemples de grands dirigeants ou de succès plus modestes dans son quartier qui auront réussi. Et je le redis toujours : dans le contexte qui est le nôtre aujourd'hui, il ne faut jamais oublier que Steve JOBS est le fils d'un immigré syrien qui a fini aux Etats-Unis. Ces exemples seront pour ce chauffeur une source d'espoir, quand bien même son quotidien sera difficile. En France, demandez à un chauffeur de taxi par exemple marocain si le pays est juste, je crains que dans l'actualité il vous dise que non, compte tenu de sa condition de taxi. Mais au-delà de l'actualité, alors même que ses enfants seront scolarisés gratuitement, que les soins qui lui sont apportés s'il est malade demain et qu'il a un accident lui seront apportés sans demander s'il a les moyens de se le payer, qu'il y a un système de retraites qui existe, son sentiment sera que le pays n'est pas juste, parce qu'il connaît très peu de gens qui venaient de sa condition et qui ont très bien réussi.
Nous devons préserver cette égalité liée à notre système et son organisation, mais nous devons remettre de la mobilité dans notre économie et dans notre société, redonner des perspectives. Parce que la crise morale dans laquelle nous nous installons, l'anomie qui peut se faire jour dans certains milieux, dans certains quartiers, elle est aussi liée à ce manque de mobilité individuelle. Et c'est pourquoi je crois très profondément d'abord à la force d'une réforme ambitieuse de l'éducation qui est conduite par ce gouvernement et ma collègue Najat VALLAUD-BELKACEM, mais au-delà de ça à la plus grande efficacité d'une politique de formation, comme le président l'a annoncé en début d'année, qui doit se concentrer davantage sur les plus fragiles et les moins qualifiés : nous sommes un pays où nous formons surtout celles et ceux qui ont le plus de diplômes, c'est un paradoxe mais c'est ainsi, et c'est injuste !
La mobilité, c'est aussi redonner des opportunités à celles et ceux qui veulent prendre leurs risques. Et donc c'est pour cela que nous devons aller plus loin dans le travail qui consiste, parfois, à rouvrir les corporations, à simplifier les choses. Et c'est toute l'ambition du travail sur les qualifications et métiers et l'entrepreneuriat individuel que nous avons conduit avec Martine PINVILLE durant ces derniers mois, et que j'ai soumis à l'arbitrage du président de la République et du Premier ministre, pour faciliter la création de sa propre entreprise, pour faciliter la prise de risque, pour celles et ceux qui sont souvent dans des conditions de qualification plus difficiles, pour toutes celles et ceux pour qui trouver des clients est aujourd'hui plus facile en France que de trouver un employeur toutes les enquêtes publiques et privées l'ont montré.
Redonner de la mobilité, c'est donner des options diverses, c'est considérer que nous ne sommes plus dans une société où en quelque sorte, il n'y a pas d'alternative entre d'un côté avoir un contrat à durée indéterminée dans un grand groupe ou une PME solide, devenir fonctionnaire ; ou bien de l'autre côté les minima sociaux et l'indemnisation du chômage. Il doit y avoir d'autres voies d'entrée dans la vie active, parce que les carrières seront différentes, parce que le rapport au travail sera différent, parce que parfois les vies seront aussi plus accidentées. Et donc redonner de la mobilité avec l'exigence qui est la nôtre, celle de l'égalité des opportunités, c'est je crois un vrai projet de société dans lequel nous devons inscrire les réformes qui seront conduites dans les prochains mois.
Et puis le troisième objectif, je l'évoquais, c'est celui d'une société ouverte. Les risques sont multiples aujourd'hui de nous refermer. Cette tentation est européenne : économiquement, on a pu avoir la tentation par le passé, certains continuent pousser cette voie. La mondialisation est difficile, parfois cruelle, elle conduit à des ajustements incompréhensibles souvent pour celles et ceux qui ont à les vivre. Mais la France est dans la mondialisation deux millions de nos concitoyens travaillent pour des entreprises étrangères. Les grands succès économiques de notre pays sont tirés par la croissance du monde, nous n'avons plus le choix et c'est même notre chance.
Une société ouverte sur le plan économique, c'est aussi une société ouverte sur le plan des valeurs, des préférences collectives. Et le risque est fort, dans le moment que nous vivons, d'avoir en effet des frontières qui se referment, d'avoir des risques qu'on préfère traiter au niveau national plutôt qu'au niveau européen. Je crois que notre exigence collective doit s'inscrire au bon niveau, c'est-à-dire dans le projet européen qui est le seul bon niveau pour faire vivre le rêve français. Parce que tous les défis que nous avons justement à vivre, sécuritaires, économiques, parfois moraux, ils ont une âme française mais leur réponse est européenne, leur bonne réponse est européenne.
Cela veut dire une Europe plus rapide, une Europe plus lucide sur la mondialisation, une France plus exigeante à l'égard de l'Europe, mais pas une France qui se défausse sur l'Europe, ni des solutions trop rapides que nous aurions à inventer sur le plan national. Et cette exigence, nous devons l'avoir ensemble avec tous les pays européens, mais les risques seront grands de vouloir refermer le pays et ce qui vaut pour l'économie, pour le social vaut pour tous les sujets que je viens d'évoquer.
Voilà le projet de société, le projet de civilisation que nous portons : être plus efficaces dans un monde qui s'accélère, être plus justes par la mobilité et être constamment ouverts parce que c'est en quelque sorte ce qui correspond à l'universalisme de nos valeurs. C'est ce qui a fait la France, c'est ce qui la tient, c'est ce qui justifie que nous nous retrouvons là et que notre pays a été attaqué plus que dautres, parce que c'est un pays ouvert, parfois insouciant mais qui a chevillé à son corps cette exigence démocratique, cette préférence justement pour une communauté qui se tient.
C'est cela, notre projet pour 2016, c'est cela le voeu que je veux formuler pour vous et nous si je puis dire , celui de garder cette exigence mutuelle qui doit nous tenir haut, celle du langage et de l'explication d'un monde de plus en plus complexe ; et en même temps, c'est de faire de l'année 2016 une année utile dans l'action et dans le sens, c'est-à-dire une année durant laquelle, nous saurons retrouver le pays, refonder certains de ses compromis et, en tout cas, ne rien renoncer de ce que nous sommes dans un monde plus incertain, peut-être plus brutal encore et plus dur pour beaucoup d'entre nous.
Soyons collectivement à la hauteur de ce que nous sommes profondément et pour cela, je formule pour vous, pour vos proches, vos familles, tous mes voeux de bonne santé et d'ambition résolue pour les mois qui viennent.
Merci de votre attention et je suis à votre disposition pour les questions.
Source http://www.economie.gouv.fr, le 8 février 2016
Je suis ravi qu'on puisse se retrouver pour cette cérémonie de voeux, alors que s'ouvre une année qui sera le 60ème anniversaire de l'Association des Journalistes Economiques et Financiers. Et je veux ici saluer le travail remarquable fait par l'AJEF tout au long de ces années et le professionnalisme dans lequel collectivement, vous travaillez et nous travaillons : c'est celui d'une exigence mutuelle, et je vais peut-être commencer par là.
Aujourd'hui peut-être plus encore qu'hier, nous sommes toutes et tous plongés dans cet « ordre du discours » dont parlait FOUCAULT, et qui n'est jamais innocent. Ça parle, ça commente, ça écrit, c'est repris et nous avons je crois eu égard à tout cela une vraie responsabilité. Celle d'abord de toujours expliquer : je sais que c'est précisément cette exigence qui vous anime, et j'ai la même. Parce que si nous n'expliquons pas, nous sommes condamnés mutuellement à disparaître. Si vous n'expliquez pas, les faits seront rendus bruts, ils se succèderont et ils seront toujours plus rapides que votre propre travail.
La seule résistance possible à des changements de pratique, à un monde qui va de plus en plus vite, c'est précisément de savoir expliquer, de savoir « recontextualiser », de savoir redonner du sens. Vous évoquiez les petites phrases c'est parfois l'univers dans lequel nous vivons les uns et les autres. Et je crois que la seule façon d'en sortir, c'est en effet de déplier les choses, de les remettre dans le temps, dans leur contexte, dans leurs intentions, et d'éviter finalement qu'on ne préfère collectivement la comédie humaine à l'explication du cours du monde. Pour ma part, j'ai choisi mon camp.
Nous, notre responsabilité c'est aussi de redonner du sens, de bien nommer les choses, d'expliquer l'action et de la mettre en perspective. Et puis même si le langage politique a ce privilège qui est d'être parfois performatif, notre responsabilité est de faire lorsqu'on a dit et d'être à la hauteur des engagements pris. Parce que c'est à l'aune de cette exigence en actes que la crédibilité de la parole se tient.
Je souhaite donc que l'année qui s'ouvre puisse nous faire vivre dans cette exigence mutuelle. Pourquoi est-elle absolument fondamentale ? Vous l'avez dit, nous avons vécu une année 2015 extraordinairement difficile, qui n'a fait qu'accroître la défiance, parfois la perte de repères de nos concitoyens. Le monde qui nous environne se transforme, les choses s'accélèrent, les ajustements sont multiples, l'immédiateté crée son imperium et les façons de consommer, de vivre, d'innover et de produire pour ce qui concerne ce ministère plus encore sont en profonde transformation. Elles impliquent d'être expliquées mais aussi de s'adapter, sans pour autant renoncer à ce que nous sommes.
A cela se sont ajoutées de nouvelles inquiétudes, de nouvelles incertitudes, celles de l'économie mondiale, avec là aussi ce qui pouvaient être des idées acquises il y a 6 mois qui sont balayées. Personne n'a anticipé il y a 6 mois un prix du pétrole au niveau où il est aujourd'hui. Et depuis nos voeux de l'année dernière, la Chine s'est mise à toussoter, elle qui tirait la croissance mondiale depuis 10 ans. Les pays émergents traversent des crises, les uns en raison de leur forte dépendance au pétrole et aux matières premières, les autres en raison de crises internes d'ajustements politique, social ou économique, ou encore une forte dépendance de change.
Notre économie mondiale a un moteur qui pour l'instant se tient le moteur américain , et beaucoup d'incertitudes, beaucoup de volatilité, nous l'avons encore vu ces dernières semaines, auxquelles s'ajoutent évidemment les risques géopolitiques qui ont là aussi refait leur apparition. Dans ce contexte, l'Europe apparaît comme un continent plus sûr qu'il y a 2 ans, mais à la croissance encore trop faible et qui est traversé par de nouveaux risques celui des réfugiés, celui du terrorisme et en quelque sorte des tentations profondes de divergence.
Et puis il y a bien entendu les deux séries d'attentats qui ont frappé notre pays, qui ont ajouté au grand bouleversement du monde une plaie en notre pays. Une plaie qui sont évidemment les vies perdues, mais aussi le traumatisme profond, la sidération que notre pays a vécus en début et en fin d'année dernière. Et en même temps ce travail que nous avons à faire d'agir, de comprendre, de répondre.
Je l'ai dit à plusieurs reprises, ce défi est un défi évidemment sécuritaire et géopolitique, mais c'est aussi très profondément un défi culturel, moral, économique et social. Parce que comme je le disais au début de mon propos, nous devons comprendre ce qui s'est passé, non pas pour l'excuser ou l'expliquer mais il faut comprendre. Parce que les femmes et les hommes qui ont commis ces atrocités sont nés, ont été élevés, ont grandi dans notre pays ou dans nos pays : ces trajectoires existent parmi nous. Et la responsabilité des sociétés démocratiques contemporaines, c'est aussi de penser le mal, d'apprendre à vivre avec dans son atrocité la plus extrême, de tout faire pour le corriger, le prévenir, le sanctionner implacablement mais aussi le penser.
Face à cela, nous devons revenir à des idées simples : celles de toujours chercher à comprendre le monde dans son cours des choses, cette espèce de fresque que je viens ici de rappeler ; et en même temps d'inscrire notre action en quelque sorte dans sa téléologie, pourquoi nous faisons les choses. Il n'y a qu'une question à laquelle nous devons répondre. C'est : « Quelle société voulons-nous, quel pays voulons-nous ? ».
Nous avons des réponses de court-terme qui sont une nécessité la sécurité en est une. Nous devons la sécurité aux Françaises et aux Français, à toutes celles et ceux qui sont sur notre territoire, c'est notre responsabilité en tant que gouvernement et c'est ce qui fonde même l'existence de l'Etat.
Mais la sécurité n'est pas un projet politique. Notre projet, c'est la construction d'une société qui soit efficace, juste et ouverte. C'est cela notre défi collectif. Il est encore plus difficile qu'il y a un an, parce que les menaces auxquelles nous devons faire face, la brutalité insigne, la violence aveugle qui nous ont touchés, pourraient nous conduire à oublier ou à perdre la finalité de notre projet.
Avoir une société et une économie efficaces, c'est d'abord réussir dans la mondialisation. Ça ne veut pas dire perdre nos repères, ni oublier ce que nous sommes ni nos préférences collectives, mais ça veut dire que nous avons des rigidités, parfois des fermetures, qui ne nous permettent pas toujours de réussir dans le monde tel qu'il va et tel qu'il accélère. C'est à l'aune de ce constat, en tout cas avec cette ambition sincère chevillée au corps, qu'à la demande du président de la République et du Premier ministre, j'ai porté l'année dernière ce texte pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques avec au fond une finalité qui est d'aider le pays à s'adapter à la mondialisation : ouvrir différemment et plus facilement les commerces le dimanche, faciliter la mobilité interurbaine, faciliter l'ouverture de certaines données, faciliter l'investissement, la responsabilisation des dirigeants ou des créateurs de start-up, ouvrir davantage certaines professions, alléger le coût de l'énergie pour les grandes entreprises, etc.
Ce sont autant de leviers auxquels on doit redonner leur cohérence d'ensemble, qui est de rendre notre économie plus forte ; et de dire que notre économie ne peut pas réussir à la limite de ces simples frontières mais dans un monde qui va où les choses s'accélèrent, où des déséquilibres se sont construits que nous devons prendre en compte.
Nous avons besoin de plus de flexibilité en matière d'organisation du travail. C'est pour ça que nous avons réformé les accords de maintien dans l'emploi défensifs, c'est aussi pour cela que nous avons voulu porter la réforme des Prud'hommes, pour que lorsqu'il y a un contentieux sur un litige individuel, ça puisse aller plus vite, de manière plus lisible et plus simple avec la volonté, pour donner de la visibilité aux deux parties, d'avoir un plafond. Il a été censuré par le Conseil constitutionnel, nous allons le remettre dans la loi.
C'est aussi pour cela que nous avons pris des mesures pour rendre notre tissu économique plus efficace et investir davantage, parce que la bataille pour l'investissement privé est une nécessité de l'adaptation du pays à ce cours des choses. Et donc nous avons décidé un sur-amortissement fiscal pour les entreprises, mais également tout un ensemble de mesures qui facilitent l'investissement dans les talents et dans le capital productif. Parce que si notre économie est aujourd'hui encore trop faible, c'est faute d'avoir suffisamment investi sur le capital productif et sur le capital humain pendant tant d'années.
Nous devons continuer ce travail de modernisation de l'économie pour la rendre plus efficace, plus forte, dans ce monde. Et c'est à l'aune de ce constat que dans les prochains mois, ma collègue Myriam EL KHOMRI présentera un texte pour continuer à moderniser le droit du travail, le cadre de la négociation et les sécurités qui vont avec, parce que c'est toujours cet équilibre que nous devons donner ; et faciliter là aussi les accords au niveau de l'entreprise dans le cadre du rapport qui a été soumis par monsieur BADINTER entre autres.
C'est aussi à l'aune de cette plus grande efficacité que nous voulons moderniser le cadre d'innovation, et le cadre de la création d'entreprise dans notre pays. Parce qu'il faut pouvoir aujourd'hui innover plus vite, plus fort et qu'il faut pouvoir investir plus d'argent dans l'innovation. Et donc nous prendrons dans les prochaines semaines, dans un texte de loi qui sera porté par Michel SAPIN, plusieurs mesures en faveur de l'innovation, qui permettent soit des simplifications sectorielles, soit des procédures d'allègement des charges aux entreprises, soit des procédures qui permettent de réorienter l'épargne financière abondante de nos concitoyens, du financement obligataire vers le financement des entreprises en particulier, des entreprises les plus innovantes.
Le deuxième objectif, c'est une société plus juste, parce que ce monde qui se transforme accroît les inégalités et parce que notre pays accroît certains types d'inégalités. Le numérique, et tout ce qui va avec, a en effet en quelque sorte fracturé, et continuera à le faire, les grands équilibres sociaux dans lesquels nous nous sommes construits depuis l'après-guerre. Et les emplois les plus menacés par cette révolution du numérique, ce sont en quelque sorte les emplois de qualification moyenne. Mais en même temps des opportunités se créent, pour les plus qualifiés et les moins qualifiés.
Nous devons donc tout faire pour libérer ce potentiel d'activité, mais en construisant les protections qui vont avec et en redonnant plus de mobilité à notre société. Redonner de la mobilité, c'est justement permettre aux uns et aux autres d'avoir à chaque moment important de la vie plus d'autonomie. Car le malaise français se nourrit de ce manque de mobilité.
Nous sommes confrontés à un paradoxe. La France est en moyenne beaucoup moins inégalitaire que nombre de pays, en particulier les pays anglo-saxons, tous les indices bien connus le montrent. Mais faites l'expérience de demander à un Britannique ou un Américain s'il pense que son pays est juste, quand bien même il est de condition modeste, il pourra vous répondre oui parce qu'il a autour de lui des exemples de réussites individuelles. Faites l'expérience en France et vous aurez à peu près le contraire.
Prenez un taxi, puisque c'est l'actualité du jour, à New York, il sera Syrien ou Irakien, mais il vous citera une dizaine d'exemples de grands dirigeants ou de succès plus modestes dans son quartier qui auront réussi. Et je le redis toujours : dans le contexte qui est le nôtre aujourd'hui, il ne faut jamais oublier que Steve JOBS est le fils d'un immigré syrien qui a fini aux Etats-Unis. Ces exemples seront pour ce chauffeur une source d'espoir, quand bien même son quotidien sera difficile. En France, demandez à un chauffeur de taxi par exemple marocain si le pays est juste, je crains que dans l'actualité il vous dise que non, compte tenu de sa condition de taxi. Mais au-delà de l'actualité, alors même que ses enfants seront scolarisés gratuitement, que les soins qui lui sont apportés s'il est malade demain et qu'il a un accident lui seront apportés sans demander s'il a les moyens de se le payer, qu'il y a un système de retraites qui existe, son sentiment sera que le pays n'est pas juste, parce qu'il connaît très peu de gens qui venaient de sa condition et qui ont très bien réussi.
Nous devons préserver cette égalité liée à notre système et son organisation, mais nous devons remettre de la mobilité dans notre économie et dans notre société, redonner des perspectives. Parce que la crise morale dans laquelle nous nous installons, l'anomie qui peut se faire jour dans certains milieux, dans certains quartiers, elle est aussi liée à ce manque de mobilité individuelle. Et c'est pourquoi je crois très profondément d'abord à la force d'une réforme ambitieuse de l'éducation qui est conduite par ce gouvernement et ma collègue Najat VALLAUD-BELKACEM, mais au-delà de ça à la plus grande efficacité d'une politique de formation, comme le président l'a annoncé en début d'année, qui doit se concentrer davantage sur les plus fragiles et les moins qualifiés : nous sommes un pays où nous formons surtout celles et ceux qui ont le plus de diplômes, c'est un paradoxe mais c'est ainsi, et c'est injuste !
La mobilité, c'est aussi redonner des opportunités à celles et ceux qui veulent prendre leurs risques. Et donc c'est pour cela que nous devons aller plus loin dans le travail qui consiste, parfois, à rouvrir les corporations, à simplifier les choses. Et c'est toute l'ambition du travail sur les qualifications et métiers et l'entrepreneuriat individuel que nous avons conduit avec Martine PINVILLE durant ces derniers mois, et que j'ai soumis à l'arbitrage du président de la République et du Premier ministre, pour faciliter la création de sa propre entreprise, pour faciliter la prise de risque, pour celles et ceux qui sont souvent dans des conditions de qualification plus difficiles, pour toutes celles et ceux pour qui trouver des clients est aujourd'hui plus facile en France que de trouver un employeur toutes les enquêtes publiques et privées l'ont montré.
Redonner de la mobilité, c'est donner des options diverses, c'est considérer que nous ne sommes plus dans une société où en quelque sorte, il n'y a pas d'alternative entre d'un côté avoir un contrat à durée indéterminée dans un grand groupe ou une PME solide, devenir fonctionnaire ; ou bien de l'autre côté les minima sociaux et l'indemnisation du chômage. Il doit y avoir d'autres voies d'entrée dans la vie active, parce que les carrières seront différentes, parce que le rapport au travail sera différent, parce que parfois les vies seront aussi plus accidentées. Et donc redonner de la mobilité avec l'exigence qui est la nôtre, celle de l'égalité des opportunités, c'est je crois un vrai projet de société dans lequel nous devons inscrire les réformes qui seront conduites dans les prochains mois.
Et puis le troisième objectif, je l'évoquais, c'est celui d'une société ouverte. Les risques sont multiples aujourd'hui de nous refermer. Cette tentation est européenne : économiquement, on a pu avoir la tentation par le passé, certains continuent pousser cette voie. La mondialisation est difficile, parfois cruelle, elle conduit à des ajustements incompréhensibles souvent pour celles et ceux qui ont à les vivre. Mais la France est dans la mondialisation deux millions de nos concitoyens travaillent pour des entreprises étrangères. Les grands succès économiques de notre pays sont tirés par la croissance du monde, nous n'avons plus le choix et c'est même notre chance.
Une société ouverte sur le plan économique, c'est aussi une société ouverte sur le plan des valeurs, des préférences collectives. Et le risque est fort, dans le moment que nous vivons, d'avoir en effet des frontières qui se referment, d'avoir des risques qu'on préfère traiter au niveau national plutôt qu'au niveau européen. Je crois que notre exigence collective doit s'inscrire au bon niveau, c'est-à-dire dans le projet européen qui est le seul bon niveau pour faire vivre le rêve français. Parce que tous les défis que nous avons justement à vivre, sécuritaires, économiques, parfois moraux, ils ont une âme française mais leur réponse est européenne, leur bonne réponse est européenne.
Cela veut dire une Europe plus rapide, une Europe plus lucide sur la mondialisation, une France plus exigeante à l'égard de l'Europe, mais pas une France qui se défausse sur l'Europe, ni des solutions trop rapides que nous aurions à inventer sur le plan national. Et cette exigence, nous devons l'avoir ensemble avec tous les pays européens, mais les risques seront grands de vouloir refermer le pays et ce qui vaut pour l'économie, pour le social vaut pour tous les sujets que je viens d'évoquer.
Voilà le projet de société, le projet de civilisation que nous portons : être plus efficaces dans un monde qui s'accélère, être plus justes par la mobilité et être constamment ouverts parce que c'est en quelque sorte ce qui correspond à l'universalisme de nos valeurs. C'est ce qui a fait la France, c'est ce qui la tient, c'est ce qui justifie que nous nous retrouvons là et que notre pays a été attaqué plus que dautres, parce que c'est un pays ouvert, parfois insouciant mais qui a chevillé à son corps cette exigence démocratique, cette préférence justement pour une communauté qui se tient.
C'est cela, notre projet pour 2016, c'est cela le voeu que je veux formuler pour vous et nous si je puis dire , celui de garder cette exigence mutuelle qui doit nous tenir haut, celle du langage et de l'explication d'un monde de plus en plus complexe ; et en même temps, c'est de faire de l'année 2016 une année utile dans l'action et dans le sens, c'est-à-dire une année durant laquelle, nous saurons retrouver le pays, refonder certains de ses compromis et, en tout cas, ne rien renoncer de ce que nous sommes dans un monde plus incertain, peut-être plus brutal encore et plus dur pour beaucoup d'entre nous.
Soyons collectivement à la hauteur de ce que nous sommes profondément et pour cela, je formule pour vous, pour vos proches, vos familles, tous mes voeux de bonne santé et d'ambition résolue pour les mois qui viennent.
Merci de votre attention et je suis à votre disposition pour les questions.
Source http://www.economie.gouv.fr, le 8 février 2016