Déclaration de M. Christian Eckert, secrétaire d'Etat au budget, sur la politique immobilière de l'Etat, Paris le 26 janvier 2016.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Colloque du Conseil de l'immobilier de l'Etat, à Paris le 26 janvier 2016

Texte intégral

Monsieur le Président, Cher Jean-Louis Dumont,
Mesdames et Messieurs les membres du Conseil de l'immobilier de l'Etat,
Mesdames et Messieurs,
C'est un mardi de novembre, ou peut-être un jeudi de mars. La journée touche à sa fin, les bureaux se vident doucement. Dans ce calme précaire, la porte s'ouvre, un parapheur arrive.
Il est épais.
Il est siglé d'une mention manuscrite :
« T – T – U »
En gros.
En TRES gros.
En rouge.
Quelle est cette affaire de première importance, qui exige mon attention immédiate ? Une demande urgente du Président de la République ? Ou du Premier ministre ? Une interpellation inattendue du Président de la Commission des Finances ?
Eh bien non. Pas du tout. C'est un bail. Un opérateur de l'Etat qui souhaite louer quelques centaines de m² supplémentaires. Dans le 7e arrondissement, bien sûr : il est IN-DS-PENSABLE qu'il soit logé à proximité immédiate de ses tutelles ministérielles, et de Matignon.
C'est un peu cher, bien sûr. Un peu au-delà du plafond réglementaire de 400€ / m²… Qu'à cela ne tienne, le Secrétaire d'Etat au budget comprendra ces excellents arguments, une dérogation de sa main et le tour est joué !
Il faut donc en parler à Bercy, à la DGFiP. Pas trop tôt, évidemment : ils seraient capables de venir tout compliquer. France Domaine, donc, a été saisi hier. La signature est… demain. « T – T – U ».
Ce n'est pas idéal, l'opérateur en convient et sa tutelle également. Ce n'était pas prévu dans le schéma stratégique, mais « une opportunité unique » s'est présentée, alors vous comprenez… Le délai d'instruction est un peu court, certes. Promis, la prochaine fois, on vous saisira plus en amont, on présentera le dossier au CIE, on respectera les normes, on documentera précisément nos besoins pour définir un cahier des charges, on fera un large appel au marché, on examinera plusieurs implantations au lieu d'une seule, on fera une analyse en coûts complets, on réalisera les diagnostics techniques avant de signer, on se préoccupera de performance énergétique et d'accessibilité.
La prochaine fois, promis. Mais cette fois-ci, s'il vous plaît, laissez-nous faire : ne vous inquiétez pas, on a bien négocié avec le bailleur, on ne peut pas faire mieux. Et tout a été présenté aux organisations syndicales…
Cela vous fait sourire ! Peut-être que cela vous rappelle quelque chose ? Pourtant, toute ressemblance avec une situation réelle serait purement fortuite.
Mesdames et Messieurs, ce que je suis venu vous dire aujourd'hui, c'est que « la prochaine fois » est arrivée. Le Premier Ministre a lui-même présenté une communication sur ce sujet la semaine dernière en conseil des ministres. La presse s'en est fait l'écho, modérément. Quand on annonce une bonne nouvelle, elle fait toujours moins de bruit que telle ou telle affaire de cession immobilière censée incarner la gabegie de l'Etat mais souvent présentée de façon très partielle voire partiale.
Dix ans ont passé depuis que l'Etat, aiguillonné notamment par le Parlement, a pris conscience d'abord de l'existence, puis de la valeur et du coût, de son parc immobilier : 100 millions de m² occupés par l'Etat et ses opérateurs, 60 Md€ d'actifs ! La dépense immobilière constitue le premier poste au sein des dépenses de fonctionnement, et l'investissement immobilier représente près des deux tiers de l'investissement civil de l'Etat. Ces dix années ont été marquées par des succès incontestables – je veux les saluer devant vous et le rôle du CIE a été majeur – mais beaucoup reste à faire, et c'est l'ambition de cette « prochaine fois » que je vous annonce : une seconde étape, un nouveau souffle pour la politique immobilière de l'Etat.
Une deuxième phase, donc, où l'on ne s'improvise pas négociateur de bail, on ne s'improvise pas spécialiste de la performance des bâtiments : il faut s'appuyer sur ceux qui ont la compétence, au sein des directions immobilières des ministères, à Bercy chez France Domaine, voire en externe lorsque le recours à des prestataires se justifie.
Cette deuxième phase, elle doit également être caractérisée par une ambition stratégique beaucoup plus nette. Parfois, souvent même, trop souvent en tout cas, l'immobilier est pensé opération par opération : je viens de vous en donner un exemple, certes fictif et peut-être caricatural, mais dont la ressemblance avec des circonstances réelles n'est, en fait, pas si fortuite…
Trop souvent, également, ces opérations sont lancées non pas à l'issue d'une analyse économique approfondie, permettant de comparer les retours sur investissement des différents projets envisagés, mais en fonction de la disponibilité des crédits, des opportunités, parfois même du hasard… voire de l'obstination du porteur de projet, parfois au plus haut niveau.
Pour que ce nouveau souffle parvienne à concrétiser nos ambitions communes et que sa mise en oeuvre soit à la hauteur des enjeux budgétaires, la politique immobilière doit se réinventer. Elle dispose pour cela d'un bon point d'appui : les constats établis par le conseil de l'immobilier de l'Etat. La plupart d'entre eux ont été également réitérés par la Cour des comptes et l'Inspection générale des finances.
Ce que je viens vous annoncer aujourd'hui, c'est que la politique immobilière a besoin de bénéficier d'une autorité nouvelle. Et que le gouvernement souhaite lui en donner les moyens.
Autorité politique, tout d'abord. L'effort de modernisation et de dynamisation de la politique immobilière ne peut porter ses fruits sans être appuyé par un message clair des autorités politiques, adressé à l'ensemble des occupants. Les exigences de la politique immobilière, qui font prévaloir l'efficience sur le symbole, doivent être respectées par tous, administrations de l'Etat comme opérateurs. C'est le sens de la communication adressée par le Premier ministre mercredi dernier. C'est également le sens de ma présence et de mon message aujourd'hui. Cette autorité politique doit être portée avec vigueur, au niveau interministériel comme au niveau de chaque ministère. Elle doit allier attention portée au dialogue social et volonté d'améliorer les conditions de travail des agents.
Autorité administrative, également. Le service qui porte la responsabilité de la politique immobilière de l'Etat doit être renforcé, et s'imposer comme un interlocuteur incontournable, devant systématiquement être associé dès la phase de conception de tout projet immobilier. Il faut évidemment bâtir sur l'existant, pour pouvoir avancer vite et sans générer des coûts de structure inutiles, mais il faut aussi transformer l'existant et lui fixer de nouveaux objectifs plus ambitieux. C'est pourquoi j'ai proposé au Premier ministre que le service France Domaine soit érigé en une véritable direction immobilière de l'Etat, demeurant au sein de la DGFiP.
Elle s'appuiera localement sur un réseau de chefs de service régionaux, disposant d'équipes renforcées au plan quantitatif comme qualitatif, et dont le recrutement sera ouvert pour bénéficier des compétences issues d'autres ministères ou de la sphère privée. Des pôles d'expertise spécialisés seront en outre constitués dans le réseau, disposant d'une taille critique suffisante et regroupant des agents mieux formés. Nous maintiendrons en parallèle une présence généraliste au plus près du terrain, dans les départements. Ces services seront à la disposition des préfets de région, qui représentent l'Etat propriétaire au niveau déconcentré. La gouvernance de la politique immobilière de l'Etat sera également considérablement simplifiée. Finie la comitologie à outrance : une instance unique de pilotage réunira les secrétaires généraux des ministères et du CIE, sous la présidence de la nouvelle direction immobilière.
Autorité technique, ensuite. L'effort de professionnalisation engagé depuis quelques années sera approfondi grâce à de nouveaux outils, à la formation des agents, à la constitution de pôles d'expertise.
Après une phase réussie de fiabilisation de l'inventaire et de valorisation des actifs, indispensable pour la certification des comptes, l'accent sera mis sur l'amélioration de la connaissance de l'état technique du parc immobilier, support indispensable pour la définition d'une stratégie viable et fiable. Nous amplifierons l'effort engagé depuis trois ans pour doter la politique immobilière d'outils informatiques performants, je sais combien le CIE est attaché à cette question importante. La comptabilité analytique par bâtiment sera expérimentée, puis généralisée. Les compétences immobilières logées au sein des ministères seront mieux mutualisées et encouragées.
La politique immobilière de l'Etat intègrera par ailleurs de manière croissante le suivi et l'optimisation de l'immobilier des opérateurs - c'est un point majeur, lui aussi régulièrement évoqué par le CIE, car l'autonomie des opérateurs ne doit pas être un prétexte pour s'exonérer de l'exigence de bonne gestion de l'immobilier – je m'inscris ici dans une démarche générale qui a conduit à accentuer l'effort budgétaire demandé aux opérateurs, axe majeur des économies réalisées au cours des dernières lois de finances. C'est la condition d'amorçage d'une véritable politique de l'immobilier public.
Autorité financière, enfin. Les moyens budgétaires de la politique immobilière sont aujourd'hui fortement dispersés, au point que l'Etat propriétaire ne dispose pas d'une vision d'ensemble en temps réel.
Les outils et la gouvernance budgétaires seront donc restructurés dans le sens d'une plus grande efficacité et d'une mutualisation renforcée. Ainsi, d'une part, une étape spécifique de la procédure budgétaire sera consacrée à l'examen des dépenses immobilières, dès la préparation du projet de loi de finances pour 2017. D'autre part, le compte d'affectation spéciale (CAS), principal vecteur budgétaire piloté par l'Etat-propriétaire, sera élargi et pourra se voir affecter de nouvelles ressources plus stables et plus pérennes.
La proportion des budgets consacrés à des dépenses mutualisées, au niveau central ou au niveau déconcentré, sera accrue : ce mouvement sera facilité par la suppression de la contribution au désendettement, aujourd'hui prélevée sur les produits de cession.
Enfin, les financements seront fléchés prioritairement vers les opérations présentant un retour sur investissement élevé, notamment en régions dans le cadre de la réforme de l'organisation territoriale de l'Etat.
Tout ceci doit encore être décliné précisément : c'est que si les orientations sont claires, les modalités de mise en oeuvre doivent encore être définies dans un échange avec les ministères. Elles devront également être présentées au CIE : il s'agira là d'une étape importante, à laquelle je serai évidemment très attentif. Mais nous irons vite, le Premier ministre l'a rappelé : les principales mesures ont vocation à être mises en oeuvre dès 2016, et traduites dans la prochaine loi de finances. Vos travaux de ce jour enrichiront notre réflexion, et je tiens donc, Monsieur le Président, à vous remercier et vous féliciter une nouvelle fois pour avoir pris l'initiative de ce colloque.
Merci à tous, et bon travail !
Source http://www.economie.gouv.fr, le 8 février 2016