Interview de M. Thierry Mandon, secrétaire d'Etat à l'enseignement supérieur et à la recherche à BFM Business le 12 février 2016, sur la crise de vocation des médecins et la réforme des études dans le secteur.

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Média : BFM TV

Texte intégral


STEPHANE SOUMIER
Thierry MANDON avec nous, secrétaire d'Etat à l'Enseignement supérieur et à la Recherche. On va en parler, je tiens à ce qu'on en parle des études de médecine…
THIERRY MANDON
Oui.
STEPHANE SOUMIER
Et je vais vous dire même, je tiens personnellement et familièrement à ce qu'on en parle des études de médecine.
THIERRY MANDON
Oui.
STEPHANE SOUMIER
Voilà ! Il se trouve que la crise de vocation, elle n'est pas partout et donc je veux absolument en parler. Mais il faut qu'on parle de politique monsieur MANDON parce que ce qu'on a vu hier là, franchement je crois que nos auditeurs et téléspectateurs ont du mal à comprendre. Qu'est-ce qu'on envoie comme message à travers le remaniement qui a été annoncé hier ?
THIERRY MANDON
C'est un remaniement qui n'a pas pour vocation à refaire tout, à rebattre toutes les cartes, à relancer la machine. C'est un ajustement politique ce remaniement, et c'est un ajustement… c'est-à-dire que depuis des mois une aberration qui est la non-présence des écologistes au sein du gouvernement. On a fait le plus grand accord sur le climat qui n'ait jamais été fait probablement dans le monde, les écologistes lisaient cet accord dans le journal, donc ils reviennent, voilà. Et puis il y a le départ de Laurent FABIUS qui est remplacé par Jean-Marc AYRAULT. Il ne fallait pas attendre de ce remaniement qu'il rebatte toutes les cartes à un an d'une présidentielle, c'est plutôt une continuité avec une assise un peu supérieure.
STEPHANE SOUMIER
On a l'impression que le président essayait de rebattre les cartes, ce qu'on a entendu autour de Nicolas HULOT, ce qu'on a… qui n'a peut-être pas rendu service au président d'ailleurs en rendant publiques les démarches, ce qu'on a entendu autour de Martine AUBRY qui n'y est pas arrivée, comme si on était en fin de règne…
THIERRY MANDON
Non…
STEPHANE SOUMIER
Et donc il se retrouve avec des espèces de trophées – certes honorables – mais qui ne sont pas à la hauteur de ce qu'attendait le président de la République !
THIERRY MANDON
Oui mais je pense que le problème est là, c'est que moi si vous me demandiez ce que je pense des remaniements, je pense que dans un quinquennat si on pouvait se passer des remaniements il faudrait s'en passer. En Europe, vous allez en Allemagne, ça n'existe pas les remaniements, en Angleterre ça n'existe pas. C'est une spécialité française que de faire une sorte de moment paroxystique, de grand moment où on pense que tous les problèmes parce qu'on va changer l'équipe, parce qu'on va changer les têtes vont se régler. Ce n'est pas comme ça que ça marche. Donc des ajustements… les remaniements c'est forcément dans un quinquennat des ajustements. Et on en a eu la preuve hier soir, il n'y avait pas d'autres propos, il n'y avait pas d'autres espoirs à attendre qu'un ou deux points de changement dans l'équipe.
STEPHANE SOUMIER
Mais juste un dernier point parce que c'est une ligne économique importante, à laquelle vous-même d'ailleurs êtes très étroitement associé depuis le début. On dit social-libéral, je ne sais pas ce que ça veut dire mais comme le terme s'est imposé, prenons-le. Les écologistes ne sont pas du tout dans cette ligne-là monsieur MANDON. Donc…
THIERRY MANDON
Ce qui…
STEPHANE SOUMIER
S'il y a un petit signal qui peut être perçu, ce signal personne ne va le comprendre.
THIERRY MANDON
Le signal il est très simple, c'est le plan de travail des mois qui viennent sur les domaines dont vous me parlez…
STEPHANE SOUMIER
Oui mais…
THIERRY MANDON
La réforme du Code du travail avec un début de simplification, ça va être long, ça prendra plusieurs années, les accords d'entreprise, l'encadrement des indemnités pour les conflits prudhommaux de manière à ce qu'il y ait de la certitude pour les chefs d'entreprise, la réforme de l'Assurance chômage, c'est ça qui est sur la table. Et les ministres qui rentrent hier au gouvernement, ils savent que c'est ça qu'on va faire. Donc ils acceptent…
STEPHANE SOUMIER
D'accord.
THIERRY MANDON
Donc il n'y a pas… et ça c'est déjà énorme. Si on fait ces quatre choses-là et il y a d'autres programmes, plus la lutte contre la corruption, enfin je ne rentre pas dans les détails mais si on fait Code du travail, accords d'entreprise, encadrement des réductions des indemnités prud'homales et Assurance chômage, à mon sens on aura fait un sacré bon boulot.
STEPHANE SOUMIER
D'accord, donc on ne change rien à ça…
THIERRY MANDON
Surtout pas !
STEPHANE SOUMIER
Surtout pas…
THIERRY MANDON
Non, surtout pas et ils le savent.
STEPHANE SOUMIER
Et on met un petit coup de peinture verte pour espérer passer le premier tour de la présidentielle.
THIERRY MANDON
On donne à la majorité sa configuration normale. L'aberration c'est que les Verts n'aient pas été là quand on a négocié la COP21, enfin tout ça n'a juste aucun sens. Donc ça, c'est corrigé.
STEPHANE SOUMIER
Et il y a une crise de vocation sur les études de médecine Thierry MANDON ? Vous étiez associé – et c'est ça qui m'a intéressé et c'est ça qui a fait que je vous ai invité – vous étiez associé à cette grande conférence santé !
THIERRY MANDON
Ah oui !
STEPHANE SOUMIER
On pensait parler des sujets qui sont des sujets classiques autour des médecins : prix de la consultation, ok, etc., et fonctionnement du système de santé. Mais visiblement, il y a une crise des vocations sur les études de médecine en ce moment qui vous préoccupe ?
THIERRY MANDON
Oui, il y a une crise de vocation, il y a une nécessité absolue d'organiser la qualification initiale et permanente des futurs médecins, parce que la médecine évolue sous le choc scientifique et technologique incroyable qui n'est qu'à ses débuts, qu'à ses débuts, la pratique médicale va complètement révolutionner. Nécessité de faire des passerelles entre des professions médicales stricto sensu et des professions paramédicales – les infirmiers, les kinés… je ne vais pas donner toute la liste, elle est très longue, qui travaillent ensemble en équipe dans les hôpitaux, qui doivent donc parfois être formés ensemble ; et des parcours qui doivent permettre de passer de l'un à l'autre et niveau d'exigence de qualité, de diplomation très importantes. Donc nous, on a proposé au ministre de la Santé – qui l'a accepté – vraiment que l'université française développe ses moyens, développe son savoir-faire en matière d'études…
STEPHANE SOUMIER
Pour bien comprendre, vous avez aujourd'hui une masse très très importante d'étudiants qui passent le concours et qui arrivent sur la première année. Et là, vous avez…
THIERRY MANDON
Fin de la première année !
STEPHANE SOUMIER
A la fin de la première année, un écrémage qui est un écrémage spectaculaire. Ce que vous vous dites, c'est qu'il y a là peut-être des jeunes gens, des jeunes filles qu'il faudrait essayer de récupérer, dont les systèmes de santé vont avoir besoin et à qui il faut trouver des nouveaux parcours professionnalisants.
THIERRY MANDON
Exactement. Dans l'université…
STEPHANE SOUMIER
Dans l'université, pourquoi…
THIERRY MANDON
C'est ça qui est nouveau…
STEPHANE SOUMIER
Pourquoi dans l'université ?
THIERRY MANDON
Pourquoi ? Parce qu'aujourd'hui ceux qui font médecine, la première année, la fameuse Paces, donc à la fin de la première année il y a une sélection qui est dure, qui est très dure et il y a beaucoup d'échecs parce qu'elle est très dure. Mais si ensuite ils veulent faire des études dans l'univers médical, paramédical par exemple, ils vont le plus souvent dans les organismes de formation privés, parce que l'université ne développe pas ces formations. Et donc désormais, l'université va progressivement, ça ne va pas se faire du jour au lendemain, développer des formations paramédicales qui non seulement permettront aux étudiants de continuer un cursus très qualifiant dans l'université, mais qui leur permettront aussi de continuer à côtoyer ceux qui font médecine, c'est-à-dire ceux avec qui demain ils vont travailler. Donc c'est vraiment sur le fond très important. Et puis aussi, on peut avoir besoin dans un parcours professionnel quelques années de pratique après d'évoluer, de changer de discipline, de se spécialiser. Donc tout un appareil de formations en continu qui va être aussi mis en place dans nos universités.
STEPHANE SOUMIER
L'ensemble du système médical qui vous entoure est d'accord pour ces évolutions Thierry MANDON ?
THIERRY MANDON
Alors il y a eu beaucoup de bruit sur la conférence de santé, beaucoup d'absents, encore qu'hier ça se soit parfaitement bien passé. Sur ce sujet-là, il y a non seulement un consensus mais des satisfécits. Mais la difficulté – moi j'aime bien voir les choses jusqu'au bout – ce n'est pas de concevoir ce qu'on a fait hier, c'est très bien, il fallait le faire, c'est de le mettre en oeuvre, voilà, et de le mettre en oeuvre avec des cultures, j'insiste là-dessus ce matin, très différentes que sont le monde de la santé et là je parle de l'administration de la santé et l'administration du système d'enseignement supérieur. Il faut que nos administrations dans la mise en oeuvre de ce plan se parlent très sérieusement, de manière très organisée avec les présidents d'université pour que ce soit un succès. Ça peut être un succès mais ça demande un travail de suivi, de mise en oeuvre très précis.
STEPHANE SOUMIER
C'est un monde parallèle les études de médecine aujourd'hui !
THIERRY MANDON
Oh ! C'est très… oui…
STEPHANE SOUMIER
Oui, c'est un monde parallèle.
THIERRY MANDON
Mais les études et puis les réflexes dans ces professions.
STEPHANE SOUMIER
Juste un point même si là on sort un tout petit peu de vos compétences, mais vous y étiez à cette conférence de santé, ça s'est très bien passé, pourquoi ? Evidemment, ce qui fâche n'était pas là, c'est-à-dire la crise de vocation aussi sur les médecins généralistes, celle-là aussi, alors plus tard mais elle va vous poser un problème, ce n'est pas en nationalisant parce qu'en gros c'est ça que vous reprochent aujourd'hui fondamentalement les médecins libéraux, en allant au bout de la nationalisation de l'ensemble de la profession médicale que vous allez renforcer les vocations Thierry MANDON !
THIERRY MANDON
Dans les propositions annoncées hier par Marisol TOURAINE, il y en a une qui est très importante qui est une forme de régionalisation du numerus clausus, parce qu'aujourd'hui on a un numerus clausus national, c'est-à-dire on a un nombre de postes de médecins décidés au niveau national, qui s'applique donc à l'ensemble du territoire. Et c'est vrai qu'on a une concentration dans certains endroits et des trous dans d'autres endroits. Là, le numerus clausus va être… va évoluer par les Agences régionales de santé de manière plus régionalisée, pour que les besoins médicaux dans les territoires correspondent au nombre de médecins qu'on veut former et qu'on veut préparer.
STEPHANE SOUMIER
On continue à travailler alors, on continue…
THIERRY MANDON
Oui mais moi… oui mais dans le précis, c'est-à-dire que moi je pense que notre problème plus général d'ailleurs dans ce quinquennat, c'est qu'on est beaucoup trop concentré sur les grandes réformes Macron générales et pas assez soucieux du détail, de la mise en oeuvre, de la précision de la réforme, de son effet, de son impact, de ses corrections. Et je pense que les chemins politiques pour les années qui viennent, les progrès qu'il faut faire, c'est ça, c'est une politique qui soit très exigeante sur son impact, qui soit très modeste pour se remettre en cause quand les impacts ne sont pas bons. Il y a des nouveaux territoires pour une politique publique et une politique rénovée.
STEPHANE SOUMIER
Ça veut dire qu'à un moment, il faudra être fier des lignes d'autocars par exemple ?
THIERRY MANDON
Oui !
STEPHANE SOUMIER
Voilà, c'est l'exemple même…
THIERRY MANDON
Très concrètement, des lignes, tant de postes et voilà, ça existe. Et pas considérer quand on fait une réforme qu'elle est forcément bonne et qu'on est tellement géniaux qu'il n'y a plus besoin de s'en occuper…
STEPHANE SOUMIER
Qu'elle doit forcément tout transformer, qu'elle doit forcément tout révolutionner, qu'elle doit forcément…
THIERRY MANDON
Déterminé, précis, très précis dans les faits et en même temps modeste s'il faut refaire le travail, il faut le refaire.
STEPHANE SOUMIER
Thierry MANDON avec nous ce matin sur BFM Business.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 16 février 2016