Texte intégral
Le Conseil européen de jeudi et vendredi sera dominé par la question des relations de l'Union européenne avec le Royaume-Uni et par la crise des réfugiés. J'ai pris connaissance avec un grand intérêt de votre résolution, adoptée à l'initiative de votre commission des affaires européennes et de sa vice-présidente Fabienne Keller, rappelant l'attachement du Sénat aux principes fondamentaux de l'Union européenne, au bon fonctionnement de la zone euro, à «l'union sans cesse plus étroite entre les peuples», au rôle des parlements nationaux et à plus de solidarité et d'efficacité dans le traitement de la crise migratoire. Le gouvernement partage vos préoccupations à la veille du Conseil européen.
L'intérêt de l'Europe, de la France et du Royaume-Uni est que celui-ci reste dans l'Union européenne, dans le plein respect des règles européennes. Tout en entendant les doléances britanniques, on ne saurait mettre en cause nos principes fondamentaux. Les propositions du président Tusk respectent trois de nos exigences : pas de révision des traités, pas de droit de veto du Royaume-Uni sur l'évolution de la zone euro, pas de remise en cause de libre circulation.
Il reste des interrogations. Bien sûr, les pays non membres de la zone euro doivent être respectés et informés ; ils ne doivent pas être contraints par les mêmes règles budgétaires. Mais ils ne sauraient empêcher ou freiner l'approfondissement de la zone euro.
S'agissant de la régulation financière, impossible d'en exempter Londres, car cela créerait une distorsion de concurrence en même temps que cela fragiliserait le système financier européen.
M. Tusk propose de clarifier les règles liées à la libre circulation et à l'accès aux prestations sociales, de lutter contre les abus et de créer un mécanisme de sauvegarde permettant de restreindre l'accès aux prestations aux nouveaux venus pendant une durée limitée. Les négociations vont se poursuivre sur ce point. Il convient en particulier de tenir compte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne.
Le Conseil européen reconnaîtrait aussi que le principe de «l'union sans cesse plus étroite» des peuples européens laisse ouvert des chemins d'intégration différents. Le «carton orange» accordé aux parlements nationaux, qui conduirait à un réexamen d'un projet législatif, pour tenir compte de leurs avis motivés sur le fondement du principe de subsidiarité, se situe à la limite de ce qui peut être accepté et ne remet pas foncièrement en cause les équilibres institutionnels.
Le volet relatif à la compétitivité ne pose, lui, aucun problème.
Deuxième grande question : les migrants. Accueil et identification des réfugiés dans les hotspots, plan d'action avec la Turquie, relocalisation au sein de l'Union européenne, soutien aux pays voisins... Des progrès ont été enregistrés depuis le début de l'année, notamment lors de la Conférence de Londres le 4 février. L'objectif est de parvenir à un système européen de gardes-frontières d'ici la fin du semestre.
Le dispositif maritime de l'OTAN en mer Égée apportera une aide utile pour faire cesser le trafic d'êtres humains, qui occasionne beaucoup de naufrages et de victimes. Le flux des migrants reste très important : plus de 2.000 personnes certains jours. Il faut aussi s'assurer que des terroristes ne se glissent pas dans le flux des réfugiés. Ceux qui relèvent de l'asile doivent être distingués des immigrés illégaux, qui doivent être reconduits.
Le Conseil examinera aussi la situation en Syrie et en Libye, et endossera les recommandations relatives au semestre européen.
Quelle que soit l'issue des négociations avec les Britanniques, l'approfondissement de la construction européenne doit se poursuivre. Refusons la tentation du repli. Une réponse européenne est pour nous la seule envisageable. L'Allemagne et la France, dont la responsabilité est singulière, porteront des solutions communes, dans l'intérêt de l'Europe entière.
(Interventions des parlementaires)
Il y a une grande convergence d'analyses sur les enjeux de la négociation avec le Royaume-Uni : il faut aménager la maison commune sans en ébranler les murs porteurs.
La feuille de route qui se dégage est claire : trouver un compromis, tout en approfondissant l'intégration européenne pour ceux qui le souhaitent, autour de l'harmonisation fiscale et sociale, de projets communs, de la dimension politique.
S'agissant de la gouvernance économique, nous respectons le choix du Royaume-Uni de ne pas rejoindre la zone euro ; nous acceptons la transparence : les pays non membres ne doivent pas être soumis aux mêmes contraintes, mais n'ont pas à se voir octroyer un droit de veto.
De fait, l'Europe est déjà différenciée ; le Conseil européen va le confirmer. Le projet d'accord de M. Tusk apporte des réponses sur l'immigration, ou la lutte contre les abus sociaux.
Un accord est aussi possible sur la compétitivité ou la souveraineté. Le premier objectif nécessitera l'approfondissement du marché unique de l'énergie, du numérique, des capitaux. Le second aboutira nécessairement à une Europe différenciée. Des dérogations, des clauses d'opt-out existent déjà. Nous les respecterons. Si nous voulons éviter la déconstruction de l'Europe, il faudra par ailleurs faire preuve d'une volonté de franchir de nouvelles étapes.
Cet accord doit donc aider M. Cameron face à son opinion publique, tout en laissant ouvertes les perspectives pour les pays de la zone euro.
Monsieur le Sénateur, la crise agricole est une crise européenne. Les quotas ont disparu et l'offre est toujours plus excédentaire alors que les prix se sont effondrés. M. Hogan rencontrera le Premier ministre à Paris le 25 février. La France a transmis un mémorandum proposant un relèvement temporaire du prix d'intervention sur le lait, un prolongement de l'aide au stockage privé, des mesures exceptionnelles de promotion, des discussions sur les débouchés, dont une levée de l'embargo sanitaire russe. Monsieur le Sénateur, l'embargo russe répond à une crise sanitaire en Afrique qui ne concerne pas la France ; quant aux sanctions européennes, leur levée dépend du respect des accords de Minsk.
La situation internationale, notamment en Syrie, appelle une réaction commune des pays européens, confrontés à la crise des réfugiés et au terrorisme. La Russie doit cesser de bombarder des civils et des hôpitaux et concentrer son action contre Daech plutôt que contre l'opposition modérée à Assad. Nous devons avoir avec elle un dialogue franc et exigeant. Nous ne menons pas une politique antirusse !
J'en reviens à l'agriculture. Nous souhaitons des mesures structurantes pour éviter la surproduction agricole et les moyens d'avancer sur l'étiquetage des produits transformés. Nous y travaillons au plan européen. Au plan national, le Premier ministre a annoncé aujourd'hui à l'Assemblée nationale des mesures importantes, dont l'allégement des charges.
Monsieur le Sénateur, vous avez raison : la Turquie doit revoir sa politique de visas et son exception au profit des pays du Maghreb.
Monsieur le Sénateur, des progrès sont en cours pour plus d'harmonisation fiscale et sociale. M. Moscovici a fait des propositions pour lutter contre l'optimisation fiscale des multinationales. Nous travaillons à l'harmonisation fiscale, en commençant par l'assiette de l'impôt sur les sociétés.
Madame la Sénatrice s'inquiète d'une discrimination entre citoyens européens. Les restrictions sur les allocations versées aux citoyens européens au Royaume-Uni ne peuvent qu'être temporaires, pour lutter contre les abus, et ne doivent pas entraver la libre circulation des travailleurs. Le droit dérivé est un instrument suffisant dans bien des cas ; les récents arrêts de la Cour de justice de l'Union européenne vont d'ailleurs dans ce sens.
Monsieur le Sénateur, la France veillera à ne pas être dévorée par le léopard sur la berge. Permettre à M. Cameron d'apporter les réponses qu'attend l'opinion publique britannique sans mettre en danger la construction européenne, c'est la ligne de crête que nous tenons.
Enfin, je n'ai pas compris la position de Monsieur le Sénateur, qui a affirmé son attachement au couple franco-allemand. Souhaite-t-il un referendum dans tous les pays ? Si oui, appellerait-il à voter pour ou contre le maintien dans l'Union européenne ?
S'il faut respecter le choix souverain du gouvernement britannique d'organiser un referendum, l'Union européenne ne doit pas pour autant modifier ses traités pour satisfaire un pays. Nous devons convaincre les Britanniques que leur place est dans l'Union européenne, sans mettre en cause l'intégrité de la zone euro et l'avenir de l'Union européenne.
(Interventions des parlementaires)
Les crises sécuritaires se cumulent en effet, provoquant un afflux de réfugiés. Ils ont d'abord rejoint les pays voisins : ils sont deux millions en Turquie, un million en Jordanie, un million au Liban ; compte tenu de la situation dans les camps, ils sont tentés de rejoindre l'Europe. Les filières illégales se sont organisées - le trafic est rentable - et organise les flux vers la Grèce puis la route des Balkans. Mais il y a deux ans déjà, les migrants arrivaient en nombre en Italie depuis la Libye, qu'ils fuyaient pour des raisons essentiellement économiques.
Nous devons donc venir en aide à la fois aux réfugiés politiques, conformément à la Convention de Genève, tout en renforçant les hotspots, en luttant contre les filières illégales, en renforçant le contrôle aux frontières, en organisant l'accueil et en faisant respecter les voies légales d'immigration.
(Interventions des parlementaires)
Je veux à mon tour exprimer la solidarité du gouvernement à l'égard d'Ankara. La Turquie est le pays accueillant le plus de réfugiés : deux millions. Ils ne pourront rentrer chez eux de sitôt. Un fonds de 3 milliards d'euros a été mis à sa disposition afin de soutenir leur insertion professionnelle et la scolarisation des enfants. En contrepartie, la Turquie a demandé l'ouverture de nouveaux chapitres de négociation - même si cela ne préjuge pas de la fin du processus - et la reprise de la discussion sur la libéralisation des conditions d'octroi des visas. Elle demande à être soutenue dans la lutte contre les réseaux ; l'OTAN contribuera à l'identification des bateaux des passeurs dans les eaux territoriales turques. La Turquie devra respecter les engagements pris.
(Interventions des parlementaires)
La situation au Yémen est dramatique : 80% de la population a besoin d'assistance humanitaire.
La France soutient le Haut représentant de l'Union européenne, qui s'est prononcé pour le respect sur droit international humanitaire. Nous demandons l'arrêt des attaques contre les civils et contre les hôpitaux et un accès sans entrave des humanitaires à toutes les populations.
Une aide humanitaire de 200 millions d'euros a été débloquée en 2015. Il faudra sans doute aller plus loin.
Au plan politique, nous soutenons toute solution qui pourra être trouvée sur la base de la résolution 2216 du Conseil de sécurité des Nations unies. Il faudra organiser rapidement une nouvelle session de pourparlers. Cette guerre est l'une des plus graves et des plus mortelles que nous connaissons aujourd'hui. Toute une région s'est embrasée, sur fond de lutte entre sunnites et chiites, avec l'intervention des grandes puissances régionales. La pacification de la péninsule arabique doit être une priorité.
(Interventions des parlementaires)
Ces questions n'ont cessé d'être évoquées dans le cadre des négociations d'adhésion avec la Turquie. Les chapitres 23 et 24, que la France souhaite ouvrir, ont précisément trait aux droits de l'homme, aux droits des minorités, aux valeurs que nous avons en commun. Dans le sud-est du pays, en proie à une quasi-guerre, il faut reprendre le dialogue politique avec les Kurdes. Nous condamnons les actions du PKK, parti terroriste, mais soutenons l'insertion des Kurdes dans la vie politique du pays, pour trouver la voie du dialogue et du retour à la paix civile.
(Interventions des parlementaires)
Des engagements ont été pris pour la relocalisation, pour accueillir de façon solidaire 160.000 réfugiés au cours des deux prochaines années. Les procédures ont toutefois pris du retard, et moins de 500 personnes ont été relocalisées à ce jour. La France est le deuxième pays d'accueil. Il faudra aller plus vite, plus loin. La Grèce et l'Italie enregistrent les arrivants, mais ne peuvent les garder sur leur territoire.
Des fonctionnaires de la Police aux frontières (PAF) et de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) participent au fonctionnement des hotspots, et au contrôle des documents identitaires - d'autant plus nécessaire que les terroristes de Daech se sont procuré des stocks de passeports syriens et irakiens.
La France s'est engagée à accueillir 30.000 personnes.
En Syrie, le gouvernement demande l'arrêt des bombardements contre les populations civiles et un accord politique.
(Interventions des parlementaires)
Les caricatures et les citations tronquées ne font pas avancer le débat. Faites donc des propositions ! Révision du code frontière de Schengen, gardes-frontières européens, union bancaire, Mécanisme européen de stabilité financière (MESF)... nous avançons. Point d'autosatisfaction toutefois, mais la preuve que c'est par la solidarité et la coopération que nous trouverons des solutions pragmatiques : il n'y a pas 28 réponses différentes à la crise syrienne, à la crise agricole, qui est une crise internationale des marchés. Au contraire, c'est en renforçant la politique européenne que nous pourrons soutenir nos agriculteurs. Nous opposons la solidarité au repli nationaliste et à la démagogie.
(Interventions des parlementaires)
Les accords du Touquet ont fait l'objet d'aménagements au fur et à mesure que la situation à Calais se dégradait. M. Cazeneuve a rencontré son homologue à plusieurs reprises pour renforcer la sécurisation du tunnel et du port. J'ai moi-même observé le travail des agents britanniques sur place.
La réponse n'est pas de remettre en cause les accords. Nous ne pouvons laisser les migrants risquer leur vie dans le tunnel en sachant qu'ils ne seront pas accueillis outre-manche. Nous continuons à offrir aux migrants un accueil au titre de l'asile s'ils peuvent en bénéficier, ou à les reconduire à la frontière dans le cas contraire. Tout se fait, quoi qu'il en soit, en partenariat avec le Royaume-Uni.
(Interventions des parlementaires)
Nous veillons à ne pas ébranler les fondements de la maison Europe, à ne pas renoncer à nos principes : pas de droit de veto sur l'évolution de la zone euro, pas de remise en cause du principe de libre circulation. N'anticipons pas. Il faudra d'abord réussir la négociation, prendre acte du résultat. Celui-ci aboutira de toute façon à une Europe différenciée. Mais les faits, les crises, les exigences du moment nous imposent de prendre de nouvelles initiatives allant dans le sens d'un approfondissement de l'Union européenne.
(Interventions des parlementaires)
Des mesures concrètes ont été annoncées par le Premier ministre, notamment la baisse des charges et le soutien aux exploitations. Le commissaire Phil Hogan sera à Paris le 25 février. Le mémorandum que nous avons transmis propose des mesures de régulation des marchés, de soutien aux prix, au stockage, de soutien aux débouchés - via la levée de l'embargo sanitaire avec la Russie - ainsi que des mesures de promotion des produits à l'exportation. Nous discutons avec les organisations agricoles et restons mobilisés pour que la PAC s'adapte à la crise, qui est européenne et mondiale.
(Interventions des parlementaires)
La transparence dans la négociation avec les États-Unis est une de nos priorités. À la demande du gouvernement français, le mandat de négociations a été rendu public. Les parlementaires ont accès aux documents américains confidentiels, même s'ils ne peuvent les consulter que sur place sans pouvoir faire des copies. Nous sommes également vigilants sur le fond de la négociation.
Le mécanisme de règlement des différends ne nous convenait pas, nous avons demandé sa modification. Nous refusons l'arbitrage privé. Sur les indications géographiques protégées, nous avons obtenu gain de cause dans nos négociations avec le Canada, et avons bon espoir d'avancer avec les États-Unis. Il faut examiner toutes les conséquences de ces accords sur l'ensemble du secteur agricole et alimentaire, notamment en matière de normes sanitaires.
Sur les marchés publics ou la convergence réglementaire, les négociations se poursuivent.
(Interventions des parlementaires)
Les arrivées des migrants ont baissé, en effet, mais il faudra vérifier le rôle que le climat a pu jouer dans cette diminution.
Les hotspots sont en cours de mise en place en Grèce. Nous avons apporté de l'aide matérielle et humaine. L'article 26 du code des frontières Schengen nous autorise à rétablir des contrôles pour des raisons de sécurité. C'est notre priorité, ainsi que le renforcement de Frontex et des contrôles aux frontières extérieures. Nous avons mis à disposition des agents de l'Ofpra et de la police aux frontières à cette fin. Notre priorité est d'aider la Grèce à renforcer ses capacités de traiter les demandes d'asile, l'accueil des réfugiés, en renforçant la sécurité.
(Interventions des parlementaires)
Les bornes Eurodac permettent à terme de contrôler l'identité des personnes et de centraliser les données du système d'information Schengen (SIS). Ensuite, la Grèce accepte désormais de garder les migrants sur son territoire, avant de les raccompagner avec l'aide de Frontex, vers leur pays d'origine ou vers la Turquie. Cela limitera le trafic en mer, particulièrement meurtrier.
(Interventions des parlementaires)
M. Valls a rencontré M. Medvedev samedi, à Munich, pour évoquer la levée de l'embargo.
Sur l'étiquetage des produits transformés, nous avançons au niveau européen et un décret est sur le point d'être publié. Nous veillons donc à sa compatibilité avec le droit européen, même s'il n'y a pas de directive européenne sur le sujet.
Le problème de l'absence de salaire minimum en Allemagne a été réglé, mais il reste des cas de distorsion de concurrence due à l'emploi de travailleurs détachés faiblement rémunérés. En étroite collaboration avec notre premier partenaire, et avec les autre pays européens attachés à la PAC, Stéphane Le Foll continue de promouvoir nos intérêts. Ce sera l'objet de la rencontre avec Phil Hogan.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 22 février 2016