Interview de M. Stéphane le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du gouvernement, à "France Inter" le 23 février 2016, sur la colère des agriculteurs.

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Média : France Inter

Texte intégral

PATRICK COHEN
Votre invité Alexandra BEN SAÏD est ministre de l'Agriculture et porte-parole du gouvernement.
ALEXANDRA BEN SAÏD
Stéphane LE FOLL bonjour.
STEPHANE LE FOLL
Bonjour.
ALEXANDRA BEN SAÏD
Les agriculteurs dans votre jardin dimanche, on a vu la photo - vous tendu les bras croisés - est-ce que vous avez vécu ça comme une prise en otage ?
STÉPHANE LE FOLL
D'abord je voudrais dire que ça fait beaucoup rire et il y a plein de petites photos qui tournent, moi j'habite dans un quartier du Mans, donc je suis dans mon département, c'est ma maison, j'estime quand même qu'il devrait y avoir un minimum aussi de respect, personne n'en parle, tout le monde s'en fout, mais moi je le rappelle. Je suis sorti et j'ai discuté, parce que je ne me défilerais pas, il y avait 30 agriculteurs, j'étais tout seul, dans les 10 minutes – ¼ heure il n'y avait personne.
ALEXANDRA BEN SAÏD
Il y avait des forces de l'ordre, il y avait la préfète ?
STEPHANE LE FOLL
Non, non, non. Oui, ça c'est venu après, il y avait des journalistes par contre, donc ça je sais.
ALEXANDRA BEN SAÏD
Stéphane LE FOLL c'est clair ils vous interpellent, ils disent…
STEPHANE LE FOLL
Donc oui, Stéphane LE FOLL, il vous dit ce matin…
ALEXANDRA BEN SAÏD
Ils disent : « on est sur paille comme nos vaches ».
STEPHANE LE FOLL
Que de temps en temps on peut rappeler aussi que, même si je suis ministre et que j'ai une maison, j'ai une famille, j'ai droit aussi au respect. D'accord ? Donc, ça, c'est le premier point. Deuxième point, oui ils m'interpellent, j'ai parfaitement compris, si je n'ai pas compris dimanche soir – et vous l'avez rappelé – j'aurais quand même perdu un peu le sens de la raison et ça fait longtemps que j'ai compris qu'il y a des difficultés, mais ça n'empêche, je vous le dis ce matin et sur une radio de service public, de temps en temps aussi il faut rappeler les choses, un peu de respect ça ne nuit à personne.
ALEXANDRA BEN SAÏD
A quatre jours du Salon de l'agriculture, il faut peut-être s'attendre à encore quelques coups d'éclat ?
STEPHANE LE FOLL
Bien sûr, je ne suis pas dupe. J'ai parfaitement compris qu'il y a une détresse, il y a aussi une colère et qu'elle existe, je l'ai suffisamment côtoyée, rencontrée et je la connais.
ALEXANDRA BEN SAÏD
François HOLLANDE sera au Salon de l'agriculture samedi…
STEPHANE LE FOLL
Bien sûr, samedi il sera au Salon de l'agriculture.
ALEXANDRA BEN SAÏD
J'imagine que vous serez à ses côtés ?
STEPHANE LE FOLL
J'y serai oui, le ministre de l'Agriculture est à ses côtés.
ALEXANDRA BEN SAÏD
Le service d'ordre est particulièrement renforcé ?
STEPHANE LE FOLL
Le service d'ordre n'est pas particulièrement renforcé, il y a un service d'ordre, on essaiera de faire en sorte que les choses se passent bien, mais j'ai parfaitement conscience que ce salon est un salon qui sera compliqué parce que la situation est difficile et qu'il faut qu'on soit extrêmement à la fois vigilant et surtout respectueux, respectueux des agriculteurs - parce que d'abord ceux qui viennent c'est ceux qui sont fiers d'être là primés au Salon de l'agriculture c'est aussi une fierté et celle-là c'est la leur - c'est d'abord à eux que ça doit s'adresser.
ALEXANDRA BEN SAÏD
On entend assez peu les politiques annoncer leur venue dans ce salon très compliqué, même José BOVE - que vous connaissez bien, vous l'avez connu au Parlement européen – a dit qu'il n'ira pas, ce serait indécent.
STÉPHANE LE FOLL
Je ne sais pas ! Je le dis aussi à José BOVE, que je connais bien, le Salon de l'agriculture – et j'ai rappelé hier ce film qui sort « La vache » c'est aussi une fierté pour ceux qui sont au Salon de l'agriculture, c'est aussi une fête et c'est la leur, donc on doit la respecter et je pense que chacun a bien compris que cette fois-ci le côté balade et sunlight ce n'est pas le sujet, donc il faudra être – je l'ai dit – respectueux, respectueux des agriculteurs d'abord.
ALEXANDRA BEN SAÏD
« Le ministre a dit qu'il n'est pas responsable de grandes choses », voilà comment l'un des producteurs laitiers qui étaient dans votre jardin a résumé la conversation.
STÉPHANE LE FOLL
Oui, mais ça parce que vous avez interrogé qu'un seul producteur, personne n'est venu m'interroger, personne ne m'a demandé…
ALEXANDRA BEN SAÏD
Eh bien je vous interroge ce matin !
STÉPHANE LE FOLL
Eh bien justement je vous réponds !
ALEXANDRA BEN SAÏD
Etes-vous responsable ? Que peut le ministre français de l'Agriculture…
STÉPHANE LE FOLL
Mais tout, bien sûr madame. C'est, comme le disait Dominique SEUX tout à l'heure, quand on parle du pétrole, de l'énergie, des produits agricoles, on peut tout et en même temps le temps que les choses changent – même si on voulait tout changer – ça prend du temps. Est-ce qu'on peut comprendre ça ? Je suis face…
ALEXANDRA BEN SAÏD
Mais ça fait 30 ans que l'agriculture française décline, alors il y a eu beaucoup de ministres de l'Agriculture…
STÉPHANE LE FOLL
Ce n'est pas vrai, mais ça… mais alors ça, ce matin déjà première bêtise, dernier chiffre…
ALEXANDRA BEN SAÏD
Je vous remercie !
STÉPHANE LE FOLL
Oui, oui, oui, mais je vais vous le dire franchement….
ALEXANDRA BEN SAÏD
Non, mais allez-y, on a 500.000 exploitations agricoles…
STÉPHANE LE FOLL
Oui.
ALEXANDRA BEN SAÏD
En 2020 il n'y en aura plus que 320.000.
STEPHANE LE FOLL
Dernier chiffre d'Eurostat ! Quelle est la première agriculture d'Europe, madame, ce matin ?
ALEXANDRA BEN SAÏD
Nous restons, monsieur, la première agriculture d'Europe. Ne sommes-nous pas en train de décliner ?
STEPHANE LE FOLL
Avec combien de productions agricoles ? 18 %, quand l'Allemagne – qui est montrée comme celle qui est en train de progresser et de nous dépasser – est en deuxième position à 14 % et que, après, c'est 13, 10, 8, donc nous sommes toujours la première agriculture d'Europe.
ALEXANDRA BEN SAÏD
Pour combien de temps ?
STEPHANE LE FOLL
Est-ce qu'on a des difficultés ? Oui ! Pour combien de temps ? Ca fait déjà plus de 40 ans que ça dure, donc ça va durer encore 40 ans et voire plus - mais cela ça ne sera pas de ma responsabilité – donc cette agriculture française est une grande agriculture. Je rappelle que les difficultés…
ALEXANDRA BEN SAÏD
Que pouvez-vous faire Stéphane LE FOLL ? Que pouvez-vous ? Vous me dites : « nous pouvons tout » ?
STEPHANE LE FOLL
Mais d'autres agricultures en connaissent aussi, parce qu'en Europe il n'y a pas qu'en France qu'il y a des difficultés…
ALEXANDRA BEN SAÏD
Que pouvez-vous ?
STEPHANE LE FOLL
Il faut le rappeler aussi.
ALEXANDRA BEN SAÏD
Que pouvez-vous ? Trois ans après le scandale de l'étiquetage des lasagnes à la viande de cheval, vous n'avez pas obtenu de Bruxelles l'étiquetage ?
STEPHANE LE FOLL
Oh ! Non, je ne l'ai pas obtenu. Pourquoi je n'ai pas obtenu de Bruxelles l'étiquetage ? Parce que d'autres pays n'en veulent pas, en particulier des pays qui sont prêts à mettre une étiquette sur l'origine des produits de la viande dans les produits transformés mais qui voudraient la mettre sur quelle est l'origine, pour eux c'est le lieu d'abattage, pour moi ce n'est pas ça l'origine.
ALEXANDRA BEN SAÏD
Non, mais ça c'est le bras de fer...
STEPHANE LE FOLL
Mais, attendez, attendez, attendez. L'origine pour moi…
ALEXANDRA BEN SAÏD
Ca c'est le bras de fer, Stéphane LE FOLL ?
STEPHANE LE FOLL
L'origine pour moi c'est né, élevé et abattu et transformé en France, donc dans ce débat j'ai préféré considérer que je n'allais pas discuter plus en avant puisqu'il y a un certain nombre de pays qui n'étaient du tout sur la même ligne que nous. Par contre, on a mis en place un logo qui s'appelait « viande de France » et qui fonctionne très bien, qui lui intègre dans une démarche interprofessionnelle le né, l'élevé, le transformé et l'abattu en France et cette démarche on va la conforter avec le décret que j'ai pris. Alors oui l'Europe, si j'attends la négociation d'une directive européenne, vous avez parlé des lasagnes, c'était il y a deux ans – je m'en souviens très bien – il faut pratiquement deux ans et demi ou trois ans pour renégocier une directive, même si j'avais réussi à trouver un accord avec des grands pays comme l'Allemagne sur la question de l'origine on ne serait même pas encore arrivés à mon avis à l'écriture, enfin au vote de cette directive. Ça aurait réglé quoi ? Rien ! Je vous ai parlé du temps, l'action existe, la volonté elle est là, mais il y a du temps et on est en démocratie.
ALEXANDRA BEN SAÏD
Mais les agriculteurs connaissent le temps. Allez, Stéphane LE FOLL, un mot pour le porte-parole du gouvernement, une question sur la réforme du droit du droit du travail. Finalement il n'est plus question de 419.3, on l'a entendu hier, est-ce que c'est machine arrière de Matignon ?
STEPHANE LE FOLL
C'est simplement tout simple, enfin c'est simplement l'idée que dans un débat comme celui-là le débat parlementaire a toute sa place et qu'il faut prendre là aussi le temps de la discussion. Une bonne loi c'est une loi qui a été discutée, qui a été améliorée et je fais confiance au Parlement pour travailler su ce projet de loi qui est nécessaire à la fois pour la création d'emplois, pour des souplesses pour les entreprises parce que ce monde économique a totalement changé et puis en même temps des sécurités pour les salariés parce que je ne l'oublie pas les salariés ont besoin aussi d'être sécurisés.
ALEXANDRA BEN SAÏD
Manuel VALLS qui dit ce matin : « le chef d'entreprise ne doit plus avoir peur », c'est ça l'idée ?
STEPHANE LE FOLL
L'idée c'est que le chef d'entreprise doit se tourner avec confiance vers l‘avenir et, en même temps, le salarié il ne peut pas non plus être dans l'idée que s‘offre à lui que la précarité, il faut qu'on lui offre aussi des sécurités. Qu'est-ce qui est la clé de tout ça ? C'est dans une économie la confiance entre les acteurs ! Et c'est vrai que ça manque aujourd'hui, donc il faut qu'on soit capables avec ce débat d'apporter de la confiance, de créer de la confiance, de faire de la confiance.
ALEXANDRA BEN SAÏD
Stéphane LE FOLL, porte-parole du gouvernement et ministre de l'Agriculture…
STEPHANE LE FOLL
Merci.
ALEXANDRA BEN SAÏD
Qui peut tout. Merci d'avoir été sur France inter.
PATRICK COHEN
Merci à vous Alexandra BEN SAÏD.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 24 février 2016