Entretien de M. Jean-Marc Ayrault, ministre des affaires étrangères et du développement international, avec «France 3» le 21 février 2016, sur les relations entre l'Union européenne et le Royaume-Uni, la question des réfugiés, les sanctions européennes contre la Russie, les futurs évènements sportifs internationaux et sur la question climatique.

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Média : France 3

Texte intégral


* Union européenne - Royaume-Uni - Migrations - Relations extérieures
Q - L'Europe sauvée de la crise, du moins pour l'instant, après l'accord trouvé avec le Royaume-Uni qui demandait de nouvelles dérogations aux règles européennes. On peut dire quand même que c'est une union de façade parce qu'il y a eu plusieurs concessions. Je souhaite que l'on s'arrête sur une d'entre elles qui concerne le Royaume-Uni qui s'arroge le droit de ne pas verser les aides sociales aux étrangers, y compris européens, qui viennent au Royaume-Uni et qui, par exemple, ne trouveraient pas de travail. Cela ne vous choque-t-il pas ?
R - D'abord, de quoi parlons-nous exactement ? Dans l'accord qui est intervenu à Bruxelles, on ne remet pas en cause les traités européens. Il n'y a pas de droit de veto de la Grande-Bretagne sur l'avenir de la zone euro, il n'y a pas de droit de veto des parlements nationaux - donc celui de Westminster - contre toutes décisions européennes. Par ailleurs, il n'y a pas d'atteinte à la libre-circulation et là, vous faites allusion à la libre-circulation, notamment celle des travailleurs. Ce que les Britanniques ont obtenu, ce n'est pas la remise en cause du salaire minimum - le salaire n'est pas concerné -, ce sont des allocations non contributives : par exemple le RSA-activités, comme on l'appelait avant, ou maintenant la prime d'activité. C'est là-dessus que porte cette disposition.
Q - Et cela ne vous choque pas que les Anglais disent que cela ne s'appliquera pas chez eux ?
R - La réalité, ce n'est pas tout à fait comme cela. Bien sûr, il y a un autre principe qui fait partie des fondamentaux de l'Europe, c'est la non-discrimination ; et justement, pour que cette prestation complémentaire versée par l'État ne soit pas discriminatoire, avant que cette mesure transitoire soit mise en oeuvre, elle devra passer par un agrément des instances européennes - Commission et Conseil européen - pour veiller et vérifier qu'il n'y a pas discrimination.
Mais je crois que l'accord général qui a été passé permet d'acter quelque chose qui était déjà dans la réalité, c'est l'Europe différenciée. Qu'est-ce que l'Europe différenciée ? Eh bien, c'est qu'il y a deux conceptions.
Q - Surtout différenciée avec les Anglais. N'est-il pas temps, à un moment, de dire «stop Messieurs les Anglais, vous en demandez trop» ?
R - C'est ce qui s'est dit : «stop, vous ne pouvez pas aller plus loin».
Q - Ils ont déjà obtenu beaucoup tout de même !
R - Je viens de vous dire tout ce qui a été effectivement calé pour éviter que l'on remette en cause les principes de la construction européenne. Mais nous admettons, par contre, que la Grande-Bretagne ne veuille pas être dans la zone euro, qu'elle ne veuille pas être dans la zone Schengen, qu'elle ne veuille pas aller plus loin dans l'intégration ; nous l'admettons dans ce texte, c'est tout ce que nous admettons.
Q - Cela pourrait-il donner des idées à d'autres ?
R - Il n'y a que la Grande-Bretagne qui est concernée par cette disposition.
Q - Ne pensez-vous pas que cela pourrait donner des idées à d'autres ?
R - C'est à nous que cela doit donner des idées ! Cela doit nous donner l'idée maintenant que si nous voulons redonner du souffle et de la confiance dans le projet européen, il faut franchir une nouvelle étape : une étape d'intégration, une étape de solidarité supplémentaire sur le plan politique et, en même temps, une politique qui parle aux Européens. Plus de croissance, plus de préparation de l'avenir, plus de sécurité commune, plus de politique étrangère commune, vous le voyez bien sur les sujets d'actualité, que ce soit la Libye, la Syrie, le Sahel également, c'est ensemble que nous pouvons avancer. Il faut donc une Europe plus politique, plus performante et plus dynamique. Là, je suis convaincu que le couple franco-allemand devra être, dans les prochains mois au plus tard, à l'initiative et faire des propositions pour que l'on ait à nouveau confiance dans l'Europe. C'est cela qui va sortir.
Q - C'est le point de vue français, mais Angela Merkel est-elle prête à défendre l'Europe coûte-que-coûte ?
R - Angela Merkel est confrontée à un énorme problème de réfugiés, beaucoup plus que la France, là où elle est située et avec les pays qui sont autour. De quoi parle-t-elle ? Elle parle de solidarité européenne. Elle dit - et elle a raison - que ces problèmes ne pourront pas être durablement traités qu'à l'échelle d'un seul pays mais à l'échelle de l'Europe. Et quand je vois que certains pays envisagent de construire des murs, on sait bien que les murs n'ont jamais rien réglé, l'Histoire nous le montre ou nous l'a montré. Ce n'est donc pas la solidarité européenne.
Qu'est-ce que cela veut dire concrètement ? Cela veut dire, par exemple, aider la Grèce à mettre en place les décisions qui ont été prises, comme les «hotspots», comme les gardes-frontières aux frontières de l'Union européenne, pour qu'évidemment l'on puisse contrôler ceux qui veulent rentrer comme réfugiés - qui fuient la guerre et qui veulent tout simplement vivre ou survivre ? et, en même temps, distinguer de l'immigration économique qui n'a pas vocation à rester.
Cela s'organise et cela ne peut pas s'organiser que dans chaque pays, mais à l'échelle européenne.
Q - En juin prochain les Britanniques vont devoir se prononcer par référendum s'ils restent ou non dans l'Union européenne. S'ils disent «non on s'en va», l'Europe pourrait-elle s'en relever ?
R - Je ne souhaite pas que les Britanniques décident ainsi. La campagne vient juste de commencer et elle sera courte car le référendum aura lieu le 23 juin ; c'est dans très peu de temps. Les Britanniques seront face à une question essentielle. Où est leur intérêt de pays, de nation, à long terme ? À long terme, partir, je crois que cela pourrait mettre en péril le Royaume-Uni lui-même.
Q - Le Royaume-Uni certes mais l'Europe, sera-t-elle mise en péril ?
R - Ce sera un choc, ce sera une crise mais, en même temps, l'accord de Bruxelles permet une chose - je le dis parce qu'il faut aussi avoir confiance en nous-mêmes, les Européens - c'est qu'il n'y a pas de temps à perdre pour que ceux, qui justement ne sont pas sur les positions britanniques concernant l'Union européenne, et qui avancent maintenant. Il faut faire mouvement, c'est le moment, il ne faut plus tarder et il faut donc préparer les décisions qui seront proposées au Conseil européen et qui seront, j'en suis sûr, l'un des thèmes de la campagne des élections présidentielles en France, des élections législatives en Allemagne en 2017.
Il faut être en position dynamique, en position de mouvement pour redonner de l'espoir à tous ceux qui croient en l'Europe.
Q - Une question sur l'Europe et ses relations avec la Russie en particulier, l'embargo russe qui a été décrété il y a deux ans maintenant, après la crise en Ukraine. Imaginez-vous une levée de l'embargo de la part des Russes d'ici peu, tout cela se détend-il ?
R - L'embargo de la part des Russes, vous parlez des mesures de rétorsion qui ont été prises ?
Q - Oui absolument.
R - Nous avons décidé, à 28, des sanctions à l'égard de la Russie. Les raisons étaient simples : le coup de force qui a eu lieu et qui porte atteinte aux frontières de l'Union européenne, qui attaque un État souverain, l'Ukraine, était inacceptable. La réaction des Européens était indispensable. C'est la première fois, après la Seconde guerre mondiale, que les choses se sont passées ainsi. Ces sanctions à l'égard de la Russie ont permis de porter leurs fruits puisque nous avons fait évoluer les situations des uns et des autres, avec l'accord de Minsk, le format Normandie à l'initiative de François Hollande.
Demain, je serai à Kiev avec mon homologue M. Frank-Walter Steinmeier, le ministre des affaires étrangères allemand, où nous parlerons aux autorités ukrainiennes pour leur dire de prendre leur part de la mise en oeuvre des accords de Minsk, comme les Russes doivent le faire aussi. Si les choses avancent, nous pourrons lever les sanctions à condition qu'elles avancent concrètement.
Q - M. Macron est allé à Moscou et a dit qu'elles pourraient être levées d'ici l'été, est-ce vrai ?
R - Si les choses avancent vite mais à condition qu'il y ait de vrais résultats concrets, ce ne doit pas être un marché de dupes.
Un dernier point, Stéphane Le Foll, le ministre de l'agriculture fait un travail formidable. Je lui «tire mon chapeau» parce que c'est très difficile, car, dans la crise agricole actuelle, le malaise et le malheur que rencontrent beaucoup de producteurs, lui «mouille sa chemise». Il est allé en Russie, non pas pour parler des sanctions de l'Union européenne mais pour parler des mesures de rétorsions russes à partir du porc, pour que justement les Russes comprennent qu'il y a un geste à faire et j'espère que l'on y parviendra, en tout cas je le souhaite.
Q - Que pouvez-vous faire concrètement en un an pour votre pays ?
R - Il ne faut pas perdre de temps. Le président de la République m'a dit «l'Europe est en situation extrêmement difficile» - j'en ai parlé il y a quelques instants. Il m'a demandé de m'investir fortement sur l'avenir de l'Europe et c'est une priorité.
Q - Pourriez-vous être cet homme qui fera de l'Europe, une Europe un peu plus intégrée à quelques pays ?
R - Je vais y travailler.
Q - Est-ce votre ambition ?
R - Je le ferai avec le président de la République car il y a les discussions au Conseil européen où sont les chefs d'État et de gouvernement. Cela ne peut pas se faire sans une entente et en particulier avec l'Allemagne. J'ai déjà commencé de le faire et je vais poursuivre.
Il y a des dossiers extrêmement durs qu'il faut traiter, je pense à la Syrie, je pense à la lutte contre le terrorisme et cela fait partie de mes priorités.
Il y a aussi le chantier de l'Afrique qu'il ne faut pas oublier et qui a des perspectives de développement qu'il faut accompagner à égalité. (...).
* Évènements sportifs internationaux
(...)
Q - Les Jeux olympiques de 2024 se préparent, Paris est sur la dernière ligne droite avec Los Angeles, Budapest et Rome. La compétition est acharnée. Quel peut être votre rôle dans ce dossier ?
R - Je vais soutenir à fond, je vais d'ailleurs rencontrer prochainement Anne Hidalgo, la maire de Paris, qui est extrêmement engagée avec beaucoup de talent, ainsi que Bernard Lapasset, pour que la France fasse valoir tous ses atouts qui sont considérables. La France a un savoir-faire considérable pour organiser les grands événements. Je prendrai comme exemple le dernier : la COP21 ; cela a frappé le monde entier.
Q - En plus, il y aura le test de l'Euro 2016.
R - En effet. Et la France, puisque ce sont les grands événements sportifs, c'est aussi le symbole de l'ouverture, du dynamisme, de la créativité, avec un pays jeune et je souhaiterais vraiment du fond du coeur que l'on se donne tous les atouts pour une réussite. Ce serait formidable comme symbole car ce serait cent ans après les derniers Jeux olympiques à Paris.
* Climat - COP21
(...)
Q - Ségolène Royal pensait avoir le poste, seriez-vous un deuxième choix ? Que s'est-il passé selon vous ?
R - Je n'ai eu qu'une seule proposition, nous n'avons jamais évoqué quoique ce soit d'autre. Vous avez pu remarquer que Ségolène Royal présidera la COP21.
Q - C'est une amputation par rapport au poste de votre prédécesseur, ce n'est pas grave ?
R - Non, parce que la COP21 voyez-vous, c'est une mission qui se fait au nom des Nations unies. Laurent Fabius a fait un travail formidable. Je tiens à saluer son action comme ministre des affaires étrangères mais aussi comme président de la COP. Cela a été une réussite parce que la France a su aussi jouer pleinement son rôle pour faciliter les négociations. Ségolène Royal est ministre de l'environnement et, je l'ai dit au président de la République d'emblée, je ne souhaitais pas être président de la COP. Bien entendu, elle présidera la COP au nom des Nations unies, elle le fera bien et j'ai toute confiance en elle parce que c'est un travail énorme : il s'agit de préparer la signature du 22 avril pour qu'il ne manque personne de tous ceux qui se sont engagés.
Q - Pourquoi ne souhaitiez-vous pas avoir cette présidence ?
R - Parce que je vous ai dit que la tâche qui est la mienne, c'est de me consacrer au chantier des affaires étrangères. Et les affaires étrangères, c'est l'Europe, le Moyen-Orient, le Proche-Orient, l'Afrique, c'est la totalité du monde dans lequel évidemment il y a des questions environnementales qui sont sous la responsabilité du ministère des affaires étrangères. Ségolène Royal, que vous évoquiez, va travailler avec le concours des services de l'administration qui sont sous mon autorité et je ferai tout pour ce qu'elle a à faire, pour que la réussite de la COP21 soit la réalité. (...).
source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 1er mars 2016