Point de presse de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, et interview à RFI le 13 août 2001, sur le réchauffement des relations entre la France et le Rwanda depuis le génocide des Tutsis en 1994 et la relance de la coopération entre les deux pays, le retrait des forces rwandaises de la République démocratique du Congo conformément aux Accords de Lusaka.

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Circonstance : Voyage de M. Hubert Védrine, en Ouganda, au Rwanda, au Congo-Brazzaville et en République démocratique du Congo du 12 au 14 août 2001-rencontre avec le président rwandais Paul Kagamé

Média : Radio France Internationale

Texte intégral

Point de presse à Kigali le 13 août 2001 :
Q - Est-ce que l'on peut connaître la portée de vos discussions, Monsieur le Ministre ?
R - Oui, j'ai été reçu longuement par le président Kagamé après un entretien avec le ministre des Affaires étrangères, M. Bumaya.
Je suis venu dans cette région, dans plusieurs pays de cette région, pour montrer l'engagement de la France par rapport à l'application pleine et entière des Accords de Lusaka. C'est une question dont j'ai parlé en Ouganda, en Tanzanie et dont je parle au Rwanda aujourd'hui.
Nous savons bien que les Accords de Lusaka ne peuvent être mis en oeuvre que si tous les protagonistes les appliquent loyalement sur tous les points. C'est vrai des protagonistes du dialogue inter-congolais et c'est vrai aussi de tous les pays voisins concernés. Le président Kagamé m'a dit la volonté du Rwanda d'appliquer ces accords mais il a souligné des problèmes particuliers de sécurité qui existent pour le Rwanda.
Effectivement, ces problèmes existent, l'histoire récente le montre. Les Accords de Lusaka supposent justement l'engagement de tous. Il y a d'autres protagonistes des Accords de Lusaka, le Congo et d'autres pays voisins qui doivent faire en ce qui les concerne également des efforts, c'est une question de sécurité pour le Rwanda. Et donc, tous les volets sont liés. Ce que nous voulons, nous Français, comme tous les pays membres du Conseil de sécurité, c'est que le processus ne se bloque pas.
Je reste d'un optimisme mesuré et raisonnable. Je crois que l'on peut avancer pas à pas.
Q - Avez-vous parlé du génocide de 1994 ?
R - Nous avons parlé de ce sujet avec le président Kagamé. Je lui ai dit à quel point la France toute entière avait été épouvantée et bouleversée par ce qui était arrivé en 1994. Et donc, la volonté des Français d'être auprès du Rwanda moderne dans ce travail de reconstruction d'un pays débarrassé des horreurs du passé. Le président Kagamé m'a dit qu'il jugeait lui-même cette conversation grave et sérieuse que nous avons eue sur le génocide, comme très importante.
Q- Peut-on espérer voir les personnes impliquées dans le génocide rwandais et séjournant en France traduites en justice à Arusha ou à Kigali ?
R - Toutes les personnes qui sont poursuivies peuvent être traduites en justice. Aucune exception à ce principe.
Q - Monsieur le Ministre, on a vu les Etats-Unis, la Belgique, demander pardon au Rwanda. Est-ce que la France est prête à demander pardon au Rwanda ?
R - Je vous ai dit : le sentiment de la France était celui d'une très profonde compassion par rapport à cette tragédie du génocide. Le sentiment répandu également en France est que la politique française a été injustement présentée. Mais ce n'était pas l'objet principal de ma venue et ce n'était pas le sujet principal de l'entretien avec le président Kagamé, ni avec le ministre des Affaires étrangères. Evidemment, c'est un sujet tellement grave que l'on ne peut pas ne pas en parler. Mais je dois vous dire que les entretiens que j'ai eus à Kigali, cet après midi, m'ont paru à la fois francs, honnêtes, confiants et tournés vers l'avenir.
Que peut-on faire d'utile par rapport au Rwanda d'aujourd'hui ? Que peut-on faire d'utile par rapport à l'affaire de la RDC ? Que peut-on faire d'utile par rapport au Burundi et sur beaucoup de sujets ? Ce sont là les vraies questions qu'il faut se poser.
Q - Les Accords de Lusaka disent qu'il faut désarmer ceux que la France est accusée d'avoir soutenu jusqu'au bout. Est-ce que la France a donné des assurances aujourd'hui sur sa part dans ce processus de désarmement, Monsieur le Ministre ?
R - Les deux choses ne sont par liées. Il ne faut pas mélanger la polémique sur les années passées et d'autre part, les dispositions des Accords de Lusaka. Sur les Accords de Lusaka, c'est très simple : toutes les dispositions doivent être mises en uvre, y compris bien sûr le désarmement des forces qui menacent encore le Rwanda et qui pèsent sur sa sécurité. Cela fait partie des accords, c'est la politique dite du DDRR qui doit être mise en oeuvre complètement. Je le répète, ces accords sont compliqués à mettre en oeuvre, mais il n'y a pas d'autre solution. Il faut comprendre absolument ce volet.
Q - La France est impliquée là-dedans, Monsieur le Ministre ?
R - La France n'est pas impliquée, la France est pleinement concernée en tant que membre permanent du Conseil de sécurité qui soutient à fond les Accords de Lusaka.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 20 août 2001)
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Interview à "RFI", à Brazzaville le 13 août 2001 :
Q - Monsieur le Ministre, vous avez sans doute discuté de ce qu'on peut appeler le "contentieux franco-rwandais", à savoir ces accusations rwandaises impliquant la France dans le génocide qui date donc depuis près de 7 ans et la position française demandant sur le conflit en RDC le retrait des agresseurs et notamment le Rwanda ? Est-ce que vous en avez discuté ?
R - Cela ne se présentait pas exactement ainsi. En réalité, j'avais été invité par le ministre rwandais des Affaires étrangères à venir au Rwanda quand je le pourrai pour relancer la coopération franco-rwandaise. C'était cela leur demande, leur présentation.
D'autre part, je souhaitais me rendre dans un certain nombre de pays de cette région pour souligner l'engagement de la France en ce qui concerne la pleine application des Accords de Lusaka et des résolutions du Conseil de sécurité pour régler l'affaire de la RDC. Cela concerne évidemment les protagonistes internes à la RDC, ceux qui vont bientôt participé - je l'espère - au dialogue politique inter-congolais mais cela concerne évidemment tous les pays voisins extérieurs et qui ont des forces militaires en RDC dont le Rwanda mais pas que le Rwanda. Il y a le Rwanda, l'Ouganda, l'Angola, le Zimbabwe, enfin la liste est connue. Donc, ce n'était pas spécialement sur un problème franco-rwandais qu'avait lieu cette étape à Kigali après que j'ai eu des entretiens également au Kenya, en Tanzanie et en Ouganda ce matin même.
J'ai demandé au président Kagamé, comme je l'ai demandé aux autres responsables concernés que j'ai vus, ce que le Rwanda allait faire en ce qui le concerne pour appliquer ces engagements. Il a fait valoir qu'ils se sont retirés déjà de 200 km, qu'ils ont ramené, au Rwanda, certaines troupes, que, pour le reste, ils ne continueront que si leur sécurité est garantie, et qu'elle ne le sera pas complètement tant qu'il y aura des interahmwés qui garderont la possibilité à partir de l'Est de la RDC de peser sur les frontières du Rwanda, de faire régner l'insécurité.
J'ai rappelé que les Accords de Lusaka prenaient en compte justement les intérêts légitimes des uns et des autres et, qu'il ne fallait pas invoquer des arguments même aussi justifiés que celui-là pour bloquer le processus parce qu'après tout l'Accord de Lusaka se décompose. Il y a toujours des prétextes, un motif invoqué par un pays, les autres bloquent etc...
Evidemment dans ce contexte, nous avons parlé des relations franco-rwandaises. Il s'est montré ouvert comme l'était le ministre qui m'avait invité, à ce que la France redéveloppe sa coopération avec le Rwanda, il le souhaite maintenant.
C'est moi qui ai abordé la question des événements de 1994, le génocide, en lui disant à quel point la France toute entière avait été bouleversée par cette abominable tragédie, en disant les sentiments de compassion qui nous animent, le désir d'être utiles au Rwanda qui se reconstruit.
J'ai dit aussi que beaucoup de responsables français avaient trouvé que la politique française de l'époque avait été présentée de façon injuste. On avait essayé au Rwanda - un peu comme d'autres le tentent aujourd'hui à propos du Burundi - de faire en sorte que les Hutus et les Tutsis arrivent à se mettre d'accord pour partager le pouvoir.
Cette espérance, cette politique, s'est cassée sur un certain nombre de refus extrémistes, sur l'attentat, sur des espèces de projets fous d'une ethnie contre une autre. Tout cela est tout à fait épouvantable mais nous étions les premiers à en être consternés et le mot est faible.
Je lui en ai parlé dans des termes simples, francs et directs et sans détour et nous avons eu, à partir de là, une discussion. Je pense que c'est peut-être la première discussion que le président Kagamé avait avec un responsable politique français depuis ces événements sur ces questions. Mais ce n'était pas l'objet de l'entretien. Ce n'était pas pour cela qu'il avait souhaité que je vienne. Ce n'était pas l'objet principal.
Q - Après cet entretien, avez-vous l'impression qu'il y a un réchauffement ? Est-on sur la voie de la normalisation entre Paris et Kigali ?
R - La normalisation est un peu compliquée avec tous les pays impliqués dans l'affaire de la RDC. On pourrait parler de normalisation complète ou d'excellentes relations que si on avançait vite, bien et complètement dans la mise en uvre de l'accord. Donc, cela va avancer par étape. Ce que je peux vous dire, c'est que j'ai trouvé à Kigali, aujourd'hui, des responsables rwandais qui m'ont semblé regarder vers l'avenir et qui reconnaissent le rôle éminent de la France par rapport à l'Afrique au sein de l'Union européenne, au Conseil de sécurité et qui sont désireux de voir la coopération avec la France se réintensifier. C'est cela que je note, c'est ce qui paraît positif. Nous sommes là pour construire l'avenir.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 20 août 2001)