Article de Mme Nicole Notat, secrétaire générale de la CFDT, dans "Le Monde" du 5 septembre 2001, sur la gestion paritaire de la sécurité sociale et notamment la décision du MEDEF de ne pas renouveler ses administrateurs dans les caisses de sécurité sociale.

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Média : Emission la politique de la France dans le monde - Le Monde

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Dernier avatar du dialogue qui, depuis quatre ans, oppose gouvernement et Medef, ce dernier a déclaré ne pas renouveler ses administrateurs dans les caisses de Sécurité sociale. Oubliée depuis le retour à l'équilibre financier, la "Sécu" fait ainsi un retour fracassant sur le devant de la scène. Doit-on s'en réjouir ? Dans ces conditions, certainement pas. Le débat nécessaire, les choix indispensables ne sauraient être occultés par des prises de position tactiques et des querelles byzantines. Avec pour conséquence de mélanger le financement des 35 heures, le rôle des partenaires sociaux, l'organisation de la Sécu... et les prochaines échéances électorales. Comment les citoyens peuvent-ils s'y retrouver, le débat public se développer ?
Au-delà, le risque est grand de voir annihilés les fragiles acquis de ces dernières années. Des débats nourris, conflictuels souvent, mais c'est la loi du genre, ont permis une prise de conscience collective décisive : celle de la nécessité, dans la santé, de recentrer le système de soins autour des besoins des patients, dans le cadre d'une responsabilité partagée de tous les acteurs.
Certes, le départ du Medef et de la CGPME n'affectera en rien - et c'est heureux - le remboursement des soins, le versement des pensions, le paiement des prestations familiales. Cela suffit-il à nous rassurer ? Pour la CFDT, clairement non. Devant cette situation, certains estimeront que la participation des partenaires sociaux à la gestion de la Sécu est un schéma dépassé et qu'il revient alors tout naturellement à l'Etat de l'assumer en totalité.
D'autres, que cette hypothèse pourrait rassurer, mais qui ne souhaitent pas le déclarer publiquement, argumenteront sans doute que le départ du patronat ne porte pas atteinte à la légitimité de la représentation, pas plus qu'à celle de la gestion contrôlée par des syndicats représentatifs des assurés sociaux.
Sans doute avanceront-ils la proposition d'élire les administrateurs à l'appui de leur thèse, ce qui à nos yeux ne changerait rien à la situation créée. Il ne s'agirait que d'un replâtrage qui se révélerait rapidement illusoire.
La protection sociale n'a certes pas de prix, mais elle a un coût que les entreprises et les salariés assument largement. En l'absence de représentation de tous les acteurs concernés, les décisions perdront en légitimité, seront fragilisées. L'expérience de la gestion des organismes sociaux a démontré que c'est la participation de tous les groupes d'intérêt à la prise de décision qui lui donne force et efficacité. En revanche, exclu des droits et des devoirs qui découlent des responsabilités exercées, tout groupe social, patronat compris, est exposé au risque de se cantonner à la seule défense de ses intérêts particuliers, voire corporatistes.
Ces choix ne sont pas les nôtres. Le choix de la CFDT est celui d'une démocratie sociale qui alimente et complète la démocratie politique. Il découle d'une conviction forte : entre l'Etat - pleinement légitime dans la sphère du politique - et l'individu, la représentation sociale fait sens. Le paritarisme à la française, qui s'incarne entre autres à la Sécu, en est une pièce maîtresse. On peut penser qu'il a vécu, mais alors il faut en finir avec le discours-fiction d'un attachement au dialogue social et à sa modernisation, il faut rompre avec les déclarations désolées sur la faiblesse des corps intermédiaires.
L'Etat seul aux manettes se trouverait, mais il serait trop tard, dépourvu d'interlocuteurs ayant les responsabilités découlant des missions qu'ils assument. Et la démocratie politique orpheline de la démocratie sociale ne tarderait pas elle-même à s'affaiblir. A cela, la CFDT ne se résigne pas.
La légitimité de la représentation va se trouver fort justement au centre des débats à venir. Elle ne doit pas pour autant être déconnectée d'autres questions comme celle de la clarification des responsabilités de l'Etat et des partenaires sociaux, ou comme celles qui ont émergé lors du Grenelle de la santé.
Il est une question, en tout cas, qui a cristallisé l'attention ces derniers mois, qui a été l'élément déclencheur d'une crise qui couvait : celle du financement des 35 heures par la Sécu. Qu'on ne s'y trompe pas. Il ne s'agit point ici de préserver à la Sécu une quelconque "chère cassette", à la façon d'Harpagon. Mais la consolidation des systèmes de protection sociale est fondée aussi sur la transparence des financements mis au service d'une véritable stratégie.
Il nous faut donc revenir à des principes simples : des ressources affectées, des dépenses organisées autour de politiques définies. Il faut en finir avec les usines à gaz, les tuyauteries financières qui débouchent sur l'opacité totale.
C'est la raison pour laquelle la CFDT est attachée à ce que les cotisations sociales, la CSG, soient affectées à la Sécu, uniquement à elle, pour donner une base claire au contrat social qui fonde les prélèvements obligatoires. En effet, quel citoyen peut comprendre ou admettre que les excédents de la Caisse nationale d'assurance- vieillesse servent à financer les 35 heures quand on sait les besoins qui vont être ceux du système de retraite ? Qui pourrait comprendre que ceux de l'assurance-maladie, en admettant qu'ils existent, soient eux aussi utilisés ainsi alors qu'il y a tant de besoins nouveaux de santé publique à satisfaire ?
Si l'on reconstruit dans ce domaine des bases claires, crédibles, alors on pourra recentrer le débat sur l'essentiel, donner toutes ses chances à la démarche lancée lors du Grenelle de la santé, éclaircir l'horizon de la réforme des retraites et, le cas échéant, traiter dans la clarté d'éventuels redéploiements des financements.
C'est le contrat que la CFDT propose à tous les partenaires impliqués dans la gestion des organismes sociaux. Des partenaires fortement responsabilisés, décidés à être des acteurs exigeants, crédibles et responsables. Cet objectif n'est pas inaccessible. S'il ne devait pas être atteint d'ici le 1er octobre, il faudrait, à tout le moins, dire clairement que nous entrons dans une période qui n'a pas vocation à durer. Dans cette hypothèse, des clarifications sur les choix fondamentaux devront être apportées, et rendre alors possible un retour au paritarisme. Alors, le Medef et la CGPME seraient contraints à la révision de leur position. C'est ce à quoi la CFDT s'attachera dans les conseils d'administration et dans l'exercice des responsabilités qu'elle y exerce.
Car ce dont il est question ici, c'est bien du type de démocratie sociale et de protection sociale dont tous les acteurs, Etat et société civile, veulent doter ce pays en ce début de siècle.
(source http://www.cfdt.fr, le 5 septembre 2001)