Texte intégral
* Syrie
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Q - Parlons de la Syrie si vous le voulez bien ; les négociations pour tenter de trouver une issue à ce conflit peinent à démarrer. La question qui continue de bloquer, c'est - avec ou sans Assad. - Quelle est la position de la France ?
Les Saoudiens disent qu'il doit partir tout de suite, les Russes disent que l'on verra quand les élections auront eu lieu, comment la France se situe-t-elle ?
R - La France se situe dans la perspective d'une solution politique. Il n'y aura pas de sortie de la guerre en Syrie s'il n'y a pas de cessez-le-feu ; il existe et il doit être respecté intégralement. Il n'y aura pas non plus de solution si l'aide humanitaire n'est pas acheminée à toutes les populations qui sont aujourd'hui dans une situation terrible.
La troisième condition, c'est qu'il y ait un processus politique si on veut mettre fin à la guerre. Personne n'oublie la responsabilité du régime de Bachar al-Assad dans ce massacre - 270.000 morts - et la destruction du pays. Tout le monde sait cela. Donc l'issue, c'est d'éviter le chaos institutionnel, éclairé par l'expérience irakienne. Il ne s'agit pas de refaire la même chose mais, en même temps, il faut le faire par la voie de la négociation et cela veut dire que tout le monde doit faire un effort.
Q - Mais à la fin, Assad ne pourra pas se présenter ?
R - Franchement, qui peut l'imaginer ? Qui peut imaginer que les Syriens, si les institutions étaient transparentes et viables, puissent voter pour lui. Cette option n'est pas valable. (...).
* Libye
Q - Une menace de Daech grandit un peu partout dans les Territoires palestiniens, mais évidemment en Syrie et en Libye, on l'a encore vu récemment avec une attaque en Tunisie. N'est-il pas temps d'agir militairement en Libye ?
R - Avant d'agir militairement quel que soit la méthode, ce sont d'abord aux Libyens de se défendre, de combattre Daech à l'intérieur de leur pays. Mais c'est vrai qu'il y a une menace de Daech qui vient jusqu'à la frontière tunisienne. D'ailleurs, la semaine prochaine, je serai à Tunis pour exprimer ma solidarité avec les autorités tunisiennes dans leur démarche de constitution d'un état démocratique viable, il faut les aider sur les plans politique, économique et de la sécurité.
Il faut combattre Daech là où il menace de s'étendre en Libye, mais le préalable est la constitution d'un gouvernement libyen d'unité nationale. Et c'est possible. Il y a un Premier ministre qui est tout à fait apte à le diriger, et une majorité de parlementaires ont dit qu'ils lui étaient favorable. Mais le Parlement ne se réunit pas, car il y a des entraves. Il y a urgence. Si l'on veut trouver des solutions pour combattre Daech et soutenir les Libyens, encore faut-il que nous ayons des autorités légales reconnues par les autorités internationales. Il est temps qu'ils prennent leurs responsabilités.
C'est une question de jours, et maintenant on ne peut plus attendre. Je dirais que cela suffit, il y a ceux qui se mettent en travers pour des raisons d'ordre individuel, et moi je n'exclus pas qu'on puisse les menacer de sanctions. En tout cas, c'est que je proposerai à mes collègues des affaires étrangères lundi à Bruxelles. On ne peut pas continuer avec cette situation libyenne qui est un danger pour les Libyens et pour toute la région, et qui menace la Tunisie et menace l'Europe.
* Migrations
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Q - Ce conflit en Syrie apporte et draine vers nous des centaines de milliers de réfugiés. Un accord a été trouvé avec la Turquie. Ne pensez-vous pas que l'Europe est en train de tourner le dos à un principe qui est aussi le reflet de ses valeurs et qui est celui du droit d'asile ?
R - Nous sommes face à une situation extrêmement grave et je pense que les uns et les autres essaient de trouver une solution. Elle n'est pas facile à trouver et on ne peut pas ne pas discuter avec la Turquie. Je rappelle qu'elle accueille quand même le plus grand nombre de réfugiés - 2.700.000 - dans des conditions honorables avec la possibilité de travailler et d'aller à l'école. C'est un pays qui fait beaucoup d'efforts et il est donc légitime que nous l'aidions.
Après, il y a ces blocages aux frontières, avec ces réfugiés qui passent sans respecter le droit et qui sont en Grèce, qui devient alors comme un camp de réfugiés.
Il faut donc aussi aider la Grèce, non seulement pour les «hotspots» et les frontières mais aussi l'aider à relocaliser les réfugiés qui sont là et que le pays ne peut pas accueillir en nombre aussi important. Nous voulons en partie relocaliser ces réfugiés en France. Nous voulons prendre notre part et accueillir 30.000 de ces réfugiés sur deux ans, en plus des 80.000 qui sont déjà venus l'an dernier.
Nous devons être clairs sur un point : il y a les réfugiés, ceux qui ont parfaitement le droit de bénéficier du droit d'asile, ceux qui fuient la guerre, ceux-là il faut les accueillir et les répartir en Europe et la France y prend sa part. Il y a les autres qui ne bénéficient pas du droit d'asile et qui sont des réfugiés économiques avec lesquels il faut être clair : ils n'ont pas vocation à rester. Cela fait partie du dossier. C'est un dossier très complexe mais il faut être clair sur ce point et je le dis, y compris vis-à-vis des Français.
Les Français peuvent être inquiets et angoissés à l'idée que l'on ne parvienne pas à faire face. Lorsque l'on explique qu'il y a des réfugiés qui fuient la guerre, notre histoire est marquée par cela ; les Français la connaissent, c'est la leur, celle de l'Europe. C'est aussi l'histoire d'autres peuples qui sont venus se réfugier chez nous parce qu'ils étaient poursuivis, massacrés et ces peuples avaient le droit de bénéficier du droit d'asile. Nous devons expliquer que nous devons le faire, que c'est notre devoir moral, le devoir des Européens.
Ensuite, il y a la question migratoire en général, la question migratoire économique qui est d'une autre nature et qui ne peut être acceptée qu'en fonction de nos capacités. Si on distingue bien les deux, je crois que les Français sont capables de comprendre que le droit est quelque chose de sacré.
Q - Vous êtes beaucoup plus clair que ce que l'on a pu entendre jusqu'à présent.
R - J'ai cette conviction qui est que si on n'explique pas les choses de cette façon, la confusion s'installe dans les esprits avec des angoisses et aussi des exploitations politiques. Il y a l'extrême droite et les conservateurs qui exploitent les peurs. C'est légitime que l'on soit inquiet. Je vois bien ce qui se passe dans le reste de l'Europe, ce qui se passe en Allemagne. Il faut que nous restions fidèles à nos principes et le droit d'asile est un engagement que nos nations démocratiques ont signé et qui doit être respecté.
En même temps, il faut avoir la lucidité et le courage de dire que l'immigration économique, c'est aussi en fonction des capacités économiques d'un pays à accueillir. Lorsque ce n'est pas possible, les règles sont claires, on dit : «vous n'avez pas vocation à rester.»
Q - Au final, diriez-vous qu'Angela Merkel avait moralement raison et politiquement tort dans cette crise des réfugiés ?
R - Je pense que, lorsqu'elle se fixe sur ce principe du droit d'asile, elle a à la fois, moralement et politiquement raison. Après, la situation de la France et de l'Allemagne n'est pas la même. L'Allemagne est un pays qui a des besoins de main-d'oeuvre, pour des raisons démographiques, à la différence de la France. Il a sans doute une capacité d'accueil plus grande.
Aujourd'hui, je crois que Mme Merkel ne reviendra pas sur le principe du droit d'asile et elle a raison - je vous l'ai rappelé - mais, en même temps, il faut que la répartition se fasse de façon équilibrée, sinon cela deviendra ingérable.
Il y a un objectif commun, c'est de sauver Schengen. Pour protéger Schengen, il faut protéger nos frontières, les surveiller, contrôler les entrées de ceux qui bénéficient du droit d'asile et des autres. Cela reste à faire de façon beaucoup plus complète. Sauver Schengen, c'est aussi sauver le projet européen. Nous sommes donc dans un moment difficile et inquiétant, mais c'est là que nous devons, les uns et les autres être à la hauteur de l'Histoire et faire preuve de lucidité et de courage.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 14 mars 2016