Déclaration de M. Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics, sur la lutte contre la fraude et l'optimisation fiscales, Pantin le 3 mars 2016.

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Circonstance : Visite de la Direction des vérifications nationales et internationales (DVNI), à Pantin le 3 mars 2016

Texte intégral

Madame la ministre, chère Elisabeth,
Monsieur le Préfet,
Monsieur le directeur général, cher Bruno PARENT
Madame la directrice, chère Maxime GAUTHIER
Mesdames, Messieurs,
Je voudrais remercier tout d'abord la Direction des Vérifications Nationales et Internationales de nous accueillir ce matin avec Christian et d'avoir su nous rendre compte avec pédagogie de l'inventivité de ceux qui cherchent à éluder l'impôt et de la réactivité de ceux qui les contrôlent puis, si nécessaire, les redressent.
La contribution aux charges publiques est au coeur du Pacte républicain ! Son principe figure expressément dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Dans une période où il a été demandé un effort particulier pour redresser les comptes du pays, nous nous devons d'être pleinement mobilisés quand certains cherchent à échapper à leur contribution pour la reporter sur les autres. Nous le sommes !
Lutter contre la fraude et l'optimisation fiscale excessive, c'est une action qui doit être menée au niveau national, au niveau européen et enfin au niveau mondial dans le cadre de l'OCDE. Les montages qui nous ont été présentés ce matin, et qui concernent des multinationales, démontrent la nécessité d'agir à tous ces niveaux, qui est le corollaire d'une liberté de circulation des capitaux, en Europe et dans le monde. Mais vous le savez, la fraude fiscale internationale, c'est aussi le fait de particuliers.
Dans cette perspective d'ensemble, l'arsenal de lutte anti-fraude a été renforcé par 70 dispositions sous cette mandature, notamment grâce à la loi du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière ou d'autres dispositions dans les lois financières. Cette action porte ses fruits ainsi qu'en témoignent aujourd'hui les résultats de la lutte contre la fraude fiscale 2015.
En 2015, la lutte contre la fraude fiscale a conduit à un montant de redressements notifiés, en droits et pénalités, de 21,2Md€ contre 19,3Md€ en 2014. A titre de comparaison, sous la majorité précédente, la lutte contre la fraude fiscale ne représentait que 16Md€ par an en moyenne (15,2 Md en 2009, 16 Md en 2010 ou encore 16,4 Md en 2011).
Le montant des sommes encaissées au titre de la lutte contre la fraude fiscale a également fortement progressé, passant de 10,4Md€ à 12,2Md€. La réponse pénale, qui peut s'ajouter aux pénalités du contrôle fiscal lorsqu'il s'agit de sanctionner les fraudes les plus graves a par ailleurs été mobilisée, avec 1027 plaintes pour fraude fiscale.
Ces bons résultats nous les devons d'abord, et nous le savons, à l'action déterminée des agents de l'administration fiscale. Nous demandons à notre administration, au quotidien, une mobilisation sans faille et une action équitable et conforme au droit.
Je veux redire ici avec force que même si certains le regrettent, les ministres et leurs cabinets n'interviennent pas dans les contrôles fiscaux. Cela n'a pas toujours été le cas, je le précise : depuis 2012, les ministres s'y sont engagés. L'administration fiscale décide librement des contrôles qu'elle mène, et les conduits sans interférence.
Ces bons résultats, nous les devons aussi à la pertinence des outils que nous avons su mettre en place. Il n'est plus exact de dire, comme on peut parfois le lire, que les grandes multinationales du numérique parviennent à échapper à l'impôt. J'ai eu l'occasion de le répéter, en France nous ne faisons pas d'arrangements. C'est la loi fiscale, toute la loi, rien que la loi qui s'applique ! Et nous y parvenons car de nouveaux outils ont permis à l'administration fiscale de suivre les flux financiers internationaux. L'enjeu, vous le savez, nous l'avons vu ce matin, est notamment de pouvoir contrôler les prix de transfert que pratiquent entre elles, pour rémunérer des ventes ou des services, les entreprises membres d'un même groupe multinational. Depuis 2013, ces entreprises ont l'obligation, sous peine de sanction, d‘adresser à l'administration fiscale une déclaration de prix de transfert lui permettant de comparer les prix pratiqués avec ceux du marché. Il s'agit d'éviter qu'ils servent à déplacer l'assiette imposable dans les pays à faible fiscalité. En 2015, 2,8Md€ d'assiette a pu être rétablie au bénéfice de la France grâce à ces outils.
Nous avons également développé notre réseau de conventions bilatérales d'assistance administrative, en signant de nouveaux accords avec des pays partenaires, comme le protocole additionnel avec la Suisse ratifié au Sénat il y a 15 jours, et en mobilisant pleinement les textes existants. Les demandes effectuées en application de ces accords permettent de connaître les situations fiscales des contribuables résidant dans d'autres Etats et de contrôler la consistance des activités professionnelles qu'ils déclarent y effectuer. Alors qu'en 2011, nous ne recevions que 3 409 réponses par an, nous en avons reçu 6 567 en 2015. Au total, la fraude fiscale internationale a conduit à rétablir 5Md€ d'assiette au profit de la France en 2015. C'est un progrès notable. Nous pouvons maintenant voir au-delà de nos frontières.
Cette fraude internationale peut aussi être le fait de particuliers. Mais là encore, la possibilité, en application des textes que nous avons signés, de demander aux administrations partenaires l'identité de titulaires de comptes non déclarés à l'étranger est particulièrement efficace et dissuasive. Les résultats du STDR en 2015, 2,6Md€, en hausse de 700M€, en témoignent.
Cette action doit se poursuivre résolument. La lutte contre la fraude fiscale au sens strict, c'est-à-dire le non-respect d'une règle existante ou l'abus de droit, dont la DVNI nous a donné ce matin quelques exemples, doit s'accompagner d'un chantier plus vaste, celui de la lutte contre l'optimisation fiscale excessive, encouragée par les pratiques de concurrence fiscale de certains Etats.
C'est l'action que je continue chaque semaine de porter au nom de la France, au niveau de l'UE et du G20 pour lutter contre l'optimisation. Vous savez que l'OCDE a établi un plan de 15 actions portant sur tous les volets de la fiscalité internationale, dont les rapports définitifs ont été adoptés par le G20 à Antalya les 15 et 16 novembre dernier. Nous avons fait voter en loi de finances pour 2016 le dispositif de reporting pays par pays, correspondant à l'action 13 de Beps. Ce travail a été pleinement concrétisé par la signature par plus de 30 pays le 27 janvier à Paris d'un accord multilatéral permettant de donner sa pleine portée au dispositif en rendant possible l'échange automatique entre les administrations fiscales. Demain, l'administration fiscale n'aura plus besoin de formuler des demandes à ses administrations partenaires pour accéder à l'information. Elle l'aura reçue automatiquement. Il en ira de même pour les particuliers en application de l'Accord signé le 29 octobre 2014 à Berlin sur l'échange automatique d'informations financières à des fins fiscales. 61 pays y sont aujourd'hui adhérents, dont la Suisse. 33 pays supplémentaires se sont engagés à échanger automatiquement des informations financières, en prévoyant des premières transmissions en 2017. On trouve parmi eux des centres financiers tels que Hong Kong et Singapour. Cet accord aura sans doute un effet dissuasif sur les contribuables qui y détiendraient des comptes non déclarés. S'ils le souhaitent, le STDR est en place et fonctionne pleinement.
Cette action se poursuit également dans l'Union européenne, qui est marquée par un degré d'intégration et donc des libertés de circulation plus fortes encore. Le 8 décembre dernier, la directive sur l'échange automatique des rulings a été adoptée par le Conseil. Elle entrera en vigueur au 1er janvier 2017 et empêchera désormais certains Etats d'accorder des remises fiscales dérogatoires. Le 28 janvier, la Commission européenne a présenté son 3e paquet fiscal (Anti-Tax Avoydance package) qui intègrera des dispositions visant à appliquer certaines conclusions de BEPS de façon coordonnée en Europe. C'est donc, je le redis, une action à tous les niveaux que nous menons et qui portent ses fruits comme le démontrent les résultats consolidés sur l'année 2015.
Dans le même temps, nous attachons une grande attention aux besoins de sécurité juridique des acteurs économiques. Car la lutte contre la fraude n'exclut pas, bien au contraire, des relations de qualité entre l'administration fiscale et les contribuables ! Pour accompagner la reprise, il est nécessaire que ceux qui investissent, innovent et embauchent disposent d'une sécurité et d'une visibilité sur le traitement fiscal qui sera demain accordé à leur action. Nous n'avons cessé d'avancer en ce sens avec Christian. J'en veux pour exemples la charte de non-rétroactivité fiscale que j'ai signée en fin d'année 2014 et qui est respectée, ou encore les nouveaux outils que nous avions annoncés et mis en place au printemps dernier. Parmi les entreprises qui font l'objet d'un redressement, il y a les entreprises de mauvaise foi, qui ont l'intention délibérée de diminuer illégalement leur charge fiscale. Elles doivent être sanctionnées et les pénalités doivent leur être appliquées. Mais il y a aussi les contribuables, personnes physique ou entreprises qui, de bonne foi peuvent commettre des erreurs. J'ai parlé tout à l'heure des prix de transfert. Trop d'entreprises ignorent qu'elles peuvent demander à l'administration fiscale un accord préalable de prix de transfert pour sécuriser leur situation.
Nous avons également, l'an dernier, souhaité tenir compte de la situation de plus petites entreprises qui peuvent se laisser tenter par de fausses bonnes idées. Pour ces contribuables plus fragiles qui n'ont pas les moyens de s'offrir des conseillers fiscaux, nous avons mis en ligne une carte des pratiques et montages abusifs. Il y en a 19 aujourd'hui. Elle donne simplement à voir, en toute transparence, ce qui est admis et ce qui ne l'est pas dans un souci de prévisibilité.
Voilà Mesdames et Messieurs, comment résumer l'action qui nous conduit à ses bons résultats :
- Fermeté avec les fraudeurs ;
- Ambition pour mener une action globale au niveaux national, européen et mondial ;
- Enfin amélioration de la prévisibilité pour les acteurs économiques.
Je vous remercie.
Source http://www.economie.gouv.fr, le 4 mars 2016