Texte intégral
Point de presse du 17 octobre 2001 :
Tout le monde a félicité la présidence belge d'avoir organisé un Conseil Affaires étrangères spécial, centré d'une part, sur les questions de coordination et de préparation du Conseil européen informel de Gand, d'autre part sur l'ensemble des événements de politique étrangère liés à la question afghane. Une très grande satisfaction sur le plan des procédures, sur le plan de la mécanique de préparation. C'est une très bonne chose. Vous savez que chaque fois que le CAG renforce sa capacité à remplir les fonctions qui sont en principe les siennes au terme du traité, je trouve cela très bien. Je félicite vraiment la présidence belge. Je l'appuie et cela doit préfigurer un effort qui doit être continu et se poursuivre pendant la présidence espagnole, c'est déjà l'intention des Espagnols.
Nous avons par ailleurs adopté un projet de conclusions en 15 points, très complet, qui traite à la fois des aspects humanitaires, économiques, des questions politiques afghanes et des questions régionales concernant d'autres pays. Donc une vision d'ensemble, c'est solide. Tout cela tient compte des contributions qui ont été faites par les Etats membres. On a d'ailleurs fait introduire à ma demande une clause indiquant que les Etats membres se concerteront à propos de leur politique puisqu'il y a beaucoup de projets, beaucoup de voyages, notamment d'autres plans que nous enrichissons au fur et à mesure. Les Allemands et les Britanniques ont une approche, il y a l'action italienne qui est importante. Je suis très satisfait de cette séance.
Q - Par rapport à la première version des conclusions préparée par la présidence belge, et celle qui sort maintenant, il y a quand même des modifications de fond assez importantes.
R - Je ne réponds pas aux questions sur les différentes versions, car les versions ne devraient pas circuler.
C'est une façon anormale de travailler. La seule version qui existe, c'est celle qui sort du CAG. Je veux bien répondre sur le fond.
Q - Y a-t-il eu un débat sur la riposte militaire américaine ?
R - Pas vraiment. Parce que nous avions un ordre du jour très concret, avec beaucoup de choses à dire sur la préparation de l'ordre du jour de Gand, avec les questions humanitaires, les questions économiques, le processus politique et sur ce que nous devons faire par rapport au Pakistan, et à l'Asie centrale. Il y a eu quelques échanges sur le rôle des Nations unies dans le processus à venir. Mais il n'y a pas de divergence, pas de clivage.
Q - Qu'attendez-vous du sommet de Gand, par rapport à ce texte, aura-t-on une déclaration plus précise ?
R - Je crois que ce qui sort du Conseil Affaires générales est très précis. Le Conseil européen informel de Gand est bien préparé. Je crois que ce que l'on attend des Quinze en priorité, c'est de mettre en uvre sans délai les décisions qui ont été prises au niveau des Quinze en ce qui concerne les questions de sécurité et notamment la mise en uvre des décisions Justice-Affaires intérieures. Nous avons d'ailleurs constaté que dans la partie coordination, premier thème de notre réunion, nous avons vu que les choses avançaient bien. Nous avons passé en revue les conclusions des différents conseils spécialisés qui ont eu lieu. Mais on voit que pour la mise en uvre des mesures Justice-Affaires intérieures, il y a quand même encore des obstacles à surmonter. On a déjà dit plusieurs fois qu'après le choc du 11 septembre, nous allions mettre en uvre en un an ce que l'on aurait mis dix ans à faire, mais pour y arriver il faut qu'il y ait une volonté forte. Beaucoup de ministres estiment que nous sommes dans notre rôle en disant que cela s'est bien passé depuis le Conseil européen spécial du 21 septembre. Il y a eu depuis beaucoup de Conseils, mais il ne faut pas se dire que tout va bien. Il y a quand même encore des obstacles à surmonter.
Q - Est-ce que des impulsions de nature politique, et au plus niveau à Gand, pourraient à votre avis débloquer encore des choses dans le domaine Justice-Affaires intérieures, par exemple.
R - Oui, c'est utile. C'est une des choses que pourrait faire le Conseil européen de Gand. Sur les deux sujets - les décisions relevant du cadre de la lutte contre le terrorisme et sur l'ensemble du volet politique étrangère - c'est bien préparé.
Q - Sur l'Afghanistan et l'avenir de l'Afghanistan, par rapport à la première version du plan français, les choses se précisent-elles ? Est-ce que par exemple vous êtes d'accord sur ce que dit Colin Powell pour inclure des éléments taleban modérés ? Comment ce plan évolue-t-il ?
R - Il y a toujours un "Plan français pour l'Afghanistan". Il y a un volet humanitaire, un volet politique et un volet économique. Non pas la reconstruction future, puisqu'il n'y a pas grand chose à reconstruire. Il s'agit de construire un Afghanistan moderne. C'est un plan ouvert et évolutif. C'est dans le cadre de ce plan que j'ai longuement rencontré M. Brahimi et que nous sommes en contact constant. J'en ai parlé avec Kofi Annan, avec les ministres pakistanais, iranien, saoudien etc Je suis allé voir l'ancien Roi d'Afghanistan avec M. Ruggiero. Ce que nous faisons est parfaitement cohérent, je le redis, avec les autres pays qui ont une activité particulière dans ce domaine comme l'Allemagne, la Grande-Bretagne et l'Italie. Donc, cohérence.
Sur l'aspect humanitaire, on voit bien que nous mettons tous l'accent maintenant sur l'acheminement de l'aide. Ce n'est pas tellement un problème de quantité, c'est un problème d'acheminement dans de bonnes conditions, jusqu'aux populations qui en ont besoin.
En ce qui concerne le processus politique, je tire deux ou trois impressions de mes contacts récents des derniers jours. Premièrement, il faut aller vite. Nous avons démarré rapidement sur la dimension politique. Mais il faut aller vite parce qu'il ne faut pas qu'il se crée un vide du pouvoir, après quoi il se passerait un peu n'importe quoi et on verrait les différentes factions se réaffronter comme dans le passé. C'est un élément très important. L'affaire des Taleban dits modérés : je ne souhaite pas trancher ce point. Si les Afghans entre eux arrivent à se mettre d'accord sur le fait qu'il y a certains Taleban représentatifs, des Pachtouns qui ne sont pas récusables pour une raison ou pour une autre. et que ce n'est pas un facteur de blocage pour les pays voisins, pourquoi pas Ce n'est pas à moi de le dire à l'avance, je ne veux pas faire le juge. Ce qui nous intéresse c'est que les processus avancent. On trouve tout à fait légitime que les intérêts du Pakistan, de l'Iran, des pays d'Asie centrale soient pris en compte. Mais il ne faut pas que cela devienne pour eux un prétexte à exercer un droit de veto ou à imposer une faction. Il faut que cela s'inscrive dans un processus qui réunisse les Afghans. Nous travaillons tous à cela et c'est pour cela que j'ai fait inscrire la phrase dans les conclusions du Conseil Affaires générales d'aujourd'hui indiquant que nous allions nous concerter tous ensemble sur cette action.
Q - Malgré tout les Européens, mais aussi les Américains n'ont-ils pas le sentiment que, quelle que soit la solution politique, il faudra qu'elle ait l'assentiment des Pakistanais, qui, déjà, ont prononcé une sorte d'exclusive vis à vis de l'Alliance du Nord ?
R - Pour que l'on puisse avancer, il faut que l'on arrive à lever les blocages qui font que les factions afghanes se récusent toutes les unes les autres. Ils ne peuvent pas faire cela, sinon ils reprennent les affrontements et l'effondrement probable du régime taliban n'aura servi à rien. Même chose pour les pays voisins. Il faut qu'ils donnent leur accord, il ne faut pas qu'ils en fassent l'instrument d'un blocage. Il faut les placer devant leurs responsabilités. Il y a un certain nombre de pays - vous citiez le Pakistan - qui attendent beaucoup de ce qui se passe. Renversement de situation, coalition, cela change la donne pour eux. La moindre des choses est, qu'en contrepartie, on leur demande - et c'est ce qu'a fait Colin Powell et nous sommes sur la même ligne - d'être constructifs et de ne pas utiliser leur influence uniquement en terme de blocage.
Q - Il y a eu beaucoup d'analyses ces derniers jours dans la presse, notamment britannique, sur les conséquences de ces événements sur la PESC, sur le rôle de M. Solana, qui serait frustré.
R - Je pense que c'est une mélancolie infondée. Je crois que ce qui est frappant, c'est que les Etats membres ont réagi avec une parfaite unité, immédiate, qu'ils n'ont eu aucun désaccord de fond, ni sur l'analyse des attentats, ni sur les réactions à avoir, que les positions exprimées par les institutions européennes étaient parfaitement cohérentes Nous n'avons donc connu aucun des clivages habituels. C'est plutôt cela qui devrait vous frapper. D'autre part je ne vois pas pourquoi il y a du vague à l'âme, l'Europe n'avait pas annoncé depuis dix ans que son but était de devenir un corps expéditionnaire pour l'Asie centrale. Il ne faut pas se sentir désavoué, c'est vraiment étrange comme sentiment.
Le travail s'organise très bien. On voit bien d'ailleurs, quand nous avons notre échange sur l'avenir de l'Afghanistan, et que nous parlons humanitaire, et que l'on parle politique, et que l'on parle économie, on voit que les choses se complètent très bien entre le rôle de la Commission, de M. Solana, des Etats membres, des Etats membres les plus engagés, qui informent les autres Cela fonctionne bien.
Q - Est-ce que l'unité va durer ? On sent bien déjà qu'à l'intérieur des Etats membres les gens commencent à se poser des questions de plus en plus fortes.
R - Non. Il y a gens qui se posent des questions quoi qu'il se passe, tout le temps. Ce n'est pas un signe très fort à mon avis. Ce qui est vrai, c'est que nous avons tous dit depuis le début qu'il fallait que la réaction soit ciblée. Pour le moment, les réactions sont ciblées. Si un jour les Etats-Unis devaient adopter une stratégie différente, cela poserait alors des problèmes à l'ensemble de cette ou de ces coalitions, mais pas seulement aux Européens. A d'autres avant. Je pense que du point de vue européen, il faut être tranquille, l'Europe n'est désavouée en rien, elle doit poursuivre sa marche en avant, étape après étape, et encore une fois son but n'était pas d'être une sorte d'armée pour l'Asie centrale. A la limite, le problème se pose un peu plus pour l'OTAN, qui fait des offres de services et puis on leur dit merci beaucoup mais.
Q - Quelle est jusqu'ici la réelle plus-value par rapport au CAG du 8 octobre ?
R - Il y a un plus sur l'aspect politique afghan, c'est plus précis sur l'humanitaire, parce que les problèmes apparaissent mieux. C'est plus précis sur ce qu'il faut faire avec les pays voisins de l'Afghanistan. C'est plus précis sur la combinaison des rôles de l'ONU, des Etats membres, de l'Union européenne. Tout est plus précis. Nous sommes plus proches sur l'ordre du jour du Conseil de Gand, et plus pertinents en terme de préparation de Gand. C'est pour cela que j'ai dit que c'était un bon Conseil. Sous deux aspects : d'une part la préparation de Gand dans le rôle de coordination générale et d'autre part la politique étrangère.
Q - Partagez-vous l'avis de Louis Michel aujourd'hui dans la presse, reprochant à M. Blair de se comporter en chef de guerre, et de trop s'aligner sur les Américains.
R - Non.
Q - Est-ce que vous avez parlé du Proche-Orient ?
R - Oui, il y a deux choses. Sur l'assassinat du ministre démissionnaire, je voudrais redire, ici, à titre personnel mes condoléances pour sa famille et le gouvernement israélien et notre totale condamnation de cet assassinat. Pour le reste, nous sommes dans la même situation : le statu quo est intolérable et il faut en sortir. Je sens chez les Européens une volonté de rassembler toutes leurs forces, en liaison avec les Américains qui s'expriment ces jours-ci d'une façon qui est de plus en plus proche de ce que nous disons, nous, Européens. On voit bien qu'on ne peut pas rester dans cette situation. Il y aura toujours des assassinats, des représailles et tout cela est insupportable. Une grande volonté européenne de prendre tout cela à bras le corps. On sait bien les réticences et les oppositions, mais il faut quand même agir.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 18 octobre 2001)
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Interview aux radios à Luxembourg, le 17 octobre 2001 :
Q - Une première réaction à l'assassinat du ministre israélien du Tourisme. Cela change-t-il quelque chose dans la donne au Proche-Orient ?
R - Je voudrais redire à titre personnel ma consternation et mes condoléances pour sa famille, pour ses amis, pour le gouvernement israélien. Ces actes de terrorisme, ces assassinats sont absolument insupportables et cela nous confirme dans la volonté d'en sortir. Il faut sortir de cette situation. Il faut trouver des initiatives politiques qui rouvrent des perspectives de solutions vraies et qui garantissent la sécurité aux Israéliens comme aux Palestiniens et qui remettent en marche un processus politique.
Q - Sur le terrorisme. L'Union européenne parle d'une seule voix. A-t-on des perspectives très claires et quelle est l'urgence ? C'est l'après-Taleban ?
R - En ce qui concerne la lutte contre le terrorisme, les Quinze ont fait un travail rapide, très cohérent. Nous avons, au Conseil des Affaires générales d'aujourd'hui, poursuivi la préparation du Conseil européen informel de Gand. Les choses ont été vite. Toute une série de mesures dans le domaine des transports, dans le domaine financier, dans le domaine de la justice, dans le domaine des Affaires intérieures ont été prises. Nous avons mis l'accent aujourd'hui sur quelques domaines où il faut que le Conseil informel de Gand surmonte un certain nombre d'obstacles pour que l'harmonisation soit encore plus rapide que prévue. Mais là, je crois que les Européens ont réagi de façon forte et bien coordonnée. En ce qui concerne les perspectives politiques, on peut dire que grâce notamment aux contributions du plan français, des initiatives italiennes, allemandes, britanniques, l'Union européenne dispose d'orientations, c'est le terme retenu aujourd'hui, sur ce que devrait être le processus politique de solutions en Afghanistan qui devra associer toutes les composantes de l'Afghanistan, tenir compte des intérêts légitimes des voisins sans que cela devienne pour autant un facteur de blocage. Tout cela devant conduire vite à un autre volet qui sera celui, non pas de la reconstruction de l'Afghanistan parce que malheureusement c'est un pays qui, avant même les destructions, n'a jamais eu beaucoup d'infrastructures, mais de la création d'une économie moderne pour l'Afghanistan de demain et notamment de l'agriculture afghane qui est le gagne-pain de 85 % des Afghans. Nous sommes donc très avancés sur tous ces différents volets : humanitaire, politique et reconstruction économique.
Q - Quel est le rôle des Nations unies ?
R - Un rôle très important. Il faut déjà se rappeler que les Nations unies ont constaté la légitimité de la riposte américaine. D'autre part, pour ce qui sera fait en Afghanistan, toutes les composantes, c'est-à-dire les membres permanents, les Européens, les pays voisins, jouent un rôle important aux Nations unies. Il reste à préciser, c'est l'objet des contacts très nombreux qui ont lieu en ce moment, quel rôle exact peut servir de garant, de cadre, de légitimation, avoir une contribution plus concrète. Il y aussi la coordination de l'aide humanitaire qui se passe dans le cadre d'agences spécialisées des Nations unies. Sur le plan politique, il y a le rôle nouveau du représentant du Secrétaire général, M. Brahimi, que j'ai vu longuement la semaine dernière. Nous avons travaillé aujourd'hui à harmoniser tout cela, à emboîter les initiatives.
Q - Monsieur Védrine, on voit par exemple dans la majorité belge, des voix qui commencent à s'élever en disant qu'il faudrait suspendre les bombardements, précisément parce que l'aide humanitaire est difficile à acheminer. M. Verhofstadt a dû un petit peu changer l'ordre du jour de Gand en disant "on va faire une évaluation du soutien européen aux frappes". Quelle forme, d'après vous, peut prendre cette évaluation ? Et est-ce qu'aujourd'hui, au CAG, on a justement entendu des voix un petit peu discordantes ?
R - Pas sur ce point. Je crois qu'il faut assumer ce qui s'est passé. Il faut se rappeler l'horreur du 11 septembre. Il faut se rappeler que les Nations unies ont reconnu la légitimité de la riposte américaine. Tout le monde, les Européens et les autres, ont demandé qu'elle soit ciblée, mais c'était de toute façon déjà l'intention des responsables américains et c'est ce qu'ils ont fait. Il faut se rappeler que l'aide humanitaire, de toute façon, n'était pas acheminée avant. Il ne faut donc pas raconter des choses comme si elles arrivaient partout et que brusquement elles étaient interrompues par les bombardements. C'est complètement inexact. Il y a beaucoup d'aide humanitaire qui arrive dans les camps de réfugiés afghans en Iran, au Pakistan, en Asie centrale. Alors on peut discuter sur l'opportunité et l'utilité des parachutages d'aide, mais cela vient en plus. Il y a tellement d'aide supplémentaire qu'il y a un problème de coordination et que nous avons travaillé là-dessus. Pour le reste, ce n'est pas anormal qu'il y ait un dialogue politique avec nos amis américains sur la poursuite des ces opérations. Mais, pour le moment, nous considérons que nous sommes dans ce qui avait été annoncé.
Q - Justement, vous sentez une bonne coalition au niveau des Quinze ? Que va-t-il se passer si les bombardements s'élargissent ?
R - Je ne spécule pas sur des situations dans lesquelles nous ne sommes pas parce que, précisément, les responsables américains ont réagi de façon ciblée et n'ont pas élargi les frappes. Ce n'est pas parce qu'il y a des spéculations, par exemple, dans la presse américaine où certains défendent une autre approche, que nous avons à nous déterminer là-dessus puisque ce n'est pas l'approche qui est celle du président Bush et de Colin Powell.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 18 octobre 2001)
Tout le monde a félicité la présidence belge d'avoir organisé un Conseil Affaires étrangères spécial, centré d'une part, sur les questions de coordination et de préparation du Conseil européen informel de Gand, d'autre part sur l'ensemble des événements de politique étrangère liés à la question afghane. Une très grande satisfaction sur le plan des procédures, sur le plan de la mécanique de préparation. C'est une très bonne chose. Vous savez que chaque fois que le CAG renforce sa capacité à remplir les fonctions qui sont en principe les siennes au terme du traité, je trouve cela très bien. Je félicite vraiment la présidence belge. Je l'appuie et cela doit préfigurer un effort qui doit être continu et se poursuivre pendant la présidence espagnole, c'est déjà l'intention des Espagnols.
Nous avons par ailleurs adopté un projet de conclusions en 15 points, très complet, qui traite à la fois des aspects humanitaires, économiques, des questions politiques afghanes et des questions régionales concernant d'autres pays. Donc une vision d'ensemble, c'est solide. Tout cela tient compte des contributions qui ont été faites par les Etats membres. On a d'ailleurs fait introduire à ma demande une clause indiquant que les Etats membres se concerteront à propos de leur politique puisqu'il y a beaucoup de projets, beaucoup de voyages, notamment d'autres plans que nous enrichissons au fur et à mesure. Les Allemands et les Britanniques ont une approche, il y a l'action italienne qui est importante. Je suis très satisfait de cette séance.
Q - Par rapport à la première version des conclusions préparée par la présidence belge, et celle qui sort maintenant, il y a quand même des modifications de fond assez importantes.
R - Je ne réponds pas aux questions sur les différentes versions, car les versions ne devraient pas circuler.
C'est une façon anormale de travailler. La seule version qui existe, c'est celle qui sort du CAG. Je veux bien répondre sur le fond.
Q - Y a-t-il eu un débat sur la riposte militaire américaine ?
R - Pas vraiment. Parce que nous avions un ordre du jour très concret, avec beaucoup de choses à dire sur la préparation de l'ordre du jour de Gand, avec les questions humanitaires, les questions économiques, le processus politique et sur ce que nous devons faire par rapport au Pakistan, et à l'Asie centrale. Il y a eu quelques échanges sur le rôle des Nations unies dans le processus à venir. Mais il n'y a pas de divergence, pas de clivage.
Q - Qu'attendez-vous du sommet de Gand, par rapport à ce texte, aura-t-on une déclaration plus précise ?
R - Je crois que ce qui sort du Conseil Affaires générales est très précis. Le Conseil européen informel de Gand est bien préparé. Je crois que ce que l'on attend des Quinze en priorité, c'est de mettre en uvre sans délai les décisions qui ont été prises au niveau des Quinze en ce qui concerne les questions de sécurité et notamment la mise en uvre des décisions Justice-Affaires intérieures. Nous avons d'ailleurs constaté que dans la partie coordination, premier thème de notre réunion, nous avons vu que les choses avançaient bien. Nous avons passé en revue les conclusions des différents conseils spécialisés qui ont eu lieu. Mais on voit que pour la mise en uvre des mesures Justice-Affaires intérieures, il y a quand même encore des obstacles à surmonter. On a déjà dit plusieurs fois qu'après le choc du 11 septembre, nous allions mettre en uvre en un an ce que l'on aurait mis dix ans à faire, mais pour y arriver il faut qu'il y ait une volonté forte. Beaucoup de ministres estiment que nous sommes dans notre rôle en disant que cela s'est bien passé depuis le Conseil européen spécial du 21 septembre. Il y a eu depuis beaucoup de Conseils, mais il ne faut pas se dire que tout va bien. Il y a quand même encore des obstacles à surmonter.
Q - Est-ce que des impulsions de nature politique, et au plus niveau à Gand, pourraient à votre avis débloquer encore des choses dans le domaine Justice-Affaires intérieures, par exemple.
R - Oui, c'est utile. C'est une des choses que pourrait faire le Conseil européen de Gand. Sur les deux sujets - les décisions relevant du cadre de la lutte contre le terrorisme et sur l'ensemble du volet politique étrangère - c'est bien préparé.
Q - Sur l'Afghanistan et l'avenir de l'Afghanistan, par rapport à la première version du plan français, les choses se précisent-elles ? Est-ce que par exemple vous êtes d'accord sur ce que dit Colin Powell pour inclure des éléments taleban modérés ? Comment ce plan évolue-t-il ?
R - Il y a toujours un "Plan français pour l'Afghanistan". Il y a un volet humanitaire, un volet politique et un volet économique. Non pas la reconstruction future, puisqu'il n'y a pas grand chose à reconstruire. Il s'agit de construire un Afghanistan moderne. C'est un plan ouvert et évolutif. C'est dans le cadre de ce plan que j'ai longuement rencontré M. Brahimi et que nous sommes en contact constant. J'en ai parlé avec Kofi Annan, avec les ministres pakistanais, iranien, saoudien etc Je suis allé voir l'ancien Roi d'Afghanistan avec M. Ruggiero. Ce que nous faisons est parfaitement cohérent, je le redis, avec les autres pays qui ont une activité particulière dans ce domaine comme l'Allemagne, la Grande-Bretagne et l'Italie. Donc, cohérence.
Sur l'aspect humanitaire, on voit bien que nous mettons tous l'accent maintenant sur l'acheminement de l'aide. Ce n'est pas tellement un problème de quantité, c'est un problème d'acheminement dans de bonnes conditions, jusqu'aux populations qui en ont besoin.
En ce qui concerne le processus politique, je tire deux ou trois impressions de mes contacts récents des derniers jours. Premièrement, il faut aller vite. Nous avons démarré rapidement sur la dimension politique. Mais il faut aller vite parce qu'il ne faut pas qu'il se crée un vide du pouvoir, après quoi il se passerait un peu n'importe quoi et on verrait les différentes factions se réaffronter comme dans le passé. C'est un élément très important. L'affaire des Taleban dits modérés : je ne souhaite pas trancher ce point. Si les Afghans entre eux arrivent à se mettre d'accord sur le fait qu'il y a certains Taleban représentatifs, des Pachtouns qui ne sont pas récusables pour une raison ou pour une autre. et que ce n'est pas un facteur de blocage pour les pays voisins, pourquoi pas Ce n'est pas à moi de le dire à l'avance, je ne veux pas faire le juge. Ce qui nous intéresse c'est que les processus avancent. On trouve tout à fait légitime que les intérêts du Pakistan, de l'Iran, des pays d'Asie centrale soient pris en compte. Mais il ne faut pas que cela devienne pour eux un prétexte à exercer un droit de veto ou à imposer une faction. Il faut que cela s'inscrive dans un processus qui réunisse les Afghans. Nous travaillons tous à cela et c'est pour cela que j'ai fait inscrire la phrase dans les conclusions du Conseil Affaires générales d'aujourd'hui indiquant que nous allions nous concerter tous ensemble sur cette action.
Q - Malgré tout les Européens, mais aussi les Américains n'ont-ils pas le sentiment que, quelle que soit la solution politique, il faudra qu'elle ait l'assentiment des Pakistanais, qui, déjà, ont prononcé une sorte d'exclusive vis à vis de l'Alliance du Nord ?
R - Pour que l'on puisse avancer, il faut que l'on arrive à lever les blocages qui font que les factions afghanes se récusent toutes les unes les autres. Ils ne peuvent pas faire cela, sinon ils reprennent les affrontements et l'effondrement probable du régime taliban n'aura servi à rien. Même chose pour les pays voisins. Il faut qu'ils donnent leur accord, il ne faut pas qu'ils en fassent l'instrument d'un blocage. Il faut les placer devant leurs responsabilités. Il y a un certain nombre de pays - vous citiez le Pakistan - qui attendent beaucoup de ce qui se passe. Renversement de situation, coalition, cela change la donne pour eux. La moindre des choses est, qu'en contrepartie, on leur demande - et c'est ce qu'a fait Colin Powell et nous sommes sur la même ligne - d'être constructifs et de ne pas utiliser leur influence uniquement en terme de blocage.
Q - Il y a eu beaucoup d'analyses ces derniers jours dans la presse, notamment britannique, sur les conséquences de ces événements sur la PESC, sur le rôle de M. Solana, qui serait frustré.
R - Je pense que c'est une mélancolie infondée. Je crois que ce qui est frappant, c'est que les Etats membres ont réagi avec une parfaite unité, immédiate, qu'ils n'ont eu aucun désaccord de fond, ni sur l'analyse des attentats, ni sur les réactions à avoir, que les positions exprimées par les institutions européennes étaient parfaitement cohérentes Nous n'avons donc connu aucun des clivages habituels. C'est plutôt cela qui devrait vous frapper. D'autre part je ne vois pas pourquoi il y a du vague à l'âme, l'Europe n'avait pas annoncé depuis dix ans que son but était de devenir un corps expéditionnaire pour l'Asie centrale. Il ne faut pas se sentir désavoué, c'est vraiment étrange comme sentiment.
Le travail s'organise très bien. On voit bien d'ailleurs, quand nous avons notre échange sur l'avenir de l'Afghanistan, et que nous parlons humanitaire, et que l'on parle politique, et que l'on parle économie, on voit que les choses se complètent très bien entre le rôle de la Commission, de M. Solana, des Etats membres, des Etats membres les plus engagés, qui informent les autres Cela fonctionne bien.
Q - Est-ce que l'unité va durer ? On sent bien déjà qu'à l'intérieur des Etats membres les gens commencent à se poser des questions de plus en plus fortes.
R - Non. Il y a gens qui se posent des questions quoi qu'il se passe, tout le temps. Ce n'est pas un signe très fort à mon avis. Ce qui est vrai, c'est que nous avons tous dit depuis le début qu'il fallait que la réaction soit ciblée. Pour le moment, les réactions sont ciblées. Si un jour les Etats-Unis devaient adopter une stratégie différente, cela poserait alors des problèmes à l'ensemble de cette ou de ces coalitions, mais pas seulement aux Européens. A d'autres avant. Je pense que du point de vue européen, il faut être tranquille, l'Europe n'est désavouée en rien, elle doit poursuivre sa marche en avant, étape après étape, et encore une fois son but n'était pas d'être une sorte d'armée pour l'Asie centrale. A la limite, le problème se pose un peu plus pour l'OTAN, qui fait des offres de services et puis on leur dit merci beaucoup mais.
Q - Quelle est jusqu'ici la réelle plus-value par rapport au CAG du 8 octobre ?
R - Il y a un plus sur l'aspect politique afghan, c'est plus précis sur l'humanitaire, parce que les problèmes apparaissent mieux. C'est plus précis sur ce qu'il faut faire avec les pays voisins de l'Afghanistan. C'est plus précis sur la combinaison des rôles de l'ONU, des Etats membres, de l'Union européenne. Tout est plus précis. Nous sommes plus proches sur l'ordre du jour du Conseil de Gand, et plus pertinents en terme de préparation de Gand. C'est pour cela que j'ai dit que c'était un bon Conseil. Sous deux aspects : d'une part la préparation de Gand dans le rôle de coordination générale et d'autre part la politique étrangère.
Q - Partagez-vous l'avis de Louis Michel aujourd'hui dans la presse, reprochant à M. Blair de se comporter en chef de guerre, et de trop s'aligner sur les Américains.
R - Non.
Q - Est-ce que vous avez parlé du Proche-Orient ?
R - Oui, il y a deux choses. Sur l'assassinat du ministre démissionnaire, je voudrais redire, ici, à titre personnel mes condoléances pour sa famille et le gouvernement israélien et notre totale condamnation de cet assassinat. Pour le reste, nous sommes dans la même situation : le statu quo est intolérable et il faut en sortir. Je sens chez les Européens une volonté de rassembler toutes leurs forces, en liaison avec les Américains qui s'expriment ces jours-ci d'une façon qui est de plus en plus proche de ce que nous disons, nous, Européens. On voit bien qu'on ne peut pas rester dans cette situation. Il y aura toujours des assassinats, des représailles et tout cela est insupportable. Une grande volonté européenne de prendre tout cela à bras le corps. On sait bien les réticences et les oppositions, mais il faut quand même agir.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 18 octobre 2001)
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Interview aux radios à Luxembourg, le 17 octobre 2001 :
Q - Une première réaction à l'assassinat du ministre israélien du Tourisme. Cela change-t-il quelque chose dans la donne au Proche-Orient ?
R - Je voudrais redire à titre personnel ma consternation et mes condoléances pour sa famille, pour ses amis, pour le gouvernement israélien. Ces actes de terrorisme, ces assassinats sont absolument insupportables et cela nous confirme dans la volonté d'en sortir. Il faut sortir de cette situation. Il faut trouver des initiatives politiques qui rouvrent des perspectives de solutions vraies et qui garantissent la sécurité aux Israéliens comme aux Palestiniens et qui remettent en marche un processus politique.
Q - Sur le terrorisme. L'Union européenne parle d'une seule voix. A-t-on des perspectives très claires et quelle est l'urgence ? C'est l'après-Taleban ?
R - En ce qui concerne la lutte contre le terrorisme, les Quinze ont fait un travail rapide, très cohérent. Nous avons, au Conseil des Affaires générales d'aujourd'hui, poursuivi la préparation du Conseil européen informel de Gand. Les choses ont été vite. Toute une série de mesures dans le domaine des transports, dans le domaine financier, dans le domaine de la justice, dans le domaine des Affaires intérieures ont été prises. Nous avons mis l'accent aujourd'hui sur quelques domaines où il faut que le Conseil informel de Gand surmonte un certain nombre d'obstacles pour que l'harmonisation soit encore plus rapide que prévue. Mais là, je crois que les Européens ont réagi de façon forte et bien coordonnée. En ce qui concerne les perspectives politiques, on peut dire que grâce notamment aux contributions du plan français, des initiatives italiennes, allemandes, britanniques, l'Union européenne dispose d'orientations, c'est le terme retenu aujourd'hui, sur ce que devrait être le processus politique de solutions en Afghanistan qui devra associer toutes les composantes de l'Afghanistan, tenir compte des intérêts légitimes des voisins sans que cela devienne pour autant un facteur de blocage. Tout cela devant conduire vite à un autre volet qui sera celui, non pas de la reconstruction de l'Afghanistan parce que malheureusement c'est un pays qui, avant même les destructions, n'a jamais eu beaucoup d'infrastructures, mais de la création d'une économie moderne pour l'Afghanistan de demain et notamment de l'agriculture afghane qui est le gagne-pain de 85 % des Afghans. Nous sommes donc très avancés sur tous ces différents volets : humanitaire, politique et reconstruction économique.
Q - Quel est le rôle des Nations unies ?
R - Un rôle très important. Il faut déjà se rappeler que les Nations unies ont constaté la légitimité de la riposte américaine. D'autre part, pour ce qui sera fait en Afghanistan, toutes les composantes, c'est-à-dire les membres permanents, les Européens, les pays voisins, jouent un rôle important aux Nations unies. Il reste à préciser, c'est l'objet des contacts très nombreux qui ont lieu en ce moment, quel rôle exact peut servir de garant, de cadre, de légitimation, avoir une contribution plus concrète. Il y aussi la coordination de l'aide humanitaire qui se passe dans le cadre d'agences spécialisées des Nations unies. Sur le plan politique, il y a le rôle nouveau du représentant du Secrétaire général, M. Brahimi, que j'ai vu longuement la semaine dernière. Nous avons travaillé aujourd'hui à harmoniser tout cela, à emboîter les initiatives.
Q - Monsieur Védrine, on voit par exemple dans la majorité belge, des voix qui commencent à s'élever en disant qu'il faudrait suspendre les bombardements, précisément parce que l'aide humanitaire est difficile à acheminer. M. Verhofstadt a dû un petit peu changer l'ordre du jour de Gand en disant "on va faire une évaluation du soutien européen aux frappes". Quelle forme, d'après vous, peut prendre cette évaluation ? Et est-ce qu'aujourd'hui, au CAG, on a justement entendu des voix un petit peu discordantes ?
R - Pas sur ce point. Je crois qu'il faut assumer ce qui s'est passé. Il faut se rappeler l'horreur du 11 septembre. Il faut se rappeler que les Nations unies ont reconnu la légitimité de la riposte américaine. Tout le monde, les Européens et les autres, ont demandé qu'elle soit ciblée, mais c'était de toute façon déjà l'intention des responsables américains et c'est ce qu'ils ont fait. Il faut se rappeler que l'aide humanitaire, de toute façon, n'était pas acheminée avant. Il ne faut donc pas raconter des choses comme si elles arrivaient partout et que brusquement elles étaient interrompues par les bombardements. C'est complètement inexact. Il y a beaucoup d'aide humanitaire qui arrive dans les camps de réfugiés afghans en Iran, au Pakistan, en Asie centrale. Alors on peut discuter sur l'opportunité et l'utilité des parachutages d'aide, mais cela vient en plus. Il y a tellement d'aide supplémentaire qu'il y a un problème de coordination et que nous avons travaillé là-dessus. Pour le reste, ce n'est pas anormal qu'il y ait un dialogue politique avec nos amis américains sur la poursuite des ces opérations. Mais, pour le moment, nous considérons que nous sommes dans ce qui avait été annoncé.
Q - Justement, vous sentez une bonne coalition au niveau des Quinze ? Que va-t-il se passer si les bombardements s'élargissent ?
R - Je ne spécule pas sur des situations dans lesquelles nous ne sommes pas parce que, précisément, les responsables américains ont réagi de façon ciblée et n'ont pas élargi les frappes. Ce n'est pas parce qu'il y a des spéculations, par exemple, dans la presse américaine où certains défendent une autre approche, que nous avons à nous déterminer là-dessus puisque ce n'est pas l'approche qui est celle du président Bush et de Colin Powell.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 18 octobre 2001)