Texte intégral
Mesdames et Messieurs,
J'avais indiqué, lors de l'adoption de notre programme national de lutte contre le changement climatique il y a 18 mois que la Mission Interministérielle de l'Effet de Serre serait chargée de faire le point tous les ans sur la mise en uvre de ce programme.
Je me félicite que ce premier bilan ait bien lieu, comme prévu, et avec la participation de l'ensemble des acteurs concernés. Je voudrais en profiter pour remercier Michel Mousel et son équipe de la Mission Interministérielle de l'Effet de Serre pour le travail accompli depuis trois ans, aussi bien sur la scène internationale que pour la mise en place de notre programme national.
Il ne s'agit pas bien sûr uniquement de faire un bilan, mais aussi de proposer les ajustements nécessaires, en fonction de l'évolution de la conjoncture et du retour d'expérience sur les mesures mises en uvre. Je souhaite qu'après cette conférence nationale, sur la base de ce bilan et du travail de la Mission Interministérielle de l'Effet de Serre, de nouvelles décisions gouvernementales soient prises rapidement,
Programmée de longue date, cette conférence nationale se déroule aussi à un moment particulièrement critique.
Critique, d'abord, parce qu'il n'y a plus place pour le doute sur la réalité du risque. Même si les pétroliers américains continuent imperturbablement d'affirmer que les variations observées du climat sont le résultat de cycles normaux qui se déroulent depuis des siècles, le message de la communauté scientifique exprimé dans le IIIème rapport du GIEC est clair : le climat change, et il change à cause de la présence accrue de gaz à effet de serre dans l'atmosphère. La réponse au changement climatique constitue le plus important défi environnemental global auquel nous aurons à faire face ce siècle. Prévenir le changement de climat coûtera bien moins cher que de s'y adapter. Retarder la prise de décision est non seulement dramatique pour l'environnement, c'est aussi un non sens économique.
Critique, ensuite, parce ce que 2001 est l'année du bilan de la mise en uvre de la Convention Cadre sur les Changements Climatiques. Des engagements ont été pris à Rio pour un retour en 2000 à leur niveau de 1990 des émissions de gaz à effet de serre. On doit regarder ce qui a été fait - et ce qui ne l'a pas été - pour respecter ces engagements. Alors que la menace se confirme, qui comprendrait que ce qu'on s'était engagé à faire il y a dix ans ne l'ait pas été ? Et que ceux qui n'ont rien fait prennent avantage de leur inaction pour en faire encore moins.
Critique, enfin, parce que la nouvelle administration américaine a pris unilatéralement le parti de remettre en cause près de 10 ans de négociations internationales patiemment - et même laborieusement - menées. Nous devons être lucides sur ce point - et je crois l'avoir été depuis le début : le Président Bush ne reviendra spontanément pas sur son refus du protocole de Kyoto. Monsieur Bush nous propose comme seule alternative de développer la recherche - et quelle recherche ! je lis dans la presse qu'il s'agirait notamment de stocker le CO2 dans les bulles des sodas américains... Quel cynisme aussi quand on sait qu'il a l'intention de financer ces recherches par les redevances prélevées sur l'exploration pétrolière en Alaska. Ma conviction est faite depuis mars : nous ne pouvons pas laisser Monsieur Bush prendre le protocole de Kyoto en otage.
Je me félicite à cet égard que le Danemark et la Belgique, après la France, aient décidé de mener à bien leur procédure interne de ratification du protocole et que le Conseil européen de Göteborg ait réaffirmé la volonté de l'Union européenne de le ratifier d'ici 2002. Je me félicite aussi que le Parlement, sur la proposition du Sénateur Vergès, ait conduit notre pays à déclarer " priorité nationale " la lutte contre l'effet de serre.
Je ne doute pas, dans ce contexte, que chacun aura à cur, par ses discours mais aussi par ses actes, de montrer sa détermination à lutter contre l'effet de serre.
Je ne suis pas venue, à l'ouverture de cette conférence, dresser le bilan de la mise en uvre de notre programme national de lutte contre le changement climatique. C'est à vous qu'il appartient de le faire. Je compte sur vous pour le faire sans complaisance bien sûr, mais sans arrière pensée non-plus. Je remercie d'ailleurs les ONG d'avoir déjà contribué à ce débat.
Je voudrais plutôt vous faire part de ce que m'inspirent ces quatre années passées comme ministre chargée de l'environnement et pendant lesquelles la question des changements climatiques a été au cur de mon action.
Premier constat : la croissance des émissions de gaz à effet de serre n'est pas une fatalité. La France respectera l'engagement de Rio : nos émissions de gaz à effet de serre en 2000, même si elles ne sont pas encore connues aujourd'hui avec précision, auront été inférieures de 3 à 4 % à celles de 1990. Cela nous paraît banal aujourd'hui et comme allant presque de soi. Pourtant, bien peu de pays de l'OCDE peuvent afficher un tel résultat : sur la décennie passée, les émissions auront augmenté de plus de 15 % dans plusieurs pays et notamment aux Etats-Unis. Pourtant, surtout, nombre d'entre vous doivent se rappeler qu'on nous avait expliqué au début des années 90 que la France n'arriverait pas à stabiliser ses émissions. Or le PIB a cru de près de 20 % entre 1990 et 2000, la part du nucléaire est restée stable et nos émissions ont été stabilisées.
Je ne crois pas que ce résultat soit dû au hasard. Il résulte des efforts conjoints des pouvoirs publics, des industriels et de l'ensemble des acteurs de la société. Ces efforts montrent bien qu'il n'y a ni fatalité à voir nos émissions de CO2 croître comme le PIB, ni solution miracle consistant à substituer massivement une énergie " propre " aux énergies fossiles. Je ne citerai que quelques exemples d'actions concrètes.
Les émissions de CO2 des véhicules neufs ont enfin commencé à baisser, après la hausse continue enregistrée après le premier choc pétrolier. Au moment au Dick Cheney s'interroge pour savoir s'il serait bien raisonnable de réduire la consommation des véhicules américains, l'engagement volontaire des constructeurs automobiles européens commence à produire ses fruits : de près de 190 grammes de CO2 par kilomètre en 1995, les émissions des véhicules neufs sont passées à 165 grammes en 2000 et devront atteindre 140 grammes en 2008. Ce n'est qu'un début, bien sûr, et il faudra veiller à ce que ces gains ne soient pas effacés, par exemple par le développement de la climatisation. Mais cela me semble révélateur de la prise de conscience de nos constructeurs automobiles qu'il y a là un vrai défi pour eux et pour leur industrie.
La réglementation thermique des logements et des bâtiments du tertiaire a enfin été durcie, après des années d'inertie. Les niveaux de consommation exigés ont été diminués de 25 % pour les logements et de 40 % pour les bâtiments du tertiaire. Cette décision a pu passer inaperçue car ses impacts seront faible d'ici 2010, alors qu'ils seront déterminants à long terme. Il reste bien sûr à faire en sorte que les techniques développées pour la construction neuve soit également mises en uvre pour la rénovation des logements existants. On ne doit en effet pas oublier qu'en 2010 la moitié des logements auront été construits avant le premier choc pétrolier.
Les émissions de protoxyde d'azote de l'industrie ont été fortement réduites : entre 1990 et 2000, la mise en uvre de la réglementation et les efforts des industriels ont permis d'économiser annuellement l'équivalent de 4,6 millions de tonnes de carbone, soit environ 3 % des émissions françaises de 1990.
Deuxième constat, le plus difficile reste à faire. Il faut d'abord que nous nous donnions les moyens de respecter l'engagement de stabilisation de nos émissions de gaz à effet de serre entre 1990 et 2010 sans nous retrancher derrière les renoncements d'autres pays pour justifier l'inaction. Il faut aussi que nous nous préparions à réduire de manière drastique, dans la durée, nos émissions de gaz à effet de serre et que nous aidions véritablement les pays en développement à le faire. C'est à ce prix seulement que nous pourrons préserver le climat de la planète.
Nous devons respecter notre engagement de Kyoto. Comme je l'avais dit en 1999, l'objectif de notre programme national de lutte contre le changement climatique était d'identifier les mesures qui doivent nous permettre d'y parvenir. Ces mesures combinent tous les instruments possibles et font appel à une mobilisation de tous les secteurs.
Comme les exemples que j'ai cités l'illustrent, notre pays n'a pas à rougir des mesures techniques et réglementaires qui ont été mises en uvre et qui continueront à l'être pour lutter contre l'effet de serre.
Le programme d'amélioration de l'efficacité énergétique dont j'ai coordonné la préparation a en outre permis de renforcer significativement la mise en uvre de nos actions de lutte contre le changement climatique.
Sur le plan financier, d'abord, le renforcement du concours de l'État pour la maîtrise de l'énergie a permis de porter à 1,5 milliard de francs l'effort public annuel de maîtrise de l'énergie, dont 200 MF correspondent à l'effort des régions aux côtés de l'ADEME dans le cadre des contrats de plan.
La signature il y a quelques instants du contrat de plan Etat-ADEME a permis de préciser les engagements réciproques entre l'ADEME et ses tutelles pris d'ici 2006, notamment en matière de maîtrise de l'énergie.
En ce qui concerne l'information et la sensibilisation du public, ensuite, la mise en place des Points Information Énergie et la campagne d'information sur la maîtrise de l'énergie qui vient de démarrer sont des éléments importants qui devront permettre une véritable mobilisation des acteurs. Je me félicite des initiatives parallèles des organisations non gouvernementales, et notamment du " pari " contre l'effet de serre.
Cette année a également été marquée des mesures significatives en faveur des énergies renouvelables avec l'avancement décisif des négociations de la directive européenne et l'élaboration des tarifs d'achat. L'arrêté confirmant ces tarifs vient d'être signé pour l'énergie éolienne. Il faut maintenant compléter le travail en n'oubliant pas les autres filières, notamment le solaire et toutes les formes de biomasse dont le potentiel est loin d'être négligeable.
Je me félicite enfin de l'engagement renforcé du ministère de la recherche et de la communauté scientifique qui doit bien sûr, plus que jamais, être associée à nos efforts de lutte contre l'effet de serre. La présence ce matin de Roger-Gérard Schwartzenberg et de Gérard Mégie l'exprime sans ambiguïté.
Il y a à côté de cela des mesures qui n'ont pas été mises en place aussi rapidement que je l'aurais souhaité.
C'est le cas notamment de plusieurs mesures qui ne peuvent avoir de sens que si elles sont relayées de manière coordonnée au niveau communautaire. Beaucoup de ces mesures n'ont pas dépassé le stade de l'incantation, je pense notamment à la baisse de la fiscalité sur les produits économes en énergie ou à la taxation du kérosène. Souhaitons que les décisions du Conseil européen de Göteborg permettent enfin des progrès concrets pour la prise en compte de la lutte contre l'effet de serre dans l'ensemble des politiques communautaires. Les discours généreux ne suffisent plus : il est temps que dans chaque secteur des mesures concrètes soient prises. Peut-être faudrait-il pour cela que la Commission européenne se dote comme nous l'avons fait d'une structure interministérielle ou inter-DG placée auprès de son président pour coordonner ses initiatives en la matière.
C'est le cas aussi, au niveau national, de certaines mesures fiscales et notamment du retard pris dans l'extension de la TGAP aux consommations d'énergie des entreprises.
Vous savez que le gouvernement travaille à un dispositif qui viendra se substituer à celui censuré par le Conseil Constitutionnel et qui devra être en vigueur dès 2002. Notre programme national, bâti après des mois de réflexions et de consultations, avait conduit à faire une très large place à l'outil fiscal pour atteindre notre objectif de Kyoto. Les experts de l'OCDE, ceux de la Commission européenne aussi, ont confirmé, me semble-t-il, la pertinence de ce choix. Plusieurs de nos principaux partenaires européens l'ont mis en uvre. Je reste pour ma part convaincue que c'est le meilleur.
Je sais cependant que certains préconisent d'autres solutions, celle d'engagements volontaires de réduction des émissions par exemple. Je suis prête à discuter de toute solution effective permettant de réduire les émissions de gaz à effet de serre. De ce point de vue, je ne suis pas certaine qu'il soit moins contraignant et bureaucratique de fixer des quotas d'émission par entreprise ou par groupe industriel que de mettre en place une taxe qui favorise l'évolution des comportements. Et puis, si l'on peut imaginer comment fixer de tels quotas dans le secteur industriel, qu'en sera-t-il du tertiaire, des transports et des ménages ?
Si l'on va au-delà des déclarations pour regarder la réalité des choses, on voit que le débat entre la taxation et la limitation quantitative des émissions n'est pas aussi manichéen. Un vrai système de réduction des émissions aura les mêmes effets économiques qu'une taxe. Pour moi, l'essentiel est d'avoir un dispositif en vigueur au 1er janvier 2002, permettant des réductions d'émissions dès la première année et étant neutre pour le revenu des ménages.
Ce dispositif doit nous permettre de nous adapter progressivement à un monde où l'énergie sera plus rare et donc plus chère. C'est en effet la modification durable des comportements d'investissement, de localisation, de modes de consommation ou de production, qui déterminera l'avenir de notre planète. C'est sur ces comportements que les pouvoirs publics doivent agir en affichant une politique pérenne. 25 ans après le premier choc pétrolier, personne, en Europe, ne soutient le Président Bush quand il affirme que la croissance économique ne peut se faire qu'avec une croissance parallèle des émissions de CO2. Mais nous n'en avons sans doute pas tiré toutes les conséquences, en particulier dans le domaine des transports. Il ne faut pas non plus partir du postulat que la croissance économique va de pair avec la croissance de la mobilité. Il s'agit au contraire de trouver le chemin d'un développement plus économe en mobilité routière et aérienne, seul à même de permettre de réduire significativement les émissions de gaz à effet de serre. Si les inflexions nécessaires ont été initiées dans le cadre des Contrats de Plan Etat-Régions et des schémas de services collectifs " transports " en inversant la priorité trop longtemps donnée à la route, beaucoup de chemin reste à parcourir pour progresser en ce sens.
Enfin, mais c'est un sujet majeur, nous ne jugulerons l'effet de serre que si nous définissons clairement les cadres de la coopération avec les pays du Sud, dont beaucoup seront les plus vulnérables aux conséquences des changements climatiques. C'est pourquoi il est indispensable que des financements supplémentaires des transferts de technologies et de renforcement des capacités soient dégagés, aussi bien au niveau bilatéral qu'au niveau multilatéral. C'est à mon avis un des aspects les plus positifs du " paquet " mis sur la table par le Président Pronk à la Haye et qu'il a depuis précisé. C'est en tous cas un élément incontournable pour une vraie participation des pays en développement à la lutte contre l'effet de serre.
La coopération avec les pays du Sud devra permettre d'aider les pays les plus vulnérables à bénéficier du mécanisme de développement propre et à s'adapter aux conséquences du changement climatique. La mise en place prochaine, en application de la loi du 19 février 2001, de l'observatoire national sur les effets du changement climatique qui exercera ses missions en liaison avec la mission interministérielle de l'effet de serre permettra de renforcer la mobilisation de nos départements et territoires d'outre mer sur ce sujet et notre coopération avec les pays vulnérables, notamment ceux de l'AOSIS.
Le climat change. Le temps nous est compté. La lutte contre l'effet de serre sera d'autant plus aisée, d'autant moins coûteuse que nous auront su réagir à temps. L'opinion publique attend de nous, près de quatre ans après Kyoto, que nous appliquions ce protocole et que nous respections les échéances fixées. " Nous ", ce n'est pas seulement les gouvernements de la planète, c'est aussi et surtout chaque citoyen. Chacun peut contribuer à la lutte contre l'effet de serre. Chacun doit être convaincu que ses gestes comptent. Ensemble, pour reprendre un slogan qui, je l'espère, va devenir à la mode, nous préserverons la planète et nous préserverons notre argent.
(source http:// www.effet-de-serre.gouv.fr, le 13 novembre 2001)
J'avais indiqué, lors de l'adoption de notre programme national de lutte contre le changement climatique il y a 18 mois que la Mission Interministérielle de l'Effet de Serre serait chargée de faire le point tous les ans sur la mise en uvre de ce programme.
Je me félicite que ce premier bilan ait bien lieu, comme prévu, et avec la participation de l'ensemble des acteurs concernés. Je voudrais en profiter pour remercier Michel Mousel et son équipe de la Mission Interministérielle de l'Effet de Serre pour le travail accompli depuis trois ans, aussi bien sur la scène internationale que pour la mise en place de notre programme national.
Il ne s'agit pas bien sûr uniquement de faire un bilan, mais aussi de proposer les ajustements nécessaires, en fonction de l'évolution de la conjoncture et du retour d'expérience sur les mesures mises en uvre. Je souhaite qu'après cette conférence nationale, sur la base de ce bilan et du travail de la Mission Interministérielle de l'Effet de Serre, de nouvelles décisions gouvernementales soient prises rapidement,
Programmée de longue date, cette conférence nationale se déroule aussi à un moment particulièrement critique.
Critique, d'abord, parce qu'il n'y a plus place pour le doute sur la réalité du risque. Même si les pétroliers américains continuent imperturbablement d'affirmer que les variations observées du climat sont le résultat de cycles normaux qui se déroulent depuis des siècles, le message de la communauté scientifique exprimé dans le IIIème rapport du GIEC est clair : le climat change, et il change à cause de la présence accrue de gaz à effet de serre dans l'atmosphère. La réponse au changement climatique constitue le plus important défi environnemental global auquel nous aurons à faire face ce siècle. Prévenir le changement de climat coûtera bien moins cher que de s'y adapter. Retarder la prise de décision est non seulement dramatique pour l'environnement, c'est aussi un non sens économique.
Critique, ensuite, parce ce que 2001 est l'année du bilan de la mise en uvre de la Convention Cadre sur les Changements Climatiques. Des engagements ont été pris à Rio pour un retour en 2000 à leur niveau de 1990 des émissions de gaz à effet de serre. On doit regarder ce qui a été fait - et ce qui ne l'a pas été - pour respecter ces engagements. Alors que la menace se confirme, qui comprendrait que ce qu'on s'était engagé à faire il y a dix ans ne l'ait pas été ? Et que ceux qui n'ont rien fait prennent avantage de leur inaction pour en faire encore moins.
Critique, enfin, parce que la nouvelle administration américaine a pris unilatéralement le parti de remettre en cause près de 10 ans de négociations internationales patiemment - et même laborieusement - menées. Nous devons être lucides sur ce point - et je crois l'avoir été depuis le début : le Président Bush ne reviendra spontanément pas sur son refus du protocole de Kyoto. Monsieur Bush nous propose comme seule alternative de développer la recherche - et quelle recherche ! je lis dans la presse qu'il s'agirait notamment de stocker le CO2 dans les bulles des sodas américains... Quel cynisme aussi quand on sait qu'il a l'intention de financer ces recherches par les redevances prélevées sur l'exploration pétrolière en Alaska. Ma conviction est faite depuis mars : nous ne pouvons pas laisser Monsieur Bush prendre le protocole de Kyoto en otage.
Je me félicite à cet égard que le Danemark et la Belgique, après la France, aient décidé de mener à bien leur procédure interne de ratification du protocole et que le Conseil européen de Göteborg ait réaffirmé la volonté de l'Union européenne de le ratifier d'ici 2002. Je me félicite aussi que le Parlement, sur la proposition du Sénateur Vergès, ait conduit notre pays à déclarer " priorité nationale " la lutte contre l'effet de serre.
Je ne doute pas, dans ce contexte, que chacun aura à cur, par ses discours mais aussi par ses actes, de montrer sa détermination à lutter contre l'effet de serre.
Je ne suis pas venue, à l'ouverture de cette conférence, dresser le bilan de la mise en uvre de notre programme national de lutte contre le changement climatique. C'est à vous qu'il appartient de le faire. Je compte sur vous pour le faire sans complaisance bien sûr, mais sans arrière pensée non-plus. Je remercie d'ailleurs les ONG d'avoir déjà contribué à ce débat.
Je voudrais plutôt vous faire part de ce que m'inspirent ces quatre années passées comme ministre chargée de l'environnement et pendant lesquelles la question des changements climatiques a été au cur de mon action.
Premier constat : la croissance des émissions de gaz à effet de serre n'est pas une fatalité. La France respectera l'engagement de Rio : nos émissions de gaz à effet de serre en 2000, même si elles ne sont pas encore connues aujourd'hui avec précision, auront été inférieures de 3 à 4 % à celles de 1990. Cela nous paraît banal aujourd'hui et comme allant presque de soi. Pourtant, bien peu de pays de l'OCDE peuvent afficher un tel résultat : sur la décennie passée, les émissions auront augmenté de plus de 15 % dans plusieurs pays et notamment aux Etats-Unis. Pourtant, surtout, nombre d'entre vous doivent se rappeler qu'on nous avait expliqué au début des années 90 que la France n'arriverait pas à stabiliser ses émissions. Or le PIB a cru de près de 20 % entre 1990 et 2000, la part du nucléaire est restée stable et nos émissions ont été stabilisées.
Je ne crois pas que ce résultat soit dû au hasard. Il résulte des efforts conjoints des pouvoirs publics, des industriels et de l'ensemble des acteurs de la société. Ces efforts montrent bien qu'il n'y a ni fatalité à voir nos émissions de CO2 croître comme le PIB, ni solution miracle consistant à substituer massivement une énergie " propre " aux énergies fossiles. Je ne citerai que quelques exemples d'actions concrètes.
Les émissions de CO2 des véhicules neufs ont enfin commencé à baisser, après la hausse continue enregistrée après le premier choc pétrolier. Au moment au Dick Cheney s'interroge pour savoir s'il serait bien raisonnable de réduire la consommation des véhicules américains, l'engagement volontaire des constructeurs automobiles européens commence à produire ses fruits : de près de 190 grammes de CO2 par kilomètre en 1995, les émissions des véhicules neufs sont passées à 165 grammes en 2000 et devront atteindre 140 grammes en 2008. Ce n'est qu'un début, bien sûr, et il faudra veiller à ce que ces gains ne soient pas effacés, par exemple par le développement de la climatisation. Mais cela me semble révélateur de la prise de conscience de nos constructeurs automobiles qu'il y a là un vrai défi pour eux et pour leur industrie.
La réglementation thermique des logements et des bâtiments du tertiaire a enfin été durcie, après des années d'inertie. Les niveaux de consommation exigés ont été diminués de 25 % pour les logements et de 40 % pour les bâtiments du tertiaire. Cette décision a pu passer inaperçue car ses impacts seront faible d'ici 2010, alors qu'ils seront déterminants à long terme. Il reste bien sûr à faire en sorte que les techniques développées pour la construction neuve soit également mises en uvre pour la rénovation des logements existants. On ne doit en effet pas oublier qu'en 2010 la moitié des logements auront été construits avant le premier choc pétrolier.
Les émissions de protoxyde d'azote de l'industrie ont été fortement réduites : entre 1990 et 2000, la mise en uvre de la réglementation et les efforts des industriels ont permis d'économiser annuellement l'équivalent de 4,6 millions de tonnes de carbone, soit environ 3 % des émissions françaises de 1990.
Deuxième constat, le plus difficile reste à faire. Il faut d'abord que nous nous donnions les moyens de respecter l'engagement de stabilisation de nos émissions de gaz à effet de serre entre 1990 et 2010 sans nous retrancher derrière les renoncements d'autres pays pour justifier l'inaction. Il faut aussi que nous nous préparions à réduire de manière drastique, dans la durée, nos émissions de gaz à effet de serre et que nous aidions véritablement les pays en développement à le faire. C'est à ce prix seulement que nous pourrons préserver le climat de la planète.
Nous devons respecter notre engagement de Kyoto. Comme je l'avais dit en 1999, l'objectif de notre programme national de lutte contre le changement climatique était d'identifier les mesures qui doivent nous permettre d'y parvenir. Ces mesures combinent tous les instruments possibles et font appel à une mobilisation de tous les secteurs.
Comme les exemples que j'ai cités l'illustrent, notre pays n'a pas à rougir des mesures techniques et réglementaires qui ont été mises en uvre et qui continueront à l'être pour lutter contre l'effet de serre.
Le programme d'amélioration de l'efficacité énergétique dont j'ai coordonné la préparation a en outre permis de renforcer significativement la mise en uvre de nos actions de lutte contre le changement climatique.
Sur le plan financier, d'abord, le renforcement du concours de l'État pour la maîtrise de l'énergie a permis de porter à 1,5 milliard de francs l'effort public annuel de maîtrise de l'énergie, dont 200 MF correspondent à l'effort des régions aux côtés de l'ADEME dans le cadre des contrats de plan.
La signature il y a quelques instants du contrat de plan Etat-ADEME a permis de préciser les engagements réciproques entre l'ADEME et ses tutelles pris d'ici 2006, notamment en matière de maîtrise de l'énergie.
En ce qui concerne l'information et la sensibilisation du public, ensuite, la mise en place des Points Information Énergie et la campagne d'information sur la maîtrise de l'énergie qui vient de démarrer sont des éléments importants qui devront permettre une véritable mobilisation des acteurs. Je me félicite des initiatives parallèles des organisations non gouvernementales, et notamment du " pari " contre l'effet de serre.
Cette année a également été marquée des mesures significatives en faveur des énergies renouvelables avec l'avancement décisif des négociations de la directive européenne et l'élaboration des tarifs d'achat. L'arrêté confirmant ces tarifs vient d'être signé pour l'énergie éolienne. Il faut maintenant compléter le travail en n'oubliant pas les autres filières, notamment le solaire et toutes les formes de biomasse dont le potentiel est loin d'être négligeable.
Je me félicite enfin de l'engagement renforcé du ministère de la recherche et de la communauté scientifique qui doit bien sûr, plus que jamais, être associée à nos efforts de lutte contre l'effet de serre. La présence ce matin de Roger-Gérard Schwartzenberg et de Gérard Mégie l'exprime sans ambiguïté.
Il y a à côté de cela des mesures qui n'ont pas été mises en place aussi rapidement que je l'aurais souhaité.
C'est le cas notamment de plusieurs mesures qui ne peuvent avoir de sens que si elles sont relayées de manière coordonnée au niveau communautaire. Beaucoup de ces mesures n'ont pas dépassé le stade de l'incantation, je pense notamment à la baisse de la fiscalité sur les produits économes en énergie ou à la taxation du kérosène. Souhaitons que les décisions du Conseil européen de Göteborg permettent enfin des progrès concrets pour la prise en compte de la lutte contre l'effet de serre dans l'ensemble des politiques communautaires. Les discours généreux ne suffisent plus : il est temps que dans chaque secteur des mesures concrètes soient prises. Peut-être faudrait-il pour cela que la Commission européenne se dote comme nous l'avons fait d'une structure interministérielle ou inter-DG placée auprès de son président pour coordonner ses initiatives en la matière.
C'est le cas aussi, au niveau national, de certaines mesures fiscales et notamment du retard pris dans l'extension de la TGAP aux consommations d'énergie des entreprises.
Vous savez que le gouvernement travaille à un dispositif qui viendra se substituer à celui censuré par le Conseil Constitutionnel et qui devra être en vigueur dès 2002. Notre programme national, bâti après des mois de réflexions et de consultations, avait conduit à faire une très large place à l'outil fiscal pour atteindre notre objectif de Kyoto. Les experts de l'OCDE, ceux de la Commission européenne aussi, ont confirmé, me semble-t-il, la pertinence de ce choix. Plusieurs de nos principaux partenaires européens l'ont mis en uvre. Je reste pour ma part convaincue que c'est le meilleur.
Je sais cependant que certains préconisent d'autres solutions, celle d'engagements volontaires de réduction des émissions par exemple. Je suis prête à discuter de toute solution effective permettant de réduire les émissions de gaz à effet de serre. De ce point de vue, je ne suis pas certaine qu'il soit moins contraignant et bureaucratique de fixer des quotas d'émission par entreprise ou par groupe industriel que de mettre en place une taxe qui favorise l'évolution des comportements. Et puis, si l'on peut imaginer comment fixer de tels quotas dans le secteur industriel, qu'en sera-t-il du tertiaire, des transports et des ménages ?
Si l'on va au-delà des déclarations pour regarder la réalité des choses, on voit que le débat entre la taxation et la limitation quantitative des émissions n'est pas aussi manichéen. Un vrai système de réduction des émissions aura les mêmes effets économiques qu'une taxe. Pour moi, l'essentiel est d'avoir un dispositif en vigueur au 1er janvier 2002, permettant des réductions d'émissions dès la première année et étant neutre pour le revenu des ménages.
Ce dispositif doit nous permettre de nous adapter progressivement à un monde où l'énergie sera plus rare et donc plus chère. C'est en effet la modification durable des comportements d'investissement, de localisation, de modes de consommation ou de production, qui déterminera l'avenir de notre planète. C'est sur ces comportements que les pouvoirs publics doivent agir en affichant une politique pérenne. 25 ans après le premier choc pétrolier, personne, en Europe, ne soutient le Président Bush quand il affirme que la croissance économique ne peut se faire qu'avec une croissance parallèle des émissions de CO2. Mais nous n'en avons sans doute pas tiré toutes les conséquences, en particulier dans le domaine des transports. Il ne faut pas non plus partir du postulat que la croissance économique va de pair avec la croissance de la mobilité. Il s'agit au contraire de trouver le chemin d'un développement plus économe en mobilité routière et aérienne, seul à même de permettre de réduire significativement les émissions de gaz à effet de serre. Si les inflexions nécessaires ont été initiées dans le cadre des Contrats de Plan Etat-Régions et des schémas de services collectifs " transports " en inversant la priorité trop longtemps donnée à la route, beaucoup de chemin reste à parcourir pour progresser en ce sens.
Enfin, mais c'est un sujet majeur, nous ne jugulerons l'effet de serre que si nous définissons clairement les cadres de la coopération avec les pays du Sud, dont beaucoup seront les plus vulnérables aux conséquences des changements climatiques. C'est pourquoi il est indispensable que des financements supplémentaires des transferts de technologies et de renforcement des capacités soient dégagés, aussi bien au niveau bilatéral qu'au niveau multilatéral. C'est à mon avis un des aspects les plus positifs du " paquet " mis sur la table par le Président Pronk à la Haye et qu'il a depuis précisé. C'est en tous cas un élément incontournable pour une vraie participation des pays en développement à la lutte contre l'effet de serre.
La coopération avec les pays du Sud devra permettre d'aider les pays les plus vulnérables à bénéficier du mécanisme de développement propre et à s'adapter aux conséquences du changement climatique. La mise en place prochaine, en application de la loi du 19 février 2001, de l'observatoire national sur les effets du changement climatique qui exercera ses missions en liaison avec la mission interministérielle de l'effet de serre permettra de renforcer la mobilisation de nos départements et territoires d'outre mer sur ce sujet et notre coopération avec les pays vulnérables, notamment ceux de l'AOSIS.
Le climat change. Le temps nous est compté. La lutte contre l'effet de serre sera d'autant plus aisée, d'autant moins coûteuse que nous auront su réagir à temps. L'opinion publique attend de nous, près de quatre ans après Kyoto, que nous appliquions ce protocole et que nous respections les échéances fixées. " Nous ", ce n'est pas seulement les gouvernements de la planète, c'est aussi et surtout chaque citoyen. Chacun peut contribuer à la lutte contre l'effet de serre. Chacun doit être convaincu que ses gestes comptent. Ensemble, pour reprendre un slogan qui, je l'espère, va devenir à la mode, nous préserverons la planète et nous préserverons notre argent.
(source http:// www.effet-de-serre.gouv.fr, le 13 novembre 2001)