Interview de M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense, avec Europe 1 le 24 mars 2016, sur la lutte contre le groupe terroriste Daesh.

Prononcé le

Média : Europe 1

Texte intégral


THOMAS SOTTO
Tout de suite, c'est donc Jean-Yves LE DRIAN. Un avis sur Karim BENZEMA en équipe de France, Jean-Yves LE DRIAN ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Pas d'avis particulier. Moi, j'aime bien Karim BENZEMA. Je souhaite surtout que l'équipe de France soit très performante. S'il peut contribuer, c'est très bien.
THOMAS SOTTO
Quand même un avis en passant. Jean-Yves LE DRIAN, ministre de la Défense, qui est l'invité de Jean-Pierre tout de suite sur Europe 1. […]
- L'interview politique d'Europe 1. Jean-Pierre ELKABBACH, vous recevez Jean-Yves LE DRIAN, ministre de la Défense. Messieurs, c'est à vous.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Avec lui, il est préférable que l'équipe de France gagne la guerre, celle qui tue. Pour la sécurité des Européens et des Français, est-ce qu'il vaut mieux faire la guerre ou y renoncer ? Bienvenu, monsieur le Ministre ; Jean-Yves LE DRIAN, bonjour.
JEAN-YVES LE DRIAN
Bonjour.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Les armées françaises sont engagées en Syrie, en Irak, en Libye, en Afrique, et pourtant le terrorisme frappe davantage. Or, il y a en France des intellectuels, des députés du Parlement français, des politiques des deux extrêmes droite et gauche qui proposent une solution : arrêter et rentrer. Alors, est-ce que c'est simple ? Rentrons.
JEAN-YVES LE DRIAN
Ce serait la solution de la lâcheté. Cela voudrait dire que ceux qui disent cela estiment qu'aujourd'hui on peut laisser en toute impunité Daesh organiser à Raqqa ou à Mossoul la formation de combattants qui viendraient ensuite en Europe ou ailleurs commettre des attentats. A ce moment-là, on dirait quoi et ils diraient quoi ? D'autre part, la réalité – puisqu'il ne faut pas refaire l'Histoire ou alors il faut bien la refaire – c'est que Daesh a commencé à nous combattre bien avant que la coalition soit mise en place. Lorsque Mehdi NEMMOUCHE a provoqué l'attentat à Bruxelles, le premier attentat à Bruxelles en mai 2014, la coalition n'était pas organisée. Daesh a la volonté de nous combattre, de nous combattre de deux manières. D'abord sur le territoire du Levant en élargissant le périmètre du califat, parce que ce califat a une vocation hégémonique mondiale et ils entendent le mener jusqu'à ce terme-là. Et puis par ailleurs, en organisant à partir du Levant, le terrorisme par ces combattants qui sont formés pour déstabiliser – déstabiliser – les démocraties.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais en quoi être sur tous les fronts, monsieur le Ministre de la Défense, ça réduit la menace en Europe et en France ? On voit que le terrorisme se développe.
JEAN-YVES LE DRIAN
Il faut être sur tous les fronts, il faut combattre Daesh de manière déterminée pour éradiquer Daesh dans ses fondamentaux et dans ses fondements territoriaux. C'est ce que nous faisons, en particulier au Levant, où Daesh aujourd'hui recule. Il faut donc continuer l'action sans aucune…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Recule de quelle façon ? Parce que c'est ça qui est le paradoxe. Ils sont en train d'être un peu partout sur le plan du terrorisme. Les attentats, on nous dit qu'ils prouvent que l'Etat islamique est en train d'être affaibli. C'est un étrange paradoxe ça.
JEAN-YVES LE DRIAN
L'Etat islamique recule. Il faut pousser l'action de la coalition jusqu'à l'éradication totale de Daesh au Levant. C'est ce qui est en cours.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Vous ne dites pas « les neutraliser » comme le président OBAMA, vous dites « les éradiquer ».
JEAN-YVES LE DRIAN
Les détruire. Les détruire jusqu'au bout de la démarche. Nous sommes en guerre et quand nous sommes en guerre on a un ennemi, et cet ennemi-là il faut le combattre jusqu'à la victoire. C'est ce qui est en cours. Aujourd'hui, Daesh a reculé en Irak et en Syrie. Il continue à reculer. Ils ont perdu un peu plus de vingt-cinq pourcent du territoire que Daesh occupait jusqu'à présent. Ils ont perdu des villes importantes comme Ramadi, comme Sinjar comme récemment il y a quelques jours Cheddadi en Syrie. Ces combats-là doivent se poursuivre. Ils se poursuivront à Mossoul, ils se poursuivront à Raqqa jusqu'à ce que nous ayons éliminé Daesh. C'est l'objectif. Et à partir de ce moment-là, on élimine aussi le creuset de formation de terroristes qui s'effectue aujourd'hui en particulier à Raqqa.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
L'Etat islamique, c'est à peu près trente cinq mille djihadistes quand on nous le dit, c'est la moitié d'étrangers. Quand vous dites : « On peut vaincre, on peut écraser Daesh, l'éradiquer » – c'est votre mot –, est-ce que vous croyez qu'on peut tuer la gangrène idéologique et le fanatisme religieux qui se développent ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Monsieur ELKABBACH, je ne fais pas une guerre de religion. Je suis ministre de la Défense. Je dois assurer à la demande du président de la République et du Premier ministre la sécurité des Français à l'extérieur, en complicité et en bonne coordination avec l'action que mène Bernard CAZENEUVE sur l'Intérieur. Il y a un ennemi qu'il faut combattre qui s'appelle Daesh. Nous utilisons et nous mobilisons tous nos moyens pour y aboutir, soit dans la coalition, soit en protection au niveau intérieur. Il n'y a que cela à dire : il faut combattre cet ennemi qui nous combat.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Daesh, d'après vous, régresse en Irak, Jean-Yves LE DRIAN, parce qu'il y avait des troupes irakiennes et kurdes au sol. Ce n'est donc pas inutile qu'il y ait des troupes au sol mais il est préférable que ce soit les autres.
JEAN-YVES LE DRIAN
L'action de la coalition est claire. Nous appuyons les forces irakiennes et les forces kurdes pour qu'elles récupèrent le territoire perdu. Nous appuyons par des interventions aériennes, par des frappes. Il y a eu par exemple la semaine dernière six cents sorties de la coalition, une centaine de frappes sur un certain nombre de lieux, en particulier les lieux logistiques, les lieux de formation, les lieux d'entraînement, les lieux de fabrication d'armes, et les forces au sol récupèrent les territoires. Nous formons par ailleurs les forces irakiennes et les forces kurdes pour leur permettre d'avoir l'agressivité nécessaire pour…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Et en Syrie ? Est-ce que vous confirmez que la grande bataille se livre en ce moment autour de Palmyre ?
JEAN-YVES LE DRIAN
En Syrie, Daesh recule aussi. J'ai parlé tout à l'heure de Cheddadi, c'est la première ville significative qui a été reprise en Syrie à Daesh. L'action de la coalition se poursuit de manière significative. C'est vrai qu'à Palmyre, il y a des combats auxquels participent les Russes, et qui devraient aboutir, je l'espère, à la reprise de Palmyre. Donc Daesh recule.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Les Russes, ça veut dire qu'ils tapent sur Daesh maintenant.
JEAN-YVES LE DRIAN
C'est une bonne nouvelle.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Oui. Vous le dites et c'est vrai parce que longtemps, on les a accusés de taper surtout sur les ennemis de Bachar el-ASSAD. Mais alors pourquoi Vladimir POUTINE a quitté la Syrie d'un coup ? Ou alors est-ce qu'il laisse des armées qui sont prêtes à bondir et qui dorment d'un seul oeil ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Il y a encore beaucoup de forces russes en Syrie, à Lattaquié et à Tartous en particulier. Ils ont réduit leur présence de manière assez significative et surtout, ils frappent désormais systématiquement Daesh. C'est ce que nous souhaitions depuis longtemps. J'avais été à Moscou rencontrer mon collègue CHOÏGOU. Je lui avais dit : « On vous croira vraiment lorsque vous mobiliserez vos forces contre ce qui est notre ennemi, c'est Daesh ». Eh bien, ça se passe.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Jean-Yves LE DRIAN, vous êtes un des premiers avec François HOLLANDE à avoir alerté sur la Libye, voisine de la Tunisie, de l'Algérie, du Niger, de l'Egypte et si proche de nous. Aujourd'hui vous restez inquiet. On nous avait promis une double action. D'abord un gouvernement libyen d'union nationale : zéro, il n'est pas là, il est nul, il n'existe pas. Ensuite une opération maritime, et c'est là-dessus que je veux vous interroger, qui s'appelle Sophia pour lutter contre les trafics de migrants. Cette flotte, elle existe en permanence en mer mais elle n'a pas le droit de neutraliser les trafiquants.
JEAN-YVES LE DRIAN
L'urgence en Libye, l'urgence des urgences, c'est la mise en oeuvre d'un gouvernement d'union nationale. Nous y sommes proches mais il faut que l'ensemble des acteurs, ceux qui ont de l'influence sur les acteurs libyens, puisse agir pour que ce gouvernement de monsieur el-SARRAJ soit reconnu, soit mis en oeuvre et s'installe à Tripoli. A ce moment-là, ce gouvernement doit dire comment il va agir et ce qu'il demande à la communauté internationale pour enrayer trois dangers majeurs qui existent en Libye. D'une part Daesh qui est présent et qui a aujourd'hui quatre mille à cinq mille combattants en particulier dans la région de Syrte. Combattre Daesh en Libye. Eviter les trafics de migrants qui peuvent aussi bénéficier à Daesh.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Est-ce que vous pouvez nous dire ce matin combien il y a de migrants qui attendent sur les rives libyennes ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Des centaines de milliers.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
C'est-à-dire.
JEAN-YVES LE DRIAN
Et empêcher le trafic d'armes. C'est un point très important aussi.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Oui, mais il y a combien de gens qui attendent là ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Des centaines de milliers.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
On dit huit cent mille ; c'est vrai ?
JEAN-YVES LE DRIAN
C'est un chiffre à peu près convenable. Il faut donc éviter que le trafic de migrants ne renforce Daesh par des ressources financières supplémentaires qui lui seraient allouées par ce trafic. Donc c'est la responsabilité du gouvernement d'union nationale qui, je l'espère, va se mettre en place très rapidement en Libye. C'est l'urgence. C'est de la responsabilité de ce gouvernement de dire : « Voilà comment je vais faire pour enrayer ces trois maux qui touchent aujourd'hui la Libye ».
JEAN-PIERRE ELKABBACH
On va attendre.
JEAN-YVES LE DRIAN
C'est demain qu'il faut le faire, ce n'est pas dans quinze jours ou dans trois semaines, c'est demain. Il faut que les acteurs internationaux puissent pousser à ce que ce gouvernement véritablement s'installe et donne à ce moment-là à la force dont vous parlez qui est la force Sophia des bateaux de guerre de l'Union européenne, les moyens juridiques d'intervenir pour empêcher le trafic des migrants de reprendre au moment où la mer Méditerranée sera plus calme.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Il y aurait beaucoup à dire, Jean-Yves LE DRIAN. Il y a la présence sur le territoire de dix mille soldats Sentinelle. Est-ce que vous pourrez assurer sans renforts la protection des stades et des fan-zones pour l'Euro 2016 de foot ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Quelle est la mission de Sentinelle et aussi des forces de sécurité intérieures qu'elle complète ? C'est d'abord de dissuader, c'est de rassurer, c'est de protéger et c'est d'intervenir. Les soldats qui sont déployés aujourd'hui permettent cela. Ils sont très vigilants, ils ont beaucoup de sang-froid, ils ont une grande présence, ils sont très déterminés.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais est-ce qu'il vous faudra davantage de soldats Sentinelle s'il y a l'Euro ?
JEAN-YVES LE DRIAN
On a réussi à faire en sorte que la COP21 se déroule dans les meilleures conditions. L'objectif des terroristes et de Daesh en particulier, c'est de déstabiliser le mode de fonctionnement, la vie sociale et la vie démocratique. Il faut absolument que cette vie-là se poursuive donc l'Euro doit avoir lieu et les moyens seront mis en oeuvre pour que ça se passe comme ça.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
On l'a vu avec Didier FRANÇOIS et toutes les équipes d'Europe 1 : le réseau des terroristes, le Paris-Bruxelles, a de plus en plus de professionnalisation, ils sont plus équipés, et cætera. Est-ce qu'ils ont des armes ou des produits chimiques qu'ils pourraient utiliser ?
JEAN-YVES LE DRIAN
On peut, à partir d'informations qui nous sont données par les ONG, avoir des soupçons sur l'utilisation d'agents chimiques dans une partie de la Syrie. Oui, il y a un doute, il y a des soupçons.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais pas sur le territoire européen. Pas encore.
JEAN-YVES LE DRIAN
Sur le territoire européen, c'est plus compliqué dans la mesure où le transfert d'agents chimiques de distances aussi longues est extrêmement difficile. Il faut être très vigilant néanmoins.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Evidemment. Je vais vous poser une dernière question politique. On reproche à votre ami le président de la République François HOLLANDE d'hésiter en matière d'économie, de travail, de réformes, la loi El Khomri, et cætera, alors qu'au contraire face à la guerre et au terrorisme, il sait prévoir, organiser et trancher. Vous savez pourquoi ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Moi je ne vois pas deux François HOLLANDE. C'est un président de la République qui est courageux. Courageux à l'extérieur pour assurer la sécurité des Français, courageux à l'intérieur pour prendre des initiatives qui n'avaient jamais été prises jusqu'à présent. Je pense par exemple à la loi sur le Travail : ça fait trente ans qu'on dit qu'il faut que les lignes bougent. Les lignes vont bouger. Il y a un François HOLLANDE qui est courageux et déterminé.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Jean-Yves LE DRIAN dit : « Il n'y en a pas deux, il n'y en a qu'un ». J'allais oublier de vous dire : c'est vrai qu'il y a des opérations secrètes, ponctuelles, locales en Libye ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Je n'ai jamais donné le moindre avis sur le sujet.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
C'est-à-dire que la non-réponse est une réponse ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Non. La non-réponse est aussi une non-réponse.
THOMAS SOTTO
Merci Jean-Yves LE DRIAN d'être venu sur Europe 1 ce matin.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Ça, c'est formidable : « La non-réponse est une non-réponse »
source : Service d'information du Gouvernement, le 25 mars 2016