Déclaration de M. Emmanuel Macron, ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique sur l'accompagnement du financement participatif, Paris le 29 mars 2016.

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Circonstance : Assises de la finance participative, à Paris le 29 mars 2016

Texte intégral

Bonjour à toutes et tous, bienvenue dans cette maison. Je suis ravi d'être parmi vous en cette fin de matinée pour cette 3e édition des Assises de la finance participative.
Je crois savoir que vous êtes, à cet égard, de plus en plus nombreux à participer à cet événement, et à évoluer dans ce paysage que constitue la finance participative qui est en pleine transformation depuis plusieurs années en France ; et c'est vrai que quand on regarde les chiffres cette transformation est impressionnante, puisque entre 2013 et 2014, les montants levés ont doublé, et entre 2014 et 2015 ils ont encore doublé. Ils sont passés de 150 millions d'euros à près de 300 millions d'euros entre 2014 et 2015 avec une dynamique particulièrement importante sur les plateformes de prêts, de 90 à près de 200 millions d'euros collectés. Et côté investissement, la dynamique a elle aussi doublé puisqu'elle est passée de 25 à 50 millions d'euros.
Donc on le voit bien : c'est un secteur qui est en transformation dans notre pays et qui est un des leviers de financement particulièrement importants auquel nous tenons beaucoup parce qu'il fait partie de cette diversification dont notre pays a besoin. Et je le dis souvent : nous sommes plongés dans un environnement aujourd'hui d'innovation radicale, dans tous les secteurs et vous participez au quotidien à cette transformation du financement de notre économie.
La finance participative transforme le quotidien des Français, elle modifie leur rapport aux crédits et aux risques, elle bouleverse leur manière de s'engager.
Pour ne citer qu'un exemple, qu'un chiffre, un peu plus d'1,3 million de nos concitoyens ont participé à un projet de « crowdfunding » ; ce qui montre bien qu'aujourd'hui cette pratique se diversifie, que ce type d'intermédiation touche de plus en plus de monde, de plus en plus de secteurs d'activité. Ainsi, les Français ont régulièrement recours à la finance participative pour soutenir un musicien, une écrivaine, accompagner le développement d'une PME, placer leur argent dans une start-up.
Alors j'entends parfois les esprits chagrins s'exprimer disant que la finance participative ne serait qu'un épiphénomène quand on la compare à ce que représente l'épargne financière des Français ; c'est vrai, mais parce que ce n'est que le début. La dynamique qui est en train de se créer depuis quelques années eh bien elle vient justement offrir d'autres voies de diversification à cette épargne financière, aux différents modes de financement de notre économie qui étaient des financements extrêmement structurés par des intermédiaires bancaires essentiellement assuranciels, et qui étaient liés à l'économie de rattrapage français, ce qu'on a vu se déployer pendant des décennies.
Aujourd'hui nous devons inventer les voies et moyens de financement nouveaux en phase avec une économie de l'innovation et de la rupture.
Cette révolution donc ne fait que commencer. Pour 3 raisons principalement.
La première c'est que comme je le disais, vous êtes un champ d'innovation en soi et donc vous portez une dynamique en termes d'usage de réglementation – j'y reviendrais - de technologie qui va avec les pratiques, qui participe aussi de cette décentralisation des choix des pouvoirs, qui donne plus d'options à notre économie, plus de réactivité aussi à certains types de financement et donc qui contribue à cette innovation.
La deuxième raison c'est que les financements proposés par les plateformes répondent à une demande. Le développement du financement participatif c'est une solution nouvelle, un choix nouveau, de la liberté supplémentaire donnée aux acteurs qui parfois ne trouvent pas de débouchés avec d'autres formes de financement. En effet, il y a parfois des commerçants qui ne parviennent pas accéder au financement bancaire et qui dans le même temps ont une forme sociale qui leur interdit l'émission obligataire et qui trouvent des financements par ce biais-là ; et les exemples sont nombreux pour montrer l'intérêt justement des plateformes de prêt ou de financement en fonds propres.
Et puis la troisième raison, c'est que les financeurs y trouvent du sens. Pourquoi ? Parce que pour les investisseurs c'est un nouveau moyen d'investir des petits tickets dans des start-up ; pour les prêteurs c'est un nouveau moyen de diversification de leur épargne dans un contexte, on le sait, où les placements d'épargne réglementée ont des taux qui restent peu attractifs. Et surtout la finance participative transforme la relation que l'investisseur entretient avec son objet. C'est une relation plus directe, plus personnelle, plus perceptible - si j'ose dire - et donc c'est la philosophie même du projet d'investissement de financement ou de dons qui évolue. Et nous ne sommes, à cet égard, qu'au début de la révolution du financement participatif, j'en suis profondément convaincu.
Alors dans ce cadre, le rôle de l'Etat est unique : c'est de permettre à cette révolution de se réaliser entièrement ; et pour se faire il s'agit à mes yeux d'abord de reconsidérer notre façon de réglementer. Classiquement on a deux façons de réglementer dans notre pays : ou bien on réglemente très en amont et donc on construit ce faisant les voies et moyens de ne pas développer la sphère d'activité. C'est quelque chose en France que nous savons très bien faire, c'est-à-dire que nous imaginons ex ante tous les risques potentiels qui vont se développer, et nous construisons ensuite un cadre réglementaire qui permet de ne pas développer l'activité. Nous avons choisi de ne retenir cette voie pour ce qui concerne la finance participative.
Il y a une deuxième voie, elle aussi, qui a été retenue à plusieurs occasions qui consiste à 'attendre que le risque survienne pour se décider à réguler. Nous l'avons fait aussi par le passé. On a commencé à réguler le risque industriel lorsque la fabrique de poudre de Grenelle a explosé en faisant 1000 morts. Ce n'est pas non plus une bonne idée parce que ça peut conduire à des coups de balancier extrêmement brutaux et surtout on perd l'acceptation sociale pour s'en remettre à la confiance béate à l'égard du comportement des acteurs.
Donc ce qui est essentiel de faire c'est d'avoir une régulation proportionnée, nourrit de l'intelligence des acteurs, des besoins économiques et sociaux mais qui soit proportionnée en ce qu'elle permet justement à l'activité de se déployer. Et c'est ce cadre-là que nous avons voulu adopter, c'est-à-dire en sécurisant et en accompagnant ; ce qui suppose un dialogue constant et je me félicite de la qualité du dialogue que nous avons avec vous, ce qui suppose des ajustements multiples parce qu'il faut en même temps toujours suivre l'innovation d'usage, l'innovation financière qui se joue en particulier à travers ce secteur. Donc il ne faut pas figer les choses, mais il faut accompagner le mouvement et lui donner un cadre sécurisé et contrôlé ; et c'est ce que nous avons voulu faire avec les plateformes. Je pense très profondément que c'est une bonne chose pour le secteur, si c'est fait de manière proportionnée.
Je m'étonne toujours quand vous voyez les réactions de marché il y a quelques mois autour de Lending Club, qui est cette fierté française aux Etats-Unis – si je peux utiliser ce terme - et dont le cours a soudainement été chahuté lorsque des rumeurs de réglementation du marché sont advenues. Ca montre le peu de confiance que les marchés ont dans la réglementation ou la régulation mais c'est une bonne chose qu'un marché se régule, qu'il soit réglementé, parce que ça donne un cadre sécurisé à tout le monde. A titre personnel je m'inquiète lorsque je sais que quelqu'un opère et fait des grands profits dans un secteur qui fait l'objet d'une régulation incertaine, parce qu'à coup sûr c'est un risque embarqué à un moment donné ; soit parce que quelque chose va survenir, soit parce que le risque de régulation de toute façon adviendra. Donc l'objectif c'est de nous donner de la visibilité mutuelle pour avoir un cadre sécurisé qui permet le développement de tous les acteurs.
Alors la réglementation française a pour but d'accompagner votre développement sans attendre de savoir quel business model émergerait. Et pour ce faire j'ai proposé, dès le printemps 2015, des modifications du cadre législatif du financement participatif, alors que ce cadre était tout neuf, il avait à peine 6 mois, mais précisément pour pouvoir s'adapter aux besoins qui ont été identifiés.
Ces modifications, dans le cadre de la loi pour la Croissance et l'Activité, ont consisté à faire entrer les bons de caisse dans le cadre du financement participatif avec une finalité simple, c'est parce qu'il y avait des activités qui objectivement devaient relever du financement participatif au sens de la loi et qui n'entraient pas dans les catégories juridiques que nous avions définies. Et il fallait donc être pragmatiques, réconcilier financement participatif au sens de la loi et financement participatif dans son acception commune.
Nous avons choisi de garder la flexibilité des bons de caisse et de les faire intermédier par les CIP, et c'est le sens de l'ordonnance qui vient de partir au Conseil d'Etat et qui sera publiée dans les prochaines semaines; elle procède d'une part d'un toilettage de l'outil bon de caisse et crée une sous-catégorie de bons de caisse que nous appelons mini-bons qui seront intermédiés par les conseillers en investissement participatif.
Je crois que c'est ainsi qu'on définira le bon cadre, c'est ce qui a été négocié durant tous ces mois et je pense que c'est ainsi qu'on garantit cette diversification du financement de type obligataire. Les mini-bons constitueront des formes d'émissions obligataires très simplifiées qui seront notamment accessibles, comme c'est le cas pour les bons de caisse actuels, aux SARL. Ce qui était, on le sait bien, l'un des angles morts aujourd'hui de notre système de financement. Elles pourront être souscrites par des personnes morales ou physiques et ce dans la limite du plafond des conseillers en investissement participatif.
Par ailleurs nous avons saisi l'occasion fournie par cette ordonnance pour permettre l'expérimentation des protocoles de type blockchain à ces modes de financement et donc à ces mini-bons parce que là aussi je pense que c'est une bonne façon de saisir les innovations technologiques qui sont en cours, les innovations d'usage, et de voir justement quelles conséquences cela a de pouvoir les inscrire dans un cadre mais de leur permettre de se développer sur le marché français. Les acteurs pourront s'en saisir ou non mais on a souhaité qu'il y ait cette possibilité d'expérimenter.
Et je pense que c'est emblématique de l'attitude que nous devons adopter face à toutes les innovations. Je le dis là parce que je pense que le rôle central que vous jouez dans les fintech est - comme dans tous les secteurs - un élément clé ; l'innovation comporte des risques mais on doit les accompagner et on doit laisser des acteurs expérimenter, sinon elle continue à se développer par ailleurs , nous envoyons au reste du monde une image quasi régressive qui consiste à dire que nous avons peur de l'innovation et nous manquons de réalisme parce qu'elle continue de toute façon à se faire. Et donc là en l'espèce nous avons tenu à ce que l'innovation technologique et financière puisse trouver son cadre.
Au-delà de ces modifications j'ai pris connaissance des propositions d'évolution du cadre réglementaire que vous avez formulées et le retour d'expériences des derniers mois sur le fonctionnement des différentes plateformes nous permet à cet égard d'envisager un certain nombre d'évolutions du cadre réglementaire.
Alors s'agissant d'abord des conseillers en investissement participatif, le gouvernement envisage de passer le plafond d'offre de titres financiers de 1 million d'euros sur 12 mois glissants à 2,5 millions d'euros sur la même période, toujours sans prospectus. C'est un élément de simplification. Une condition sur l'offre, qui ne devra pas représenter plus de 50 % du capital de l'émetteur post augmentation de capital, sera ajoutée. Nous espérons que cela aidera justement les CIP à satisfaire la demande de financement d'entreprises plus matures ou de secteurs comme les énergies renouvelables qui nécessitent des montants de fonds propres parfois un peu plus importants sans pour autant tomber dans des rigidités, c'est tout à fait légitime, qu'on connait lorsqu'il y a un appel public à l'épargne.
Plus fondamentalement, nous pensons qu'il faut élargir les types intermédiables en ouvrant la possibilité pour les conseillers en investissement participatif, d'intermédier des titres participatifs d'une part et des actions de préférence et obligations convertibles d'autre part . C'était une demande récurrente du secteur, nous l'avons entendue, et je pense qu'elle permettra là aussi d'améliorer l'offre. Cela vise à la fois à permettre à d'autres types de structures telles que les coopératives ou les établissements publics industriels et commerciaux d'avoir accès aux plateformes, et cela permettra aussi que lorsque le financement s'opère en cofinancement avec des fonds, les épargnants puissent bénéficier du même type de conditions financières que les fonds et ainsi ne soient pas lésés notamment lors des tours suivants. Ce sera un élément qui permet là aussi d'homogénéiser le fonctionnement du marché.
Ce mouvement d'ouverture sur les titres intermèdiables doit aussi s'accompagner d'une plus grande exigence sur la transparence des montages qui sont proposés et là-dessus si nous encadrons et élargissons les titres intermédiables ça n'est pas pour que - je dois vous le dire franchement – les règles soient contournables dès lors qu'une SAS est intercalée, ce que nous avons observé dans beaucoup de situations ; et donc autant - moi j'appelle de mes voeux à un plus grand pragmatisme pour justement faire fonctionner le marché, donner sa place à l'innovation - autant lorsqu'on observe la mise en place de modèles contournement qui sont insuffisamment transparents ou qui présentent des risques peu compréhensibles par l'épargnant, il nous faut mieux les encadrer. C'est pourquoi j'ai demandé à mes services, en lien avec les régulateurs, de réfléchir à l'encadrement des dispositifs avec structure intercalaire. Certains modèles qui se sont développés, je pense en particulier au « crowfunding » immobilier, ne sont pas satisfaisants à cet égard. Nous allons donc travailler dans les prochains mois à un encadrement de ces modèles. S'agissant ensuite des IFP, nous envisageons de donner plus de liberté aux investisseurs en relevant les seuils - pour les prêts avec intérêts – de 1000 à 2000 euros et celui des prêts sans intérêt de 4000 euros à 5000 euros. C'était là aussi une demande récurrente, on a eu de longs débats dans le cadre de la loi Croissance et Activité sur ce sujet, et là encore le retour d'expérience nous laisse penser qu'un tel élargissement peut se faire au bénéfice des entreprises financées et sans risque disproportionné pour le prêteur particulier.
Voilà mesdames Messieurs ce que je voulais partager avec vous ; d'abord une conviction qui est que le secteur que vous représentez participe de l'innovation de notre économie, d'un changement de modèle et d'une diversification de nos modes de financement.
Face à cela nous devons adapter ensemble le cadre de régulation. Et quand je dis ensemble ce ne sont pas des mots, les derniers mois l'ont montré, nous avons eu un travail extrêmement productif, contradictoire et on doit continuer de l'avoir. L'idée que l'innovation puisse se faire à l'écart du régulateur n'existe pas dans des secteurs comme le secteur financier, mais l'idée que la régulation se développe uniquement pour cantonner le risque et pour ne répondre en rien aux changements d'usage, aux besoins de financement de notre économie, c'est aussi une chimère.
Donc c'est ensemble que nous continuerons à réglementer ce secteur en regardant où sont les besoins de manière très pragmatique, le financement de notre économie des différents secteurs, qu'il s'agisse du fonds propres ou de la dette ; en nous comparant parce que je pense que c'est un exercice indispensable, quand d'autres avancent très vite eh bien il faut regarder ce qui se passe et adapter notre système ; et puis en regardant les innovations qui sont faites au sein même de votre secteur pour pouvoir les accompagner et la meilleure façon que nous avons les accompagner c'est de les comprendre et de les sécuriser comme je vous le disais.
Vous savez on a vécu par le passé plusieurs périodes d'enthousiasme formidable quand il y avait des innovations financières. Lorsqu'on ne l'a pas régulé à proprement parler ça s'est toujours fini par des dommages conséquents et des traumatismes, et on met parfois des décennies à s'en remettre lorsqu'on ouvre trop vite, lorsqu'on n'explique pas bien aux épargnants quelle est la réalité du risque. Nous ne sommes pas la nation la plus exemplaire dans son rapport aux risques, quand on regarde les choses.
Les Français eux préfèrent l'immobilier et l'obligataire au financement en fonds propres à la prise de risque, même à la détention en direct bien souvent des actions. Ce changement de mentalité passe par un cadre qui rassure, par une régulation adaptée, par le travail qui est aussi le vôtre c'est-à-dire celui d'intermédiaire aux avant-postes qui permet de donner plus de dynamisme à ce cadre, plus de concret, comme je le disais aussi, un autre rapport à l'investissement, mais qui vont aussi conduire eh bien à ce que nous réussissions ensemble cette petite révolution culturelle qui doit accompagner la révolution économique et technologique que nous vivons.
Et donc pour que l'avenir dure longtemps - comme disait le philosophe - il faut que nous nous préparions dès aujourd'hui et que nous sachions voir loin. C'est l'objectif de ces aménagements que nous allons faire ensemble et surtout du travail que nous continuerons à faire ensemble parce que comme vous l'avez compris je crois très profondément à ce secteur et à sa pérennité. Merci pour votre attention.
Source http://www.economie.gouv.fr, le 5 avril 2016