Texte intégral
Q - Mme Clinton a eu des mots assez durs, assez sévères contre l'Union européenne après les attentats de Bruxelles dans lesquels plusieurs ressortissants américains ont été blessés. Trouvez-vous que ces critiques, qui portent notamment sur le manque de partage du fardeau face au terrorisme, sur la porosité des frontières, sur le manque de réactivité de l'UE, sont injustes ?
R - Sur le partage du fardeau, je crois qu'il faut rappeler que l'Europe est en première ligne. C'est l'Europe qui est la plus touchée, mais on ne va pas faire de concurrence entre les épreuves. L'heure n'est pas aux remontrances, l'heure est, plus que jamais, à la solidarité. Et la solidarité veut dire aussi mobilisation, combativité, détermination. D'ailleurs, c'est le message du monde entier qui s'est retrouvé à Paris le 11 janvier 2015, avec 150 chefs d'État et de gouvernement qui représentaient leur pays et qui disaient : «nous n'avons pas peur et surtout nous allons nous mobiliser encore davantage.»
S'il y a, à chaque étape, des leçons à tirer c'est qu'il faut être encore plus rigoureux et efficace. Je prends un exemple : le fameux PNR qui a été annoncé maintes et maintes fois pour disposer de renseignements sur les voyageurs aériens, maintenant il faut que le Parlement européen l'adopte. C'est sûr, il n'y a plus de retard à prendre, plus d'explications à donner. Ce vote doit intervenir dans les prochains jours à mes yeux.
Et puis, ce qui est sûr c'est que la coordination entre les États, l'échange d'informations, de renseignements est plus que jamais nécessaire. S'il y a des leçons à tirer, c'est cela mais tout le monde doit les tirer, les Européens comme les Américains. Je crois que ce qui compte c'est d'être mobilisés, d'être solidaires et d'être efficaces.
Q - Mme Clinton va jusqu'à accuser les banques européennes de financer le terrorisme...
R - Des décisions ont été prises pour lutter contre le financement du terrorisme. Ces décisions ont été prises au niveau européen. Elles doivent être aussi mises en oeuvre au niveau mondial. C'est d'ailleurs un des points qui est à l'ordre du jour de la réunion ministérielle du G7 qui se tiendra à Hiroshima courant avril. Je m'en suis d'ailleurs entretenu avec mon homologue japonais il y a quelques jours. Cela fait partie de la lutte contre le terrorisme.
Je vais prendre un exemple : la nécessité de mettre en place un gouvernement national en Libye est plus que jamais nécessaire. Pourquoi faire ? C'est notamment pour contrôler la banque centrale, contrôler les avoirs issus de la production de pétrole pour éviter que tout cela finance daech.
Donc, ce combat n'est pas seulement le combat des Européens, des Américains, c'est le combat de tout le monde libre, de tous ceux qui croient à la liberté, à la démocratie.
Là où il y a des failles, il faut les combler. Chacun a ses propres failles et ses propres insuffisances mais ce qui m'intéresse c'est le but. Le but c'est de continuer à nous battre pour protéger nos populations dans chacun de nos pays, quel que soit le continent où nous habitons, et pour cela il faut continuer à être intransigeants et déterminés, à lutter contre le terrorisme sous toutes ses formes et là où il s'exprime - je pense à l'Europe - mais aussi dans d'autres pays où il faut aller le chercher à la racine. C'est le sens du combat contre daech en Syrie et en Irak.
Q - Justement, Mme Clinton demande aux Européens que leurs avions bombardent la Syrie et l'Irak. C'est déjà le cas contre daech en Syrie et en Irak. Alors pourquoi ces critiques à votre avis ? Comment cela s'explique ?
R - Je ne veux pas entrer dans des considérations de politique intérieure ; chaque pays a ses échéances électorales. Ce que je sais, c'est que la France s'est engagée, comme beaucoup de pays européens. Après le 11 janvier et le 13 novembre, d'autres pays se sont engagés davantage : je pense à l'Allemagne, par exemple, à la Grande-Bretagne, à la Belgique. Nous sommes engagés avec nos forces militaires en Syrie et en Irak pour lutter contre daech.
S'il faut faire plus, faisons-le ensemble, c'est-à-dire Européens, Américains, Russes, enfin tous ceux qui peuvent, avec leurs moyens militaires, agir pour détruire daech, parce qu'il faut s'attaquer au coeur et à la racine du problème. Mais il faut aussi trouver des solutions politiques en Syrie. Il faut que le cessez-le-feu en Syrie soit maintenant définitif et que, surtout, on puisse trouver une solution politique pour refaire l'unité des Syriens et permettre au peuple syrien de vivre libre dans son pays et donc reconstruire ce pays. Cela fait partie de nos devoirs, Français, Européens, Américains et Russes. Et c'est là la tâche à laquelle nous devons consacrer tout notre énergie.
Q - Une dernière question : est-ce que les Américains de leur côté en font suffisamment pour aider l'Europe à lutter contre le terrorisme ?
R - Je juge sur les résultats. Je crois qu'on peut faire mieux, tous ensemble, en s'engageant encore plus. Franchir une étape supplémentaire dans les frappes contre daech, je crois que ce sera la meilleure réponse.
Je vais vous donner un autre exemple : croyez-vous qu'il soit acceptable que le conflit au Proche-Orient entre Israël et la Palestine continue, qu'aucune initiative ne soit prise ? La France en a pris une. Je souhaite que le processus de paix redémarre et que les Américains y soient associés. Ce qui m'intéresse c'est le concret, le résultat.
Chacun a des efforts à faire, sûrement des progrès à faire, mais ce qui m'intéresse c'est l'objectif. Cet objectif, nous devons le partager, c'est-à-dire défendre la liberté, la paix, la sécurité partout dans le monde.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 7 avril 2016