Interview de Mme Hélène Geoffroy, secrétaire d'Etat à la ville à Europe 1 le 13 avril 2016, sur la politique urbaine et la cohésion sociale et l'islam dans les banlieues.

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Média : Europe 1

Texte intégral


JULIE
A 7 h 45 L'interview vérité d'Europe, Thomas vous recevez ce matin Hélène GEOFFROY, secrétaire d'Etat chargée de la Ville.
THOMAS SOTTO
Hélène GEOFFROY en poste depuis deux mois, juste avant elle était députée maire de Vaulx-en-Velin dans le Rhône et c'est d'ailleurs là-bas que se tiendra tout à l'heure un comité interministériel consacré au projet de loi Egalité et citoyenneté, bonjour Hélène GEOFFROY.
HELENE GEOFFROY
Bonjour.
THOMAS SOTTO
Est-ce que les cités ont besoin d'une belle photo dans un quartier où la plupart des ministres ne mettent jamais les pieds, vous qui avez été maire de Vaulx-en-Velin est-ce que ça ne vous agace pas ces opérations de communication ?
HÉLÈNE GEOFFROY
Mais ce n'est pas une opération de communication, c'est dire que les quartiers populaires sont au coeur des préoccupations du gouvernement, sinon on pourrait nous accuser justement de ne pas aller dans les quartiers populaires. J'en suis issue, puisque vous le disiez j'étais députée maire de Vaulx-en-Velin, je rappelle que le Premier ministre était maire d'Evry, donc vous voyez bien que ce gouvernement est composé aussi de personnes qui connaissent bien les quartiers populaires et qui en sont issus.
THOMAS SOTTO
La politique de la ville aujourd'hui c'est vraiment une priorité du gouvernement ?
HÉLÈNE GEOFFROY
C'est un sujet important ! Et la politique de la ville nous l'avons transformée, déjà avec une loi il y a deux ans, j'y ai participé en tant que députée, qui a dit : « aux côtés de la transformation physique des cités, nous le verrons à Vaulx-en-Velin cet après-midi, la ville s'est transformée physiquement, il faut aussi traiter d'autres questions, celle de l'humain, l'éducation, l'emploi…
THOMAS SOTTO
Mais est-ce que c'est une priorité à la hauteur des enjeux ou pas aujourd'hui, la politique de la ville ?
HÉLÈNE GEOFFROY
Oui.
THOMAS SOTTO
Je vais vous prendre un chiffre, le budget de la politique de la ville est passé de 618 millions d'euros en 2011 à 438 en 2016, le symbole est quand même fort-là ?
HÉLÈNE GEOFFROY
Nous avons augmenté le budget des associations ! Un ministère de la Ville sa particularité c'est de travailler avec tous les autres ministères et c'est faire revenir le droit commun, dans les quartiers populaires là où nous avions eu souvent des politiques exceptionnelles il faut des politiques normales et c'est le cas quand l'Education nationale revient avec les réseaux d'éducation Prioritaire, les questions de santé et les questions aujourd'hui – celles dont nous allons parler – d'accès à l'emploi, de bâti des écoles et de participation des citoyens.
THOMAS SOTTO
Juste un petit mot sur le rôle-clé des associations, l'Etat a augmenté selon ce que vous dites...
HÉLÈNE GEOFFROY
Tout à fait !
THOMAS SOTTO
Mais en contrepartie les collectivités territoriales, elles, on retire leur subvention et globalement le solde est quand même largement négatif et elles s'en plaignent beaucoup ces associations de terrain ?
HÉLÈNE GEOFFROY
Ce qui est déterminant évidemment c'est que chaque collectivité locale fait ses choix, ce que l'on sait aujourd'hui, si l'on veut maintenir la…
THOMAS SOTTO
En fonction de l'enveloppe dont elle dispose ?
HÉLÈNE GEOFFROY
Si l'on veut maintenir la cohésion sociale, la question des associations est déterminante et dans les villes les plus populaires la baisse des dotations a été compensée par l'augmentation des dotations de solidarité, c'est que le gouvernement a proposé depuis maintenant quatre ans - elles n'ont cessé elles d'augmenter – et nous sommes aujourd'hui en train de faire finalement la péréquation entre les villes les plus riches et les villes les plus pauvres.
THOMAS SOTTO
Après les attentats de janvier 2015 Manuel VALLS avait parlé d'un apartheid territorial, social et ethnique, ce projet de loi c'est la réponse à ce problème. Concrètement, concrètement, qu'est-ce qui va changer ?
HÉLÈNE GEOFFROY
Pour la première fois le Premier ministre, en disant apartheid social et territorial, a dit il faut en même temps mettre des moyens forts sur la question du logement et du peuplement. Lorsque l'on renforce les moyens de l'Etat pour que des logements sociaux pour les plus précaires soient construits partout sur notre territoire, on agit concrètement, on redonne la main aux préfets pour accompagner les villes, celles qui aujourd'hui sont les plus réticentes sur ces questions-là ; lorsqu'on va mettre des moyens…
THOMAS SOTTO
Vous avez déjà parait-il allongé la liste de dénonciations en quelque sorte des villes qui ne jouent pas le jeu, c'est ça ?
HÉLÈNE GEOFFROY
Ce n'est pas une liste, c'est ce qui permet de dire voilà où il faut encore faire des efforts et effectivement c'est la première fois qu'une telle liste - ou en tout cas qu'un tel accompagnement avec le délégué interministériel Thierry REPENTIN – existe, il va voir tous les maires, il leur dit : « Voilà ! Maintenant il faut jouer le jeu de la mixité », c'est une urgence de tout le pays. Ce que nous avons vécu…
THOMAS SOTTO
Oui. Mais vous comprenez que des villes comme Séquedin près de Lille, Bandol, Grasse, etc. ?
HELENE GEOFFROY
Le Premier ministre redira quelles sont les villes concernées et dira aussi, parce que ça fonctionne, c'est important, aujourd'hui un an après des villes vont construire du logement social alors qu'elles ne le souhaitaient pas, la population l'a compris, les maires vont le faire ; et puis dans le même temps on va continuer à transformer les quartiers populaires mais on va aussi s'occuper d'éducation, c‘est ce qu'on dira au comité interministériel en fin de journée, c'est que la question de l'école, des enseignants - mais du bâti - de l'implication des parents est déterminante, la question de la participation des citoyens aussi.
THOMAS SOTTO
On parle beaucoup du salafisme, de l'Islam dans certaines cités notamment, l'une des plaies de certains de nos quartiers c'est le salafisme, l'Islam radical disait Manuel VALLS la semaine dernière. Vous avez lu son interview dans Libération ce matin, le Premier ministre ?
HÉLÈNE GEOFFROY
Bien sûr !
THOMAS SOTTO
« J'aimerais que nous soyons capables de faire la démonstration que l'Islam est fondamentalement compatible avec la République, la démocratie, nos valeurs, l'égalité entre les hommes et les femmes » dit le Premier ministre, qu'est-ce que vous pensez de cette déclaration, vous ?
HÉLÈNE GEOFFROY
Moi je pense qu'elle a le mérite d'être clair, elle dit finalement « nous avons une chance assez exceptionnelle en France…
THOMAS SOTTO
Vous la trouvez claire, vous ?
HÉLÈNE GEOFFROY
Oui, et puis l'ensemble de l'interview l'est ; et puis, alors si vous me permettez monsieur SOTTO, elle est claire parce qu'elle dit finalement qu'avec notre triptyque républicain : liberté, égalité, fraternité, la question de la laïcité, nous allons faire la démonstration, mais concrète - parce que c'est déjà la réalité - que l'Islam est compatible avec la démocratie. Ce n'est pas une question, c'est une…
THOMAS SOTTO
Mais cela ça peut se dire simplement : « Oui, l'Islam est compatible avec la démocratie »…
HELENE GEOFFROY
Oui ! Mais c'est ce qu'il dit…
THOMAS SOTTO
Là c'est quand même un peu alambiqué son truc-là ?
HELENE GEOFFROY
Non ! Mais c'est ce qu'il dit, c'est une affirmation qu'il porte ; et dans la suite de l'interview il dit même que « aujourd'hui il faut que nous protégions tous ceux qui sont de confession, de culture musulmane, des actes qui peuvent être antimusulmans et aussi que toute la société soit consciente que l'Islam évidemment est compatible avec la démocratie, mais plus que cela, que dans nos quartiers populaires aussi nous luttons contre ceux qui veulent du développement séparé – parce que ça existe – ce qu'ils prônent…
THOMAS SOTTO
Mais moi je serais musulman ce matin je me sentirais quand même très stigmatisé par mon Premier ministre, non ?
HELENE GEOFFROY
Ah ! Mais moi je ne crois pas, non je crois que c'est au contraire très clair lorsqu'il dit que l'Islam est compatible avec la démocratie, avec les valeurs de la République et que, mieux encore ce qui est encore plus important – parce que je ne veux d'exégèse des religions - c'est que les citoyens de notre pays dans les quartiers populaires, les citoyens Français sont les premiers défenseurs des valeurs de la République et ceux qui les défendent parce qu'ils ont aussi à combattre ceux qui sont contre, ils sont dans les quartiers populaires.
THOMAS SOTTO
Comment vous allez vous attaquer aux centaines de Molenbeek à la française dénoncées par votre ministre de tutelle Patrick KANNER ?
HELENE GEOFFROY
Il peut y avoir dans nos quartiers, il y a des jeunes qui se radicalisent c'est vrai, moi je ne fais pas de comparaison, il y a des jeunes qui se radicalisent, ils ne sont pas que dans les quartiers populaires, moi je ne mets pas de signe égal entre les questions de radicalisation et les quartiers populaires…
THOMAS SOTTO
C'est maladroit de faire ces comparaisons ?
HELENE GEOFFROY
Ceux qui se radicalisent vous l'avez vu viennent d'un peu partout, d'un peu toutes les couches de la société. Il y a un sujet aussi dans les quartiers populaires évidemment, aujourd'hui ça appelle à la mobilisation de toute la société et c'est ce que nous faisons en travaillant avec le ministre de l'Intérieur sur les questions de prévention de la radicalisation, dans les quartiers populaires comme ailleurs, les acteurs qui interviennent dans l'éducation populaire, les centres sociaux, les MJC, les associations, les clubs sportifs sont formés, demandent à être formés pour détecter les signes. Vous savez ce qui est délicat aujourd'hui…
THOMAS SOTTO
Vous à Vaulx-en-Velin vous êtes confrontée à ça, vous avez été confrontée à ça ?
HÉLÈNE GEOFFROY
Moi j'ai eu des parents qui ont pu m'appeler en tant que maire, en me disant : « je ne comprends plus ce qui arrive à mon fils ou ma fille, je sens une dérive ». Aujourd'hui, avec ce qui a été mis en place, les cellules de prévention de radicalisation dans les préfectures, il y a des numéros, des personnes qui accompagnent qui disent s'il y a une réalité ou pas aussi et puis…
THOMAS SOTTO
Mais il y a des associations qui sont vraiment noyautées comme on l'entend ici ou là et qu'il faudrait - vous parliez des subventions tout à l'heure - il faudrait peut-être être plus exigent parfois ou…
HÉLÈNE GEOFFROY
Ah ! Eh bien de toute façon il faut être vigilant sur le fait que les associations que nous subventionnons prônent les valeurs de la République, je dis simplement qu'elles sont majoritaires aujourd'hui et que notre rôle pouvoirs publics c'est d'être aux côtés de ceux qui dans les quartiers populaires sont en train aussi de porter avec beaucoup de conviction ces valeurs et je pense aux femmes notamment qui sont aussi évidemment dans ces combats-là. En revanche, en revanche, quand le gouvernement s'attaque à la prévention de la radicalisation en formant les acteurs sur le terrain, il donne une réponse de proximité concrète aux côtés des questions de sécurité évidentes.
THOMAS SOTTO
Dernier point ! L'un de vos collègues, Jean-Marie LE GUEN, a tenté d'ouvrir le débat sur le cannabis – on va en parler dans un instant avec Dany COHN-BENDIT- est-ce qu'aujourd'hui dans ces quartiers que vous connaissez vous dites vous oui c'est un problème aujourd'hui, il y a une économie du cannabis qui est un problème ?
HÉLÈNE GEOFFROY
Il y a un sujet du cannabis mais qui paradoxalement concerne plutôt ceux qui viendraient des quartiers plus favorisés pour le consommer, je crois que c'est plutôt ça où serait le sujet…
THOMAS SOTTO
Ce n'est pas ce que disent certains habitants des quartiers nord de Marseille qui se disent : « on n'ose plus sortir, on mt des barrières pour éviter les trafiquants dans les écoles ».
HÉLÈNE GEOFFROY
Ah ! Non, mais je n'ai pas dit qu'il n'y a pas de trafic, c'est d'ailleurs pour ça que les zones de sécurité prioritaires ont été mises en place et là où elles ont été mises en place le trafic diminue, mais la question de la délinquance reste évidemment.
THOMAS SOTTO
Bien sûr !
HÉLÈNE GEOFFROY
Moi je parlais…
THOMAS SOTTO
Mais la dépénalisation…
HÉLÈNE GEOFFROY
J'étais sur la question de la consommation…
THOMAS SOTTO
La consommation, on a bien compris.
HELENE GEOFFROY
C'est pour ça que j'étais sur ce sujet.
THOMAS SOTTO
Mais la question de la dépénalisation, est-ce qu'il faut au moins ouvrir le débat, au moins se poser la question ?
HÉLÈNE GEOFFROY
Ah ! Mais tous les débats peuvent être ouverts. En tout cas en ce qui concerne le gouvernement, c'est assez clair, nous ne l'ouvrirons pas - on ne peut pas empêcher la société si elle a envie de l'ouvrir - et en tout cas en tant qu'ancienne députée maire de Vaulx-en-Velin j'avoue que je n'y suis pas favorable, je pense que pour nos quartiers populaires ce n'est pas une bonne idée du tout de dépénaliser le cannabis. Voilà !
THOMAS SOTTO
Merci beaucoup Hélène GEOFFROY d'être venue en direct sur Europe 1 ce matin et bonne journée donc.
HELENE GEOFFROY
Merci à vous.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 18 avril 2016