Déclaration de M. Jean-Marc Ayrault, ministre des affaires étrangères et du développement international, sur la politique commune de l'Union européenne en faveur de la paix et de la sécurité, à Paris le 22 avril 2016.

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Circonstance : Conférence annuelle de l'Institut d'études de sécurité de l'Union européenne, à Paris le 22 avril 2016

Texte intégral


Madame la Haute Représentante de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Chère Federica,
Monsieur le Directeur,
Mesdames, Messieurs,
Je suis très heureux de m'exprimer à la conférence annuelle de l'Institut des études de sécurité de l'Union européenne, sur un sujet extrêmement important, celui de la Stratégie globale de l'Union européenne que, Madame la Haute Représentante, Chère Federica, le Conseil européen vous a demandé de préparer.
Tout d'abord, et ce doit être le point de départ d'une telle réflexion, il faut prendre la mesure des bouleversements stratégiques qui sont en cours et des réalités auxquelles nous sommes confrontés désormais. Une stratégie globale implique avant tout un constat lucide et partagé entre Européens sur notre environnement international, sur les défis et les menaces auxquels nous avons à faire face.
Le principal bouleversement de ces dernières années, que nous constatons malheureusement tous les jours, est évident : la sécurité du territoire et des citoyens européens est désormais affectée par la situation sécuritaire de notre environnement. Nous ne pouvons plus considérer l'Union européenne comme un îlot protégé des soubresauts du monde : l'Europe a des ennemis, l'Europe a des adversaires. C'est à cette prise de conscience, peut-être brutale, que nous devons appeler nos concitoyens européens. Ce climat de quiétude de toutes ces années était en effet particulièrement préoccupant. Les choses changent et à travers la réalité qui nous affronte directement, c'est-à-dire l'action des réseaux terroristes, qui planifient et conduisent des attaques sur notre sol depuis les zones de crises en Syrie, en Irak, en Libye et au Sahel. En raison de la multiplication des crises, les menaces potentielles que nous avions identifiées il y a quelques années sont devenues réelles et immédiates.
Plus largement, les effets des crises non résolues dans notre voisinage perturbent la stabilité même et les équilibres politiques européens, en créant des situations d'urgence et des drames humains auxquels nous devons répondre, évidemment? c'est le cas de l'immense crise des réfugiés.
Nous ne devons pas non plus sous-estimer les risques suscitées par les stratégies de puissances qui se manifestent à nos frontières. La crise ukrainienne en est une illustration. De nouvelles menaces, enfin, alliant influence et propagande, commencent à émerger.
Dans un tel contexte, l'Europe doit bien sûr porter une vision conforme à son identité et à ses valeurs : la paix et la coopération entre États, un système multilatéral de gouvernance qui soit juste, démocratique et efficace et le respect des règles, du droit international et des droits fondamentaux.
Or aujourd'hui, des acteurs de plus en plus nombreux s'opposent à cette vision, notre vision commune, en défiant les règles, en violant les droits fondamentaux et en contestant les institutions internationales.
Il est donc nécessaire de leur opposer une réponse ferme à ces acteurs pour rétablir les fondements d'un ordre international fondé sur la coopération. Il nous faut aussi répondre aux préoccupations des citoyens européens qui demandent, à juste titre, à l'Union européenne de garantir leur sécurité dans l'environnement troublé qui est désormais le nôtre. Cette attente porte tout autant sur la sécurité des personnes que la sécurité de nos territoires et sur la protection de nos frontières extérieures.
À cette situation, il y a une seule réponse : l'unité européenne et l'affirmation de notre détermination à faire face ces menaces. C'est un message qu'il nous faut non seulement à nos concitoyens européens, bien entendu, mais nous devons l'adresser au monde. Au-delà des mots, il s'agit d'agir concrètement, c'est la mise en oeuvre qui importe : nous ne devons pas seulement définir une vision, mais en tirer toutes les conséquences en nous dotant des moyens dont nous avons besoin. Pour cette raison, j'attache une grande importance au volet concret de cette future stratégie et à sa déclinaison opérationnelle, à laquelle vous travaillez, Chère Federica.
Dans ce travail, nous devrons suivre un fil d'Ariane : celui de l'autonomie stratégique de l'Europe et des Européens. Car il nous revient, au sein de l'Union européenne, d'assurer la sécurité de notre continent et de nos concitoyens. Il nous revient de prendre les décisions qui servent nos objectifs communs, qui garantissent notre liberté d'agir dans le monde en fonction de nos intérêts et de nos valeurs.
Notre stratégie doit ouvrir la voie à une nouvelle politique de sécurité européenne. Pour cela, nous ne partons pas de rien : l'Union européenne a, au cours des dernières années, mis en place une politique de sécurité et de défense qui a su démontrer son efficacité à travers notamment ses missions et ses opérations militaires.
La politique de sécurité et de défense est ainsi devenue un outil central pour l'action extérieure de l'Union européenne. Elle a permis de développer une approche globale des conflits grâce à la conjugaison des moyens civils et militaires, à l'articulation avec les autres instruments de l'action extérieure de l'Union européenne et à la coopération avec les autres grands partenaires (ONU, OTAN, Union Africaine, États-Unis...).
Je connais les limites. Il est exact que les objectifs fixés n'ont pas toujours été atteints. Je pense par exemple à l'objectif d'Helsinki consistant à être capable de déployer 60.000 hommes en 60 jours pour une durée d'un an (Helsinki Headline Goal). Nous n'y sommes pas. Je pense aussi aux groupements tactiques de l'Union européenne, aptes à entrer en premier sur un théâtre d'opérations, que nous n'avons jamais su vraiment déployer. Il faut constater ces lacunes, même s'il y a beaucoup d'avancées.
Nous ne pouvons pas non plus ignorer les difficultés rencontrées dans les opérations et missions européennes - notamment pour leur génération de force ou leur financement. Il n'est évidemment pas illégitime que, dans un domaine aussi sensible pour les États membres, l'élaboration d'une action européenne n'aille pas spontanément de soi, on le comprend, c'est lié à l'histoire de chacun de nos pays, de chacune de nos nations. Les spécificités de chacun doivent être respectées.
En même temps, lorsqu'une action est nécessaire, mais que tous ne peuvent ou ne souhaitent pas s'y engager, des instruments existent dans les traités ; je pense en particulier à article 44, jamais utilisé, pour que les États, qui y sont prêts, puissent se mobiliser rapidement dans un cadre ad hoc, mais européen.
Notre responsabilité commune doit nous conduire à nous donner les moyens de faire face aux crises. La France prend sa part dans la lutte contre les menaces au Sahel ou au Levant. Elle ne le fait pas seule, mais dans un effort collectif, avec ses partenaires. Et ces liens se nouent partout - j'en veux pour preuve nos pilotes qui volent bien sûr au Sahel et au Levant, mais aussi pour apporter des assurances à nos alliés baltes et polonais, en témoignage de notre unité et de notre solidarité européenne.
À cet égard, je veux encore une fois exprimer la reconnaissance de la France pour les réponses de nos partenaires lorsque le président de la République a invoqué la clause d'assistance mutuelle, article 42-7, à la suite des attentats terribles du 13 novembre dernier, dans un élan de solidarité significatif qui doit permettre de conforter la politique de sécurité et de défense commune.
Mais aujourd'hui, il faut aller plus loin. La PSDC n'est plus suffisante, telle qu'elle est, pour faire face aux menaces et aux crises qui se sont développées dans le voisinage de l'Union européenne. Nous devons renforcer cette politique et l'inscrire dans un cadre d'action plus large, qui doit contribuer directement à la sécurité des citoyens et du territoire européen. Face à des menaces globales qui se jouent des frontières, nous ne devons plus établir de séparation étanche entre nos politiques internes et notre action extérieure, mais bâtir une approche intégrée. Il y a un continuum entre notre organisation interne et notre capacité à faire face aux menaces venant de l'extérieur. Autrement dit, nous avons besoin d'un nouveau «pacte de sécurité européen» qui, face aux nouvelles menaces, donne corps à la solidarité entre États membres.
Pour cela, nous devons sortir des sentiers battus et rechercher des solutions audacieuses - c'est là toute la mission de votre Institut, Monsieur le Directeur, et je vous remercie pour votre engagement. Permettez-moi de profiter de ma présence parmi vous pour lancer à mon tour quelques idées et pistes de réflexion qui pourraient être explorées, en tout cas mises dans le débat.
Il faut d'abord penser à ce que les États membres peuvent et doivent faire mieux au service de l'Europe. Cela implique de redoubler d'efforts et de créativité pour mobiliser les instruments existants et les décliner de manière plus concrète.
Un premier exemple, que je viens d'évoquer : la clause de solidarité qui lie les Européens et qui implique la mise en place d'une planification européenne incluant les capacités civiles et militaires. À l'heure actuelle, s'il existe un plan de développement des capacités militaires, nous devons étendre cette approche à l'ensemble des instruments de sécurité, internes et externes.
Notre capacité commune pour faire face aux menaces sera un vain mot si nous ne poursuivons pas de façon résolue la consolidation de notre base industrielle et technologique de défense.
Pour se préparer à faire face à des risques qui touchent l'ensemble du territoire européen, nous pourrions développer des plans de réponse à des catastrophes majeures, de portée transfrontalière ou qui dépassent les capacités d'un seul État membre. Il s'agit là de donner une portée opérationnelle au traité.
Tous les États membres de l'Union européenne font l'objet d'attaques constantes, à des fins politiques et d'espionnage économique. Pour répondre à la menace cyber, de plus en plus importante, nous nous sommes dotés en 2013 d'une stratégie. Nous devons pleinement utiliser cet instrument pour garantir l'autonomie européenne en matière de cybersécurité et renforcer encore davantage nos filières industrielles européennes.
Enfin, devons développer une analyse stratégique et adapter nos moyens pour assurer durablement la supériorité technologique en matière de sécurité et de défense. Une telle démarche identifierait une série de domaines clefs : robotique, interface homme-machine, cybersécurité, etc. Le plan d'action européen de défense doit poser les bases pour avancer dans cette direction qui devra également être accompagné d'un programme de recherche de défense européen pérenne et ambitieux.
Là encore nous devons aller plus loin et réfléchir à des innovations qui permettraient à l'Europe de contribuer directement à la sécurité de nos concitoyens.
Dans le prolongement de notre stratégie, nous pourrions établir une analyse des menaces à l'échelle européenne, revue de manière périodique. Une évaluation conjointe de la menace sur la sécurité européenne, interne et externe, pourrait alors être conduite sur des sujets spécifiques.
À l'heure actuelle et alors que les crises arrivent à nos frontières et débordent sur notre territoire, les instruments de la PSDC sont uniquement dédiés à la gestion des crises externes. Il faut donc pouvoir employer, lorsque c'est nécessaire, les outils de réponse aux crises, militaires et civils, à la fois sur le territoire de l'Union européenne et à l'extérieur.
Enfin, pourquoi ne pas mettre en place des partenariats de sécurité et de stabilité avec les États de la périphérie européenne ? Un instrument intégrerait des outils et des financements pour renforcer les politiques et les capacités des États partenaires en matière de sécurité, y compris pour le contrôle des frontières.
Voici donc autant de sujets où la stratégie et sa déclinaison opérationnelle devront permettre d'utiliser au mieux les possibilités offertes par les traités et de développer des capacités et des instruments nouveaux.
Voilà, Mesdames et Messieurs, quelques réflexions.
Face à des crises sans précédent qui menacent directement sa sécurité intérieure, l'Union européenne doit élaborer les réponses qui lui permettront de renforcer sa contribution à la résolution des crises, d'assurer la sécurité de ses citoyens mais aussi leur confiance, parce qu'ils sentent bien le danger, ils sentent bien la menace qui les rends souvent désemparés et qui peut les conduire à l'illusion du retour au chacun pour soi, derrière des frontières étanches, mais qui pourtant, nous le savons ne le sont pas.
Nous devons le faire collectivement, en utilisant au mieux les moyens et ressources existants, en adaptant nos instruments aux nouvelles menaces et en faisant preuve d'une ambition à la hauteur des enjeux. Je sais que c'est l'esprit qui vous anime, tous ceux qui sont ici, Mesdames et Messieurs, mais c'est vous aussi qui est animée par cette ambition et cette exigence, Madame la Haute Représentante, Chère Federica. Nous en avons parlé tout à l'heure, assez longuement, non seulement dans l'élaboration de la Stratégie globale de l'Union européenne qui fixera notre cap, mais aussi pour sa mise en oeuvre dans les prochaines années.
Aujourd'hui, l'Europe est face à un tournant dans beaucoup de domaines. Je ne parlerai pas là des autres sujets d'actualité mais, enfin, la sécurité est au coeur des préoccupations de nos concitoyens et c'est notre responsabilité de leur donner davantage de confiance.
En tout cas, merci pour ces débats et vos contributions. Je suis heureux d'avoir pu m'adresser à vous cet après-midi en présence de Federica Moguerini.
Merci.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 28 avril 2016