Texte intégral
Monsieur le Président de la Maison des journalistes,
Madame la Directrice,
Monsieur le Secrétaire général de «Reporters sans frontière»,
Madame l'Adjointe au Maire de Paris,
Mesdames et Messieurs,
Chers Amis,
Un peu plus d'un an après la tragédie de Charlie Hebdo, la journée mondiale de la liberté de la presse qui a été célébrée hier à travers le monde a pour moi une résonnance particulière.
Parmi tous les principes qui me sont chers et qui ont, depuis toujours, motivé mon engagement politique, il y a la liberté, et la liberté, c'est d'abord la liberté d'expression et la liberté de s'informer, qui vont de pair et qui occupent les toutes premières places. Elles sont en effet au coeur de l'idéal démocratique et je suis heureux, Madame la Directrice vous avez présenté votre action et l'action de cette Maison, d'être aujourd'hui avec vous, dans cette Maison qui pourrait aussi s'appeler la Maison de la liberté.
C'est d'ailleurs un lieu unique au monde et c'est un refuge. Un refuge pour des femmes et des hommes venus de toute part. C'est donc un foyer pour ceux qui, par conviction, pas sens du devoir ont dû fuir leur pays ou qui en ont été chassés pour un seul motif : l'exercice de leur mission d'informations.
C'est un lieu de reconstruction personnelle aussi, un lieu d'apprentissage, un lieu de découverte d'une autre société, d'un autre monde. C'est aussi un symbole qui est celui de la vitalité associative et de la solidarité qui fait honneur à notre pays.
Je salue tout particulièrement l'action de «Reporters sans frontières» mais aussi de tous les médias qui sont associés à cette Maison et d'autres partenaires que vous avez cités Madame la Directrice, et bien sûr, la mairie de Paris. Vous contribuez à faire vivre, à faire exister ce lieu dans la durée : presque 14 ans désormais.
Concernant l'engagement de la France, pour nous, la liberté de la presse est sacrée car il ne peut pas y avoir de démocratie sans liberté, et il ne peut pas y avoir de liberté sans une presse indépendante. Fidèle à ses principes, la France agit pour que cette liberté triomphe dans le monde entier, elle est mobilisée aux Nations unies, au sein de l'Union européenne et dans ses relations avec les pays tiers. Pourtant, la réalité confrontée à l'idéal est toute autre. La réalité, c'est que cette liberté est bien souvent, trop souvent bafouée. Pire encore, le monde est confronté à une recrudescence des attaques contre les journalistes, notamment en zones de conflit.
Avec 110 journalistes tués, 2015 peut être considéré comme une année funeste pour la liberté de la presse, pour la liberté d'expression. J'ai déjà évoqué vos confrères de Charlie Hebdo. Ils ont payé de leur vie l'exercice courageux d'un droit ancré dans notre République, le droit de s'exprimer librement. Aujourd'hui bien sûr, nos pensées vont à leurs proches, à leurs familles, à leurs amis et à leurs confrères aussi.
La mission d'informer dans certaines zones de crise est un enjeu de vie ou de mort. Ainsi, des dizaines de journalistes dont quatre Français ont été tués en Syrie depuis le début du conflit. Leur crime, et un certain nombre d'entre vous le savent vraiment personnellement, leur crime a été de vouloir montrer au monde la répression aveugle qui frappe le peuple syrien, et encore davantage ces derniers jours. Des dizaines d'autres ont été enlevés, détenus arbitrairement, torturés dans les prisons du régime. Les barbares de Daech ne sont pas en reste, leur mise en scène macabre rappelant le risque encouru pour les journalistes dans l'exercice de leur métier. D'où je vous parle, nous sommes près de cette plaque que vous avez apposée ici, Anna Politkovskaïa, en mémoire de cette journaliste tuée le 7 octobre 2006 à Moscou qui elle aussi faisait son métier.
Dans tous ces pays, souvent malheureusement en proie au chaos, nous avons eu un témoignage de Syriens il y a quelques instants, du Burundi, du Yémen. Les journalistes locaux sont moins visibles mais pourtant, ils paient le prix lourd. Les femmes journalistes sont d'ailleurs souvent les victimes délibérées de harcèlement, de violences sexuelles. Les blogueurs quant à eux, qu'ils soient journalistes professionnels ou simples net-citoyens, sont également ciblés de manière de plus en plus systématique. Nous devons donc envisager toutes les formes de protection qui permettront à ces femmes et à ces hommes, particulièrement courageux, forts de leur modeste caméra numérique, de leur blog ou d'une valise de connexion satellite, de continuer à informer et à documenter tous les crimes.
Mais ces atteintes à la liberté de la presse ne se limitent pas aux situations de conflit. Nous observons avec inquiétude, et parfois jusqu'aux frontières de l'Europe, une recrudescence des restrictions à la liberté d'informer, des attaques, des intimidations à l'encontre des journalistes et des médiats. Je pense notamment à la Russie, je viens de l'évoquer, où j'ai rencontré il y a quelques semaines des représentants de la société civile, à la Turquie, où sont actuellement poursuivis deux responsables de la presse dont le seul méfait est l'exercice libre de leur profession, ou encore à l'Égypte où le président de la République François Hollande a récemment à l'occasion de son voyage exprimé l'attachement de la France à l'état de droit et à la liberté d'expression.
Face au terrorisme, les droits de l'Homme et de la liberté de la presse ne peuvent et ne doivent jamais être considérés comme une contrainte. Au contraire, le droit de s'exprimer librement est une arme contre l?obscurantisme et la folie barbare, et il doit s'exercer chaque jour.
Dans nos démocraties, comme ici en France, lorsque nous prenons des mesures pour protéger les citoyens, en aucun cas, ne peuvent, ne doivent porter atteinte - et ce n'est pas le cas heureusement - à la liberté d'expression et à la liberté de la presse.
Enfin, la presse joue un rôle fondamental dans l'information de nos concitoyens sur des phénomènes transnationaux qui appellent une réponse forte des autorités politiques. Je pense à la récente publication des «Panama papers» qui est le fruit d'un journalisme d'investigation, avec des lanceurs d'alertes c'est vrai, mais le journalisme fait son travail, et c'est ensuite aux autorités publiques et démocratiques de faire le leur et de prendre le relais lorsque des faits sont dénoncés.
Il y a maintenant dix ans, la résolution 1738 du conseil de sécurité des Nations unies portait une promesse, celle de l'engagement de la communauté internationale dans le renforcement de la protection des journalistes dans les conflits armés.
Dix ans plus tard, l'adoption en mai 2015 de la résolution 2222 a renforcé cette priorité, en rappelant aux parties à un conflit leurs obligations en matière de protection de la presse, de prévention et de lutte contre l'impunité pour les auteurs de crimes contre des journalistes. Mais, ces deux textes fondateurs ne sont toujours pas mis en oeuvre. C'est pourquoi, parmi les priorités de Reporters sans frontières, figure, par exemple, la création d'un mandat spécial auprès du secrétaire général des Nations unies. Il faut en effet de nouveaux outils. On peut voter et adopter tous les textes que l'on veut, mais si rien n'est fait pour les mettre en oeuvre ou en assurer le suivi, alors ils créent au contraire la désillusion. En tous cas, la France est déterminée à contribuer, à trouver des solutions pour que l'on puisse faire progresser le droit partout, en le faisant avec tous les États disponibles, ceux qui partagent nos valeurs et qui sont prêts à s'engager, ceux que j'appellerai les États de bonne volonté, et heureusement il y en a de plus en plus.
Au-delà, l'action de la France se traduit par un soutien à tous ceux qui, partout dans le monde, aident les journalistes et défendent les libertés d'expression. J'ai souhaité, dès mon arrivée à la tête de la diplomatie française, que nos ambassades disposent d'un point focal qui puisse venir en aide concrètement et protéger les défenseurs des droits de l'Homme, notamment les journalistes menacés.
Je souhaite aussi que toute proposition innovante soit examinée, comme par exemple les formations promues par Reporters sans frontières pour aider les journalistes à contourner la cyber-censure.
Enfin, à travers CFI, l'agence française de coopération audiovisuelle, la pluralité et l'indépendance des médias dans les pays en développement sont accompagnées et de nouvelles générations de journalistes citoyens reçoivent toute l'aide qu'ils méritent.
Mesdames et Messieurs,
Être journaliste aujourd'hui, c'est bien plus qu'un métier : c'est un combat et une responsabilité. Celle d'enquêter, d'expliquer, celle d'ouvrir nos concitoyens à la complexité du monde, de faire toute la lumière sur les grands évènements, parfois au péril de votre vie.
C'est donc tout l'honneur de votre profession. Et c'est tout à l'honneur de la France que de soutenir cette Maison et de défendre ainsi, de manière concrète, la liberté d'opinion et d'expression et ceux qui la portent.
À travers vous, c'est à tous vos confrères, français et étrangers, que je souhaite aujourd'hui rendre hommage et dire que la France, même si elle n'est jamais exempte de critiques - la presse est là pour le rappeler - il faut lui faire confiance pour que nous continuions à nous améliorer.
En tout cas, si je suis venu, c'est pour vous dire que la France est consciente de ses devoirs, qu'elle veut rester fidèle à ses valeurs, que tout cela est un combat permanent. Je voulais aussi vous adresser un message de solidarité aujourd'hui dans cette Maison de la presse, et vous dire que tous ceux qui sont venus ici depuis plusieurs années et qui y sont encore sont les bienvenus dans la République française.
Je vous remercie.