Texte intégral
Monsieur le Maire, cher Jean-Claude Villemain,
Monsieur le député, cher Michel Françaix,
Monsieur le Sénateur, cher Yves Rome,
Mesdames et messieurs les élus,
Mesdames et messieurs les Présidents et représentants d'associations,
Mesdames messieurs,
Depuis 10 ans, 10 ans seulement, la France commémore les crimes de l'esclavage, la traite et leurs abolitions.
Le sujet qui nous réunit aujourd'hui n'est pas une mémoire froide que certains voudraient reléguer.
La mémoire de ceux qui ont subit la soumission à l'Homme par l'Homme n'est pas un passé : elle est un objet vivant que nous devons sans cesse raviver pour connaitre ce qui fait notre identité et inspirer nos actions.
Paul ELUARD écrivait : « Si l'écho de leurs voix faiblit, nous périrons ». C'est, selon moi, l'esprit qui préside à notre cérémonie d'aujourd'hui : faire en sorte que la voix des esclaves ne s'éteigne pas et continue de résonner dans nos esprits.
Car cette tragédie, à la fois terrible, longue et constitutive de notre passé, nous éclaire sur notre avenir. C'est un fait : l'histoire nationale, les impératifs du souvenir et la représentation de l'avenir sont liés.
La mémoire est à la fois un patrimoine et un destin commun. Elle ne doit pas être le carburant de la rancoeur, ou pire, de la vengeance ! C'est par son étude lucide, objective et dépassionnée, que nous parviendrons, ensemble, à réduire la fracture sociale et les fractures coloniales, et à bâtir la France de demain.
Revenir sur l'esclavage, c'est se rappeler le poids des chaines, du fer, des menottes. La dureté des coups de fouets et des punitions. Les captures dans les contrées d'Afrique. Les voyages dans les cales sordides des navires. Et pour ceux qui en sortaient, la chaleur suffocante des champs et des colonies.
Mais revenir sur l'esclavage, c'est ne pas oublier le formidable esprit de résistance, les marronnages dans les forêts tropicales, la force, tant mentale que physique, de ceux qui ont tenté de dire non et de s'extraire de leur infernale condition. Il ne faut jamais en effet oublier les combats, des siècles durant, de ces milliers d'hommes et de femmes, résistants de l'intérieur, en Guadeloupe, en Martinique, en Guyane, à la Réunion, à Mayotte, à Haïti, à Saint-Louis du Sénégal Sans le sacrifice de ces « Nég'Marrons », sacrifice longtemps méconnu, souvent occulté, le combat, essentiellement politique et parisien, de SCHOELCHER aurait été bien inaudible.
L'esclavage, ce sont des femmes, des hommes, des enfants, des vieillards réduits à l'état d'objet à qui le principe-même d'humanité a été nié.
Tout dire et retenir : voilà ce qui a présidé à l'élaboration de la loi du 21 Mai 2001 inspirée par Christiane Taubira. La représentation nationale proclamait alors, à l'unanimité, que la traite négrière et l'esclavage constituaient un crime contre l'humanité.
Car, oui, les soumis, les rebelles, les résignés, contrairement au sort qui leur était réservé, incarnent profondément l'humanité.
Commémorer l'abolition de l'esclavage n'est pas un acte revanchard car la culpabilité ne se transmet pas. Ce n'est pas non plus un acte de repentance de la République qui s'est construite précisément par l'affirmation des valeurs humaines et des droits fondamentaux.
Nous sommes ici pour dire ce qu'a été la traite négrière mais aussi, pour rappeler le combat de ces hommes et de ces femmes pour la liberté.
L'abolition a été une bataille. Une bataille de ceux qui luttaient pour la vie, je l'ai dit, et l'on se souvient du combat héroïque, en Guadeloupe en 1802, du Colonel Degrés face au Général Richepanse d'infâme mémoire. Mais aussi, une bataille politique menée par ceux qui s'opposaient, au coeur des Institutions, à la traite. Elle est marquée par les premiers combats de l'abbé Grégoire en 1794 mais surtout, et on le sait, par celui de Victor Schoelcher en 1848. Ce dernier proclamait alors : "La République n'entend plus faire de distinction dans la famille humaine. Elle n'exclut personne de son immortelle devise : liberté - égalité fraternité."
Durant des dizaines d'années, les abolitionnistes furent confrontés à deux ennemis redoutables. Le premier ennemi fut le lobby colonial : groupe de pression puissant et acharné, il savait, selon l'usage, habiller ses intérêts particuliers les plus égoïstes des oripeaux de l'intérêt général, de l'intérêt de la France Le deuxième ennemi, le plus difficile à combattre sans doute ! fut la lâcheté du corps social : on trouve toujours des raisons pour s'accommoder de l'insupportable, pour refuser de voir l'inadmissible.
Quand l'injustice est à ce point enracinée dans la nature des choses, on passe alors pour un fauteur de désordre à vouloir la dénoncer .Et cela toujours valable aujourd'hui.
Il ne faut donc pas opposer, comme on l'a parfois fait ces derniers temps, les combats de SCHOELCHER et ceux de résistants comme le Colonel Louis DELGRES. Ces luttes sont complémentaires : un pays doit savoir marcher sur ses deux jambes, et regarder son Histoire en face. Cette bataille a donc réuni des hommes, des femmes, des politiques, des philosophes, des écrivains. Ils ont mené le combat pour la liberté et pour l'égalité. Et ils l'ont gagné par leur voix unanime.
Certes l'abolition marque le retour à la liberté de millions de personnes. Mais les habitants des anciennes colonies n'ont pourtant pas été considérés rapidement comme des citoyens à part entière.
Il a fallu attendre la loi de départementalisation du 19 mars 1946, dont le rapporteur était Aimé Césaire, pour installer pleinement la République en Outre-mer. Nous en fêtons cette année les 70 ans et l'inscrivons aussi dans le processus d'émancipation des personnes vivant sur ces territoires.
En effet, aujourd'hui, les combats pour l'égalité, la dignité et la fierté ne sont pas terminés. Trop souvent encore, les 2 750 000 Français vivant dans les 11 départements et collectivités d'outre-mer, sans oublier bien entendu les quelque 900 000 ultramarins résidant dans l'hexagone, souffrent de retards économiques, d'inégalités sociales, de discriminations au logement et à l'embauche et, surtout, d'un regard distinct, souvent paternaliste, parfois méprisant, toujours mal informé.
Moi, descendante d'esclaves, aujourd'hui membre du Gouvernement de la France, je mesure pleinement ce que veut dire l'installation de la République. Elle est la source des droits fondamentaux désormais reconnus à chacune et chacun d'entre nous.
Alors, ensemble souvenons-nous. Souvenons-vous de notre histoire qui n'est pas un cauchemar romancé mais bien le fruit de l'oeuvre humaine. Souvenons-nous et reconnaissons les valeurs qui nous rassemblent.
Et n'oublions jamais, que ces dernières doivent sans cesse être réaffirmées. Le contexte troublé que connaît notre pays est une exigence à ce que chacun d'entre-nous redouble de vigilance. Le racisme, l'antisémitisme, la discrimination sont aussi des nihilismes, et des négations de l'égalité entre les Hommes et de la considération pour chacun.
Se taire et se contenter, c'est diluer la force des principes républicains. Jamais, nous ne devons accepter de retours en arrière.
Aujourd'hui, nous rendons hommage à ces hommes et ces femmes qui ont combattu, ont souffert pour que ce qui nous rassemble soit plus important que ce qui nous divise. Alors, affirmons ensemble que le combat pour la République continue et qu'il ne s'arrêtera jamais.
Mesdames et messieurs,
Nous commémorons le jour où les esclaves sont redevenus des femmes et des hommes libres.
On tenta de leur ôter l'existence, ils lutèrent pour défaire les chaînes malgré les punitions prévues par le code noir.
On tenta de les réduire à jamais au silence, leur art, musical et littéraire notamment, continue d'irriguer nos mouvements contemporains.
On tenta de nier leur histoire, elle est aujourd'hui constitutive de notre identité républicaine.
Je vous remercie.
Source http://www.oise.gouv.fr, le 30 mai 2016
Monsieur le député, cher Michel Françaix,
Monsieur le Sénateur, cher Yves Rome,
Mesdames et messieurs les élus,
Mesdames et messieurs les Présidents et représentants d'associations,
Mesdames messieurs,
Depuis 10 ans, 10 ans seulement, la France commémore les crimes de l'esclavage, la traite et leurs abolitions.
Le sujet qui nous réunit aujourd'hui n'est pas une mémoire froide que certains voudraient reléguer.
La mémoire de ceux qui ont subit la soumission à l'Homme par l'Homme n'est pas un passé : elle est un objet vivant que nous devons sans cesse raviver pour connaitre ce qui fait notre identité et inspirer nos actions.
Paul ELUARD écrivait : « Si l'écho de leurs voix faiblit, nous périrons ». C'est, selon moi, l'esprit qui préside à notre cérémonie d'aujourd'hui : faire en sorte que la voix des esclaves ne s'éteigne pas et continue de résonner dans nos esprits.
Car cette tragédie, à la fois terrible, longue et constitutive de notre passé, nous éclaire sur notre avenir. C'est un fait : l'histoire nationale, les impératifs du souvenir et la représentation de l'avenir sont liés.
La mémoire est à la fois un patrimoine et un destin commun. Elle ne doit pas être le carburant de la rancoeur, ou pire, de la vengeance ! C'est par son étude lucide, objective et dépassionnée, que nous parviendrons, ensemble, à réduire la fracture sociale et les fractures coloniales, et à bâtir la France de demain.
Revenir sur l'esclavage, c'est se rappeler le poids des chaines, du fer, des menottes. La dureté des coups de fouets et des punitions. Les captures dans les contrées d'Afrique. Les voyages dans les cales sordides des navires. Et pour ceux qui en sortaient, la chaleur suffocante des champs et des colonies.
Mais revenir sur l'esclavage, c'est ne pas oublier le formidable esprit de résistance, les marronnages dans les forêts tropicales, la force, tant mentale que physique, de ceux qui ont tenté de dire non et de s'extraire de leur infernale condition. Il ne faut jamais en effet oublier les combats, des siècles durant, de ces milliers d'hommes et de femmes, résistants de l'intérieur, en Guadeloupe, en Martinique, en Guyane, à la Réunion, à Mayotte, à Haïti, à Saint-Louis du Sénégal Sans le sacrifice de ces « Nég'Marrons », sacrifice longtemps méconnu, souvent occulté, le combat, essentiellement politique et parisien, de SCHOELCHER aurait été bien inaudible.
L'esclavage, ce sont des femmes, des hommes, des enfants, des vieillards réduits à l'état d'objet à qui le principe-même d'humanité a été nié.
Tout dire et retenir : voilà ce qui a présidé à l'élaboration de la loi du 21 Mai 2001 inspirée par Christiane Taubira. La représentation nationale proclamait alors, à l'unanimité, que la traite négrière et l'esclavage constituaient un crime contre l'humanité.
Car, oui, les soumis, les rebelles, les résignés, contrairement au sort qui leur était réservé, incarnent profondément l'humanité.
Commémorer l'abolition de l'esclavage n'est pas un acte revanchard car la culpabilité ne se transmet pas. Ce n'est pas non plus un acte de repentance de la République qui s'est construite précisément par l'affirmation des valeurs humaines et des droits fondamentaux.
Nous sommes ici pour dire ce qu'a été la traite négrière mais aussi, pour rappeler le combat de ces hommes et de ces femmes pour la liberté.
L'abolition a été une bataille. Une bataille de ceux qui luttaient pour la vie, je l'ai dit, et l'on se souvient du combat héroïque, en Guadeloupe en 1802, du Colonel Degrés face au Général Richepanse d'infâme mémoire. Mais aussi, une bataille politique menée par ceux qui s'opposaient, au coeur des Institutions, à la traite. Elle est marquée par les premiers combats de l'abbé Grégoire en 1794 mais surtout, et on le sait, par celui de Victor Schoelcher en 1848. Ce dernier proclamait alors : "La République n'entend plus faire de distinction dans la famille humaine. Elle n'exclut personne de son immortelle devise : liberté - égalité fraternité."
Durant des dizaines d'années, les abolitionnistes furent confrontés à deux ennemis redoutables. Le premier ennemi fut le lobby colonial : groupe de pression puissant et acharné, il savait, selon l'usage, habiller ses intérêts particuliers les plus égoïstes des oripeaux de l'intérêt général, de l'intérêt de la France Le deuxième ennemi, le plus difficile à combattre sans doute ! fut la lâcheté du corps social : on trouve toujours des raisons pour s'accommoder de l'insupportable, pour refuser de voir l'inadmissible.
Quand l'injustice est à ce point enracinée dans la nature des choses, on passe alors pour un fauteur de désordre à vouloir la dénoncer .Et cela toujours valable aujourd'hui.
Il ne faut donc pas opposer, comme on l'a parfois fait ces derniers temps, les combats de SCHOELCHER et ceux de résistants comme le Colonel Louis DELGRES. Ces luttes sont complémentaires : un pays doit savoir marcher sur ses deux jambes, et regarder son Histoire en face. Cette bataille a donc réuni des hommes, des femmes, des politiques, des philosophes, des écrivains. Ils ont mené le combat pour la liberté et pour l'égalité. Et ils l'ont gagné par leur voix unanime.
Certes l'abolition marque le retour à la liberté de millions de personnes. Mais les habitants des anciennes colonies n'ont pourtant pas été considérés rapidement comme des citoyens à part entière.
Il a fallu attendre la loi de départementalisation du 19 mars 1946, dont le rapporteur était Aimé Césaire, pour installer pleinement la République en Outre-mer. Nous en fêtons cette année les 70 ans et l'inscrivons aussi dans le processus d'émancipation des personnes vivant sur ces territoires.
En effet, aujourd'hui, les combats pour l'égalité, la dignité et la fierté ne sont pas terminés. Trop souvent encore, les 2 750 000 Français vivant dans les 11 départements et collectivités d'outre-mer, sans oublier bien entendu les quelque 900 000 ultramarins résidant dans l'hexagone, souffrent de retards économiques, d'inégalités sociales, de discriminations au logement et à l'embauche et, surtout, d'un regard distinct, souvent paternaliste, parfois méprisant, toujours mal informé.
Moi, descendante d'esclaves, aujourd'hui membre du Gouvernement de la France, je mesure pleinement ce que veut dire l'installation de la République. Elle est la source des droits fondamentaux désormais reconnus à chacune et chacun d'entre nous.
Alors, ensemble souvenons-nous. Souvenons-vous de notre histoire qui n'est pas un cauchemar romancé mais bien le fruit de l'oeuvre humaine. Souvenons-nous et reconnaissons les valeurs qui nous rassemblent.
Et n'oublions jamais, que ces dernières doivent sans cesse être réaffirmées. Le contexte troublé que connaît notre pays est une exigence à ce que chacun d'entre-nous redouble de vigilance. Le racisme, l'antisémitisme, la discrimination sont aussi des nihilismes, et des négations de l'égalité entre les Hommes et de la considération pour chacun.
Se taire et se contenter, c'est diluer la force des principes républicains. Jamais, nous ne devons accepter de retours en arrière.
Aujourd'hui, nous rendons hommage à ces hommes et ces femmes qui ont combattu, ont souffert pour que ce qui nous rassemble soit plus important que ce qui nous divise. Alors, affirmons ensemble que le combat pour la République continue et qu'il ne s'arrêtera jamais.
Mesdames et messieurs,
Nous commémorons le jour où les esclaves sont redevenus des femmes et des hommes libres.
On tenta de leur ôter l'existence, ils lutèrent pour défaire les chaînes malgré les punitions prévues par le code noir.
On tenta de les réduire à jamais au silence, leur art, musical et littéraire notamment, continue d'irriguer nos mouvements contemporains.
On tenta de nier leur histoire, elle est aujourd'hui constitutive de notre identité républicaine.
Je vous remercie.
Source http://www.oise.gouv.fr, le 30 mai 2016