Déclaration de Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'Etat au numérique, sur les outils du numérique au service de la démocratie et de l'économie, à l'Assemblée nationale le 24 mai 2016.

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Circonstance : "Mardigital Civic Tech" à l'Assemblée nationale le 24 mai 2016

Texte intégral

Bonsoir à tous, merci à toi, merci Monsieur le Président d'avoir accepté que ce mardigital se tienne à l'Assemblée Nationale car je crois que la vraie nouveauté, elle est là.
J'en profite pour saluer les députés présents, ils sont nombreux, ce sont des « geeks » de l'Assemblée Nationale mais vous savez le « geek » est devenu un sujet politique. Le « geek », il y a encore quelques années, c'était un être technique en short, en tongs et à barbe. Aujourd'hui, c'est lui aussi qui définit les politiques publiques.
Face au numérique, il y a trois attitudes possibles : celle qui consiste à faire l'autruche, à se dire finalement que « peut-être que je continuerai à profiter de la situation qui est la mienne et puis on verra pour les suivants ». Il y a celle qui consiste à opposer frontalement le monde des anciens et celui des modernes, à faire apparaître comme ringards ceux qui n'épousent pas tout le potentiel de la modernité et puis au final, peut-être, à mettre les Français dans la rue. Je crois, effectivement, que la loi sur le mariage pour tous a été l'occasion de réaliser à quel point les mobilisations collectives, citoyennes, pouvaient, potentiellement, changer la donne. Potentiellement puisque cela n'a pas été le cas sur ce texte mais on a réalisé à cette occasion à quel point des mouvements sociétaux, nés et alimentés par l'utilisation des outils numériques, influençaient le tour que pouvait prendre le débat parlementaire. La troisième attitude, et vous aurez compris que c'est celle que je prône au sein du gouvernement, c'est celle qui est la nôtre. Elle embrasse la modernité mais pour l'accompagner dans une transition qui doit se faire en ménageant les plus faibles et en se tournant vers l'avenir. C'est l'objet de ce jeudigital, transformé aujourd'hui en mardigital. Il s'agit de faire prendre conscience de la réalité de l'impact potentiel du numérique sur les modèles. Cela peut être des modèles d'affaires, des modèles économiques, des modèles institutionnels. Nous avons organisé un jeudigital dans 12 Ministères, que ça soit de l'agriculture, l'écologie, le développement international, la justice tout récemment, avec à chaque fois cette confrontation entre les start-ups qui, à partir des innovations technologiques les plus abouties aujourd'hui, peuvent potentiellement remettre en cause la manière de travailler, de produire, de consommer, de penser, d'interagir et de vivre tout simplement de celles et ceux qui étaient la puissance invitante avec au final la naissance de partenariats, de collaborations qui doivent permettre de mieux accompagner la transition, de mieux préparer l'avenir.
Ce soir, c'est un mardigital spécial parce que c'est la première fois que cette formule quitte les Ministères et les administrations centrales et arrive au Parlement. C'est grâce au Président de l'Assemblée Nationale que nous sommes réunis ici puisqu'il n'appartenait pas au gouvernement d'imposer un mardigital au Parlement souverain. On sent bien qu'on n'est plus dans une problématique d'organisation administrative, qu'on n'est même plus dans une problématique d'innovation ouverte : comment aider les start-ups à trouver des partenariats avec des grands groupes ? Quelle capacité à gouverner pour les pouvoirs publics dans ce monde mouvant ? Ce soir, ce mardigital pose la question de la démocratie, il pose la question d'une démocratie que j'estime malade en France, en Europe. L'extrême-droite a failli prendre le pouvoir dimanche en Autriche. La déconnexion entre concitoyens et monde politique est plus forte que jamais, les gamers diraient que le « lag » est plus grand que jamais.
Alors, une des options c'est celle d'annoncer l'avènement d'une nouvelle révolution. 1789 s'est fait à coup de guillotines. Est-ce que cette nouvelle révolution se ferait par le numérique ? C'est ce que dit John Doe qui a été l'un des lanceurs d'alerte. Il y a beaucoup de John Doe dans l'affaire des Panama Papers. J'estime que la révolution démocratique sera numérique. Nous avons tous une responsabilité collective de réinventer des formes nouvelles de faire démocratie et que le numérique est là, un outil qui peut se mettre au service de cette ambition. Mais la révolution démocratique, elle sera numérique ou elle ne sera pas, avec des risques qui là aussi devront être assumés collectivement, des alternatives sombres qui s'offrent à nous en ce moment. Nous devons entrer dans un état de démocratie permanente. On parle de l'état d'urgence, on connait aussi l'expression du coup d'état permanent. Mais ce que permet le numérique, c'est la démocratie permanente, c'est plus qu'un rendez-vous électoral tous les cinq ans, c'est une prise en compte des préoccupations de nos concitoyens et c'est le fait de rendre des comptes à nos concitoyens de manière systématique et transparente, parce qu'il n'est pas vrai que les Français ne croient plus en la politique. Un sondage récent montrait que le désir de politique est toujours bien là mais il s'exprime différemment. Ce qui n'est plus là c'est la confiance dans les institutions, dans les pouvoirs publics, en leur capacité de proposer des solutions qui peuvent améliorer le quotidien de nos concitoyens et qui peuvent offrir un cadre collectif de vivre-ensemble.
Face au numérique, nous sommes face à un cinquième pouvoir. Le cinquième pouvoir c'est celui de la multitude citoyenne. Et peut-être même que grâce au numérique, ce cinquième pouvoir est finalement le premier. Pour qu'il s'exprime, il faut mettre en œuvre certaines conditions, il faut créer un environnement favorable, notamment par la participation citoyenne qui passe par la co-construction des lois et ce fut le cas pour le projet de loi numérique, qui passe par la mobilisation des citoyens mais aussi par la mobilisation des experts, des chercheurs, des sachants, de celles et ceux qui consacrent leur vie à étudier des questions et qui, trop longtemps, ont été ignorés pour concevoir les politiques publiques. Cela passe aussi par la transparence et le suivi des décisions publiques qui sont prises. Cela passe par une véritable et sincère volonté politique de changement et cela suppose donc un partage du pouvoir, cela suppose d'accepter qu'une partie des décisions ne soit pas totalement maîtrisée et contrôlée et c'est peut-être finalement cela la véritable démocratie réinventée. Ce qui est certain, c'est qu'on le voit tous les jours en ce moment : entre les Panama Papers, entre les grèves qui prennent un tour violent qui est inquiétant, entre des attaques de permanences parlementaires, des attaques à la balle. On est là face à des situations qu'on n'avait pas vu depuis des décennies dans notre pays. Face à un taux de désertion des isoloirs qui, là aussi, atteint des sommets. Les élections partielles dans le Bas-Rhin et les Alpes Maritimes l'ont montré. Il y a un devoir de réagir. Je suis frappée de constater l'immense incompréhension qui s'est installée entre les citoyens et le pouvoir politique. Je crois que les efforts doivent être des deux côtés et qu'aujourd'hui la communauté citoyenne a très souvent des revendications très légitimes et elle méconnaît beaucoup la réalité de l'exercice du pouvoir et la complexité des processus de prise de décision publique.
C'est la raison pour laquelle, ce matin, avant de partir au bureau, je me suis dit, je vais lancer cet appel : les start-ups de la Civic Tech qui auront pitché ce soir, sont invitées à me suivre pendant une semaine dans mes activités, non pas pour créer le buzz, non pas pour être filmée, non pas pour créer un nouveau gadget médiatique, pas du tout. Pour qu'ensemble, à l'issue de cette semaine d'observation mutuelle, elles me proposent des solutions, des moyens de changement dans la manière d'agir et d'interagir lorsqu'on est un membre du gouvernement. Je crois que le début du dialogue doit commencer par-là, par l'intelligibilité réciproque, par la compréhension réciproque et puis par la transparence. Alors, cette transparence nous la mettons en œuvre par la loi sur la transparence de la vie publique, par la loi de Michel Sapin qu'il présentera bientôt au Parlement, par le projet de loi du numérique qui fait le pari de l'ouverture. L'ouverture des données publiques par défaut, c'est un principe qui va bien au-delà de ce que demande l'Europe, qui va bien au-delà de la plupart des engagements de nos partenaires européens. La création des données d'intérêt général, la création d'une mission de service public de la donnée qui signifie que de manière assez radicale, les administrations vont devoir modifier leur culture d'utilisation des données et leur rapport qu'ils entretiennent avec les concitoyens. L'ouverture des codes sources, l'ouverture des critères qui ont permis de prendre des décisions administratives individuelles, lorsque ces décisions sont prises à partir d'algorithmes, l'Open Access pour des chercheurs, la possibilité pour eux de faire de l'appariement de données à partir de l'utilisation d'une NIR statistique. Ce sont des réponses très concrètes pour être à la hauteur de l'objectif de transparence. Les enjeux y sont fondamentaux, Claude Bartolone les a rappelés. Ce sont des enjeux d'inclusion, d'accessibilité, de médiation, de loyauté. Si je peux tirer une conclusion de l'expérience qui a été celle de la co-construction de la loi pour une République numérique, c'est que nous avons réussi à mobiliser effectivement des communautés citoyennes mais une partie seulement de nos concitoyens : des jeunes, des urbains, des connectés, des blancs, des qualifiés, des CSP +.
Il ne peut pas y avoir de démocratie réinventée sans une démocratie inclusive qui puisse permettre à l'ensemble de nos concitoyens d'exprimer leur voix. Je crois que c'est un enjeu très important pour la Civic Tech. Alors, peut-être qu'à l'issue de cette soirée nous déciderons ensemble qu'il faut aller plus loin. Il faut aller plus loin pour entrer pleinement dans la société collaborative. Cela pourrait passer par exemple par un soutien des pouvoirs publics qui doit être totalement indépendant à la Civic Tech. Faut-il, comme d'autres pays l'ont fait, créer une fondation, par exemple cela doit être décidé collectivement, là aussi, avec les acteurs de la Civic Tech que nous encourageons à se professionnaliser. Ils doivent, eux-aussi, trouver des modèles d'affaires. J'ai visité des incubateurs sociaux dans la Silicon Valley, à Londres, à New-York. Une entreprise associative comme My Society à Londres a été précurseur. Mais ces initiatives se heurtent à la difficulté de trouver des financements. Faut-il lancer des territoires collaboratifs et expérimentaux ? C'est ce que nous avons fait vendredi dernier : une annonce du Premier Ministre à l'occasion du comité interministériel des ruralités. Désormais, des modèles d'économies et de sociétés collaboratives pourront être rendus opérationnels grâce à des financements publics à partir du programme des investissements d'avenir. Faut-il inventer un nouveau statut, une nouvelle catégorie juridique pour des projets qui n'entrent pas tout à fait dans l'ESS, dans l'économie sociale et solidaire, qui n'entrent pas tout à fait dans la French Tech et dans les start-ups qui recherchent un business model rentable, ces entreprises très innovantes qui intègrent des technologies numériques avancées, qui recherchent une profitabilité mais qui poursuivent en même temps un objet d'intérêt général. Faut-il systématiser les consultations sur les projets de loi du gouvernement, je le crois, la question s'est posée sur les débats parlementaires sur mon projet de loi, et nous verrons quelle suite les parlementaires décident d'y donner. Mais je crois que c'est le sens de l'histoire. L'OGP, l'Open Government Partnership, partenariat gouvernement ouvert dont la France prendra la présidence à l'automne de cette année sera une formidable occasion pour les Civic Tech de s'exprimer, de mettre en avant leurs propositions et de rencontrer leurs partenaires et homologues à travers le monde. Et oui, la France souhaite être fière et souhaite aller plus loin encore dans son agenda de transparence de l'action publique à cette occasion.
Et puis, la dernière idée sur laquelle il faut à mon sens travailler, c'est celle que j'ai lancée mais qui concerne plus spécifiquement ma famille politique plutôt que de se déchirer, plutôt que de suivre une écurie, plutôt que de faire le pari d'un individu, ce qui personnifie à l'extrême le combat politique quitte à le décrédibiliser, je crois que nous devons revenir aux fondamentaux de cette belle idée du programme commun. Il y a l'élaboration d'un programme commun aujourd'hui, elle peut se faire de manière très contributive grâce aux outils numériques, avec l'idée de lancer une Primaire des Idées. Et je ne serais pas surprise que cette Primaire des Idées aboutirait à des idées très réformistes (je n'ai pas dit révolutionnaire), quant aux changements à opérer sur la manière dont fonctionnent nos institutions. Toutes ces idées sont lancées, à vous de les saisir au vol, mais surtout, place aux pitchs ! Bonne soirée.
Source http://www.economie.gouv.fr, le 27 mai 2016