Déclaration de M. Yves Cochet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement, sur l'organisation de la sécurité et de la prévention du risque industriel au niveau local, Paris le 21 novembre 2001.

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Circonstance : 84ème congrès des Maires de France à Paris le 21 novembre 2001

Texte intégral

Mesdames et Messieurs les élus,
J'avais en effet préparé un discours un peu plus structuré, mais je vais essentiellement insister sur deux idées clés qu'il me semble indispensable de pouvoir promouvoir après Toulouse car j'estime qu'il doit y avoir un "après Toulouse " en matière de sécurité industrielle en France.
Ces deux idées sont très simples et je vais essayer d'en expliciter l'efficacité : c'est la prévention et la démocratie ;
1/ La prévention
Vous savez qu'il existe des PPRN (plans de prévention des risques naturels) qui ne sont d'ailleurs pas encore terminés - parmi toutes les communes de France il y en a à peu prés 1 100 qui sont susceptibles d'être endommagées par un risque naturel, que ce soit en inondations, avalanches, effondrements .... que sais-je : nous espérons avoir à peu prés 3 000 de ces PPRN avant la fin de cette année, avec un objectif de 5 000 en 2005 parce que la procédure est évidemment assez longue, il faut voir, précisément ou directement avec chacun et chacune d'entre vous, comment maîtriser mieux l'urbanisme dans la mesure où il y a un risque naturel dans la commune en question.
A l'image de ces PPRN nous allons, après Toulouse, essayer d'imaginer ce que pourraient être les PPRT (plans de prévention des risques technologiques) qui pourraient, dans toutes les communes, dans toutes les régions, être mis en place de telle manière que la prévention soit meilleure qu'elle ne l'a été à Toulouse, ou dans d'autres accidents. Car en effet, les accidents industriels, moins graves bien entendu que le drame de Toulouse, se produisent souvent en France, et le plus statistiquement représentatif est l'incendie. On connaît des régions très industrielles : le couloir de la chimie, bien sûr, au sud de Lyon, la région de Dunkerque, la région de Rouen, la région de Toulouse, et bien d'autres où il y a vraiment des usines SEVESO (elles sont 1249 en France à être classées réellement SEVESO, selon la deuxième directive), mais les établissements classés qui demandent autorisation sont beaucoup plus nombreux, de l'ordre de 50 000 ; quant à ceux qui nécessitent une simple déclaration c'est de l'ordre de 500 000.
Tout n'est pas dangereux, bien sur, au même titre, et pour être classé SEVESO, cela dépend des stocks, etc.
Donc, la prévention avec ces PPRT qui demandent, à la suite du débat national qui a commencé à Martigues voilà quelques jours (après demain je vais à Strasbourg) des débats régionaux, qui auront lieu dans toutes les régions, pas simplement les régions les plus industrialisées.
Puis on essayera de faire remonter toutes les informations venues de tous les acteurs, les élus locaux que vous êtes, bien entendus, mais aussi les industriels, mais aussi les associations, mais aussi les syndicats, mais aussi la presse elle-même, et aussi l'Etat, les DRIRE, qui seront là. Mais l'Etat n'est (j'ai bien entendu le maire du Havre, qui se tourne toujours vers l'Etat) qu'un acteur parmi d'autres dans ce débat, parmi les quatre, cinq ou six que je viens de citer.
Donc, ces débats auront lieu jusqu'au 5 décembre, et ensuite, le 11 décembre, rendez-vous sera donné pour la dernière table ronde nationale, qui essayera de synthétiser, de prendre le meilleur de ce qui a été dit dans les régions par tous les acteurs. Y participeront les acteurs nationaux, les industriels, les syndicats, les élus l'Association des Maires de France est bien sûre invitée, mais aussi l'Association des Maires des Grandes Villes, l'Association des Maires des Villes Moyennes, etc. - de telle manière que nous puissions tirer des enseignements en termes organisationnels, en termes éventuellement réglementaires et même législatifs, puisque ces PPRT, s'ils existent, devront évidemment passer par un véhicule législatif.
C'est une de nos volontés de miser sur la prévention qui ne comprend d'ailleurs pas que les PPRT. II y a aussi ce que l'on pourrait appeler - ce n'est peut être pas le nom définitif - les CLIRT (les commissions locales d'informations sur les risques technologiques) comme il y a déjà les CLIS, qui sont autour par exemple des centrales nucléaires, ou des centres de stockage de farines animales ou d'autres établissements classés.
On essayera, autour des usines SEVESO, ou dans le département, d'avoir ces commissions locales, où de manière régulière, tous les acteurs (les mêmes que je viens de citer) se réuniront de telle manière que la culture du risque (comme disait Monsieur Ruffenac) soit de plus en plus un quotidien de notre environnement démocratique. Dans la mesure où le risque existe, il ne faut ni le déménager dans je ne sais quelle campagne ou contrée exotique, ni le minimiser.
Ces commissions locales auront d'ailleurs des moyens, c'est ce qu'a voulu le Premier ministre dans son discours du 28 septembre dernier à la préfecture de Toulouse. II y aura également la possibilité de renforcer par exemple, le rôle des CHSCT, (les comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail), qui pourront avoir un volet supplémentaire sur le risque, interne aux entreprises, dans la mesure où les gens qui sont les plus exposés sont d'abord les exploitants et les travailleurs des sites eux-mêmes.
Je terminerai ce point sur la prévention par une petite anecdote, parce qu'on l'a vu par deux fois : une fois à Martigues, et une autre fois à Lyon, lors de la visite d'un site de RHODIA. II y avait ces plans d'information, qui vous concernent tous, qui ont fait l'objet de documents grand public, qui soient bien compris par la population en cas d'accident : s'il y a un accident, que devons-nous faire ? Cela a été distribué par dizaine de milliers d'exemplaires, à la population. Les messages étaient triples et en même temps simple, premièrement : confinez-vous. Deuxièmement : n'allez pas chercher vos enfants à l'école. Troisièmement : ne téléphonez pas.
Donc, le risque existe, l'accident est possible et s'il y a un accident, il faut savoir que faire, sans évidemment qu'il y ait de panique, afin que les secours puissent ne pas être embouteillés, de telle manière qu'ils puissent parvenir au lieu même de l'accident éventuel et puis prendre les dispositions d'urgence nécessaires.
II est évident que c'est simple, c'est compréhensible, mais personne ne va le faire. Si en tant qu'élus, en tant que responsables, nous diffusons ça dans les boîtes aux lettres de nos concitoyens, ils vont dire : attendez, si moi j'entends parler à la radio qu'il y a un accident, que mes enfants sont à l'école, je ne vais pas téléphoner ? Mais attendez, ce n'est pas ça du tout !
Ce type de message, qu'on peut comprendre, ne marchera pas. Et pourquoi il ne marchera pas ? Parce que maintenant, nos concitoyens veulent être acteurs de ce risque industriel.
Et c'est là que je passe au deuxième point de mon intervention, qui sera courte, ne vous inquiétez par : je pense, que dans l'augmentation de la sécurité industrielle, il y a l'augmentation par exemple du rôle des DRIRE, avec les inspecteurs de l'installation classée. On devait en avoir 50 pour le budget 2002, on va en avoir finalement 150. Très bien ! Et même, on en aurait 500, que je serais encore plus content, bien entendu. II en faudrait 500, d'ailleurs, de plus. Mais cela ne suffira pas.
II faudrait évidemment que les élus que vous êtes, les DRIRE, les DIREN, les Préfets... continuent à faire l'information auprès de nos concitoyens. Mais cela ne suffira pas. II faudrait aussi que les industriels eux-mêmes puissent avoir des règles de sécurité, des études de danger.
J'ai demandé à tous les industriels qui n'avaient pas encore fourni leurs études de danger, de le faire avant la fin de l'année 2001, parce qu'on est en retard par rapport à la directive SEVESO 2 et l'Europe nous dit " en France, non seulement vous avez eu un accident, mais de plus, vos industriels ne remettent pas les études de danger qui sont, soit les plans d'opérations internes, soit justement ce qu'il faut faire en cas d'accident ".
C'est la raison pour laquelle nous sommes assez rigoureux sur ce point. Mais cela ne suffira pas. On l'a vu par exemple avec la grande soeur que vous connaissez bien de l'usine de Toulouse qui a explosé, celle qui est à Grand Quevilly, prés de Rouen, l'usine AZF également, qui fabrique aussi des engrais (à nitrates d'ammonium) : il n'y avait pas assez d'automatismes.
II faut peut-être des automatismes, pour aider la surveillance proprement humaine des usines, où il doit y avoir des pompiers mais aussi des gens dans les blocs de sécurité, qui regardent les écrans, les contrôles, les voyants, etc. II faut sans doute des automatismes aussi, pour fermer des vannes, si jamais il y a une baisse de pression ou bien s'il y a une fuite qui est détectée.
Tout cela est bel et bon. On peut rajouter donc des directives, des lois, des règles, des inspecteurs, des automatismes et des personnes, cela ne suffira pas. Je pense qu'un facteur efficace de minimisation du risque, et donc d'augmentation de la sécurité industrielle, c'est la vigilance de tout le monde.
On disait, vous vous souvenez, au moment des attentats terroristes du RER Saint Michel il y a 6 ans, c'était dans le métro, je ne me souviens plus exactement du slogan, " la sécurité, c'est l'affaire de tous " et on avait une ribambelle de citoyens qui se tenaient la main. Et bien, c'est tout à fait la même chose en matière industrielle. C'est à dire que c'est vraiment l'affaire de tous. A la fois évidemment, les gens qui sont directement concernés, je viens de le dire, les exploitants, c'est de leur responsabilité civile, et aussi les travailleurs, mais également les associations, les élus, les riverains : autrement dit, il ne faut pas hésiter à être transparents.
Voici une autre anecdote : dans tous les sites Web des DRIRE, ainsi que sur le site Web du ministère, nous avons l'ensemble des sites SEVESO détaillés : où ils sont situés, quels sont les produits fabriqués, combien de tonnages par exemple dans les sphères d'ammonium, dans les sphères d'ammoniac, combien il y a de tonnes de chlore, ce qu'il y a comme tuyaux de phosgènes qui traversent le site, etc. Donc, tout est indiqué. Après le 11 septembre, nous nous sommes posé la question du risque de malveillance qui s'ajoute maintenant au risque industriel et nous nous sommes demandé s'il fallait laisser ces informations sur nos sites Web.
Nous l'avons laissé. Parce que nos concitoyens, les élus, les personnes, les riverains, les associations doivent être au courant. On ne peut pas habiter impunément, et sans le savoir, à côté d'une usine à risque. Ce facteur de démocratie, c'est non seulement l'information des gens, la participation des citoyens eux-mêmes à des exercices (qui ne sont pas faits assez souvent), et c'est un facteur de consolidation de la sécurité industrielle.
Je crois que c'est un sociologue allemand qui a vu un de ses livres traduit récemment, qui s'appelle " la société du risque " : c'est exactement ça. Le risque, ce n'est pas simplement une sorte de tribu fataliste que notre monde industriel doit payer au progrès inéluctable. C'était peut être vrai il y a 50 ans, au moment des risques miniers, lorsqu'on disait, " ah, bah oui, c'est la fatalité, il y a de temps en temps des coups de grisous, etc. ". Ça c'est fini : nos concitoyens, avec la modernité, savent qu'ils sont dans un monde à risque, mais qu'il doivent eux-mêmes participer à la minimisation de ce risque. Donc c'est tous ensemble, avec vous, bien sûr, mais avec tout le monde, qu'on parviendra à une meilleure sécurité industrielle en France.
(source http://www.amf.asso.fr, le 28 novembre 2001)