Texte intégral
Jean-Marc Ayrault : Nous venons donc d'approuver les conclusions du Conseil de l'UE sur le Proche Orient. C'est une très bonne nouvelle. On partait d'une situation très dégradée, et désormais l'Europe s'engage à nouveau avec force.
Dans quelques jours, le rapport du Quartet sera publié. J'espère que les principales lignes qui nous ont été exposées par le Représentant spécial de l'Union européenne seront retenues dans le texte, car cela permettrait effectivement de porter un diagnostic lucide sur la situation très dégradée au Proche Orient, et d'encourager toute initiative, notamment celle de la France du 3 juin, à tout faire pour que la perspective de deux Etats soit à nouveau au cur de l'actualité politique internationale, pour permettre aux deux pays, aux deux parties concernées, de reprendre vraiment sincèrement les négociations.
Donc c'est une étape importante après le débat que nous avions déjà eu il y a plusieurs semaines au Conseil des ministres des Affaires étrangères européens. Il y a eu la réunion de Paris. Le rapport du Quartet va sortir. Les choses bougent donc lentement, mais elles bougent nécessairement, car on ne peut pas se contenter de la situation actuelle qui est une situation très dangereuse, la violence repart. Il faut donner de l'espoir dans la clarté, et l'Europe peut jouer un rôle très important.
Q - Quelle est l'échéance dans le temps ?
La prochaine étape, c'est le rapport du Quartet. J'espère que ce sera le cas avant fin juin ou début juillet. Ce sera pour nous l'occasion de rediscuter, parce que l'Europe est tout à fait déterminée à jouer son rôle, à ne pas être absente. C'est d'ailleurs un partenaire très important sur le plan de l'aide économique. Il y a cette relation particulière et unique entre l'Union européenne et Israël, et l'objectif c'est que lorsque l'Etat palestinien sera constitué, c'est d'avoir les mêmes relations. Mais en attendant, l'UE aide beaucoup l'Autorité palestinienne à gérer la responsabilité qui est la sienne.
Nous allons donc poursuivre nos efforts. L'idée c'est d'aller vite. Mais on sait que l'on vient de loin. La réunion internationale du 3 juin et la première réunion depuis 9 ans. Il ne faut donc pas laisser s'installer le découragement et la désespérance. C'est la leçon que je tire : une prise de conscience politique du rôle spécifique et positif que les Européens peuvent jouer pour donner de l'espoir.
Nous avons aussi parlé de la résolution adoptée par le Conseil de sécurité de l'ONU sur la Libye. La France a beaucoup travaillé pour que cette initiative soit adoptée par le Conseil de sécurité des Nations unies, avec la Grande Bretagne, avec l'Allemagne, avec l'Union européenne, pour faire évoluer la mission européenne Eunavfor Sophia pour lui donner plus de moyens pour contrôler les trafics d'armes en Méditerranée centrale. Et cette résolution, je le rappelle, a été adoptée à l'unanimité, ce qui n'était pas évident.
La France et les autres partenaires ont joué un rôle très important pour y associer notamment les Russes. C'était un moment important que toute la communauté internationale adresse un message très clair de soutien au gouvernement de M. Sarraj, au gouvernement d'entente nationale, pour le consolider dans sa mission d'entente, de rassemblement. Vous savez qu'il y a actuellement une initiative militaire de certaines forces de Misrata sur Syrte. C'est la lutte contre Daech. Mais c'est toute la communauté nationale libyenne qui doit y participer. La prochaine étape c'est que le gouvernement Sarraj puisse rassembler toutes les forces militaires et politiques de la Libye.
Q - Il y a justement des problèmes au sein du Conseil présidentiel, qui est divisé entre des partisans de la concorde nationale. Certains manifestent ouvertement un soutien aux miliciens
Il faut être clair. Nous souhaitons respecter l'indépendance de la Libye. Il ne s'agit pas d'ingérence, mais nous souhaitons vraiment que M. Sarraj puisse conforter ses positions en travaillant à l'unité du pays. Cela veut dire accepter certaines concessions il y a encore des efforts à faire-, mais je crois que le CSNU, en adoptant une résolution qui dit très clairement : la communauté internationale veut intervenir pour empêcher le trafic d'armes dans les eaux internationales, c'est une occasion pour le gouvernement libyen de dire : voilà, la communauté internationale prend ses responsabilités, nous nous devons prendre les nôtres. Et vous savez que par la Libye transitent aussi, au péril de leur vie, des migrants qui viennent d'Afrique sub-saharienne, qui sont désespérés et qui cherchent à trouver un horizon. Les trafiquant sont là pour les exploiter, et ils périssent en mer. Ce n'est pas une issue, ce n'est pas un but.
Il faut donc à tout prix donner à la Libye les moyens de traiter ces questions, et donc que le gouvernement libyen soit à la hauteur de ses responsabilités. Donc cette résolution du CSNU est une étape extrêmement importante qui le conforte. C'est à lui de s'en saisir.
Concernant le Sahel, puisque nous en avons beaucoup parlé, je suis intervenu avec force pour dire que les Européens doivent être conscients de leurs responsabilités : à la fois continuer à aider le Mali, le Niger, les pays du G5, à lutter contre le terrorisme, Al Qaïda et Boko Haram, mais que cette lutte contre l'insécurité doit être accompagnée d'une détermination à aider ces pays à réussir leur développement. Sinon le seul espoir de ces populations, c'est l'émigration.
Donc on ne va pas dans un marchandage avec ces pays. Il y a eu le sommet de La Valette. Il y a eu sur la table des aides financières conséquentes. S'il le faut, le faudra aller plus loin. Le continent africain est le seul continent au monde qui va voir sa population doubler d'ici 2050, des villes doubler, tripler, leur population. Ce sont des nations qui souvent se battent avec courage et dignité, installant peu à peu la démocratie. Il faut les aider. Opposer sécurité et développement ce serait une erreur. Le débat que nous avons eu ce matin nous a effectivement permis d'avancer pour que les Européens soient bien conscients qu'à quelques centaines de kilomètres de l'Europe, il y a un continent qui a besoin qu'on l'aide. C'est la meilleure façon de respecter les Africains que de le faire dans un esprit de partenariat et de responsabilité.
Q - Sur le Proche Orient, il est question d'incitations économiques de l'UE pour pousser Israël et les Palestiniens à aller vers cette conférence à la fin de l'année
Cela fait partie des questions qui sont sur la table. L'objectif s'il y a un accord de paix entre Israéliens et Palestiniens, c'est de donner au futur Etat palestinien les conditions maximum de partenariat avec l'UE. C'est un objectif très important. D'ici là il faut aider. La France a organisé cette conférence le 3 juin dernier. L'objectif c'est une conférence internationale d'ici la fin de l'année. Entre temps nous allons mettre en place des groupes de travail sur les questions économiques, sur les questions de sécurité, sur les rapprochements des sociétés civiles, sur le futur Etat palestinien :comment peut-il être viable. Certains pays c'est ce que j'ai souhaité- se sont proposés comme volontaires pour animer ces groupes de travail, qu'ils aient été présents ou non à la Conférence de Paris. Vous voyez donc que nous n'allons pas perdre notre temps. Nous n'allons pas attendre le grand soir d'un accord final à la fin de l'année 2016 entre les parties. Nous allons aider, créer un contexte favorable. Bien entendu l'UE y aura toute sa place.
Q - Israël pourrait revenir sur son rejet ?
C'est l'intérêt d'Israël de bouger, d'évoluer. C'est sa sécurité, son avenir qui est en cause. Donc on ne peut pas simplement être dans la politique du dos à la mer. C'est une politique qui n'est pas durable. Nous voulons la sécurité d'Israël, nous voulons l'avenir d'Israël, nous sommes sincères dans cette démarche. Mais il faut faire bouger les choses car sinon le désespoir s'installe. Et là c'est la violence qui reprend. Nous dénonçons la violence. Nous disons aussi aux Palestiniens : ne vous laissez pas tenter par les mots d'ordre d'Intifada. Cela n'aboutirait à rien. Donc la violence doit être condamnée, mais il ne faut pas se contenter de condamner la violence, il faut porter des solutions. La France, en prenant cette initiative le 3 juin le fait, mais elle n'est pas seule : toute l'Union Européenne, tous les pays de l'UE, veulent y contribuer, et l'UE en tant que telle a sa part à prendre, et je m'en félicite.
Q - Sur le Brexit, craignez-vous la répercussion d'un tel précédent dans le débat politique français ?
Je suis très clair : les Britanniques vont se décider de façon totalement indépendante. Nous n'allons pas dire à leur place ce qu'ils doivent faire. Si on réfléchit du point de vue de l'intérêt commun pour l'avenir, pour l'Histoire. Si l'on va au-delà du court-terme, je crois que le peuple britannique détient dans ses mains une très lourde responsabilité pour son propre pays, pour ses propres intérêts, mais aussi pour l'Europe. Je souhaite donc ardemment, du fond du cur, que les Britanniques répondent oui. Ce sera un acte de confiance dans leur propre destin, leur propre avenir en tant que Royaume Uni. Ce sera aussi une contribution extraordinaire à la période historique dans laquelle nous sommes, celle du XXIème siècle, dans laquelle on a besoin de grands ensemble il y a la Chine, il y a l'Inde, il y a de nouveaux ensembles qui se constituent partout. Il faut que les Européens défendent leurs intérêts. Ils ne peuvent pas le faire seuls.
Q - Sur les sanctions contre la Russie. Elles doivent être renouvelées de 6 mois cette semaine. Il y a un débat sur une levée graduelle. Comment les choses se présentent-elles ?
Les sanctions sont liées à la situation en Ukraine, au non-respect des frontières. C'est fondamental, on ne peut pas céder sur cette question. Quelle que soit la sympathie que nous pouvons avoir pour le peuple russe et la Russie, il faut être clair. Et lorsque je suis allé à Moscou je l'ai dit très clairement à M. Poutine : Il faut que les accords de Minsk soient mis en uvre et respectés. Alors bien sûr par toutes les parties : par les Russes, qui peuvent peser sur les séparatistes dans le Donbass, mais aussi par les Ukrainiens eux-mêmes, donc aujourd'hui, à l'heure où je vous parle et où je réponds à votre question, les conditions ne sont pas réunies pour cette levée des sanctions car les accords de Minsk ne sont pas respectés, ne sont pas mis en uvre. Il y a des avancées, mais insuffisantes.
Donc ce que je souhaite, c'est que lors du prochain Conseil européen puisque c'est au niveau des chefs d'Etat et de gouvernement que la pérennité de ces sanctions sera décidée- c'est que on ne se contente pas d'une relance automatique des sanctions pour 6 mois, mais qu'il y ait un débat, et qu'à cette occasion le président de la République française et la Chancelière allemande puissent faire un état des lieux de ce que le format Normandie a fait pour faire avancer le respect des accords de Minsk. Donc un débat sur le fond, sur le contenu.
Pour ma part, je pense que puisque ces sanctions vont être renouvelées pour 6 mois- il faudrait qu'il y ait une discussion pour savoir, s'il y a des avancées réelles, concrètes, significatives, si il ne peut pas effectivement y avoir des ouvertures qui soient faites. Mais il faut des conditions pour les ouvertures. Il faut que ce soit donnant-donnant. Aussi bien les Russes que les Ukrainiens doivent faire leur part du travail : le respect des accords de Minsk.
Q - Dès ce Conseil européen ? Ou parlez-vous de celui d'octobre ?
Il serait souhaitable que ce soit dès ce Conseil européen que cette discussion ait lieu : bilan du travail qui est fait dans le cadre du format Normandie, où en est-on de la mise en uvre des accords de Minsk. Et discussion avec renouvellement des sanctions, et qu'est ce qu'on fait s'il y a des avancées ? Je pense que si on peut donner quelques signes d'encouragement aux uns et aux autres, ca peut être utile.
Source http://www.rpfrance.eu, le 28 juin 2016