Déclaration de M. Harlem Désir, secrétaire d'Etat aux affaires européennes, sur le Royaume-Uni et l'Union européenne, l'accord euro-turc sur les réfugiés, l'opération EUNAVFOR MED Sophia, le plan d'investissement européen, les aides à la Grèce, les sanctions européennes contre la Russie, l'OTAN et l'Europe et sur la construction européenne, au Sénat le 21 juin 2016.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Débat préalable à la réunion du Conseil européen des 28 et 29 juin 2016, au Sénat le 21 juin 2016

Texte intégral


M. le président. L'ordre du jour appelle le débat préalable à la réunion du Conseil européen des 28 et 29 juin.
Dans le débat, la parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Harlem Désir, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé des affaires européennes. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires européennes, monsieur le vice-président de la commission des affaires étrangères, monsieur le rapporteur général de la commission des finances, mesdames, messieurs les sénateurs, le Conseil européen qui se tiendra les 28 et 29 juin prochains ne ressemblera à aucun de ceux qui l'ont précédé.
Il sera en effet le premier à se tenir après un référendum dont le résultat décidera du maintien ou non d'un État membre au sein de l'Union européenne. C'est un choix souverain qui appartient désormais aux seuls citoyens britanniques, mais je veux redire ici, à deux jours de ce scrutin, que nous souhaitons que le choix de l'unité européenne, de la cohésion, de la défense de nos valeurs communes l'emporte et que le Royaume-Uni reste dans l'Union européenne parce que c'est sa place, parce que c'est son intérêt et celui de l'Europe.
Je veux rendre à mon tour hommage, monsieur le président, comme vous venez de le faire, à la députée Jo Cox, une femme qui consacrait sa vie au service des autres et d'un monde plus solidaire et qui s'était engagée avec passion pour le maintien du Royaume-Uni dans l'Union européenne. La violence et la haine qui l'ont assassinée et qui veulent détruire la démocratie ne doivent pas l'emporter. Son engagement, ses valeurs ne disparaîtront pas avec elle.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, ce Conseil européen sera donc celui de l'après-référendum et des décisions qui en découleront. Mais, quel que soit ce résultat, l'Europe devra continuer à avancer et à apporter des réponses aux défis et aux grandes crises auxquels elle est confrontée.
Ce Conseil européen sera également appelé à prendre des décisions sur plusieurs grandes questions, au premier rang desquelles figure la crise migratoire.
Au cours des derniers mois, l'accord entre l'Union européenne et la Turquie et la fermeture de la route des Balkans ont conduit à une diminution considérable des flux de migration en mer Égée.
Cependant, ces flux restent très importants en Méditerranée centrale et s'accompagnent de naufrages dramatiques. Au total, près de 212 000 personnes ont effectué la traversée de la Méditerranée depuis le début de l'année. Le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés estime à 2 868 le nombre de morts lors de ces traversées.
Ces chiffres recouvrent deux réalités très différentes.
En mer Égée, 1 721 arrivées ont été enregistrées au cours du mois de mai, ce qui est inférieur à la moyenne quotidienne des arrivées à la fin de l'année dernière ou encore en janvier de cette année, laquelle était supérieure à 2 000 personnes par jour.
L'accord entre l'Union européenne et la Turquie et la fermeture des routes des Balkans ont donc produit un effet dissuasif et les autorités turques ont incontestablement engagé la lutte contre les passeurs. Dans le même temps, les autres volets de l'accord avec la Turquie se mettent progressivement en place : 462 personnes ont été réadmises en Turquie depuis la Grèce et 511 Syriens ont été réinstallés depuis la Turquie dans l'Union européenne.
L'aide aux réfugiés syriens en Turquie s'accroît également de la part de l'Europe pour couvrir des dépenses d'alimentation, de santé, d'hébergement et d'accès à l'éducation. Dans le même temps, la solidarité à l'égard de la Grèce, où près de 54 000 migrants sont bloqués, doit également se poursuivre : sur les 300 millions d'euros du nouvel instrument d'aide humanitaire prévus en 2016, 83 millions d'euros ont déjà été versés.
En Méditerranée centrale, les flux ont continué à être très importants. Ils sont comparables à ceux de l'année dernière, soit près de 20 000 personnes au mois de mai, contre 21 000 en 2015, ce qui porte le total des arrivées en Italie à plus de 52 000 personnes depuis le début de l'année.
La priorité est donc de lutter contre les passeurs et contre tous les trafics au large de la Libye, puisque c'est essentiellement de cet État, qui reste un État failli, que proviennent ces migrations. Il faut donc soutenir le Gouvernement d'entente nationale, qui combat l'État islamique en Libye et qui doit pouvoir instaurer la sécurité dans l'ensemble du pays. C'est aussi l'une des missions de l'opération EUNAVFOR MED Sophia, dont le mandat a été élargi, que de contribuer à la sécurité au large de la Libye.
Le Conseil Affaires étrangères a en effet décidé ce lundi, à la suite de l'adoption de la résolution 2292 du Conseil de sécurité des Nations unies du 14 juin, d'élargir le mandat de cette opération à deux nouvelles tâches : le renforcement de la mise en œuvre de l'embargo sur les armes à destination de la Libye et la formation de garde-côtes libyens.
La France prend toute sa part à cet effort au sein de cette opération maritime, sur le plan diplomatique, bien sûr, je l'ai rappelé – nous avons fait adopter cette résolution au Conseil de sécurité –, mais aussi en matière de solidarité avec les pays les plus exposés, c'est-à-dire les pays européens de première arrivée des migrants. Nous sommes aujourd'hui le premier des pays de l'Union en termes de relocalisation de réfugiés depuis la Grèce et l'Italie.
Il nous faut bien sûr continuer à agir en apportant des réponses aux causes profondes des migrations. Le Conseil européen se prononcera donc sur la communication de la Commission du 7 juin dernier portant sur son projet de nouveau cadre de partenariat, lequel vise à davantage concentrer l'action et les ressources de l'Union européenne dans ces activités extérieures pour mieux coordonner à la fois la politique migratoire, mais aussi les éléments de politique d'aide au développement et de politique commerciale.
Ce nouveau cadre de partenariat s'inscrit dans la lignée des décisions prises lors du sommet de La Valette en novembre dernier par l'Union européenne et ses partenaires africains : des pactes sur mesure pourront être élaborés en fonction de la situation et des besoins de chaque pays partenaire, avec des priorités de court terme – sauver des vies en mer, accroître le nombre de retours, permettre aux migrants et aux réfugiés de rester près de chez eux – et de plus long terme – soutenir le développement des pays tiers afin de remédier aux causes profondes de la migration irrégulière.
Les chefs d'État ou de Gouvernement chargeront également la Commission d'élaborer pour cet automne une proposition pour mettre sur pied un plan d'investissement pour ces pays tiers. Ce plan pourrait s'inspirer en partie des mécanismes du plan Juncker et inciter les investisseurs publics et privés à participer à des projets contribuant au développement des pays d'Afrique.
Mesdames, messieurs les sénateurs, l'Europe doit continuer de mieux s'organiser pour lutter contre les trafics d'êtres humains, contrôler ses frontières communes, garantir le droit d'asile, reconduire ceux qui n'en relèvent pas, soutenir la stabilité et le développement des pays d'origine et de transit.
Elle a des premiers résultats, aux termes notamment de l'accord entre l'Union européenne et la Turquie. Elle doit mettre en œuvre toutes les décisions qui ont été prises concernant le contrôle des frontières et elle doit davantage s'engager avec les pays d'origine.
Outre la question du référendum britannique, le soutien à la croissance, à l'emploi et à l'investissement sera le deuxième enjeu au cœur des travaux de ce Conseil européen. Plusieurs points importants seront traités.
Le Conseil européen devrait adopter des conclusions sur le marché unique, en particulier sur le marché unique du numérique, qui est un enjeu de croissance et d'emploi, en même temps que de protection des créateurs, avec la régulation des plateformes et la protection du droit d'auteur.
Sur l'investissement, le Conseil européen donnera suite à la proposition annoncée par la Commission de prolonger le plan Juncker au-delà des trois ans qui étaient initialement prévus. Nous soutenons cette démarche et nous souhaitons effectivement que ce plan soit amplifié.
En effet, ce plan est d'ores et déjà un succès pour l'Europe et pour la France.
Ce plan est un succès pour l'Europe d'abord puisque, au 16 juin 2016, 266 décisions d'approbation de projets ont été prises par les instances de la Banque européenne d'investissement et du Fonds européen d'investissement, soit 17,7 milliards d'euros de financements permettant de mobiliser plus de 100 milliards d'euros d'investissements à l'échelle européenne, autrement dit plus d'un tiers de l'objectif du plan.
Ce plan est un succès pour la France ensuite puisqu'elle est le premier pays bénéficiaire en termes de montant total des projets approuvés – 2,7 milliards d'euros d'engagements pour 14,5 milliards d'euros d'investissements concernés.
Le Conseil traitera également de l'approfondissement de l'Union économique et monétaire. Les travaux se poursuivent sur la base du rapport des cinq présidents. Le Conseil Ecofin a en effet adopté une feuille de route pour compléter l'Union bancaire.
Le conseil abordera les enjeux de la lutte contre l'évasion et la fraude fiscales, en particulier les deux révisions récentes de la directive sur la coopération administrative pour apporter plus de transparence sur les pratiques fiscales des multinationales en Europe.
Il traitera de l'agriculture et des mesures additionnelles attendues de la Commission pour faire face aux tensions sur les marchés du lait et de la viande de porc. L'accord conclu entre les ministres de l'agriculture du Triangle de Weimar est, de ce point de vue, une étape très importante.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le référendum constituera bien sûr un point majeur de ce Conseil européen, mais face à l'ampleur des défis auxquels l'Europe est confrontée, il devra aussi, j'y insiste, permettre d'avancer sur les priorités de l'Union européenne en matière de sécurité, de migration, de croissance.
Quel que soit le résultat du référendum, nous devrons tracer de nouvelles perspectives pour l'Europe. La relance du projet européen est nécessaire. Elle devra répondre aux grandes priorités du moment : la sécurité intérieure et extérieure, notamment la lutte contre le terrorisme, qui sera d'ailleurs discutée, au cours du Conseil européen de la semaine prochaine, lors de la présentation de la stratégie globale de sécurité de la Haute Représentante de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité ; la consolidation de la croissance et de l'investissement ; la relation de l'Union européenne avec son voisinage, en particulier la Méditerranée et l'Afrique ; la jeunesse, qui est l'avenir de notre continent.
Sur toutes ces questions, nous travaillons en étroite relation avec l'Allemagne et avec nos partenaires, en espérant que cela pourra se faire à vingt-huit et que le Royaume-Uni restera dans l'Union européenne. Nous avons une conviction commune : il n'y a pas de solution dans le repli national.
Unie, l'Europe est plus forte pour faire face aux nombreux défis auxquels elle est confrontée. Tel est le message que nous continuerons de porter, avec l'Allemagne et nos principaux partenaires, quel que soit le résultat du 23 juin. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – M. le président de la commission des affaires européennes applaudit également.)
(...)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je veux d'abord me réjouir de la très grande convergence de vue sur un premier point : le souhait que le référendum, qui va se tenir au Royaume-Uni, permette de confirmer le maintien de ce pays dans l'Union européenne.
Par-delà les différences qui se sont exprimées sur une multitude de sujets, il y a là l'expression d'un souhait que le Parlement, le Gouvernement et nos compatriotes partagent très largement.
Cela tient d'abord à l'amitié qui nous lie au Royaume-Uni – Éric Bocquet, en tant que président du groupe d'amitié, l'a rappelé –, mais aussi à notre conception de l'unité européenne et de la solidarité entre les grandes démocraties et des pays qui veulent partager un destin en commun et une certaine conception de la cohésion sociale. Cela a été mentionné dans beaucoup d'interventions.
Nous partageons aussi, avec ce pays, l'idée de démocratie et de liberté. Beaucoup d'entre vous l'ont évoqué, en faisant part de notre émotion et de notre condamnation à la suite de l'assassinat de la députée Jo Cox.
Je vais maintenant essayer d'apporter des réponses à des éléments que les uns et les autres ont pu mettre en avant.
Éric Bocquet a insisté sur l'idée que la tenue d'un référendum sur l'appartenance, ou non, à l'Union peut être vue comme l'un des symptômes d'une crise européenne.
Plusieurs intervenants ont aussi mentionné des votes intervenus dans d'autres pays, que ce soit à propos de l'accord d'association avec l'Ukraine – je pense aux Pays-Bas – ou lors de l'élection présidentielle en Autriche, où un candidat antieuropéen et populiste a rassemblé près de 50 % des voix. Certes, ce candidat a finalement été battu…
Cela nous rappelle que, même dans des pays où il n'y a pas de crise économique, des formes de contestation mettent en jeu les valeurs mêmes sur lesquelles nous avons construit l'Union européenne.
Mais Éric Bocquet a aussi voulu insister sur les effets de la crise dans des pays qui avaient été très durement impactés, en particulier la Grèce. Il a invoqué la nécessaire coopération sur laquelle devait être fondée l'Union européenne.
Le Premier ministre était en Grèce il y a deux semaines et j'ai eu l'occasion de l'accompagner. Nous avons alors pu, avec le Premier ministre Alexis Tsipras, faire précisément le point sur la solidarité européenne.
Je rappelle que nous venons de franchir des étapes très importantes.
Cette semaine même, une nouvelle tranche d'aide de 10,3 milliards d'euros – cela vient d'être rappelé par le président Jean Bizet – va être débloquée et une première part, d'un montant de 7,5 milliards d'euros, va être décaissée dès maintenant.
Par ailleurs, après la revue de la situation en Grèce, qui vient de s'achever, la négociation sur la dette est ouverte. Cela est très important. C'était la demande principale du gouvernement grec, afin que les conséquences de l'endettement passé et de la crise économique ne pèsent pas, à l'infini, sur l'avenir de ce pays et qu'un redressement soit possible.
Cette négociation sur la dette va porter sur toute une série d'éléments, qui doivent permettre d'alléger, à terme, son poids.
D'abord, les ministres des finances se sont accordés sur des mesures, à court terme, de lissage et de réduction des taux de remboursement des crédits du fonds européen de stabilité financière et du mécanisme européen de stabilité.
L'ensemble des mesures envisagées à moyen et long termes, qui n'interviendront qu'à l'issue du troisième programme, en 2018, doit permettre de traiter l'allongement des durées d'amortissement, des périodes de grâce et des remboursements d'intérêts.
Enfin, à long terme, un mécanisme d'urgence pourra être mis en place, en cas de creusement massif de la dette. Cela permettrait de prévoir le reprofilage et le plafonnement, voire le report des remboursements.
L'idée est donc de disposer, d'ores et déjà, d'un travail sur la soutenabilité de la dette grecque. Il s'agit ainsi de faire en sorte qu'à l'issue de toutes les mesures de réforme prises actuellement en Grèce, le poids de la dette n'entrave pas la reprise. Je rappelle que ces diverses mesures ont pour objectif de sortir de l'endettement et des déficits du passé et de redonner au pays vigueur et croissance économiques, en particulier par le retour des investissements.
C'est bien l'esprit dans lequel nous travaillons depuis la décision historique, qui a été prise l'été dernier avec – vous le savez – un rôle majeur du Président de la République au sein du Conseil européen.
Nous voulions ainsi faire en sorte que la Grèce puisse rester dans l'euro – c'était son choix ! –, que l'intégrité de la zone euro soit préservée, mais que la Grèce soit aussi aidée à sortir de la crise.
Monsieur le sénateur, vous avez également évoqué la solidarité avec la Grèce dans la crise des migrants.
La France, vous le savez, a mis à disposition de l'agence FRONTEX en Grèce et du bureau européen d'appui à l'asile des moyens humains, pour aider le pays dans la mise en œuvre de l'accord avec la Turquie, mais aussi dans le processus de relocalisation des réfugiés qui étaient déjà en Grèce avant l'accord avec la Turquie.
Les 54 000 personnes, que j'ai évoquées, doivent en effet pouvoir, pour celles qui relèvent de l'asile, être accueillies et relocalisées dans d'autres pays de l'Union européenne.
Cela suppose évidemment que le service de traitement des demandes d'asile en Grèce soit renforcé par des personnes qualifiées. C'est pourquoi nous envoyons, en particulier, des agents de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, l'OFPRA, mais aussi, pour FRONTEX, des policiers et des douaniers, qui aident à la reconduite de ceux qui n'ont pas vocation à rester en Grèce.
Par ailleurs, la libéralisation des visas, qui fait partie de l'accord avec la Turquie, comme cela a été rappelé par le sénateur Bocquet et d'autres orateurs, notamment le président Bizet, est évidemment liée à l'application des 72 critères.
Aujourd'hui, plusieurs de ces critères ne sont pas remplis et il faut donc, pour mettre en œuvre cette libéralisation des visas, que la Turquie continue d'adopter un certain nombre de réformes.
Nous avons ajouté une autre condition, propre à l'Union européenne : l'adoption de la réforme de la clause de sauvegarde, qui doit pouvoir être activée très rapidement, dans le cas où un problème migratoire apparaîtrait à la suite de cette libéralisation.
Gisèle Jourda a évoqué, comme plusieurs autres intervenants, une sorte de refondation du pacte européen, qui doit à la fois porter sur des questions de sécurité, liées à l'urgence, mais aussi sur des sujets de convergence économique, sociale et fiscale et de soutien à l'économie réelle. Je pense, en particulier, aux investissements liés à la transition écologique dans le prolongement de la COP21.
Tout cela exprime effectivement ce que doivent être nos priorités en faveur d'une relance du projet européen, quel que soit le résultat du référendum.
Je pourrais d'ailleurs reprendre, mot pour mot, ce qui a été dit par les différents intervenants, en particulier par Gisèle Jourda ou Éric Bocquet, en ce qui concerne la nécessité de rapprocher davantage les économies de l'Union européenne.
André Gattolin a également insisté sur l'idée de feuille de route : on ne doit pas simplement répondre aux urgences, réagir à un référendum – même si l'on souhaite ardemment un certain résultat –, on doit aussi fixer une orientation pour l'avenir de l'Europe.
Cela constitue aussi une condition, dans ce monde troublé, pour ressouder les citoyens et leur redonner confiance dans le projet européen.
Certains États ont certes une responsabilité particulière. Vous avez ainsi mentionné plusieurs membres fondateurs, ainsi qu'un État, qui a rejoint l'Union et joue un rôle très actif, au cœur de l'ensemble des politiques européennes.
Pour autant, cela ne peut pas être exclusif !
La France et l'Allemagne, qui sont souvent le moteur des initiatives européennes, ont un rôle et une responsabilité, du fait de leur poids et de leur implication dans la réconciliation européenne après la guerre.
Mais, encore une fois, je ne crois pas que nous devions être exclusifs. Nous devons proposer, à tous ceux qui le souhaitent, d'avancer ensemble.
Oui, certains pays sont plus petits, d'autres plus grands, mais c'est l'honneur et la force de l'Union européenne de faire une place à chacun et de respecter le rôle et la contribution de tous.
D'autres pays que les quatre que vous avez mentionnés jouent un rôle incontestablement très important depuis le début de la construction européenne. Je pense en particulier à ceux du Benelux.
Vous avez cité l'Espagne. Je crois que des pays qui ont rejoint l'Union européenne après sa création ont aussi vocation, dans la mesure où ils le souhaitent, à participer aux futures avancées que nous souhaitons pour l'Union européenne. Ils sont venus volontairement, souvent en renversant une dictature et en faisant le choix de la démocratie et de la liberté. Cela a par exemple été le cas avec l'élargissement de 2004 pour les pays de l'ancien Pacte de Varsovie.
Nous devons proposer à tous des avancées dans le domaine de la sécurité de nos frontières extérieures et de notre capacité de projeter de la stabilité hors de l'Union européenne, ce qui pose la question des nouvelles avancées dans le domaine de l'Europe de la défense.
Nous devons aussi proposer à tous une plus grande intégration économique et une harmonisation sociale et fiscale.
Viendront ceux qui le voudront, ceux qui souhaiteront ces nouvelles percées de la construction européenne !
Pour autant, je vous rejoins sur le fait qu'il ne faut pas s'interdire la possibilité d'une différenciation. Si certains ne veulent pas aller de l'avant et mettre en œuvre de nouvelles politiques communes, ils ne peuvent pas empêcher ceux qui le veulent de le faire, pourvu que nous soyons suffisamment nombreux et dynamiques pour porter ces avancées.
C'est ainsi que sont nés l'euro, Schengen et beaucoup de politiques communes.
Mais ce n'est pas à nous d'écarter a priori certains États membres en fonction de l'histoire ou de leur taille. Je voulais faire cette précision, qui me semble importante.
Il est évident que, par respect pour les citoyens britanniques, nous devons attendre le résultat du référendum, mais, quel qu'il soit, on ne peut pas suspendre indéfiniment la nécessité pour l'Europe de mieux répondre aux urgences et aux crises.
Dans tous les cas, nous souhaitons que l'appel et les initiatives, que nous pourrions être amenés à lancer au lendemain du référendum, puissent rassembler très largement, y compris au-delà des seuls États fondateurs de l'Union européenne.
Jacques Mézard a aussi insisté sur la responsabilité qui est la nôtre d'appeler à une relance.
En tant que président du groupe d'amitié France-Turquie et vice-président du groupe d'amitié France-Russie, il a également évoqué les relations avec ces deux pays. Il a eu raison de rappeler que, même si nous avons un dialogue qui porte sur des sujets très difficiles avec la Turquie et que nos modèles politiques ne sont pas les mêmes, elle constitue un partenaire et un grand voisin.
Dans la crise syrienne et dans celle des réfugiés, elle assume des charges et des responsabilités, que nous devons reconnaître, en particulier l'accueil de plus de 2,5 millions de réfugiés.
Jacques Mézard et de nombreux orateurs ont aussi parlé de la question des sanctions à l'égard de la Russie.
En réponse à Yves Pozzo di Borgo, je souhaite préciser que le Gouvernement, qui a émis un avis de sagesse lors de la discussion, au Sénat, sur la proposition de résolution, a bien pris note du texte qui a finalement été adopté. Nous la prenons pleinement en compte.
Comme cela a déjà été dit, elle appelle au respect des accords de Minsk et à une levée ou un allégement des sanctions en lien avec le respect des accords. Nous sommes totalement en phase avec ce point de vue. C'est d'ailleurs celui que j'avais exprimé au nom du Gouvernement.
Si les sanctions ont été reconduites pour six mois, c'est précisément parce que nous voulons les utiliser comme un levier pour le respect de ces accords.
Sachez que nous dialoguons avec la Russie, ce qui est très important, non seulement sur le dossier ukrainien dans le cadre du format « Normandie », mais aussi dans beaucoup d'autres grandes crises internationales.
Je pense, par exemple, à l'accord sur l'Iran, aux discussions qui peuvent avoir lieu sur la Syrie ou aux négociations sur le conflit du Haut-Karabagh. Je rappelle, à ce sujet, que la France est coprésidente, avec la Russie et les États-Unis, du groupe de Minsk, qui est chargé de la médiation entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan.
Le dialogue doit permettre de faire avancer le respect du droit international, ainsi que la résolution pacifique et diplomatique des conflits. Les sanctions ne sont qu'un instrument, certainement pas une fin en soi.
En tout état de cause, nous sommes très attentifs à la résolution adoptée par le Sénat et aux positions qui ont pu être exprimées à l'occasion de son examen.
Pascal Allizard, qui a également évoqué cette question, a aussi soulevé la question des relations entre l'Union européenne et l'OTAN. Effectivement, le Conseil européen tiendra un débat sur ce sujet, en présence du secrétaire général de l'OTAN.
Ces relations sont évidemment importantes, puisque la plupart des États membres de l'Union européenne sont aussi membres de l'OTAN. Il ne peut donc pas y avoir de contradiction entre le rôle joué par cette organisation et la politique de défense que nous voulons voir déployer par l'Union européenne.
Il existe tout de même une particularité et des responsabilités, qui sont spécifiques à l'Union européenne.
En effet, dans un monde qui va mal, dans une Europe bousculée – pour reprendre l'expression utilisée par Pascal Allizard –, une grande partie des crises qui environnent l'Union ne seront pas traitées par d'autres.
Personne ne viendra régler à notre place les différents problèmes auxquels nous sommes confrontés : les relations avec la Russie et le conflit entre l'Ukraine et la Russie, qui a un impact direct sur notre sécurité ; la situation en Méditerranée, en Libye ou en Syrie.
C'est pourquoi nous pensons qu'il faut que l'Union européenne développe davantage ses propres capacités et responsabilités, en particulier en ce qui concerne ce qu'on peut appeler la projection de la stabilité ou en matière de politique de sécurité extérieure et de défense.
C'est l'un des enjeux des discussions qui ont eu lieu entre les ministres de la défense et des affaires étrangères. Le Conseil européen va s'en saisir, en débattant de la stratégie globale de sécurité. Une telle stratégie existait bien, mais l'environnement a été complètement bouleversé ces dernières années.
Nous souhaitons qu'au cœur de cette stratégie globale de sécurité, des avancées substantielles aient lieu pour l'Europe de la défense. Je pense, par exemple, au domaine industriel – cela a été dit –, à celui du financement d'un certain nombre de programmes de recherche, mais aussi à la capacité de projection rapide de l'Union européenne et de prise en charge, par elle-même, de ses enjeux de sécurité et de défense.
En tant que vice-président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, Jacques Gautier a évoqué ces sujets.
Il a aussi insisté sur la nécessité de travailler à des solutions politiques en Syrie et en Libye. Je l'ai moi-même évoqué à propos du soutien que nous apportons au gouvernement d'entente nationale en Libye et je crois avoir répondu à ses remarques concernant l'allégement des sanctions et le nécessaire dialogue avec la Russie.
Le rapporteur général de la commission des finances, Albéric de Montgolfier, a évidemment insisté sur les conséquences économiques d'un Brexit. Elles seront très négatives !
Certes, les évaluations sont difficiles à faire, mais des études diverses vont toutes dans le même sens, qu'elles aient été produites par l'OCDE, le FMI, la banque centrale britannique ou d'autres organismes économiques de ce pays. On peut naturellement discuter des chiffres, mais pas du fait que cela aura un impact négatif et rendra beaucoup plus compliquées les relations économiques entre le Royaume-Uni et l'Union européenne.
Je ne veux pas aller plus avant à ce stade, parce qu'encore une fois, c'est aux citoyens britanniques de se prononcer, mais nous avons aussi un devoir de vérité et d'amitié. Pour toutes sortes de raisons, qui ne sont pas seulement économiques, nous souhaitons que le Royaume-Uni reste membre de l'Union européenne, au milieu de ses alliés dans cette grande communauté démocratique, mais nous devons aussi dire qu'une sortie de l'Union européenne aura des conséquences et que cela ne serait évidemment pas très favorable sur le plan économique.
Le rapporteur général a aussi évoqué le plan Juncker, sur lequel il y a eu des avancées. La première phase de mise en œuvre du plan a été tout à fait positive, en particulier du point de vue des investissements.
Nous souhaitons donc, comme le rapporteur général, que le plan puisse être étendu. Nous ne sommes pas absolument certains que cela nécessite une modification du cadre financier pluriannuel, puisque c'est la question qui était posée, mais le sujet sera évidemment débattu, notamment avec le Parlement européen.
Le mécanisme de garantie sur le budget de l'Union européenne est certes un peu complexe sur le plan technique, mais il permet à la Banque européenne d'investissement de prendre davantage de risques et de soutenir plus de projets novateurs, en particulier dans le domaine de l'énergie, du numérique, des infrastructures ou de l'industrie. Je rappelle que 45 % des projets soutenus par le plan concernent la transition énergétique.
Tout cela a très bien fonctionné, sans mettre en danger le budget de l'Union européenne. Nous pensons donc qu'on doit pouvoir prolonger ce mécanisme, sans avoir à modifier les équilibres budgétaires.
Enfin, le rapporteur général a souhaité m'interroger sur la retenue à la source. Vous le savez, c'est un projet du Gouvernement, qui est déterminé à le mettre en place rapidement. Le dispositif devrait être adopté dans le cadre du projet de loi de finances pour 2017, avec une entrée en vigueur en 2018.
Le fait que la recommandation de la Commission le mentionne nous conforte dans notre volonté et ne représente, en rien, une gêne. Le calendrier prévu est ambitieux, mais réaliste. Les articles du projet de loi de finances pour 2017 concernant le prélèvement à la source sont, en ce moment même, examinés par le Conseil d'État et seront transmis au Parlement avant la suspension des travaux cet été.
Enfin, monsieur le président Jean Bizet, vous avez voulu, d'une certaine manière, ramasser l'ensemble des interventions.
Vous avez notamment insisté sur le contrôle des frontières extérieures, tant pour les entrées que pour les sorties, et sur le renforcement des moyens destinés à l'agence FRONTEX. Vous avez précisé qu'il s'agissait d'une condition de la crédibilité et de la confiance des citoyens dans le projet européen.
L'Europe doit maintenir l'acquis de Schengen et la liberté de circulation en son sein. Elle doit être capable de continuer à être une terre d'asile pour ceux que nous pouvons accueillir, mais elle doit aussi être une terre de sécurité et faire la démonstration que ce n'est pas en se repliant sur les frontières nationales que nous assurerons mieux la sécurité de nos citoyens et des États membres. Vous avez également eu raison d'insister sur les critères vis-à-vis de la Turquie.
Il est vrai que l'objectif économique de convergence et d'harmonisation fiscale et sociale peut également se décliner pour la France et l'Allemagne. D'ailleurs, je ne crois pas qu'il y ait de doutes, du côté allemand, sur le fait que nous sommes en voie de travailler à cette harmonisation.
À mon avis, c'est un domaine dans lequel nous pouvons avancer plus vite que l'Union européenne. En effet, nos deux économies sont très imbriquées et l'Allemagne a un modèle social élevé, un peu différent du nôtre dans certains domaines, mais finalement très comparable. Rapprocher les prélèvements fiscaux et sociaux ne met donc pas en danger le financement de la solidarité et de notre modèle social.
C'est aussi une façon pour nos deux pays de jouer un rôle moteur dans la construction européenne.
Monsieur le président Bizet, vous avez également rappelé les positions du Sénat vis-à-vis des relations avec la Russie. Je n'y reviens pas.
En conclusion, mesdames et messieurs les sénateurs, nous sommes dans un moment où le temps suspend son vol…
Dans 48 heures, une décision aura été prise par un État membre, à travers le vote de ses citoyens. Même si nous le l'avons pas souhaité, nous respectons profondément le choix souverain du Premier ministre britannique. Il a saisi les citoyens de son pays, qui s'exprimeront sur l'avenir du Royaume-Uni et de ses relations avec l'Union européenne. Je le dis, nous souhaitons que ce choix soit celui du maintien.
Au-delà de ce choix, et en souhaitant que nous pourrons le faire à 28, l'Union européenne devra avancer et je suis persuadé que c'est sur les sujets que vous avez évoqués qu'elle devra apporter la preuve qu'elle en est capable. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – M. le président de la commission des affaires européennes applaudit également.)
source http://www.senat.fr, le 28 juin 2016