Texte intégral
Mesdames, Messieurs,
Le 10 mai 1981, en élisant François MITTERRAND, les Français ont choisi de réagir contre ce qui paraissait irrésistible, inévitable : un chômage chaque jour plus dévastateur, des inégalités aggravées dans les conditions de vie, une société dure aux travailleurs les plus humbles.
Nous ne relèverons pas tous ces défis demain, comme par enchantement. Mais c'est dès aujourd'hui, sans attendre, que nous devons entamer les profondes transformations qui mettront des années à s'accomplir, et nous permettront un jour de maîtriser notre vie, de maîtriser notre temps. Nous devons en effet construire progressivement une société nouvelle, où la qualité de la vie sera privilégiée, ou chacun pourra disposer de plus de temps libre pour son propre épanouissement, pour sa vie familiale, en particulier au travers des activités de loisirs.
Cela passe, cela commence par une réduction du temps de travail. Or, depuis plus de cinq ans que la crise économique et le chômage sévissent dans notre pays, la durée de travail a presque cessé de décroître. Quel paradoxe !
Pendant que des centaines de milliers de nos compatriotes se désespèrent dans la recherche d'un emploi, ou doivent s'accommoder de métiers instables et précaires, beaucoup d'autres travaillent plus de 40 heures par semaine, souvent dans des conditions pénibles. Chacun s'indigne en France de voir, côte à côte, plus de chômeurs que jamais nous n'en avons connus, et tant d'hommes et de femmes astreints à des horaires excessifs.
Comment, près d'un demi-siècle après la loi de 1936, la durée hebdomadaire du travail peut-elle dépasser encore en moyenne les 40 heures ? Et cela, malgré des mutations technologiques considérables, grâce auxquelles on devrait pouvoir aujourd'hui exiger beaucoup plus de la machine et beaucoup moins de l'homme.
C'est un progrès décisif de notre société que je propose que nous entreprenions ensemble en réduisant progressivement, mais significativement, la durée du travail. C'est une nouvelle liberté qu'il s'agit de conquérir : le temps libéré.
Nous voulons que cette fin de XXème siècle soit en France l'âge de notre histoire où nous aurons appris à libérer le temps. C'est de cela, au-delà de la lutte contre le chômage d'aujourd'hui, qu'il s'agit.
Qu'on ne nous dise pas que cet objectif n'est pas conciliable avec les contraintes, très dures c'est vrai, de la vie économique d'aujourd'hui. Combien de progrès sociaux décisifs ont été jugés économiquement insupportables jusqu'à qu'ils soient passés dans les faits ! Qui ne sait, ou ne se souvient, qu'en 1936, certains annonçaient que les congés payés allaient ruiner l'économie nationale, et il n'en a rien été !
Tout dépend en vérité de la manière dont nous engagerons le processus de réduction du temps de travail. En elle-même, cette réduction favorisera le développement de nouvelles activités et de nouveaux emplois, par la progression des activités de loisir : des activités sociales, des tâches d'utilité collective, de la participation à la vie de la cité : libérer le temps, ce n'est pas nécessairement pour le perdre. De nombreuses activités y trouveront leur compte, dans le vaste champ des loisirs, prolongeant et amplifiant ce qui s'est développé en ce sens depuis quarante-cinq ans. Et de nouveaux emplois, de ce fait, seront créés.
A tous égards, l'évolution décisive que nous engageons aujourd'hui sera donc porteuse de progrès.
LES 35 HEURES HEBDOMADAIRES
L'objectif que fixe le Gouvernement est d'atteindre, en moyenne, 35 heures de travail effectif par semaine d'ici 1985.
Cette évolution a d'abord pour objet de contribuer à la diminution du chômage : c'est pourquoi il faudra privilégier les formes de réduction du temps de travail qui sont susceptibles de créer le plus d'emplois. Ce critère devra notamment être présent dans les choix qui seront opérés, entre une réduction plus ou moins importante de la semaine de travail et l'allongement des congés annuels. Il ne fait pas de doute qu'on crée plus d'emplois en réduisant la durée hebdomadaire qu'en allongeant les congés. Si les partenaires sociaux souhaitent, néanmoins, s'orienter vers l'allongement des congés annuels, il faudra que ce soit par des formules souples de congés d'hiver, de jours volants dans l'année, et non par un allongement des vacances d'été : les entreprises, comme les salariés, ont tout à gagner à cette souplesse, tout à perdre à des fermetures annuelles d'usines, coûteuses pour l'économie, contraignantes pour les travailleurs.
Je vous invite à examiner en priorité la mise en oeuvre d'une cinquième équipe dans le travail en continu. Cette forme de réduction des temps de travail est en effet la mieux à même de conduire directement à des embauches supplémentaires. En outre, s'il ne fait pas de doute que le coût considérable de certains équipements industriels rend économiquement nécessaire leur fonctionnement 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, les conséquences du travail en continu sur la santé et la vie familiale des travailleurs sont dures : alors que l'organisation en quatre équipes est difficilement supportable, le passage à cinq équipes offre des rythmes de vie acceptables.
LES CHOIX ECONOMIQUES
La réduction de la durée du travail doit accompagner le progrès économique ; elle ne doit pas l'entraver.
Les entreprises doivent, pour fonctionner dans une économie difficile, sous la contrainte d'une concurrence internationale dont les sanctions sont imprévues et brutales, pouvoir faire face à leur environnement avec une suffisante souplesse. Cette souplesse, elles l'ont trop cherchée dans cette multiplication des emplois précaires, à laquelle nous avons assisté depuis quelques années. Une telle situation pénalise particulièrement les jeunes ; elle altère gravement les conditions de leur insertion professionnelle, ainsi que leur attitude à l'égard du travail et du corps social dans son ensemble.
Cette souplesse, il conviendra désormais de la rechercher selon des formules et des dispositions qui respectent les droits fondamentaux des travailleurs, tels qu'ils sont définis par le Code du travail. Le ministre du Travail prendra en considération les propositions de modification de la réglementation qui lui seront faites en conservant à l'esprit ce principe évident.
Pour que la baisse de la durée du travail se fasse dans le respect des équilibres économiques, il faut éviter qu'elle se traduise par une aggravation des coûts.
Les gains de productivité peuvent compenser en partie la charge salariale supplémentaire qui résulterait d'une réduction de la durée du travail sans baisse de salaire.
Mais si, dans le cas général, la compensation salariale devait être totale, c'est-à-dire si l'on prétendait que, dans un nouveau partage des emplois, plus de travailleurs pouvaient se répartir le même revenu total sans aucune perte pour chacun, on tromperait tout le monde. La hausse des prix se chargerait alors d'amputer les revenus réels.
A l'inverse, les travailleurs, surtout ceux dont les salaires se situent au bas de la hiérarchie, ne comprendraient pas que les réductions de temps de travail se répercutent intégralement sur leurs salaires. Ce serait d'ailleurs là une bien piètre politique économique : en réduisant le pouvoir d'achat, elle freinerait la consommation. Ce serait l'inverse de ce que nous poursuivons par ailleurs.
C'est donc un difficile compromis que salariés et employeurs sont invités à négocier : il doit permettre, qu'à l'avenir, les fruits de la production apportent aux travailleurs un bénéfice, individuellement, par une réduction du temps de travail, et, globalement, par une amélioration de l'emploi.
Afin que l'conomie ne perde pas sa compétitivité, si les hommes travaillent moins, les machines devront travailler plus. Partout où cela est possible, la réduction de la durée du travail doit s'accompagner d'un maintien, et de préférence d'une augmentation, de la durée d'utilisation des équipements. C'est ainsi - les travaux du Commissariat du Plan l'ont montré, l'expérience de nombreuses entreprises le confirme - que la capacité concurrentielle des entreprises sera maintenue ; c'est ainsi que les Français pourront le mieux bénéficier de ces nouvelles technologies industrielles qu'il nous faut maîtriser, d'abord dans l'intérêt des hommes.
Les services ouverts au public peuvent et doivent donner l'exemple : si les employés y travaillent moins, les horaires d'ouverture aux usagers doivent, au contraire, être élargis. J'ai, ce matin même, invité le secrétaire d'Etat chargé de la Fonction Publique et le Conseil Supérieur de la Fonction Publique à faire en sorte que l'Etat joue ici un rôle d'entraînement.
L'EFFORT DE NEGOCIATION
Pour parvenir aux 35 heures, c'est à un effort de négociation intensive que je vous convie, Mesdames et Messieurs, comme j'y convierai aussi les autres catégories d'employeurs et de travailleurs, comme j'y convierai aussi les agriculteurs.
Un effort de négociation qui est entre vos mains et non dans celles du Gouvernement. Car ce n'est pas par des dispositions réglementaires ou législatives brutales que nous réglerons les problèmes, mais par des mesures progressives, souples, concertées, adaptées à chaque branche d'activité, voire à chaque entreprise.
Je sais les difficultés qu'ont rencontrées les négociations interprofessionnelles ces dernières années. Je sais combien, et pourquoi, elles ont marqué le pas. Mais je sais aussi qu'elles vous ont permis d'examiner avec tant de soin et de détail les problèmes posés que, aujourd'hui, les dossiers sont prêts, les positions connues, les arêtes identifiées.
Ce qui est nouveau désormais, c'est que les Français et en particulier les travailleurs, se sont exprimés le 10 mai : ils nous mandatent, vous et moi, pour aboutir vite. Ils n'accepteraient pas que nous traînions en longueur, que nous nous montrions incapables de concilier leurs désirs profonds avec les impératifs économiques sur lesquels, vous le savez, le Gouvernement a les yeux grand ouverts.
Il vous faut donc, dès les jours qui viennent, engager les négociations paritaires dont vous avez accepté le principe. Accordez-vous sur une procédure, accordez-vous sur un calendrier, accordez-vous sur les axes principaux. Négociez dans les branches et dans les entreprises. C'est à vous, représentants des employeurs et des salariés, qu'il revient de rechercher les solutions et, le Gouvernement l'espère fermement, de vous entendre.
Mais il vous donne, par ma voix, un rendez-vous : en octobre, nous nous retrouverons, ici-même, sous ma présidence. Je vous demanderai alors de me présenter vos conclusions et de me dire, s'il y a lieu, ce que vous attendez du Gouvernement dans le domaine réglementaire et législatif.
D'ici là, le ministre du Travail sera à votre disposition pour vous apporter toute indication ou tout appui que vous souhaiterez.
Mesdames et Messieurs, lorsque vous conduirez ces négociations importantes, n'oubliez pas que les Français et les Françaises attendent beaucoup de vous. Ils ne comprendraient ni que vous échouiez, ni que vos travaux traînent en longueur. Il faut que, dès octobre, un progrès décisif soit fait.
En ce domaine, comme dans d'autres où il s'agit du progrès social, la France doit rapidement devenir, ou redevenir, la référence.
Notre pays est encore l'un de ceux où la durée du travail est la plus longue. Les précédents gouvernements ont freiné, plutôt qu'encouragé - c'est le moins qu'on puisse dire - les concertations qui avaient été tentées au niveau européen pour parvenir à une réduction du temps de travail.
Désormais, le Gouvernement français prendra toutes initiatives pour que l'objectif qu'il souhaite voir atteint en France en matière de temps de travail, soit partagé par nos partenaires européens. Dès hier, Monsieur DELORS, ministre de l'Economie et des Finances et Monsieur AUROUX, ministre du Travail, ont pris des initiatives dans ce sens au cours d'une réunion des ministres européens. Allez vous-mêmes, Mesdames et Messieurs les représentants des travailleurs, Mesdames et Messieurs les représentants des employeurs, allez vous-mêmes témoigner aux organisations syndicales et patronales des pays voisins, de la volonté de la France de s'engager dans un tel programme. Allez vous-mêmes, et nous le ferons avec vous, leur dire qu'elle invite tous les Européens à suivre le même chemin.
Dans l'Europe d'aujourd'hui, aucun pays ne peut durablement se singulariser, mais l'un d'eux peut précéder les autres : telle est, en la matière, notre ambition.
Mesdames et Messieurs, je vous ai dit la volonté du Gouvernement. Je vous ai rappelé l'attente et l'espérance du pays. Ne décevez pas cette attente, ne décevez pas cette espérance.
La réduction du temps de travail est au niveau des plus grands choix de notre société en mouvement.
Elle est oeuvre de civilisation.
Le 10 mai 1981, en élisant François MITTERRAND, les Français ont choisi de réagir contre ce qui paraissait irrésistible, inévitable : un chômage chaque jour plus dévastateur, des inégalités aggravées dans les conditions de vie, une société dure aux travailleurs les plus humbles.
Nous ne relèverons pas tous ces défis demain, comme par enchantement. Mais c'est dès aujourd'hui, sans attendre, que nous devons entamer les profondes transformations qui mettront des années à s'accomplir, et nous permettront un jour de maîtriser notre vie, de maîtriser notre temps. Nous devons en effet construire progressivement une société nouvelle, où la qualité de la vie sera privilégiée, ou chacun pourra disposer de plus de temps libre pour son propre épanouissement, pour sa vie familiale, en particulier au travers des activités de loisirs.
Cela passe, cela commence par une réduction du temps de travail. Or, depuis plus de cinq ans que la crise économique et le chômage sévissent dans notre pays, la durée de travail a presque cessé de décroître. Quel paradoxe !
Pendant que des centaines de milliers de nos compatriotes se désespèrent dans la recherche d'un emploi, ou doivent s'accommoder de métiers instables et précaires, beaucoup d'autres travaillent plus de 40 heures par semaine, souvent dans des conditions pénibles. Chacun s'indigne en France de voir, côte à côte, plus de chômeurs que jamais nous n'en avons connus, et tant d'hommes et de femmes astreints à des horaires excessifs.
Comment, près d'un demi-siècle après la loi de 1936, la durée hebdomadaire du travail peut-elle dépasser encore en moyenne les 40 heures ? Et cela, malgré des mutations technologiques considérables, grâce auxquelles on devrait pouvoir aujourd'hui exiger beaucoup plus de la machine et beaucoup moins de l'homme.
C'est un progrès décisif de notre société que je propose que nous entreprenions ensemble en réduisant progressivement, mais significativement, la durée du travail. C'est une nouvelle liberté qu'il s'agit de conquérir : le temps libéré.
Nous voulons que cette fin de XXème siècle soit en France l'âge de notre histoire où nous aurons appris à libérer le temps. C'est de cela, au-delà de la lutte contre le chômage d'aujourd'hui, qu'il s'agit.
Qu'on ne nous dise pas que cet objectif n'est pas conciliable avec les contraintes, très dures c'est vrai, de la vie économique d'aujourd'hui. Combien de progrès sociaux décisifs ont été jugés économiquement insupportables jusqu'à qu'ils soient passés dans les faits ! Qui ne sait, ou ne se souvient, qu'en 1936, certains annonçaient que les congés payés allaient ruiner l'économie nationale, et il n'en a rien été !
Tout dépend en vérité de la manière dont nous engagerons le processus de réduction du temps de travail. En elle-même, cette réduction favorisera le développement de nouvelles activités et de nouveaux emplois, par la progression des activités de loisir : des activités sociales, des tâches d'utilité collective, de la participation à la vie de la cité : libérer le temps, ce n'est pas nécessairement pour le perdre. De nombreuses activités y trouveront leur compte, dans le vaste champ des loisirs, prolongeant et amplifiant ce qui s'est développé en ce sens depuis quarante-cinq ans. Et de nouveaux emplois, de ce fait, seront créés.
A tous égards, l'évolution décisive que nous engageons aujourd'hui sera donc porteuse de progrès.
LES 35 HEURES HEBDOMADAIRES
L'objectif que fixe le Gouvernement est d'atteindre, en moyenne, 35 heures de travail effectif par semaine d'ici 1985.
Cette évolution a d'abord pour objet de contribuer à la diminution du chômage : c'est pourquoi il faudra privilégier les formes de réduction du temps de travail qui sont susceptibles de créer le plus d'emplois. Ce critère devra notamment être présent dans les choix qui seront opérés, entre une réduction plus ou moins importante de la semaine de travail et l'allongement des congés annuels. Il ne fait pas de doute qu'on crée plus d'emplois en réduisant la durée hebdomadaire qu'en allongeant les congés. Si les partenaires sociaux souhaitent, néanmoins, s'orienter vers l'allongement des congés annuels, il faudra que ce soit par des formules souples de congés d'hiver, de jours volants dans l'année, et non par un allongement des vacances d'été : les entreprises, comme les salariés, ont tout à gagner à cette souplesse, tout à perdre à des fermetures annuelles d'usines, coûteuses pour l'économie, contraignantes pour les travailleurs.
Je vous invite à examiner en priorité la mise en oeuvre d'une cinquième équipe dans le travail en continu. Cette forme de réduction des temps de travail est en effet la mieux à même de conduire directement à des embauches supplémentaires. En outre, s'il ne fait pas de doute que le coût considérable de certains équipements industriels rend économiquement nécessaire leur fonctionnement 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, les conséquences du travail en continu sur la santé et la vie familiale des travailleurs sont dures : alors que l'organisation en quatre équipes est difficilement supportable, le passage à cinq équipes offre des rythmes de vie acceptables.
LES CHOIX ECONOMIQUES
La réduction de la durée du travail doit accompagner le progrès économique ; elle ne doit pas l'entraver.
Les entreprises doivent, pour fonctionner dans une économie difficile, sous la contrainte d'une concurrence internationale dont les sanctions sont imprévues et brutales, pouvoir faire face à leur environnement avec une suffisante souplesse. Cette souplesse, elles l'ont trop cherchée dans cette multiplication des emplois précaires, à laquelle nous avons assisté depuis quelques années. Une telle situation pénalise particulièrement les jeunes ; elle altère gravement les conditions de leur insertion professionnelle, ainsi que leur attitude à l'égard du travail et du corps social dans son ensemble.
Cette souplesse, il conviendra désormais de la rechercher selon des formules et des dispositions qui respectent les droits fondamentaux des travailleurs, tels qu'ils sont définis par le Code du travail. Le ministre du Travail prendra en considération les propositions de modification de la réglementation qui lui seront faites en conservant à l'esprit ce principe évident.
Pour que la baisse de la durée du travail se fasse dans le respect des équilibres économiques, il faut éviter qu'elle se traduise par une aggravation des coûts.
Les gains de productivité peuvent compenser en partie la charge salariale supplémentaire qui résulterait d'une réduction de la durée du travail sans baisse de salaire.
Mais si, dans le cas général, la compensation salariale devait être totale, c'est-à-dire si l'on prétendait que, dans un nouveau partage des emplois, plus de travailleurs pouvaient se répartir le même revenu total sans aucune perte pour chacun, on tromperait tout le monde. La hausse des prix se chargerait alors d'amputer les revenus réels.
A l'inverse, les travailleurs, surtout ceux dont les salaires se situent au bas de la hiérarchie, ne comprendraient pas que les réductions de temps de travail se répercutent intégralement sur leurs salaires. Ce serait d'ailleurs là une bien piètre politique économique : en réduisant le pouvoir d'achat, elle freinerait la consommation. Ce serait l'inverse de ce que nous poursuivons par ailleurs.
C'est donc un difficile compromis que salariés et employeurs sont invités à négocier : il doit permettre, qu'à l'avenir, les fruits de la production apportent aux travailleurs un bénéfice, individuellement, par une réduction du temps de travail, et, globalement, par une amélioration de l'emploi.
Afin que l'conomie ne perde pas sa compétitivité, si les hommes travaillent moins, les machines devront travailler plus. Partout où cela est possible, la réduction de la durée du travail doit s'accompagner d'un maintien, et de préférence d'une augmentation, de la durée d'utilisation des équipements. C'est ainsi - les travaux du Commissariat du Plan l'ont montré, l'expérience de nombreuses entreprises le confirme - que la capacité concurrentielle des entreprises sera maintenue ; c'est ainsi que les Français pourront le mieux bénéficier de ces nouvelles technologies industrielles qu'il nous faut maîtriser, d'abord dans l'intérêt des hommes.
Les services ouverts au public peuvent et doivent donner l'exemple : si les employés y travaillent moins, les horaires d'ouverture aux usagers doivent, au contraire, être élargis. J'ai, ce matin même, invité le secrétaire d'Etat chargé de la Fonction Publique et le Conseil Supérieur de la Fonction Publique à faire en sorte que l'Etat joue ici un rôle d'entraînement.
L'EFFORT DE NEGOCIATION
Pour parvenir aux 35 heures, c'est à un effort de négociation intensive que je vous convie, Mesdames et Messieurs, comme j'y convierai aussi les autres catégories d'employeurs et de travailleurs, comme j'y convierai aussi les agriculteurs.
Un effort de négociation qui est entre vos mains et non dans celles du Gouvernement. Car ce n'est pas par des dispositions réglementaires ou législatives brutales que nous réglerons les problèmes, mais par des mesures progressives, souples, concertées, adaptées à chaque branche d'activité, voire à chaque entreprise.
Je sais les difficultés qu'ont rencontrées les négociations interprofessionnelles ces dernières années. Je sais combien, et pourquoi, elles ont marqué le pas. Mais je sais aussi qu'elles vous ont permis d'examiner avec tant de soin et de détail les problèmes posés que, aujourd'hui, les dossiers sont prêts, les positions connues, les arêtes identifiées.
Ce qui est nouveau désormais, c'est que les Français et en particulier les travailleurs, se sont exprimés le 10 mai : ils nous mandatent, vous et moi, pour aboutir vite. Ils n'accepteraient pas que nous traînions en longueur, que nous nous montrions incapables de concilier leurs désirs profonds avec les impératifs économiques sur lesquels, vous le savez, le Gouvernement a les yeux grand ouverts.
Il vous faut donc, dès les jours qui viennent, engager les négociations paritaires dont vous avez accepté le principe. Accordez-vous sur une procédure, accordez-vous sur un calendrier, accordez-vous sur les axes principaux. Négociez dans les branches et dans les entreprises. C'est à vous, représentants des employeurs et des salariés, qu'il revient de rechercher les solutions et, le Gouvernement l'espère fermement, de vous entendre.
Mais il vous donne, par ma voix, un rendez-vous : en octobre, nous nous retrouverons, ici-même, sous ma présidence. Je vous demanderai alors de me présenter vos conclusions et de me dire, s'il y a lieu, ce que vous attendez du Gouvernement dans le domaine réglementaire et législatif.
D'ici là, le ministre du Travail sera à votre disposition pour vous apporter toute indication ou tout appui que vous souhaiterez.
Mesdames et Messieurs, lorsque vous conduirez ces négociations importantes, n'oubliez pas que les Français et les Françaises attendent beaucoup de vous. Ils ne comprendraient ni que vous échouiez, ni que vos travaux traînent en longueur. Il faut que, dès octobre, un progrès décisif soit fait.
En ce domaine, comme dans d'autres où il s'agit du progrès social, la France doit rapidement devenir, ou redevenir, la référence.
Notre pays est encore l'un de ceux où la durée du travail est la plus longue. Les précédents gouvernements ont freiné, plutôt qu'encouragé - c'est le moins qu'on puisse dire - les concertations qui avaient été tentées au niveau européen pour parvenir à une réduction du temps de travail.
Désormais, le Gouvernement français prendra toutes initiatives pour que l'objectif qu'il souhaite voir atteint en France en matière de temps de travail, soit partagé par nos partenaires européens. Dès hier, Monsieur DELORS, ministre de l'Economie et des Finances et Monsieur AUROUX, ministre du Travail, ont pris des initiatives dans ce sens au cours d'une réunion des ministres européens. Allez vous-mêmes, Mesdames et Messieurs les représentants des travailleurs, Mesdames et Messieurs les représentants des employeurs, allez vous-mêmes témoigner aux organisations syndicales et patronales des pays voisins, de la volonté de la France de s'engager dans un tel programme. Allez vous-mêmes, et nous le ferons avec vous, leur dire qu'elle invite tous les Européens à suivre le même chemin.
Dans l'Europe d'aujourd'hui, aucun pays ne peut durablement se singulariser, mais l'un d'eux peut précéder les autres : telle est, en la matière, notre ambition.
Mesdames et Messieurs, je vous ai dit la volonté du Gouvernement. Je vous ai rappelé l'attente et l'espérance du pays. Ne décevez pas cette attente, ne décevez pas cette espérance.
La réduction du temps de travail est au niveau des plus grands choix de notre société en mouvement.
Elle est oeuvre de civilisation.