Interview de M. Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics, à "Europe 1" le 4 juillet 2016, sur la mort de Michel Rocard, ancien premier ministre, sur la lutte contre la fraude fiscale et sur la baisse des impôts liée à la croissance économique.

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Média : Europe 1

Texte intégral

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Bienvenu Michel SAPIN, bonjour.
MICHEL SAPIN
Bonjour.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Qui est plus forte : la France ou l'Allemagne ?
MICHEL SAPIN
C'est pas le même jeu, c'est pour ça qu'il y a un bon suspense.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Oui, je parle en économie.
MICHEL SAPIN
Non, mais moi j'ai parlé en foot, parce que c'était ce que vous aviez comme arrière-pensée.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Non, c'est plus facile de dire en foot qu'en économie.
MICHEL SAPIN
Non mais en économie, chacun connait la puissance allemande, mais elle nous reconnait aussi une puissance politique. Il faut que nous utilisions cette crédibilité politique qui est la nôtre, dans le contexte d'aujourd'hui.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Match nul alors. Match nul.
MICHEL SAPIN
Non, c'est pas les mêmes points, c'est pas les mêmes buts.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Michel SAPIN, d'un côté la France salue un homme d'Etat, avec Michel ROCARD qui s'en va, emblème d'une gauche de la réforme, idéale et populaire, celle-là, et de l'autre côté, la gauche réelle et impopulaire qui exerce le pouvoir, et qui a du mal à imposer la moindre de ses réformes. Comment expliquez-vous ce paradoxe ?
MICHEL SAPIN
Mais parce que Michel ROCARD, d'abord, il y a longtemps qu'il n'a pas exercé le pouvoir, il l'a fait avec brio pendant trois ans, comme Premier ministre de François MITTERRAND, et ce qui marque beaucoup dans la vie, dans la pensée, même dans l'action, de Michel ROCARD, c'est cette volonté de porter des idées. Au fond, pour moi, ce qu'il y a de merveilleux chez lui, c'est qu'il fait de la politique pour les idées, et par convictions, ce qui n'est pas toujours forcément le cas.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Et que d'autres les appliquent.
MICHEL SAPIN
Oui, mais ça a été la grande réussite de ROCARD, souvent on l'a dit, c'est-à-dire que politiquement, comme disait l'autre, il a eu tort, il n'a pas pu exercer la magistrature suprême, mais économiquement, il a eu raison, puisqu'au fond, à partir de 1984, la politique qui a été menée économiquement, par les uns et par les autres au pouvoir, à gauche, c'est une politique synthée de rocardisme.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Qu'est-ce qui lui manquait ? La ruse, le cynisme, une dose de méchanceté peut-être ?
MICHEL SAPIN
Ce qu'il n'était pas lui-même, et donc ce n'était pas le peine de vouloir faire ce qu'il n'était pas lui-même.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Et donc aujourd'hui on entend dire que l'héritier de Michel ROCARD serait maintenant Alain JUPPE. Qu'est-ce que vous en pensez, vous ?
MICHEL SAPIN
Oui, enfin, on n'est jamais à une contradiction près. Non, je ne le crois pas, on dit ça parce qu'Alain JUPPE et Michel ROCARD, en personnalités fortes et intelligentes, ont mené des travaux sur ce qu'on a appelé le Grand emprunt et la possibilité de financer des grands travaux, des grands investissements d'avenir.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Simplement, mais, pour soulager...
MICHEL SAPIN
La réponse est non, la réponse est non.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
C'est une image.
MICHEL SAPIN
On peut toujours s'amuser, et je ne sais pas si ceux qui disent ça, veulent rendre service à Alain JUPPE.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Oui, parce que, est-ce qu'on est sûr que le maire de Bordeaux serait heureux d'avoir le destin de MENDES FRANCE, BALLADUR, DELORS, BARRE, qui ont sûr exercer... qui auraient su exercer une présidence, mais qui ne savaient pas la conquérir.
MICHEL SAPIN
Mais, tous ceux que vous venez de citer, sont plus restés dans l'histoire que ceux qui au même moment exerçaient le pouvoir.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Donc il vaut mieux ne pas l'avoir ?
MICHEL SAPIN
Si, il faut... il vaut mieux l'avoir pour transformer la vie, mais en tant qu'hommes et femmes politiques, on voit bien que les choses sont plus subtiles, plus complexes.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Un ministre des Finances à Bercy, peut-il avouer les vérités aux citoyens, en année électorale ? Par exemple, le président de la République François HOLLANDE, futur candidat aux élections, annonce aux Echos une baisse des impôts de deux milliards en 2017. D'abord, vous le confirmez ?
MICHEL SAPIN
Alors, prenez toutes la phrase du président de la République, parce que malgré tout, il vaut mieux...
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Oui, « si ça va bien ».
MICHEL SAPIN
Non, « si ça va encore mieux », donc, aujourd'hui nous avons une hypothèse de croissance pour l'année prochaine qui est de 1,5 %, à 1,5 % nous pouvons pas diminuer les impôts, mais si les choses font mieux, 1,6,,1,7...
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Et est-ce qu'elles peuvent aller mieux ?
MICHEL SAPIN
Oui, elles peuvent aller mieux, elles sont parties aujourd'hui pour aller mieux, il y a quelques aléas qu'on n'avait pas forcément prévus il y a quinze jours, comme le Brexit, mais si le Brexit n'a pas d'effets trop négatifs sur la croissance européenne et française, les choses iront mieux encore l'année prochaine.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
S'il n'a pas d'effets, est-ce qu'il en a déjà ?
MICHEL SAPIN
Aujourd'hui, non, il n'en a pas aujourd'hui, ce sont des effets qui sont de moyen, de moyen-long terme.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Et qu'est-ce que vous craignez pour les entreprises françaises ?
MICHEL SAPIN
L'incertitude, le fait de ne pas savoir, de ne pas comprendre, de ne pas pouvoir prendre de décisions. Mais c'est surtout vrai d'ailleurs pour les entreprises, le monde financier en Grande-Bretagne, cette incertitude est terrible pour al Grande-Bretagne. La Grande-Bretagne aujourd'hui, qui avait une croissance relativement forte, elle est à zéro, elle est peut-être même en négatif.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais avec des conséquences pour nous. Mais est-ce qu'il faut...
MICHEL SAPIN
Mais il y a toujours des conséquences. Quand vous avez une grande économie comme celle-ci, qui a des difficultés, il y a des difficultés à côté.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Michel SAPIN, pour autant, est-ce qu'il faut accepter que le prochain gouvernement anglais de Brexit, attende 2017 pour commencer à négocier ?
MICHEL SAPIN
Non, c'est inacceptable, et c'est d'abord inacceptable pour la Grande-Bretagne elle-même. Plus l'incertitude dure, plus les difficultés économiques seront grandes pour la Grande-Bretagne.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Alors, il pourrait y avoir une baisse de deux milliards des impôts en 2017, comment vous les financerez ?
MICHEL SAPIN
Eh bien je répète, il n'y aura de baisse des impôts que s'il y a une croissance supplémentaire. S'il y a une croissance supplémentaire, c'est-à-dire qu'il y a des rentrées supplémentaires et donc nous pouvons nous permettre de baisser les impôts sans perdre l'objectif fondamental qui est le nôtre, qui est un élément de crédibilité, qui est un élément de force, qui est un élément qui nous permet de parler fort en Europe, qui est de passer en dessous des 3 % de déficit l'année prochaine. Cet objectif est intangible.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais vous avez vu que la Cour des Comptes et de nombreuses institutions pensent que vous n'y arriverez pas.
MICHEL SAPIN
Mais la Cour des Comptes, elle pense toujours l'année précédente qu'on n'y arrivera pas l'année suivante. C'est normal, c'est son rôle, elle est là pour allumer des clignotants, mais moi, ces clignotants, je les vois, j'agis, nous agissons ensemble, et ce déficit à 2,7 %, en-dessous de 3 %, nous l'atteindrons l'année prochaine.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Et continuez-vous à prévoir, Michel SAPIN, une croissance d'au moins 1,6 cette année, de 1,7 en année électorale prochaine ?
MICHEL SAPIN
Ce que nous avons prévu cette année, c'est 1,5 et l'INSEE nous dit que ça va un peu plus qu'à 1,5, donc vers 1,6, c'est ce que nous croyons des observateurs et des économistes, et je le répète, l'année prochaine, nous faisons tout pour que la croissance soit encore supérieure. Si elle est encore supérieure, ça veut dire qu'on créera encore plus d'emploi. Si on crée encore plus d'emploi, ça veut dire que là, vraiment, le chômage va dans la durée, baisser et baisser fortement.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Si si si...
MICHEL SAPIN
Mais c'est pas « si si si », on parle du futur. Moi, quand je parle du futur, je sais pas dire l'absolue vérité. Bon. Nous sommes avec des hypothèses, mais ces hypothèses sont des hypothèses aujourd'hui réalistes. D'ailleurs, pour ce qui est des créations d'emploi et de la baisse du chômage, c'est déjà commencé.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Nous sommes dans la loi Sapin II, elle vient au Sénat aujourd'hui ou demain. Demain ?
MICHEL SAPIN
Aujourd'hui.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Quel est le dernier montant des retours de la fraude et le l'évasion fiscale ?
MICHEL SAPIN
Ah considérable, nous faisons six milliards de plus que dans les années 2011/2012, de rentrées fiscales, et pas en allant embêter les petits, pas en allant embêter monsieur et madame Tout le monde ou l'artisan du coin, mais en allant chercher, si j'ose dire, l'argent là où il est...
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Là où elle est, comme disait quelqu'un.
MICHEL SAPIN
... c'est-à-dire chez un certain nombre de très grandes entreprises qui ne payaient pas ou très peu d'impôts, ce qui est parfaitement anormal.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Est-ce que la loi Sapin sera encore plus sévère contre toutes les formes de corruption et de fraude ?
MICHEL SAPIN
Oui, contre la corruption, la fraude, enfin, tout ce qui est l'utilisation maléfique de l'argent. L'argent est utile quand c'est pour soutenir l'activité économique, pour investir dans les entreprises, pour créer des emplois, mais cet argent qui corrompt, comme disait un autre grand homme à gauche, François MITTERRAND, cet argent qui corrompt, c'est insupportable, et c'est la raison pour laquelle nous allons mettre la France enfin au niveau des meilleurs des pays du monde, dans la lutte contre la corruption internationale.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Est-ce que vous êtes aidé par l'indépendant Parquet national financier, qui est créé et soutenu par le président de la République ?
MICHEL SAPIN
Oui, bien sûr, c'est même un outil exceptionnel d'efficacité, animé par des gens exceptionnels et qui a certainement besoin de moyens supplémentaires pour permettre de mener cette lutte jusqu'au bout.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Et vous les accorderez, vous et monsieur URVOAS...
MICHEL SAPIN
C'est à monsieur URVOAS de le faire, mais...
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Non mais vous, vous êtes Bercy.
MICHEL SAPIN
Moi je ne suis pas monsieur URVOAS, donc chacun est dans son rôle, mais ce Parquet financier joue un rôle important, il vient encore de le démontrer dans des actions contre quelques très grandes entreprises multinationales, justement pour lutter contre la fraude fiscale, il doit être soutenu.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
On avait entendu, en rendez-vous, Madame Eliane HOULETTE qui est la procureur du Parquet financier. Les sociétés qui commettent des délits de corruption, est-ce qu'elles pourront payer des amendes fortes pour échapper à des condamnations ? C'est la transaction pénale.
MICHEL SAPIN
Il ne s'agit pas d'échapper à des condamnations, aujourd'hui il n'y en a pas de condamnation, c'est ça qui est anormal. Aucune entreprise française n'a été depuis qu'on a créé ce délit de corruption d'agents publics étrangers, n'a été condamnée en France, alors qu'elles sont condamnées aux Etats Unis. Est-ce que c'est normal ? Non. Ça prouve...
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Non, il faut qu'ils aient la réciprocité, au moins.
MICHEL SAPIN
Ça prouve que ce dispositif en France n'est pas efficace, donc nous voulons un dispositif efficace, qui permette de poursuivre, qui permette de punir, et de le faire le plus rapidement possible, parce que c'est aussi l'intérêt des entreprises, que si une condamnation doit intervenir, elle intervienne le plus rapidement possible.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
La transparence, c'est bien Michel SAPIN, mais vous accordez aussi aux lanceurs d'alertes une sorte de prime que l'opposition sarkozyste, et pas seulement elle, a dénommé « la prime à la délation ».
MICHEL SAPIN
Non, il n'y a pas de prime, il y a une protection qui est nécessaire. Les mêmes...
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Un encouragement.
MICHEL SAPIN
Les mêmes, ils trouvent que cette jeune femme qui a dénoncé les actes illégaux d'UBS en France, c'est quelqu'un qui ne doit pas être protégé ? Que monsieur André DELTOUR, qui au Luxembourg a dénoncé ce que l'on appelle le LuxLeaks, c'est-à-dire des capacités de ne pas faire payer d'impôts, il faut les protéger !
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Il faut les protéger, évidemment, mais est-ce qu'il faut encourager à dénoncer ?
MICHEL SAPIN
Qu'est-ce que c'est que cette manière de traiter de délateurs, des gens qui agissent dans le sens de l'intérêt général ? Moi je veux les protéger.
THOMAS SOTTO
Merci.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Attendez, je veux dire une dernière remarque. Le PS reporte ses universités d'été prévues à Nantes, à cause de violence possibles. Un, pourquoi avoir déplacé de La Rochelle à Nantes et pourquoi renoncer par peur ? Pourquoi par peur ? Est-ce que le Parti socialiste en est là aujourd'hui ?
MICHEL SAPIN
Ça c'est facile, et si nous avions eu des Universités d'été marquée par des violences, vous auriez dit : pourquoi vous les avez maintenues ? Il vaut mieux éviter ce type de violences.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Il aurait fallu rester à La Rochelle pour...
MICHEL SAPIN
Il vaut mieux tenir des universités dans un temps plus calme.
THOMAS SOTTO
MICHEL SAPIN. Demain, Jean-Pierre, c'est Thierry BRETON qui sera votre invité à 08h20. A demain.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 5 juillet 2016