Interview de M. Harlem Désir, secrétaire d'Etat aux affaires européennes, avec France Info le 7 juillet 2016, sur Michel Rocard et l'Union européenne, l'Euro 2016, le couple franco-allemand, le Front national et le Brexit et sur le traité transatlantique.

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Média : France Info

Texte intégral


YAËL GOOSZ
Bonjour Harlem DESIR.
HARLEM DESIR
Bonjour Yaël GOOSZ.
YAËL GOOSZ
On ne va pas se mentir, on pensait que vous aviez disparu, et puis on a réentendu le son de votre voix, après le Brexit. Donc oui, il y a bien un Monsieur Europe au gouvernement depuis deux ans, c'est vous, et c'est pour ça qu'on vous invite. Le Brexit qui préoccupait Michel ROCARD juste avant sa mort, la France lui rend hommage tout à l'heure à midi aux Invalides. Européen convaincu, Européen critique aussi sur les Britanniques.
HARLEM DESIR
C'était un très grand européen, moi je n'ai pas disparu, vous m'invitez, je viens, et d'ailleurs avec Michel ROCARD j'ai passé de très nombreuses années au Parlement européen, et il était convaincu que l'Europe devait aller plus loin, qu'elle ne pouvait pas être simplement un marché, et que parfois c'était une différence de conception avec les Britanniques et que donc il fallait qu'il y ait une avant-garde et qu'il allait peut-être saisir l'occasion de ce référendum, pour essayer de faire en sorte que la France, l'Allemagne, les pays qui partagent une monnaie commune et qui ont une très grande ambition pour l'Europe, aillent plus loin.
YAËL GOOSZ
Aillent plus loin, 2014, tribune dans Le Monde, il dit...
HARLEM DESIR
Mais je ne partageais pas son point de vue, parce que je pense, on voit aujourd'hui que la sortie d'un pays de l'Union européenne c'est une crise, c'est une crise pour ce pays, d'abord, sur le plan économique, sur le plan politique, mais c'est aussi un choc pour l'Union européenne. Mais de ce choc, on peut faire l'occasion d'un rebond, et pour ça il faut du volontarisme, et c'est ce à quoi nous invitait Michel ROCARD.
YAËL GOOSZ
Un peu prémonitoire, en 2014 il signe une tribune dans Le Monde : « Amis Anglais, sortez de l'Union, mais ne la faites pas mourir, partez donc avant d'avoir tout cassé ».
HARLEM DESIR
Oui, parce que d'une certaine façon, il participait à cette analyse qui est de dire que les Britanniques avaient souhaité que l'Europe soit essentiellement un grand marché, qu'elle s'élargisse beaucoup, qu'elle ait le moins de politique commune possible, et c'est cette situation qui a fait qu'ils n'ont pas pu y rester, parce que cette Europe libérale s'est aussi retournée contre eux, et on a vu s'exprimer dans le référendum britannique, des fractures sociales, géographiques, des peurs, le sentiment pour une partie des territoires de l'Angleterre, pas Londres, mais d'autres parties, de ne pas être assez protégés socialement, dans la mondialisation, et que l'Europe ne contribuait pas à cette protection. Bon. Donc, il avait souvent d'ailleurs le goût des idées provocatrices.
YAËL GOOSZ
Il a été 15 ans au Parlement européen, à vos côtés, de 1994 à...
HARLEM DESIR
Pendant dix ans à mes côtés, puisqu'il y avait été déjà cinq ans avant que j'arrive.
YAËL GOOSZ
Pendant dix ans, et lui 15 ans. C'est le plus long de ses mandats. Des souvenirs ensemble, à Bruxelles, à Strasbourg ?
HARLEM DESIR
Oui, beaucoup, parce que c'était une passion, l'Europe, pour Michel ROCARD, il était un social-démocrate européen, et il pensait que l'Europe avait, dans le monde d'aujourd'hui, à défendre un modèle social, un modèle de solidarité, de service public, et qu'elle devait beaucoup plus se tourner aussi vers l'extérieur, il avait eu des responsabilités, en tant que président d'une commission en charge du développement par exemple, c'est-à-dire de la coopération avec les pays du Sud, il a aussi été président de la Commission des Affaires sociales, il était mon président de commission à ce moment-là, et il avait la conviction que pour les progressistes que nous sommes, et pour les Européens, nous devions porter vis-à-vis du monde un message et que nous devions le faire à travers la construction européenne.
YAËL GOOSZ
L'hommage à Michel ROCARD et puis ce soir, le match à Marseille, France – Allemagne. Pronostic, en passant ?
HARLEM DESIR
Eh bien, à la fin on y croit, à la fin il faut que la France gagne. Je crois que cette équipe a été...
YAËL GOOSZ
Vous qui vous occupez d'Europe, ministre des Affaires européennes, vous choisissez qui ?
HARLEM DESIR
D'abord, c'est toujours épique, un match France – Allemagne, pour les raisons qui ont été rappelées, à cause de 82, à cause de Séville. Il y a une intensité dramatique, il y a un suspense, il y a toujours quelque chose qui est lié aussi à la relation entre nos deux pays. Ça va être une très grande fête. On rencontre l'équipe championne du monde, elle a montré encore une fois, pendant cette compétition ses très grandes qualités, mais l'équipe de France a été extraordinaire, mais elle n'a fait que progresser tout au long du tournoi, et je crois qu'elle est inspirée, et je pense que cette génération peut l'emporter et je crois qu'elle va gagner.
YAËL GOOSZ
Est-ce qu'il y a match aussi entre HOLLANDE et MERKEL sur l'après Brexit ?
HARLEM DESIR
Eh bien, donc là, c'est un match amical, parce que nous avons des différences, et il y a évidemment une émulation aussi au plan européen, entre la France et l'Allemagne. Mais...
YAËL GOOSZ
François HOLLANDE veut aller vite, que la Grande-Bretagne sorte vote, Angela MERKEL montrait qu'elle était beaucoup plus mesurée.
HARLEM DESIR
D'abord, d'une façon générale, la différence avec le foot c'est qu'on gagne ensemble, parce qu'il faut que la France et l'Allemagne défendent des positions ensemble, pour que l'on puisse avancer, par exemple quand il y a eu le choix de maintenir ou non la Grèce dans la zone euro, il y avait une position de la France qui était très claire, du président de la République qui était de refuser que la France soit exclue de la zone euro...
YAËL GOOSZ
Et la France a gagné.
HARLEM DESIR
Mais en l'occurrence, on a gagné ensemble, c'est parce qu'on a convaincu l'Allemagne que l'on pouvait trouver une solution pour maintenir la Grèce dans la zone euro et un plan d'aide à la Grèce, avec des réformes évidemment. Par rapport à la Grande-Bretagne, au Brexit, il y a eu une réunion très importante de la chancelière, du président et du président du Conseil italien à Berlin, avant le Conseil européen, pour préparer justement ce que nous allions émettre comme message, et ce qu'avait souhaité le président de la République, et il y a eu un accord avec l'Allemagne, c'est qu'il y ait une très grande clarté et une très grande fermeté vis-à-vis du Royaume-Uni, pour dire que, maintenant que les citoyens britanniques se sont exprimés, même si nous regrettons leur choix, nous aurions préféré qu'ils restent, il faut respecter ce choix et il faut que la séparation se fasse dans la transparence, dans la clarté, dans le respect des traités et l'article 50, et que cela ne dure pas indéfiniment, parce qu'il faut réduire la période d'incertitudes, dont on voit d'ailleurs qu'elle a des conséquences économiques au Royaume-Uni.
YAËL GOOSZ
On va y revenir.
GUY BIRENBAUM
Et sur le couple franco-allemand, il y a aussi l'attitude vis-à-vis des réfugiés, où on a noté l'immense générosité de madame MERKEL, qui n'a pas été exactement la position française.
HARLEM DESIR
Il y a eu des différences d'approche, mais on voit aussi que l'Allemagne a aussi fini par considérer qu'il ne pouvait pas continuer à y avoir une situation où on ne contrôlait pas les frontières, et donc, finalement, aujourd'hui, je crois que ce qui est très important, c'est que la France et l'Allemagne, ensemble, défendent le fait qu'il y ait des gardes frontières européens, ça a d'ailleurs été l'objet d'un vote hier au Parlement européen, après que déjà au niveau des Etats membres il y ait eu un accord sur ce point. Le fait que, et c'était dans les déclarations que nous avons faites, après le référendum, dans la relance indispensable aujourd'hui de la construction européenne, il faut que nous montrions que l'Europe est capable de gérer ses frontières communes, qu'elle est capable d'apporter une protection dans la mondialisation, qu'elle est capable aussi de projeter de la stabilité, dans un environnement qui est marqué par des conflits, et donc que nous progressons aussi en matière de politique de défense, et ça c'est une évolution, c'est quelque chose de nouveau, parce qu'on sait que traditionnellement la France s'occupe beaucoup de ses affaires de sécurité et de défense, l'Allemagne avait plus de réticences, mais elle a répondu, par exemple après les attentats de Paris, quand la France a invoqué l'article 42.7 du traité de l'Union européenne, qui est un appel à la solidarité, en cas d'agression militaire, et elle est allée avec nous en Syrie, en Irak, elle est avec nous au Sahel et au Mali. Donc je crois qu'aujourd'hui la France et l'Allemagne sont vraiment redevenues un moteur pour faire progresser l'Europe.
YAËL GOOSZ
Retour au foot, rapidement, « Touche pas à mon pote », ancien président de SOS Racisme, c'est vous, qu'est-ce qu'il dit l'ancien président de SOS Racisme, quand il voit cette équipe de France métissée ?
HARLEM DESIR
Je suis évidemment très fier de ce qu'est l'équipe de France, on l'avait vu beaucoup en 98 déjà, l'équipe ... vainqueur.
GUY BIRENBAUM
Enfin, les Black Blanc Beur, on a vu qu'après ça ne se passait pas aussi bien qu'on l'avait cru.
HARLEM DESIR
Oui, mais je crois que la polémique était déplacée, parce que le sélectionneur, il sélectionne les joueurs en fonction de leurs qualités, mais il se trouve que la Fédération de football, les clubs de foot, sont à l'image de la diversité de notre jeunesse, mais c'est le cas aussi de l'équipe d'Allemagne, c'est une équipe dans laquelle il y a aussi des enfants de l'immigration turque en Allemagne, par exemple et c'est une très belle image de l'Europe, qui a été donnée, je crois, par toutes ces équipes, par leur diversité, il y a eu des surprises il y a eu des équipes qu'on n'attendait pas, comme l'Islande, il y a eu des supporters qui ont été fantastiques, comme les supporters irlandais, et au total c'est une très belle fête du sport, bien sûr, mais aussi de l'Europe.
YAËL GOOSZ
Et pourtant, le FN est toujours aussi haut dans les sondages pour 2017. Marine LE PEN, entretien à Valeurs Actuelles, elle dit que le Brexit, eh bien c'est neutre, ça ne crée aucune crise ouverte, pas de pluie de sauterelles, pas de tsunami, pas de Bourse qui s'effondre. Elle dit des choses sensées, économiquement, ou elle se trompe ?
HARLEM DESIR
Mais, écoutez, madame LE PEN, je lui conseille d'aller faire un tour à Londres, si elle n'a pas vu qu'après le Brexit il y a là-bas une crise financière, une crise bancaire, une crise immobilière, une chute du pouvoir d'achat des ménages, parce que la livre s'est effondrée, une incertitude sur le maintien de l'unité du Royaume-Uni, parce que l'on voit se réexprimer des volontés d'indépendance, en écosse, peut-être même ailleurs, et on voit là toute l'irresponsabilité de ceux qui ont proposé le Brexit au Royaume-Uni, et qui aujourd'hui s'en vont et n'assument pas les conséquences, et de ceux qui proposent de faire pareil, dans d'autres pays, y compris en France. Eh bien je crois qu'il faut que cela soit clarifié. Il y aura un choix aussi à faire en France, ce choix il sera fait au moment de l'élection présidentielle, parce que moi je souhaite que l'élection présidentielle en France, elle permette de saisir les Français d'un choix pour l'Europe, rester ou pas dans l'Europe, rester ou pas dans l'Euro. Madame LE PEN, on connait sa réponse, et il y aura d'autres propositions, celle que fait en particulier le président de la République. Et puis, est-ce qu'on fait une Europe marché ou une Europe puissante ? Est-ce qu'on veut une Europe du dumping social ou une Europe de la divergence économique et sociale ?
YAËL GOOSZ
L'Europe concrète, Harlem DESIR, c'est les travailleurs détachés. Manuel VALLS monte au créneau pour dire que la directive sur les travailleurs détachés, on pourrait ne plus l'appliquer. C'est de la posture ou c'est vraiment un clash avec la Commission ? Parce qu'on a l'impression que ce qui est dit à Paris n'est pas la même chose que ce qui est dit à Bruxelles.
HARLEM DESIR
C'est la même chose c'est une exigence. On ne peut pas faire l'Europe avec le dumping social, c'est la meilleure façon de provoquer le rejet de l'Europe par les peuples.
YAËL GOOSZ
Et donc on ne va pas appliquer la directive, on va être sanctionné ?
HARLEM DESIR
Non, ce qu'a dit le Premier ministre, c'est qu'il y a une directive sur les travailleurs détachés, et qu'aujourd'hui elle est contournée, et donc nous demanderons sa révision. Nous demandons que dans les fais, on se donne les moyens d'assurer que, à travail égal, il y a un salaire égal, sur un même lieu de travail, c'est-à-dire que nous sommes favorables à la liberté de circulation, nous l'avons d'ailleurs dit par rapport aux Britanniques. Un autre citoyen européen peut venir en France, il y en a d'ailleurs beaucoup, des Français travaillent dans d'autres pays de l'Union européenne, mais ça ne peut pas se faire en contournant le droit social, le niveau des salaires, le niveau de la protection sociale. Et si nous n'obtenions pas la révision de cette directive, alors il faudrait arrêter de la mettre en oeuvre.
YAËL GOOSZ
Et puis cette question que vous pose ce matin votre ancien collègue, député européen Europe écologie les Verts, Yannick JADOT.
YANNICK JADOT
Bonjour Monsieur le Ministre. Il y a quelques jours, après le Brexit, Manuel VALLS disait tout le mal qu'il pense du traité transatlantique, le fameux TAFTA. Quelques jours plus tard, à Bruxelles, lors du sommet européen, François HOLLANDE, de façon surprenante, soutenait cette même négociation. Est-ce que vous ne pensez pas que ce double-discours entre Bruxelles et Paris, participe de la défiance des citoyens vis-à-vis de l'Europe ?
YAËL GOOSZ
Alors, on va être clair ce matin : le TAFTA, c'est fini ou pas ? On négocier encore ou pas, en coulisses, il faut que les Français sachent, là.
HARLEM DESIR
Mais, le président de la République a dit à Bruxelles, au Conseil européen, et pas simplement lors du dernier Conseil européens, mais depuis plusieurs conseils européens, que le TAFTA, c'est-à-dire ce Traité de commerce transatlantique, dont les négociations ont été ouvertes avec les Etats-Unis, ne pourrait pas être conclu, s'il restait déséquilibré et s'il ne respecte pas un certain nombre de lignes rouges de l'Europe, mais...
YAËL GOOSZ
Si si si, donc on continue quand même, pour l'instant.
HARLEM DESIR
Aujourd'hui, aujourd'hui les conditions pour un accord, ne sont pas réunies. D'abord, parce que nous l'avons dit, l'offre américaine en matière d'ouverture de leurs marchés, de leurs marchés publics en particulier, est totalement insignifiante, donc c'est accord nous serait d'aucun avantage pour l'économie européenne. Deuxièmement parce qu'il y a des lignes rouges qui pour nous sont infranchissables, qui concernent l'agriculture, les indications géographiques, le refus du boeuf aux hormones, du poulet chloré, de nos normes sanitaires. Troisièmement, mais ça c'est clair depuis le début, parce que nous protègerons l'exception culturelle et nos services publics, et donc aujourd'hui, les conditions ne sont pas réunies pour conclure cet accord, et je peux vous dire qu'il ne le sera pas avant la fin de l'année, en tout état de cause.
YAËL GOOSZ
Très rapidement, y-a-t-il un Brutus au gouvernement ? Emmanuel MACRON en meeting, mardi, à la Mutualité.
HARLEM DESIR
Je ne le crois pas. Je pense qu'Emmanuel MACRON, comme ministre, évidemment, s'inscrit totalement dans la ligne d'action du gouvernement, des réformes très importantes à mener dans le domaine de l'économie...
YAËL GOOSZ
Il peut rester en continuant à être un pied dedans, un pied dehors ?
HARLEM DESIR
... de la poursuite d'un travail de...
YAËL GOOSZ
Il faut un « Macronxit » ou pas ?
HARLEM DESIR
Ecoutez, c'est ridicule. C'est pas parce qu'il a décidé de s‘exprimer et de défendre des idées qui sont celles de la réforme, menée par ce gouvernement, qu'il y a un problème. Je ne le crois pas.
YAËL GOOSZ
Merci beaucoup Harlem DESIR.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 8 juillet 2016