Texte intégral
Les enjeux des négociations à l'OMC
Messieurs les Présidents, Mesdames, Messieurs.
Compte tenu des incertitudes qui entourent les sujets dont nous allons parler, une partie de mon propos sera, inévitablement, fondée sur des hypothèses. Première d'entre elles : malgré les événements tragiques du 11 septembre, il existe encore une place, et, à mon sens, plus nécessaire que jamais, pour le dialogue multilatéral.
Notre approche globale, fondée sur une meilleure régulation internationale, sur une prise en compte accrue des problèmes du développement, et sur le développement durable, est non seulement confirmée dans la situation de crise actuelle, mais même confortée. Il faudra sans doute aller plus loin que nous ne l'imaginions pour tenter de répondre aux nouveaux défis et accroître la solidarité internationale.
Dans ce contexte encore mouvant, mon propos s'articulera autour de quatre parties. Dans la première, j'évoquerai la question de l'intégration de l'agriculture dans un cycle de négociations. Dans la deuxième, je commenterai brièvement le projet de déclaration qui est aujourd'hui sur la table à Genève. Je vous donnerai ensuite quelques éléments de calendrier, pour enfin vous rappeler nos priorités dans la négociation agricole.
1) Pourquoi voulons-nous inscrire l'agriculture dans un cycle plus large ?
L'Union européenne a pris position pour un cycle large allant au-delà des sujets traditionnels que sont l'agriculture, l'industrie et les services. Vous savez pourquoi, et nos thèses ont été confortées, si besoin en était, par l'actualité la plus récente. A l'évidence, le monde a besoin de plus de régulation. Une négociation qui ne porterait que sur l'accès aux marchés ne traiterait qu'une partie de la problématique d'ensemble à laquelle nous sommes confrontés.
Je suis par ailleurs convaincu du bien fondé de cette stratégie pour l'agriculture. En effet, une approche globale et large permet de mieux prendre en compte tous les aspects de la négociation susceptibles de concerner l'agriculture (questions sanitaires, environnementales, par exemple). La propriété intellectuelle, l'investissement, la concurrence, sont également des sujets d'intérêt pour les produits agricoles : on touche là aux services associés, à la défense des terroirs, à l'organisation des circuits de distribution.
2) Dans ce contexte, que penser du projet de déclaration qui est aujourd'hui sur la table ?
L'analyse du texte, transmis le 26 septembre par le président du Conseil général de l'OMC , est encore en cours et les consultations se poursuivent. Pour l'essentiel, je retiens deux choses de ce projet.
a. Premier élément, la dynamique de négociation est relancée.
En dépit de l'incertitude persistante sur la tenue de la réunion à Doha, la négociation se poursuit activement :
- l'engagement américain en faveur du lancement d'un cycle à l'OMC est clairement affiché. M. Zoellick tente, en parallèle, d'obtenir du Congrès l'autorité de négociation (TPA). La collaboration transatlantique se fonde sur la conviction, partagée par une majorité de pays, que le lancement d'un cycle est plus que jamais nécessaire (poursuite de la coopération internationale dans le domaine économique, signal vers les marchés, renforcement du système multilatéral) ;
- les pays en développement, pour leur part, s'inscrivent désormais tous dans cette dynamique : l'Inde vient de nous adresser le signal qu'elle est désormais prête à se rallier à un nouveau cycle, dont elle négociera, bien entendu, durement le contenu. Avec ses partenaires en développement, elle s'emploie, pour l'heure, à maximiser les résultats attendus du travail engagé sur la mise en uvre des accords de Marrakech. De premières décisions en ce sens sont possibles le 3 octobre, sur la base de propositions spécifiques transmises par M. Harbinson.
b) deuxième élément, qui vient évidemment tempérer le premier : le projet de déclaration ne clarifie qu'imparfaitement les données de la négociation.
- Ce texte est court, contrairement à celui que nous avions en main en arrivant à Seattle. Il est complet, puisque la quasi-totalité des sujets identifiés comme importants par les Membres y figurent. Le préambule reprend les thèmes centraux du débat multilatéral actuel, et offre à tous les Membres les points d'accroche nécessaires pour pousser leurs intérêts dans la période qui s'ouvre. C'est le cas en particulier pour l'investissement et la concurrence, sujets sur lesquels la Commission reste très mobilisée.
- Ce projet laisse ouverte la possibilité d'un programme de négociation large incluant les thèmes de régulation proposés par l'Union européenne, même si beaucoup reste à faire sur plusieurs sujets :
. Ainsi, s'agissant de l'environnement : Il n'est pas satisfaisant de s'en tenir à une prolongation du programme de travail lancé en 1995. Ce thème, placé hors du champ de la négociation, relève d'un programme de travail de même nature que celui engagé à l'OMC depuis 1995 ;
. Sur les questions liées au développement social, l'OMC ne peut en rester à une évocation du travail conduit à l'OIT. Notre ambition est plus large. Nous souhaitons mettre en place un dialogue institutionnel ;
. Enfin, comme vous le savez, sur l'agriculture , les négociations se poursuivent cette semaine. Le document de M. Harbinson en prend acte, laissant le paragraphe agricole non rédigé.
3) Quel calendrier jusqu'à la conférence ministérielle ?
La conférence ministérielle sera précédée d'une réunion informelle rassemblant une trentaine de ministres (représentant tous les grands acteurs), à Singapour les 13 et 14 octobre prochain, qui pourrait être l'occasion d'une première série d'arbitrages.
Le Conseil Affaires Générales du 8 octobre sera également, pour les Etats membres de l'Union, l'occasion d'une appréciation politique de la négociation avant l'échéance de Singapour.
4) Quelles sont nos priorités dans la négociation agricole ?
Rappelons tout d'abord que l'ensemble des Membres ont exprimé leurs priorités à travers la remise, à Genève, de propositions, et depuis mars dernier, un ensemble de thèmes font l'objet de discussions.
Les propositions des différents Membres ont été précisés à cette occasion. On peut résumer l'état des positions de la manière suivante :
Le groupe de Cairns, d'abord : ce groupe, qui rassemble les grands pays exportateurs agricoles hors Etats-Unis et Union européenne, souhaite que l'agriculture ne fasse plus l'objet d'un traitement spécifique à l'OMC par rapport aux autres biens. Ces pays plaident pour une réduction drastique des droits de douane et du soutien interne, et pour l'élimination pure et simple des subventions à l'exportation.
Les Etats-Unis ensuite : ils présentent en affichage une position offensive, plaidant pour un plafonnement du soutien interne et une plus grande ouverture des marchés, alors même que leurs propositions impliquent des contraintes minimales sur leurs propres soutiens, dans un contexte où ces derniers ont été multipliés par 5 de 1996 à 2000, tandis que ceux de l'Union européenne restaient stables, sous l'effet du plafonnement établi par Agenda 2000.
Les pays en développement réclament à la fois une plus grande ouverture des marchés des pays développés et une plus grande flexibilité pour leurs politiques agricoles et leur protection tarifaire. Cette position est poussée à l'extrême par des pays comme l'Inde, qui prônent une exonération des pays en développement de toute discipline, en même temps que l'établissement de contraintes très fortes pour les pays développés. Un certain nombre de pays importateurs de produits agricoles, par ailleurs dépendants du marché communautaire pour l'écoulement de leurs cultures d'exportation (ACP en premier lieu), souhaitent de leur côté une sécurisation de leurs accès préférentiels en même temps que la reconnaissance d'une nécessaire flexibilité au nom de la sécurité alimentaire.
L'Union européenne enfin : nous avons cherché à promouvoir une approche équilibrée, en nous montrant prêts à négocier de bonne foi, en poursuivant la réduction des droits de douane, des soutiens internes et des subventions à l'exportation, pour autant que toutes les formes de soutien, notamment à l'exportation, soient également encadrées. Si les subventions agricoles européennes sont les plus visibles aux yeux de nos partenaires, c'est parce que nous avons le système de soutien à l'agriculture le plus transparent. Si les Etats-Unis et les pays du groupe de Cairns subventionnent également leurs exportations, ces formes de soutien (crédits à l'exportation, recours abusif à l'aide alimentaire, pratiques des entreprises commerciales d'Etat) ne font aujourd'hui l'objet d'aucune règle. Nous voulons changer cette situation.
L'Union européenne souhaite également que la notion de multifonctionnalité de l'agriculture soit reconnue, car l'agriculture remplit des fonctions non marchandes, telles que la préservation de l'environnement et le développement rural. Nous proposons également de renforcer le traitement spécial et différencié, en particulier à travers la pérennisation des préférences commerciales accordées aux pays en développement, la préférence donnée à l'aide alimentaire accordée sous forme de don par rapport à celle liée à un crédit, et l'intensification de toutes les formes d'assistance en faveur des PED.
D'une manière générale, on peut concevoir également, comme le fait l'Union européenne, qu'une plus grande flexibilité soit accordée aux pays en développement au titre du soutien interne, lorsque les mesures prises contribuent à la vitalité des zones rurales, ou à une préoccupation de sécurité alimentaire.
Quelles premières conclusions tirer de ces travaux ?
L'Union peut se féliciter de la prise en compte de plusieurs de ses priorités dans les discussions en cours. Le programme de travail contient en effet des thèmes offensifs tels que les crédits à l'exportation, les entreprises commerciales d'Etat ou l'aide alimentaire, et des sujets que l'Union souhaite voir davantage pris en compte à l'OMC tels que les indications géographiques, l'information du consommateur et l'étiquetage, la sécurité sanitaire des aliments, l'environnement ou le développement rural. Le thème de la multifonctionnalité fera donc l'objet de nouvelles discussions à l'OMC. Les efforts diplomatiques déployés depuis plus d'un an par la Commission et les Etats membres portent leurs fruits.
La dimension développement n'est pas absente du débat. Le traitement spécial et différencié fera l'objet d'une attention particulière dans l'ensemble de ces travaux. La sécurité des approvisionnements alimentaires est retenue comme un sujet spécifique. La liste des sujets retenus pour les réunions des prochains mois témoigne d'une prise en compte croissante, par les pays en développement tout autant que les pays industrialisés, des enjeux multiples de l'échange international dans ce secteur.
La position de l'Union européenne n'est pas seulement défensive, contrairement à ce que certains pays laissent parfois entendre. Nous avons des intérêts offensifs à faire valoir auprès des autres membres. Et je remarque que les opposants traditionnels à l'UE sont aujourd'hui loin de présenter un front commun, en dépit des tentatives de rapprochement entre les USA et le groupe de Cairns. Au sein même du groupe de Cairns, les positions ne sont pas toujours unanimes.
S'agissant de nos amis américains, je constate que les aides d'urgence, d'exceptionnelles, sont devenues la norme. Est-il besoin de rappeler que les dépenses budgétaires américaines en matière agricole ont été multiplié par six entre 1996 et 2000, qu'en 2000, chaque agriculteur américain a reçu plus de trois fois le montant des paiements directs accordés à son homologue européen ? Ces quelques chiffres montrent combien les Etats-Unis ne sont pas prêt à abandonner le soutien à leur agriculture - les récentes propositions de réforme du Farm Bill en attestent. Ils devront donc bien revenir sur leur position de négociation consistant à faire porter sur les autres la totalité des avancées à accomplir. Ils devront admettre que leur politique de renflouement répété de leur agriculture favorise une déprime continue des prix mondiaux, bien plus que les restitutions à l'exportation dont nous ne souhaitons pas la suppression pure et simple, et qui ne pourront faire l'objet - je le répète encore une fois - d'aucun acompte agricole à l'OMC.
(source http://www.minefi.gouv.fr, le 9 octobre 2001)