Discours de M. Pierre Mauroy, Premier ministre, sur la politique économique du gouvernement, Paris le 8 février 1982.

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Circonstance : Conférence de "l'International Herald Tribune" à Paris les 8 et 9 février 1982

Texte intégral

Mesdames, Messieurs,
Je sais que le jugement des chefs d'entreprise se forme sur les faits et sur les résultats. Le premier fait, c'est que les Français ont choisi de changer de politique. Les élections présidentielles puis législatives ont donné à la France un gouvernement de Gauche à direction socialiste. Le Président de la République est élu pour sept ans et l'Assemblée nationale - à majorité socialiste - est élue pour cinq ans.
Entre la France et ses partenaires, entre vous et nous, le dialogue ne fait que commencer. Entre le gouvernement de Gauche et les animateurs de l'économie, nationale et internationale, une coopération de longue durée commence.
La rencontre d'aujourd'hui porte témoignage de cette volonté de dialogue. Faisons donc mieux connaissance.
Qui sommes nous ? Nous avons le même âge que les Etats-Unis d'Amérique, car le message de liberté et de démocratie - dont la Gauche française est pleinement l'héritière - est né en Europe dans le moment même de cette grande révolution industrielle et technique dont la puissance américaine est la fille. Et, comme les Etats-Unis d'Amérique, nous sommes les combattants de la liberté, de la démocratie et de l'indépendance des peuples. Et dans ces combats, le peuple français et le peuple américain ont lutté côte-à-côte.
Etre partisan de l'indépendance de la France, de l'autonomie de ses décisions, sans orgueil et sans nationalisme excessif, sans ignorer aucun pays, c'est être fidèle à notre tradition historique.
Les compatriotes de La Fayette sont restés les combattant de la liberté et du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. C'est cette fidélité qui nous place aux côtés des peuples d'Afghanistan, du Salvador ou de Pologne. Car le message de la liberté est, pour nous, indivisible.
Prenons un exemple : interpréter historiquement l'évolution des peuples d'Amérique latine, et spécialement d'Amérique centrale, au regard de la seule analyse est-ouest, et spécialement de l'opposition entre le communisme et l'anti-communisme, nous semble erroné. C'est la misère et l'exploitation de ces pays, soumis au plan politique à des dictatures impitoyables, qui provoquent les révolutions. Ces révoltés cherchent des appuis. Si le monde occidental apparaît comme l'ennemi et le garant des oligarchies au pouvoir, ils iront chercher des armes ailleurs.
C'est cette logique que la France entend briser. Tel est le sens de sa politique en Amérique centrale. Tel est également le sens de notre politique intérieure.
La Gauche arrive toujours au pouvoir dans un contexte de crise économique, lorsque la gestion précédente a, trop évidemment, fait faillite. C'est ainsi qu'aux Etats-Unis la grande crise porta au pouvoir Roosevelt et le parti démocrate. Ils y restèrent vingt ans.
En temps ordinaire le conservatisme et la peur de l'inconnu suffisent à faire obstacle au changement. Mais aussi, dans notre pays, la difficulté que rencontre la Gauche à présenter un front politique uni.
Comme en Allemagne, comme en Grande-Bretagne, les victimes de la crise et des inégalités aspirent depuis longtemps à un changement de politique. Mais l'histoire de la Gauche en France est particulière. Depuis 1920 une divergence d'analyse existe en son sein. Entre les deux thèses, les Français ont choisi lors des derniers scrutins.
C'est donc autour des propositions du Président de la République, François Mitterrand, que s'est opéré le regroupement. Ce sont ses propositions que mon gouvernement met en oeuvre aujourd'hui et dont tous les ministres, quelle que soit leur origine politique, sont solidaires.
En France, l'échec économique s'est accompagné d'un échec social et la Gauche se trouve donc contrainte de répondre à l'aspiration à une meilleure redistribution des ressources et des pouvoirs dans un contexte de crise. Cette situation, la France n'est pas seule à la subir. La première puissance commerciale mondiale, je veux dire la Communauté européenne, y est confrontée dans son ensemble. Pensez, par exemple, qu'on dénombre aujourd'hui dix millions de chômeurs dans la Communauté européenne et seulement huit millions d'agriculteurs.
Cette situation, vous le savez, est également celle des Etats-Unis qui comptent désormais autant de chômeurs que la Communauté Européenne.
Ce chômage est d'abord le signe dramatique de l'échec des politiques de déflation qui ont été, menées en France et dans les principaux pays occidentaux.
C'est dans ce contexte, national et international, que nous sommes arrivés au pouvoir pour y mener une nouvelle politique.
Cette nouvelle politique je voudrais en situer l'enjeu, en exposer les objectifs et définir les règles du jeu que nous proposons aux entrepreneurs et à nos partenaires commerciaux.
I - L'ENJEU.
Les Français, en nous confiant la responsabilité du pouvoir, ont clairement marqué trois priorités à notre politique : la lutte contre le chômage, la réduction des inégalités et le déblocage de la négociation sociale.
L'évolution de l'économie mondiale nous impose, de son coté, de relever trois défis : retrouver la croissance, maîtriser la nouvelle révolution technologique et bâtir un nouvel ordre économique international.
a) la première priorité de la Gauche ne peut être que la lutte contre le chômage. Nous refusons d'accepter la montée continue du sous-emploi qui, au-delà du gaspillage économique, représente un cancer social, facteur de désagrégation de nos sociétés. De là découle notre volonté de relancer l'économie, puis de retrouver la croissance, en respectant et en garantissant les grands équilibres économiques qui conditionnent le succès à long terme.
Ce qui signifie, ce qui exige aussi, à la fois la mise en oeuvre d'une politique industrielle dynamique et d'un nouveau partage du travail.
L'orientation de notre politique semblait, jusqu'à-présent, à contre-pied de celle de nos partenaires. Mais au moment où des seuils de chômage, fatidiques, sont franchis à l'étranger, l'analyse de la France est confortée et rencontre un écho croissant. Car l'Europe prend conscience qu'elle ne dominera pas la troisième révolution industrielle sans une croissance plus forte, qui est la condition nécessaire de la rénovation e son appareil productif.
b) la seconde priorité nous est dictée par le fait que la société française est aussi l'une des plus inégalitaires des pays développés. Dès son installation, le Gouvernement a donc pris des mesures destinées à améliorer la situation des Français les plus défavorisés. Ceux qui cumulent les inégalités : trop souvent, les travailleurs qui connaissent les durées de travail les plus longues sont ceux qui perçoivent les salaires les plus bas et qui voient leur santé la plus exposée dans le travail.
C'est la raison pour laquelle les réformes que nous avons entreprises ont porté sur une hausse plus rapide du salaire minimum et des bas salaires que des rémunérations moyennes ou élevées et sur une augmentation des prestations sociales.
Pour autant, la réduction des inégalités sociales n'est pas de l'égalitarisme. Il n'est pas question de généraliser à tous les avantages accordés aux Français les moins bien défendus. Le Gouvernement s'attache donc à examiner avec les partenaires sociaux des modifications dans les classifications hiérarchiques sans que les hausses du salaire minimum se répercutent automatiquement.
c) Toutefois, il nous faut tenir compte des crispations sociales dans notre pays. Rien ne sera possible si nous ne rétablissons pas un minimum de confiance dans la négociation salariale, car une telle ambition ne se décrète pas, elle suppose que tout son rôle soit rendu à la négociation. C'est la troisième priorité.
Une de mes premières initiatives a donc été de convoquer les partenaires sociaux à Matignon pour leur demander de reprendre et de conclure les négociations sur la durée du travail qui traînaient depuis 1978. Cette initiative a été le début d'un mouvement de négociations tel que la France n'en avait pas connu depuis 1968.
Mais la lutte contre le chômage et la réduction des inégalités passent aussi par une relance économique. C'est le premier défi que nous devons relever.
1) Pour rétablir la prospérité de nos économies et asseoir sur des bases solides le progrès social, il nous faut retrouver le chemin de la croissance. C'est une évidence qui a parfois été perdue de vue au cours des dernières années, mais qui retrouvera progressivement toute sa force. Ce n'est pas dans la langueur ou dans la croissance "zéro" que nous trouverons la volonté et les moyens de relever les défis de la fin du 20ème siècle. Je me félicite des programmes de relance adoptés la semaine dernière par les gouvernements allemand et belge qui contribueront à assurer une meilleure convergence des politiques économiques en Europe.
Une action concertée des grands pays industrialisés est plus que jamais indispensable. Il nous faut notamment veiller à ce que la reprise de l'économie mondiale, que l'on peut raisonnablement escompter en 1982, ne vienne pas achopper sur l'évolution désordonné des taux d'intérêt et des marchés des changes. La France a déjà fait des propositions en ce sens à ses partenaires. Sur ce point, l'accord a été complet avec le Chancelier Schmidt le 29 janvier dernier à Bonn. La France intensifiera ses efforts pour assurer une plus grande stabilité des flux de capitaux, des taux de change et des taux d'intérêt.
2) En second lieu, il nous faut relever le défi de la nouvelle révolution industrielle et technologique.
La France a fait un double choix : celui d'une politique offensive et volontariste en matière d'investissement, de recherche, de développement de nouvelles technologies ; celui de l'ouverture sur le monde en matière d'échanges commerciaux, industriels, financiers et humains. Entre ces deux démarches, il n'y a pas opposition, mais complémentarité. Un effort mieux ordonné peut et doit aller de pair avec un renforcement de la coopération internationale.
3) Enfin, le temps nous paraît venu de jeter les bases d'un nouvel ordre économique international, qui passe par l'établissement de relations différentes, mutuellement avantageuses entre le Nord et le Sud, entre les pays développés et les pays en voie de développement. La France considère qu'elle a un rôle exemplaire à jouer à cet égard. Elle ne pourra cependant pas le tenir seule. Il nous faut unir nos efforts, gouvernements, industriels, financiers, investisseurs afin de répondre à l'immense attente des peuples qui n'ont pas encore accédé au développement économique et à la satisfaction des besoins sociaux les plus élémentaires.
II - LES OBJECTIFS.
Ces priorités et ces défis comment le Gouvernement français entend-il y faire face ?
Je voudrais, à ce stade, préciser nos objectifs.
Pour simplifier, je n'en développerai que deux qui fondent l'originalité de notre politique.
A) Notre premier objectif pour remettre en marche la machine économique sans engendrer de déséquilibres insupportables, pour obtenir une croissance à la fois plus soutenue, plus équilibrée et plus durable, c'est :
- Sur la demande, parce qu'il n'y a pas de reprise possible de l'investissement et de l'embauche sans progression des carnets de commande, sans accroissement des débouchés de l'industrie et du commerce. C'est une idée simple, de bon sens mais qui semble avoir été perdue de vue dans de nombreux pays occidentaux depuis quelques années. Comment espérer une reprise de l'investissement et de la croissance quand la demande est insuffisante ? Pour enclencher la reprise, il faut donner à la demande une impulsion initiale. C'est ce que nous avons fait en juin et juillet derniers pour la consommation des ménages et la relance de la construction.
Les résultats de cette action sont maintenant tangibles. La demande de produits industriels a sensiblement progressé depuis l'été dernier ; le mouvement de déstockage s'est interrompu. Les enquêtes de conjoncture dans le commerce ne laissent aucun doute : la reprise est forte et régulière.
Le Gouvernement a décidé d'aller ainsi au maximum de la croissance possible : cette année, 3%.
- Mais en même temps que l'effort de stimulation de la demande, nous croyons à la nécessité d'une action vigoureuse sur l'offre. Il faut éviter que l'augmentation de la demande dépasse nos capacités de production, aggrave le déficit extérieur et accélère l'inflation. Il convient donc que l'industrie française soit en état de répondre à l'accroissement des débouchés.
C'est l'un des objectifs prioritaires du budget 1982 : l'importance des incitations à l'investissement, à la recherche, à l'innovation, au développement de technologies nouvelles vise à élargir les capacités et à améliorer la compétitivité de notre appareil de production. Car nous pensons qu'il n'y a pas de réponse à la crise économique sans une volonté de redressement et de développement industriel.
Dans ce but, le tissu industriel français doit s'adapter aux grandes mutations technologiques en cours et faire face à un environnement international troublé par les fluctuations du dollar, et l'apparition de nouveaux concurrents.
Notre politique industrielle est volontariste, mais elle doit demeurer pragmatique. Il n'y a pas pour nous de secteurs ou de branches condamnés, il y a simplement du sous-investissement, des technologies à moderniser, des produits à améliorer, des équipes à dynamiser.
L'effort d'investissement qu'exige cette modernisation de notre appareil productif implique que des ressources importantes d'épargne longue soient mobilisées en faveur de l'industrie. C'est l'un des objectifs de la réforme bancaire que nous avons engagée.
- Relance, croissance, politique industrielle ambitieuse. Voilà nos priorités. Mais nous savons que la maîtrise des grands équilibres est la condition nécessaire de la réussite de notre politique.
Nous ne sommes pas des monétaristes. Il ne faut pas compter sur nous pour appliquer en France les idées de Milton Friedman ou de ses disciples, qui portent, à notre sens, une lourde responsabilité dans la terrible crise que traverse aujourd'hui l'économie mondiale. Mais nous sommes pleinement conscients que sans une monnaie stable, une inflation contenue, une épargne abondante et des circuits financiers en bon état de marche, rien ne sera possible.
a) Il n'y a pas antagonisme entre la lutte contre le chômage et la politique de décélération de l'inflation que nous avons entamée. Nous ne considérons pas qu'une relance maîtrisée de la demande et de l'activité économique soit inflationniste, elle permet au contraire d'améliorer l'utilisation des capacités de production, de réduire les coûts unitaires de l'industrie, de ranimer une productivité qui s'essouffle dans la récession.
Souvenez-vous : au lendemain de l'arrivée de la Gauche au pouvoir, comme ils étaient nombreux ceux qui annonçaient la faillite de l'économie française, l'inflation galopante et le désordre social. La Gauche à tiré les leçons de l'expérience. La hausse des prix est demeurée de 14 % en 1981, soit le même résultat que le gouvernement précédent en 1980. Et au dernier trimestre de 1981, nous avons ramené le rythme d'inflation à 12 %.
C'est encore trop. Nous souhaitons, à la fin 1982, avoir ramené le rythme de hausse des prix à 10 %.
b) Il est indispensable d'asseoir ce redressement sur des bases financières saines. La politique monétaire demeurera stricte afin de stabiliser le taux de liquidité de l'économie et d'obtenir une progression de la masse monétaire de l'ordre de 13 % en 1982.
L'ajustement monétaire de l'automne dernier a été une opération techniquement réussie. Elle a été ratifiée par les marchés des changes. Depuis le mois d'Octobre, le franc s'est constamment situé dans la partie supérieure du système monétaire européen. La Banque de France a remboursé la quasi totalité de l'endettement à court terme que nous avions contracté auprès de nos partenaires. Nos réserves de change en devises ont été reconstituées. Au taux de change actuel, la compétitivité des exportateurs français est assurée.
Nous confirmons ainsi, dans les faits, l'attachement de la France à la stabilité et à la solidarité monétaire européenne.
Sur le plan des échanges extérieurs, le déficit a été légèrement inférieur en 1981 à celui enregistré en 1980 (59 milliards de F au lieu de 60,5) en dépit de la reprise économique et d'une hausse du cours du dollar de 35 % qui gonflent nos importations en valeur.
En 1982, le déficit de la balance courante devrait se stabiliser par rapport à 1981. La qualité de la signature française sur les marchés internationaux permet d'envisager un financement de ce déficit, sans tension excessive, par voie d'emprunts à moyen et long terme des entreprises françaises sur le marché international et sur les marchés étrangers de capitaux.
c) Pour financer l'ambitieux programme d'investissements publics et privés qui est le nôtre, le gouvernement compte sur un développement de l'épargne, notamment de l'épargne la plus stable qui s'investit en valeurs mobilières. Des mesures incitatrices seront prises en ce sens. Elles intéresseront à la fois les obligations et les capitaux à risques.
Le marché financier français demeure étroit par rapport à ses homologues étrangers. Il doit donc s'élargir et se moderniser.
Les réformes concernant l'unification du marché, la dématérialisation des titres, la création d'un marché "en continu" sur les valeurs les plus actives seront progressivement mises en oeuvre dans les prochains mois.
Enfin, si un rôle dynamique est imparti aux finances publiques dans la relance de l'économie, nous sommes conscients de la nécessité d'utiliser nos marges de manoeuvre avec prudence et modération et de contenir le déficit global des finances publiques à 3 % du PIB. Ce niveau est inférieur à celui enregistré dans la plupart des pays étrangers.
Dans la période actuelle où tout doit être fait pour favoriser une reprise de l'investissement, nous aurons le souci de ne pas alourdir les charges fiscales des entreprises.
- Réamorcer la croissance dans le respect des grands équilibres, telle est donc la première arme de notre lutte contre le chômage. Mais cette croissance ne suffit pas. En effet, chaque année arrivent sur le marché du travail français 750 000 jeunes. 500 000 emplois seulement sont libérés par les départs en retraite. Une croissance de 3 % peut nous permettre de créer, au plus, 150 000 emplois. Pour absorber l'augmentation de la population active et pour commencer à résorber la masse des 2 millions de chômeurs, il faut donc qu'aux effets de la croissance s'ajoutent ceux d'un nouveau partage du travail. C'est la seconde originalité de notre politique économique.
Le gouvernement a pris une série de mesures dans ce sens. Les premières concernent la réduction et l'aménagement de la durée du travail.
Alors que le chômage augmentait à un rythme effrayant depuis 1975, la durée du travail ne baissait pratiquement plus. Il fallait réduire la durée du travail pour accroître le nombre d'emplois créés ou libérés.
Pour atteindre 35 heures effectives de travail en 1985, nous avons fixé une première étape à 39 heures. Nous avons limité les heures supplémentaires autorisées au cours d'une année, sans pour autant ignorer les contraintes auxquelles les entreprises doivent faire face. Nous avons généralisé la cinquième semaine de congés payés. Enfin, pour les salariés qui travaillent en continu, les 35 heures par semaine deviendront effectives dès 1983.
C'est un progrès social décisif qui se réalise.
Travailler moins individuellement pour travailler plus collectivement, telle doit être en effet notre règle de conduite.
Mais il convient de ne pas avoir de la réduction du temps de travail une conception simplement distributive. Lié aux progrès techniques, le partage du travail peut être l'un des éléments importants de l'adaptation de l'appareil de production à la compétition internationale. Il peut contribuer à l'amélioration des conditions du travail. C'est pourquoi l'aide de l'Etat et des organismes financiers et bancaires pourra être accordée aux investissements nécessaires à la modification des processus de production et de l'organisation du travail.
Dans le même esprit, le gouvernement a décidé de passer avec les entreprises de toute nature, les établissements publics et les collectivités locales, des contrats de solidarité. Par ces contrats, l'Etat aide les employeurs à lier des réductions sensibles ou des aménagements de la durée du travail à une augmentation de leurs effectifs. Il rend possible l'embauche de chômeurs par des départs anticipés et volontaires à la retraite. Il favorise partout toutes les initiatives créatrices d'emplois.
Le contrat est clair. C'est aux chefs d'entreprise qu'il appartient de créer ou de libérer des emplois. Le gouvernement assure en contrepartie les compensations financières et les évolutions réglementaires ou législatives.
Partager le travail, ce n'est pas ouvrir un droit à la paresse. Bien au contraire, le partage du travail sera d'autant plus facile que sera développée la compétitivité des entreprises. La réduction de la durée du travail peut être réalisée, sans trop peser sur les charges des entreprises si la productivité augmente.
Le gouvernement est donc très attentif aux conditions de la réduction de la durée du travail. Les entreprises doivent trouver dans une meilleure utilisation des équipements, dans une plus grande souplesse d'organisation, la contrepartie à un éventuel alourdissement des charges salariales, alourdissement que je souhaite d'ailleurs voir limité.
Qui dit partage du travail dit en effet, simultanément, partage du revenu. Ce partage du travail, ce partage du revenu, seront d'autant plus faciles que chacun prendra conscience de l'indispensable effort de solidarité nationale pour extirper le chômage.
Pour les chefs d'entreprises, cela signifie avoir confiance dans l'avenir, investir et embaucher. Pour les Français, c'est accepter une évolution modérée des revenus et une organisation du travail qui permette d'augmenter la productivité globale de l'économie française.
Pour que chaque travailleur français puisse travailler moins il faut que les machines tournent davantage et que les services publics et les administrations soient ouverts plus longtemps aux usagers.
III - LES RECLES DU JEU
Le souci de la santé des entreprises est, chez nous, constant. Nous savons bien qu'il n'y a pas d'économie prospère sans entreprises rentables et sans entrepreneurs efficaces. Pour être efficaces, nous savons que les entrepreneurs ont besoin de connaître les règles du jeu. Celles que nous mettons en place n'ont d'autres buts que de permettre aux chefs d'entreprises d'exercer leur dynamisme et leur imagination - en un mot leur esprit d'entreprise - au bénéfice de la productivité et de la compétitivité de l'appareil productif d'une part, au bénéfice de l'emploi et du progrès social d'autre part.
A cet égard, je préciserai notre doctrine sur deux points essentiels :
- le rôle des nationalisations et le jeu de la concurrence dans notre système d'économie mixte,
- l'ouverture sur l'extérieur de l'économie française et l'attitude du gouvernement à l'égard des investissements étrangers.
1) Le gouvernement français a décidé, vous le savez, de nationaliser un ensemble de grands groupes industriels et de banques. Cela ne change pas les caractéristiques de l'économie française. 80 % de la valeur ajoutée de l'industrie demeurera le fait d'entreprises privées.
Depuis la fin de la seconde guerre mondiale, l'économie française est mixte. Le secteur privé et le secteur public cohabitent et coopèrent, car la tradition historique de notre pays a toujours placé l'Etat à l'origine des grands efforts d'équipement et des grandes options industrielles.
Dans aucun grand pays industriel les gouvernements ne se désintéressent du développement et de la complémentarité des entreprises. Selon les traditions historiques, les liens entre l'Etat et les industriels prennent des formes variées.
Le Japon ne nationalise pas, mais il a mis en place un système invisible associant l'Etat et le secteur privé, qui permet à ses grandes entreprises d'être très entreprenantes, en les libérant des contraintes immédiates de rentabilité. Cette informatique japonaise, dont nous craignons et admirons les performances, existerait-elle si les constructeurs avaient dû se soumettre au critère exclusif du profit ?
L'Allemagne Fédérale ne nationalise pas. Encore que ses deux plus grandes entreprises soient publiques, ce que l'on oublie trop souvent. Mais elle joue des "cartels de crise" pour donner, elle aussi, à ses entreprises la bouffée d'oxygène dont elles ont be soin.
Nous, nous nationalisons.
Les nationalisations ne sont pas pour nous une fin en soi, mais un moyen. Ce que nous avons voulu par la nationalisation, c'est donner à ces groupes un actionnaire qui joue pleinement son rôle et qui leur permette de se donner des objectifs à long terme en matière d'investissements et de dépenses de recherche. Notre pays pourra ainsi avoir les moyens d'une politique industrielle et technologique ambitieuse.
A côté du secteur public, le secteur privé continuera bien entendu d'assurer un rôle capital puisqu'il représentera plus de deux tiers de l'activité industrielle et les trois-quarts des emplois.
Il n'est pas question de soustraire les groupes publics aux règles de la concurrence mondiale. Ils ne bénéficieront d'aucune facilité particulière sur le plan des financements à long terme ou des commandes publiques. Ils continueront à avoir la rentabilité comme indicateur de réussite et d'efficacité.
Le gouvernement maintiendra enfin la liberté des prix dans tous les secteurs où la concurrence s'exerce, notamment pour l'ensemble des produits industriels.
La nationalisation des banques sera le point de départ d'une réforme en profondeur de notre système bancaire et financier que le gouvernement engagera dès cette année.
Cette réforme, qui sera nécessairement une oeuvre de longue haleine, sera conduite avec pragmatisme et en concertation étroite avec les milieux professionnels concernés. Elle concernera l'ensemble des réseaux : banques commerciales, établissements mutualistes et coopératifs, caisses d'épargne, réseau postal.
J'en indique seulement aujourd'hui les principes généraux :
- l'efficacité de notre système financier suppose le maintien du pluralisme des établissements et une amélioration des conditions de la concurrence entre réseaux.
Le pluralisme, c'est à la fois la possibilité pour le client de choisir sa banque et pour le banquier d'accepter ou de refuser l'octroi d'un crédit. L'amélioration de la concurrence signifie la résorption progressive d'un certain nombre de privilèges ou de monopoles qui nuisent à l'efficacité des circuits de collecte de l'épargne et distribution du crédit.
- la politique de régionalisation et de décentralisation engagée au plan administratif devra également trouver sa traduction dans notre système financier ;
- les banques seront incitées, dans le cadre des orientations générales du plan, à intervenir plus activement, et sous des formes nouvelles, dans un certain nombre de domaines : aide à. la création d'entreprises, apport en fonds propres aux petites et moyennes entreprises, prêts participatifs, etc.
- enfin, nous attachons la plus grande importance au maintien et au développement du réseau international des banques françaises et des relations d'affaires qu'elles ont nouées avec leurs homologues étrangères.
2) Car, pour nous, l'ouverture sur l'extérieur de l'économie française est une nécessité et j'ajouterai une chance.
Je tiens à dissiper toute équivoque. Notre politique économique n'ignore pas les réalités de la compétition internationale. Elle ne nous conduira pas à un repli sur l'hexagone qui serait source de régression.
L'économie française a tiré des bénéfices considérables de son ouverture sur l'extérieur et du développement des échanges internationaux. Grâce au dynamisme de ses grands groupes industriels et de ses moyennes entreprises, la France a su affronter la concurrence internationale et se hisser parmi les cinq premiers exportateurs mondiaux. Cet effort sera poursuivi.
En ce qui concerne la politique d'accueil des investissements étrangers, je sais bien que la France n'a pas toujours eu l'image d'un pays particulièrement facile et accueillant. Cette image, héritée du passé, le gouvernement entend la corriger. La France se doit, en ce qui concerne les investissements étrangers, d'avoir une politique ouverte et positive.
Nous connaissons la dureté de la compétition économique internationale. La France n'aura pas une attitude frileuse. Elle a tout à gagner en assumant cette compétition de manière dynamique et en s'ouvrant sur le monde.
Notre attitude est ouverte et pragmatique en matière d'investissements étrangers. Nous l'avons démontré ces derniers mois.
C'est ainsi que les Pouvoirs Publics ont favorisé par exemple, la réalisation de plusieurs projets importants d'origine nord-américaine.
Je citerai :
- la modernisation de l'usine FORD de Bordeaux,
- l'implantation d'activités nouvelles dans le domaine de la "bureautique" dans l'usine de Neuville en Ferrain de RANK XEROX,
- la création de deux unités de production de téléphonie privée dans les Vosges par le groupe canadien MITEL,
- dans le domaine alimentaire, le rachat et le développement de la Société PAULET, par le groupe HEINZ.
Comme vous le voyez, qu'il s'agisse de modernisation, de diversification, de création d'unités nouvelles ou de rachat d'entreprises, notre attitude a été positive, parce que ces investissements se traduiront par un apport de technologie, un développement de nos exportations ou des créations d'emplois.
Tels sont en effet les trois critères fondamentaux dont nous tiendrons compte pour apprécier les projets d'investissements étrangers :
D'abord l'emploi :
Comme vous le savez, dans notre système d'aides pour l'aménagement du territoire, qui s'applique de la même façon aux entreprises françaises et étrangères, le volume des subventions est calculé en fonction du nombre d'emplois crées dans les zones prioritaires : Nord et Est de la France, Ouest, Sud-Ouest et Massif Central. Ce système sera beaucoup plus attractif d'ici quelques semaines, car le montant des aides va être doublé.
Ensuite, la technologie :
Notre industrie maîtrise les technologies les plus avancées, qu'il s'agisse de l'atome, de l'espace, de l'aéronautique ou de l'électronique. Néanmoins, dans tel ou tel secteur particulier, l'arrivée d'une firme étrangère peut nous permettre d'acquérir une technologie nouvelle, et un savoir-faire qui se diffuseront peu à peu dans notre tissu industriel.
Enfin, l'impact sur la balance commerciale :
La France, qui dépend largement de l'extérieur pour ses matières premières, doit avoir une politique d'exportation hardie. A cet égard, le rachat d'un réseau commercial en France par une entreprise étrangère ne présente guère d'intérêt à nos yeux, s'il n'est pas accompagné d'un développement de la production sur le territoire national, et des exportations.
Telles sont les "règles du jeu" que nous affichons et que nous entendons suivre en matière d'investissements étrangers en France.
J'ajouterai, que cette ouverture de notre part suppose la réciprocité quant à l'accueil des investissements français à l'étranger. Nous entendons en effet les développer. A cet égard, je n'ai aucune inquiétude concernant l'attitude du Gouvernement américain.
Mesdames et Messieurs, toute notre politique économique, tout l'effort de redressement que nous avons engagé, repose sur une exigence : investir.
C'est elle qui commande en profondeur le rétablissement d'un dynamisme équilibré de l'économie française. Les politiques conjoncturelles doivent tenir le plus grand compte de cette exigence.
Les grands équipements nationaux - chemin de fer, routes, ports enseignement, télécommunications, ... - ne demanderont pas, dans l'ensemble, des engagements aussi élevés qu'au cours des vingt cinq dernières années. Il y a cependant encore place pour des programmes de travaux de grande ampleur : mise à grand gabarit des voies navigables de la partie nord du pays, modernisation de ports et déconcentration du réseau routier principal par exemple. En outre, la modernisation constante des équipements est nécessaire pour tirer parti des innovations techniques. Dans le domaine du logement, on peut s'assigner des objectifs sensiblement plus ambitieux qu'au cours des années soixante dix, surtout si, comme il est souhaitable, on combine les opérations d'amélioration de l'habitat et son adaptation à une utilisation économe de l'énergie. Mais, c'est surtout dans l'industrie et les services qu'un important effort d'investissement est une condition fondamentale du développement équilibré de l'économie.
Les raisons de cette priorité sont bien connues. En premier lieu, la formation du capital dans le secteur productif a été relativement faible depuis 1973. A cet égard, la France est le seul grand pays à ne pas avoir connu une véritable phase de récupération depuis le premier choc pétrolier. Le cumul de l'augmentation des charges sociales et des effets de la stagnation économique a fini par asphyxier la petite et moyenne entreprise.
Or, trois phénomènes rendent le développement de l'économie moderne particulièrement dépendant du renouvellement des équipements et des modes de production.
- Les spécialisations inhérentes à la mondialisation de l'industrie et des services.
- La crise de l'énergie qui a périmé nombre d'équipements et de techniques de production.
- Enfin, les prodigieux progrès de la recherche et de la technique.
On parle fréquemment aujourd'hui, et à juste titre, de" 3ème révolution industrielle", de "reconstruction de l'appareil productif", de "stratégie industrielle". C'est ce que nous devons réussir ensemble. C'est à relever ce défi que je ne cesse d'appeler les chefs d'entreprise français. C'est à ce défi que sont confrontées toutes les économies et d'abord les économies occidentales. Tous les investisseurs, nationaux ou étrangers, qui sont prêts à le relever avec nous au service de l'emploi et dans le respect des autonomies nationales, peuvent compter sur la coopération du Gouvernement Français.
Gardez en mémoire l'idée que le peuple français, en portant la Gauche au pouvoir, a renoué avec sa grande tradition d'émancipation. Il s'efforce de définir la voie d'un nouveau mode de développement, plus respectueux des hommes et des ressources. Car l'humanité ne souffre pas de surproduction, bien au contraire. Elle souffre du désordre de la production et de l'inégalité de la répartition. Il nous faut, tous ensemble, apporter des solutions à ces maux.
Nous, responsables politiques, et vous, chefs d'entreprises, avons, dans ce domaine, une responsabilité commune. Celle de surmonter les déséquilibres actuels afin de garantir durablement la paix.Voilà, Mesdames et Messieurs, ce que signifie la nouvelle orientation de la politique française. J'ai eu le plaisir d'ouvrir vos travaux en vous en exposant les orientations essentielles. Plusieurs des membres de mon Gouvernement en développeront certains aspects particuliers.