Déclaration de M. Harlem Désir, secrétaire d'Etat aux affaires européennes, sur la sécurité de l'Union européenne, à Paris le 1er septembre 2016.

Prononcé le 1er septembre 2016

Intervenant(s) : 

Circonstance : Séance plénière "Pour une Europe au service de la sécurité" (semaine des ambassadeurs)(anciennement conférence des ambassadeurs), à Paris le 1er septembre 2016

Texte intégral


Madame la Présidente de la Commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale,
Monsieur le Secrétaire général adjoint de l'ONU,
Monsieur le Commissaire,
Monsieur le Président,
Mon Général,
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
Mesdames, Messieurs,
Nous avons voulu que la dernière partie de cette journée consacrée à l'Europe porte sur l'Europe au service de la sécurité.
Cette question occupe désormais une place centrale dans l'agenda européen et était déjà très présente dans la table ronde de ce matin.
Notre conviction, c'est que l'Europe devra à l'avenir y consacrer autant d'efforts, d'énergie et de moyens qu'elle n'en a consacrés aux questions économiques dans les soixante premières années de son histoire.
L'Europe est aujourd'hui entourée de crises, de guerres et de menaces. Elle est frappée par le terrorisme. Sécurité intérieure et sécurité extérieure ne peuvent être détachées.
L'Europe ne survivra pas comme ensemble politique si elle n'est pas capable d'assurer elle-même sa sécurité.
Il y a là une nécessité historique parce qu'il n'y a pas d'espace politique viable s'il n'est pas capable de se protéger lui-même et une nécessité politique parce que c'est une exigence, peut-être même la première, des citoyens.
Or, l'Europe n'a pas été bâtie historiquement autour de ces questions mais autour de politiques économiques.
Elle est donc peu et mal équipée institutionnellement, politiquement, peut-être même mentalement, pour les traiter.
Cependant, il y a aujourd'hui une prise de conscience dans de nombreux pays. Elle se traduit d'ailleurs par une augmentation des budgets de défense. Elle doit nous permettre d'avancer et de progresser, pragmatiquement mais résolument.
La France souhaite donc que l'Union puisse sortir plus forte de ces épreuves et plus crédible sur ce terrain aux yeux des Européens, comme du reste du monde.
1. Le principal bouleversement de ces dernières années, c'est la multiplication des crises et des menaces, que nous avions souvent identifiées depuis quelques années mais qui sont devenues réelles et immédiates :
- l'action des réseaux terroristes, qui planifient et conduisent des attaques sur notre sol depuis les zones de crises, en Syrie, en Irak, et les risques que représente la situation en Libye et au Sahel ;
- les conséquences de crises non résolues dans notre voisinage qui perturbent la stabilité et les équilibres politiques européens, en créant des situations d'urgence et des drames humanitaires. C'est le cas de la crise des réfugiés ;
- les risques liés aux politiques de puissance et au retour des logiques d'empire qui se manifestent à nos frontières. La crise ukrainienne a joué un rôle décisif dans la prise de conscience des nouvelles menaces. Mais il n'y a pas qu'un pays qui soit tenté par un néo-impérialisme ;
- les enjeux de cyber sécurité et de cyber défense ;
- enfin, de nouvelles menaces, alliant influence et propagande, qui commencent à émerger.
2. Il faut donc répondre.
Pour cela l'Europe n'est pas totalement démunie.
Elle a, au cours des dernières années, renforcé sa politique de sécurité et de défense commune, la PSDC, qui a montré son efficacité en plusieurs occasions à travers notamment ses nombreuses missions et opérations militaires, même si ce n'est pas suffisamment connu.
17 opérations et missions de PSDC sont aujourd'hui en cours et les deux dernières années ont permis le déploiement de plusieurs actions sur le terrain, avec trois nouvelles actions militaires (EUFOR RCA, EUNAVFOR MED Sofia, dont le mandat vient d'être élargi à la mise en oeuvre de l'embargo sur les armes au large de la Libye et à la formation des garde-côtes, et la mission de conseil et d'assistance militaire EUMAM RCA à laquelle a succédé le 16 juillet dernier l'EUTM RCA), et deux nouvelles missions civiles (EUCAP Sahel Mali et EUAM Ukraine).
La politique de sécurité et de défense commune, outil qui nous permet d'agir sur le haut du spectre des crises, est donc devenue un outil central pour l'action extérieure de l'Union européenne.
Elle a permis de développer une approche globale des conflits grâce à la conjugaison des moyens civils et militaires, à l'articulation avec les autres instruments de l'action extérieure de l'Union européenne et à la coopération avec les autres grands partenaires : l'ONU, l'OTAN, l'Union africaine, les États-Unis.
Mais nous devons aller au-delà. Pour cela, il nous revient d'abord de mettre en oeuvre rapidement l'ensemble des décisions prises en 2013 et 2015, en particulier l'initiative de renforcement des capacités en appui à la sécurité et au développement (CBSD, ex «train & equip»), qui fait encore trop cruellement défaut à nos EUTM.
L'Union européenne a également fait preuve d'une réactivité forte et d'une grande solidarité, lorsqu'après les attaques terroristes du 13 novembre, la France a invoqué la clause de solidarité, c'est-à-dire l'article 42.7 du traité sur l'Union européenne, prévue en cas d'agression armée contre le territoire d'un État membre. C'était la première fois et nos partenaires ont répondu d'une manière remarquable en acceptant, sous des formes diverses, d'apporter un soutien politique et militaire à nos opérations extérieures. Nous devons prendre appui sur cet élan de cohésion.
Pour faire face à ces menaces et à la menace terroriste, nos pays ont besoin d'être forts, de consacrer plus de moyens à leur sécurité et, en même temps, de coopérer davantage ensemble, de façon approfondie et continue, qu'il s'agisse des capacités, des opérations ou du renforcement de nos industries de défense.
Comme tous les États membres, la France est convaincue qu'elle a besoin, pour sa propre sécurité, d'une Europe plus forte.
3. Il est donc aujourd'hui nécessaire de réinvestir fortement cette question de la sécurité européenne
L'action européenne est aujourd'hui trop limitée. Tout d'abord, les objectifs que nous nous sommes fixés n'ont pas été atteints dans de nombreux domaines. Je pense par exemple à l'objectif d'Helsinki consistant à pouvoir déployer 60.000 hommes en 60 jours pour une durée d'un an (Helsinki Headline Goal). Nous n'y sommes pas. Les groupements tactiques de l'Union européenne, les GTUE, qui doivent être aptes à entrer en premier sur un théâtre d'opérations, n'ont jamais été déployés.
Nous connaissons aussi les difficultés rencontrées dans les opérations et missions européennes, notamment pour la génération de force et le financement.
On peut comprendre que, dans un domaine très sensible pour les États membres, qui met en jeu la souveraineté, où l'histoire, les traditions, les règles d'engagement ne sont pas les mêmes, l'élaboration d'une action européenne ne soit pas facile.
Mais nous faisons face aux mêmes menaces, auxquelles aucun pays ne peut répondre seul et qui nous visent pour ce que nous sommes et ce que nous représentons collectivement : des sociétés de liberté, démocratiques, diverses.
L'Europe doit donc apprendre à se protéger, se défendre, à projeter de la stabilité. Elle doit assurer elle-même sa sécurité, dans toutes ses dimensions : la sécurité des personnes, la sécurité des territoires, la sécurité des frontières et la projection de la sécurité, y compris loin de ses frontières.
Les États doivent donc s'engager et se coordonner beaucoup plus fortement pour donner à l'Europe les moyens de cette nouvelle mission.
La PSDC, telle qu'elle est, n'est plus suffisante. Nous devons renforcer cette politique et l'inscrire dans un cadre d'action plus large.
La Stratégie globale pour la politique extérieure et la sécurité en Europe, présentée par la Haute Représentante, dresse de ce point de vue un diagnostic partagé sur notre environnement international, les défis et les menaces. C'est un point de départ important. L'Europe doit agir en suivant le fil conducteur de ce texte, c'est-à-dire l'affirmation de son autonomie stratégique.
Nous devons donc prendre les décisions qui servent nos objectifs communs et qui garantissent notre liberté d'agir dans le monde, en fonction de nos intérêts et de nos valeurs.
Au-delà des mots, c'est la mise en oeuvre qui importe : nous ne devons pas seulement définir une vision, mais en tirer les conséquences et nous doter des moyens nécessaires.
C'est pour cette raison que la France attache une grande importance à la déclinaison opérationnelle, concrète, de la Stratégie globale.
4. Il faut d'abord penser à ce que les États membres peuvent et doivent faire mieux au service de l'Europe. Cela implique de redoubler d'efforts et de créativité pour mobiliser les instruments existants et les décliner de manière plus concrète. Notre objectif est désormais de gagner en rapidité dans le processus décisionnel et en efficacité dans la mise en oeuvre.
Il faut progresser dans plusieurs domaines : en particulier le renforcement du financement commun des opérations, une chaine de commandement permanente au niveau européen, l'interopérabilité, la réalisation d'une action préparatoire dans le domaine de la recherche et du développement de défense, un semestre européen pour les capacités de défense, l'acquisition de capacités propres dans des secteurs clé, le développement d'une analyse commune, le renforcement de la base industrielle et technologique de défense.
Beaucoup de ces propositions ont été présentées par Jean-Marc Ayrault et Frank-Walter Steinmeier en juin dernier.
Ces enjeux constituent pour nous, le président de la République l'a rappelé, une des priorités du sommet de Bratislava, le 16 septembre, qui doit fixer la feuille de route d'une nouvelle impulsion européenne.
Et nous lions les deux dimensions de cette priorité à la sécurité.
La première, c'est un plan pour la protection des frontières extérieures de l'Europe. Cela passe par le déploiement de nouveaux garde-frontières européens, le contrôle systématique des entrées et des sorties du territoire européen, le renforcement de la coopération dans la lutte contre le terrorisme.
La deuxième dimension est celle de la défense européenne que je viens d'évoquer.
Nous souhaitons donc que la discussion s'engage avec les 27 sur ce sujet et proposons la création d'un fonds européen de sécurité et de défense. À terme, les États qui veulent souscrire à des objectifs plus ambitieux pourront constituer une coopération structurée permanente, dans le cadre prévu par les traités.
Mesdames et Messieurs,
L'Europe est confrontée au défi de la sécurité, autour duquel elle n'a pas été construite. Nous avons beaucoup fait ces dernières années pour alerter, sensibiliser, poser les jalons d'une relance, avec en particulier les conclusions du Conseil européen de décembre 2013.
Mais la multiplication des crises, leur simultanéité, leurs conséquences dramatiques sur le territoire même de l'Union européenne, le terrorisme, ont accéléré la prise de conscience chez nombre de nos partenaires.
Nous devons maintenant, prendre les initiatives et les décisions qui nous permettront d'assurer cette responsabilité collective : garantir la sécurité de l'Europe et des européens.
Je vous remercie.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 30 septembre 2016