Intervention de M. Michel Sapin, ministre de l'économie et des finances, sur l'immunité souveraine des Etats garantie par le droit international, à l'Assemblée nationale le 29 septembre 2016.

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Circonstance : Intervention à l'Assemblée nationale dans le cadre de la discussion du projet de loi relativ à la transparence, la lutte contre la corruption et la modernisation de la vie économique, le 29 septembre 2016

Texte intégral

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Je veux dire, à la suite de M. le député, qu'il s'agit d'un sujet important, qui mérite d'être examiné sans que les uns et les autres utilisent des termes qui pourraient être considérés comme blessants, ce qui est toujours inutile.
Je ne reviendrai pas sur les difficultés juridiques d'application de ces amendements, mais elles sont réelles ; le dispositif que vous proposez ne serait que très difficilement applicable. Toutefois, ce n'est pas le sens principal que vous lui donnez. Le sens principal, c'est d'essayer de répondre à la situation actuelle, en particulier à une décision qui serait prise unilatéralement par les États-Unis. Vous connaissez la situation : le Congrès a adopté des textes qui sont contraires, de manière flagrante, au droit international. Il se croit autorisé à le faire, mais si ces dispositions devaient être mises en oeuvre, elles donneraient bien évidemment lieu à des recours pour contradiction avec le droit international.
Fort heureusement, il existe malgré tout un droit international, et un certain nombre de juridictions internationales qui sont là pour ça. Après, c'est toujours très compliqué, très long, et cela pose la question de la puissance des États. On sait tout cela, on peut relativiser - mais la réalité est celle-là.
Je vous rappelle que, compte tenu de la gravité de cette décision unilatérale, le président Obama - pour lequel nous pouvons tous, je pense, avoir une certaine admiration quant à la rectitude - s'y est opposé par l'intermédiaire du veto. S'il a mis son veto en tant que Président des États-Unis, ce n'est pas juste comme ça, par amusement politicien. C'est parce que l'image des États-Unis est en jeu, et peut-être aussi un intérêt supérieur des États-Unis, à savoir le respect des règles internationales, de l'ordre international - sachant que nous condamnons par ailleurs tel ou tel pays précisément parce qu'il ne respecte pas cet ordre international.
Le raisonnement qui est le vôtre, monsieur le député, est le suivant : «Puisqu'un État viole ou est en train de violer l'ordre international, eh bien, il faut que nous fassions pareil». Je vous laisse imaginer ce qui se passerait si, dans la vie quotidienne, tout le monde raisonnait de la même manière ! Je ne pense pas que ce soit une bonne manière de faire. Ce n'est pas un bon exemple à donner que de dire : «Vous le violez ? Nous le violons !» - car nous violerions le droit international si nous le faisions. Je ne sais pas quelle serait la capacité du Conseil constitutionnel en pareil cas ; il est très compliqué de savoir ce qui, du point de vue du droit international, s'impose ou ne s'impose pas aux États. Je ne veux pas préjuger de la question, car je ne suis pas professeur de droit international public ; je ne le suis pas, ne l'ai pas été et ne le serai pas demain. Je suis donc totalement incapable de me prononcer sur la question, mais je pense qu'il y aurait quand même un problème.
Je termine. L'enjeu est important, en termes d'image : parce qu'un grand pays s'apprête à violer le droit, il faudrait qu'un autre grand pays, membre des plus grandes instances de l'ONU, notamment du conseil de sécurité, viole le droit ? Je ne crois pas que ce serait une bonne manière de faire. Ce ne serait pas une bonne façon de donner à la France la place qui est la sienne et de lui conserver le rang qui est le sien. (...).
source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 5 octobre 2016