Déclaration à la presse de M. Jean-Marc Ayrault, ministre des affaires étrangères et du développement international, sur la situation à Alep en Syrie et sur la crise migratoire, à Rome le 12 octobre 2016.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Réunion avec M. Paolo Gentiloni, ministre italien des affaires étrangères et de la coopération internationale et M. Frank-Walter Steinmeier, ministre fédéral des affaires étrangères allemand, à Rome (Italie) le 12 octobre 2016

Texte intégral

* Syrie - Russie
(...)
Il y a des urgences qui nous ont rassemblés aujourd'hui. La première que Paolo Gentiloni vient d'évoquer c'est la Syrie. Sur la Syrie, nous sommes évidemment consternés par la situation à Alep. Ces images que des millions et des millions, des centaines de millions d'habitants de la planète voient avec consternation exigent, encore plus, que soit mis fin aux bombardements sur Alep, que soit mis fin au massacre de la population civile, des femmes, des enfants, des hôpitaux détruits, une population sans aucune aide alimentaire depuis plusieurs jours et sans aide humanitaire depuis des mois. C'est une situation intolérable. Les responsabilités sont claires. Nous les avons évoquées. C'est le régime de Bachar al-Assad soutenu par ses alliés, la Russie et l'Iran.
Donc nous appelons, encore, et avec force et conviction, à l'arrêt des bombardements. C'est la priorité. C'est le préalable à tout le reste. Nous ne nous lasserons pas de le faire et de nous battre pour convaincre, en particulier la Russie, qu'il n'y a pas d'autres voies. Parce que pour nous, c'est très clair, la seule sortie possible de ce drame syrien, c'est la reprise des négociations politiques, la reprise du processus politique et la reprise du processus de paix conformément aux résolutions du conseil de sécurité des Nations unies. Pour cela, il y a un préalable. C'est l'arrêt des bombardements et l'accès humanitaire. Et ensuite, tout sera possible. C'est en tout cas notre volonté, notre détermination.
(...)
Q - Le président russe a accusé cette après-midi la France d'avoir envenimé la situation par les initiatives qu'elle a prises sur la Syrie. Je voulais savoir ce que vous pouvez lui répondre. Je voulais savoir si la France, l'Italie, l'Allemagne seraient prêtes à envenimer davantage la situation, pour essayer de résoudre cette situation que vous avez qualifiée d'intolérable, en prenant par exemple des sanctions contre les pays qui soutiennent le régime d'Assad comme la Russie ou l'Iran.
R - D'abord je vous remercie de votre question qui me permet de répondre aux déclarations du président Poutine de cet après-midi concernant l'initiative de la France de proposer au conseil de sécurité des Nations unies une résolution qui avait pour objectif d'obtenir le cessez-le-feu à Alep et l'arrêt des bombardements, l'arrêt immédiat, et permettre l'accès de l'aide humanitaire. C'était l'objet de notre projet résolution qui a, je le rappelle, obtenu 11 voix sur 15 au conseil de sécurité. Pour y parvenir, je me suis rendu à Moscou. J'ai discuté avec Sergueï Lavrov. Je l'ai fait de manière sincère, sans arrière-pensées mais en même temps avec franchise et j'ai proposé à M. Lavrov et aux Russes de nous aider à créer les conditions de ce cessez-le-feu et l'arrêt des bombardements. Nous avons négocié jusqu'au dernier moment avec tous les pays du conseil de sécurité dont la Russie pour intégrer les amendements qui pouvaient être proposés par la Russie. Certains d'entre eux l'ont été puisque nous avons négocié de bonne foi.
Par contre, c'est vrai qu'à la fin il y a eu un désaccord. Ce désaccord portait essentiellement sur la question de l'arrêt des bombardements. C'était la divergence. Pouvions-nous accepter un projet de résolution qui ne traiterait pas de la question essentielle ? Au moment du vote, j'ai constaté que 11 pays sur 15 avaient voté cette résolution et que seuls deux pays s'y étaient opposés, la Russie et le Venezuela. Je le regrette. Nous le regrettons tous. Ce qui se passe en Syrie est tellement dramatique.
Évidemment, il faudra que les organisations internationales et le conseil de sécurité examinent les responsabilités. Le 21 octobre, il y aura un rapport qui va être présenté sur l'utilisation des armes chimiques. Il n'y a aucun doute que les responsabilités du régime seront démontrées et ensuite le conseil de sécurité devra prendre ses responsabilités. Puis, il y aura une enquête aussi sur les bombardements sur Alep et les populations civiles, sur les hôpitaux, sur les écoles, sur les installations sanitaires. Le secrétaire général des Nations unies a parlé de crimes de guerre. Cette enquête devra établir les responsabilités.
Le conseil des droits de l'Homme des Nations unies a désigné une commission animée par M. Pinheiro qui enquête depuis des mois et des mois sur toutes les violations des droits de l'Homme en Syrie. Tout cela donnera de la matière pour qu'on puisse ensuite prendre les décisions qui s'imposent, pour que les responsabilités soient établies.
Mais, pour l'heure, notre priorité n'est pas de rentrer dans un cycle de sanctions pour des sanctions. Notre priorité et notre détermination c'est de convaincre, encore une fois, pour l'arrêt des bombardements à Alep et permettre l'accès le plus rapidement possible de l'aide humanitaire et reprendre, comme je vous l'ai dit, le processus politique. Vous me parlez des Américains et des Russes et s'ils reparlent ensemble, après plusieurs semaines d'interruption, je dis tant mieux. Toutes les chances doivent être saisies.
C'est vrai qu'il y avait eu un accord le 9 septembre mais cet accord n'a jamais été mis en oeuvre. Nous-mêmes, étions à l'Assemblée générale des Nations unies, Frank-Walter Steinmeier comme Paolo Gentiloni, tous ensemble. Nous étions accrochés à cet espoir et nous l'avions, même si c'était une petite base, soutenu. Force est de constater que cet accord ne s'est jamais appliqué. Voilà la situation dans laquelle nous sommes. Et depuis quelques heures, les bombardements se sont poursuivis. Si ce ne sont pas des avions, ce sont des pièces d'artillerie, ce sont des chars qui sont postés autour d'Alep et le massacre continue. L'appel que je lance, c'est qu'on arrête ce massacre, qu'on sauve la population d'Alep. Il n'est jamais trop tard pour faire la paix.
* Union européenne - Migrations
Merci Paolo pour ton invitation. Je suis très heureux de revenir ici dans cette magnifique villa Madama et d'être à Rome. Rome qui est pour nous, européens convaincus, une source d'inspiration. C'est vrai que soixante ans après la signature du traité de Rome, l'Europe est face à de nouveaux défis. Mais nous sommes déterminés, nos trois pays, à les relever. D'ailleurs, c'est en Italie en août que nos trois pays se sont retrouvés au sommet de Ventotene et ont commencé à faire toute une série de propositions. Nous voulons prolonger ensemble ce travail et donner aux européens, aux plus sceptiques, aux plus déçus de l'Europe, un message d'espoir et de confiance. Même si un pays a décidé par son vote de quitter l'Union européenne, raison de plus pour les autres, pour les 27, de répondre concrètement avec pragmatisme, réalisme mais aussi cohérence et ambition aux défis de l'avenir en rappelant que nos pays, chacune de nos nations, avec leurs particularités, leurs personnalités, sont plus fortes ensemble pour répondre aux défis de notre temps et aux aspirations de nos concitoyens.
(...)
Nous avons évoqué la question migratoire. Nous avons évoqué la question des migrants notamment à travers la situation de l'Italie qui est aujourd'hui en première ligne. Nous avons rappelé les engagements qui ont été pris au sommet de la Valette pour aider les pays africains et poursuivre la coopération avec eux. C'est vrai que là, nous devons accélérer, monter en puissance et Paolo Gentiloni a évoqué les propositions concrètes et ambitieuses que nous avons décidé de faire ensemble.
Puis il y a la question de la Libye. La Libye, pour nous c'est un pays clé. Il faut absolument que les engagements qui ont été pris soient appliqués c'est-à-dire de reconnaître M. Sarraj comme Premier ministre mais aussi de faire en sorte que toutes les forces libyennes et la diversité libyenne se rassemblent. C'est notre objectif, car nous n'avons aucun intérêt à ce que le chaos s'installe en Libye. Au contraire, nous devons poursuivre nos efforts pour encourager les différentes forces libyennes à se rassembler, encourager les différentes forces libyennes à gérer les problèmes des libyens. Et, en ce qui nous concerne, bien entendu tout faire pour poursuivre notre action en Méditerranée centrale dans le cadre européen, c'est l'opération EUNAVFOR Med Sophia qui vise aussi à contrôler le trafic humain, le trafic de drogue et le trafic des armes. Il en va de la sécurité des libyens, il en va de la sécurité des pays voisins. Et il en va aussi de notre propre sécurité.
Nous avons évoqué la nécessité de renforcer l'Union européenne. C'est la question des frontières mais aussi la question de la politique de défense. Nous savons que c'est maintenant une priorité. La réunion de Brastislava des chefs d'États et de gouvernements l'a rappelé. Maintenant il faut travailler concrètement à la mise en oeuvre. Des propositions sont sur la table. Nous avons échangé sur nos objectifs. Nous voyons beaucoup de convergences mais aujourd'hui l'Europe doit faire face à de nouvelles menaces et, aux côtés de l'OTAN, l'Europe doit davantage s'organiser en matière de défense et de façon concrète.
Plus généralement, l'Europe doit répondre à l'attente de nos concitoyens qui sont la protection, la sécurité intérieure, la protection des frontières, la politique de défense mais aussi la protection des travailleurs dans l'Europe - la question par exemple des travailleurs détachés - mais aussi la protection de nos intérêts à l'échelle du commerce international tout en préservant une Europe ouverte qui investisse et qui prépare l'avenir. Si nous mettons en oeuvre ces priorités, alors notre conviction c'est qu'on rendra l'Europe plus lisible, plus simple, plus accessible et on retrouvera la confiance de nos concitoyens. En tout cas, nous, nous sommes convaincus, Français, Italiens, Allemands, que c'est notre responsabilité d'y travailler.
(...)./.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 17 octobre 2016