Déclaration de M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux, ministre de la justice, sur le rôle des commissaires aux comptes, à Paris le 13 septembre 2016.

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Circonstance : 80e anniversaire du commissariat aux comptes, à Paris le 13 septembre 2016

Texte intégral


Mesdames et Messieurs,
Je suis très honoré d'être parmi vous aujourd'hui, à l'occasion de l'anniversaire de votre profession.
Et je tiens à vous remercier, Monsieur le Président, de m'avoir convié.
Au XXIe siècle, la manière dont nous pouvons classer les biens, est presqu'infinie :
- il y a les biens virtuels et les biens réels,
- les biens immatériels et les biens matériels,
- les biens durables et les biens éphémères, les biens recyclables et les biens périssables.
- Les biens naturels, les biens nécessaires et les biens superflus.
Et dans cette taxinomie des biens, certaines catégories se recoupent… Ce qui a pour conséquence d'en former de nouvelles : les biens immatériels peuvent être aussi durables et virtuels, et ainsi de suite.
Mais parmi tous les biens, il en est un très singulier : il s'agit de la confiance.
- C'est un bien singulier, parce qu'il est à la fois immatériel et réel.
- Ce n'est pas un bien naturel, mais c'est un bien vital.
- Et pour ce qui est de son temps de vie, il peut passer d'une catégorie à l'autre, du recyclable au durable, de l'éphémère au périssable…
- En plus de cela, c'est ce que l'on pourrait appeler un « méta-bien », puisque c'est un bien qui permet la création de tous les autres, c'est un bien qui permet d'assurer la vie de tous les autres.
Bref, c'est un bien très particulier !
Tout cela, vous le savez très bien, puisque vous êtes les fabricants de la confiance.
Vos cabinets sont des ateliers où elle se tisse, où elle est recousue.
Le 80e anniversaire du commissariat aux comptes est donc, pour ainsi dire, le 80e anniversaire de la confiance dans le système économique.
A travers vous, à travers votre travail quotidien, c'est la confiance dans notre économie, qui est rendue possible.
C'était d'ailleurs l'un des principaux thèmes des universités d'été de votre profession, qui se sont tenues début septembre.
80 ans est un âge symbolique : c'est un âge où l'on a su s'inscrire dans la durée, asseoir sa crédibilité et sa légitimité.
C'est un âge où l'on devient une institution…
Bien sûr, ce que je dis ici s'applique à l'échelle d'une profession, et pas toujours à celle d'un individu… !
Donc, pour redevenir sérieux, votre profession a su devenir une institution.
Je m'inspire ici des travaux de l'école autrichienne sur la notion d'institution.
Le philosophe Wittgenstein la définit comme un « poteau indicateur ».
Sur les chemins jonchés d'incertitudes, une institution joue le rôle de « point de repères », qui permet à chacun d'agir, de se projeter dans le futur.
Pour reprendre les termes de l'économiste Ludwig Lachmann [prononcer : loudvik larmanne], l'institution produit un peu de prévisibilité dans un monde imprévisible.
J'aime cette définition de l'institution, parce qu'elle me semble très bien définir votre profession.
C'est donc d'abord ceci que je suis venu vous dire aujourd'hui : vous faites un magnifique métier.
Un métier, souvent méconnu de nos concitoyens.
Malheureusement.
Un métier rarement mis sous le feu des projecteurs, et qui, pourtant, permet à notre système économique de fonctionner.
La confiance, ce n'est pas l'huile dans les rouages, la confiance… Ce sont les rouages eux-mêmes !
I. Une mission d'intérêt public : garantir la sécurité financière
Lorsque la première société par actions a été créée, il n'y avait pas de commissaires pour auditer ses comptes.
C'était, - soit dit en passant -, la société des Moulins du Bazacle, au XIIIe siècle, à Toulouse ! Une ville que je sais chère à votre coeur, Monsieur le Président !
Il n'y avait pas non plus de commissaires aux comptes pour les banques, lorsqu'elles sont apparues en Italie au XVe siècle.
Ni en Angleterre ni à Amsterdam au XVIIe siècle, quand les grandes compagnies commerciales ont été créées.
C'est au XIXe siècle que le législateur a véritablement commencé à s'intéresser à l'organisation d'un contrôle des sociétés.
Mais il a fallu attendre l'après-crise de 1929, puis l'après-guerre pour que votre profession se voie conférer une place centrale dans les sociétés commerciales.
Pourquoi cette importance vous fut-elle accordée ?
Parce que la confiance dans l'information financière est une condition essentielle du fonctionnement de l'économie.
Parce que vous êtes les garants de cette confiance.
Ce que vous certifiez :
- C'est la fidélité, c'est la sincérité.
- C'est une méthode, aussi, dont vous assurez la rectitude.
C'est d'ailleurs la raison pour laquelle vous êtes la seule profession du chiffre, qui soit rattachée au ministère de la Justice.
C'est un rattachement pertinent, si l'on veut bien considérer que la justice recherche la vérité avec impartialité.
II. Faire confiance à la profession de la confiance
Si nous étudions l'histoire des lois concernant votre profession, un enseignement fondamental peut être retenu :
Des exigences plus strictes, une responsabilité accrue ne sont pas synonymes de défiance, mais au contraire de confiance.
Il n'y a là aucun paradoxe.
Il est fondamental que la qualité de l'audit et l'indépendance des auditeurs ne puissent pas être mis en doute.
La confiance des investisseurs dans les entreprises, dont les comptes sont certifiés, en dépend.
Les auditeurs français se distinguent par un niveau d'exigence déontologique élevé, au-dessus de ce que l'on constate dans l'Union européenne.
La réforme de l'audit vise à garantir et à affirmer ces qualités.
Elle marque une confiance renouvelée à l'égard de votre profession.
Pour employer les termes des textes européens : votre profession joue un rôle sociétal essentiel, en étant l'une des clefs du bon fonctionnement de l'économie.
C'est donc d'éthique qu'il s'agit.
Et cette éthique est au coeur de votre engagement professionnel.
C'est donc aussi le sceau de la réforme.
Mesdames et Messieurs, vous le savez, mon Ministère est votre ministère de tutelle.
Quel est le sens de notre action ?
Tout simplement l'intérêt général de la sécurité financière, dont vous êtes les garants.
Notre rôle est donc de mettre en place les outils, pour assurer l'exercice performant et sûr de votre activité.
Si le Haut Conseil du Commissariat aux Comptes s'affirme comme un véritable régulateur, la profession, son institution représentative, seront aussi pleinement acteurs de la nouvelle régulation.
Le Haut Conseil du Commissariat aux Comptes et les instances représentatives de la profession ne sont pas adversaires, ils ne sont pas concurrents.
Le Haut Conseil du Commissariat aux Comptes et la Compagnie doivent agir de concert.
Et en tant que ministre de la Justice, je suis le garant de cet équilibre.
Conclusion
Alors, puisque j'en arrive à ma conclusion et que nous fêtons cet anniversaire, que puis-je vous souhaiter ?
Que cet anniversaire soit l'occasion pour votre profession d'être pleinement consciente de tous ses atouts.
Faites-les connaître ! Faites-vous connaître !
Portez haut les valeurs de votre mission !
L'audit légal n'est pas une contrainte, c'est un atout pour l'entreprise !
Il permet de pointer les faiblesses, et surtout, de mettre en avant les forces !
Au-delà de l'audit légal, mais forts de votre déontologie, vous avez la possibilité de réaliser d'autres services.
Cela attirera, j'en suis convaincu, de nouveaux talents !
Je tiens à ce que votre profession demeure attractive, et les différentes mesures de la réforme qui assouplissent vos modalités d'exercice, vont dans ce sens.
Certains craignent l'avenir, pas seulement dans votre profession.
Les nouvelles technologies, et notamment la question des données et de leur traitement, changent les méthodes de travail, et l'approche même de nombreux métiers.
Mais j'ai entièrement confiance en vous, puisque vous avez toujours su aller de l'avant.
Enfin, et ce seront mes derniers mots :
L'architecte du palais d'Iéna dans lequel nous nous trouvons, Auguste Perret, a eu l'idée de construire des colonnes qui portent d'un seul jet la toiture.
Cela donne une unité fondamentale à ce bâtiment.
Si je vous explique cela, c'est parce que votre profession, quelle que soit sa diversité, a toujours su rester unie.
Et elle doit le rester, car au-delà des divergences, un mot vous fédère, comme ce toit fédère les colonnes : et ce mot, c'est la confiance.
Bon anniversaire à tous ! Je vous remercie de votre attention.
Source https://www.cncc.fr, le 18 octobre 2016