Texte intégral
Interview à France Inter le 25 septembre 2001 :
S. Paoli Comment s'en sortir ? Cette interrogation du ministre français des Affaires étrangères s'applique au Proche-Orient, alors que le Premier ministre israélien, A. Sharon, a donc une nouvelle fois reporté la rencontre prévue entre le chef de la diplomatie israélienne et Y. Arafat. C'est une question qui prend une résonance démesurée depuis le 11 septembre dernier. Vous êtes à Jérusalem, où vous poursuivez un voyage de trois jours qui vous a aussi conduit dans les territoires palestiniens. Ce premier pas, décidément, qu'est-ce qu'il est difficile à faire...
- "C'est pour cela qu'il faut faire tout ce que l'on peut pour sortir de ce blocage, pour enrayer cet engrenage dans lequel s'enfonce le Proche-Orient, depuis maintenant des mois et des mois. Je suis venu voir les Israéliens et les Palestiniens pour encourager S. Peres dans son projet, pour persuader A. Sharon d'arrêter de mettre son veto et pour, par ailleurs, inciter Y. Arafat à faire encore plus pour la maîtrise de la violence et du terrorisme. Au bout du compte, cette rencontre va finir par avoir lieu. Je ne sais pas quand, mais sans doute assez vite. En tout cas, elle est absolument indispensable. Elle ne va pas tout régler en une fois. Il faudrait que ce soit le début d'un nouveau processus, le début d'une désescalade."
On a vraiment envie de comprendre. Vous qui êtes en ce moment entre ces deux hommes, qui avez vu les deux, pourquoi cela ne fonctionne-t-il pas ? Ce sont les coalitions, chacun de leurs côtés, qui les bloquent ? Qu'est-ce qui empêche que la rencontre ait lieu ?
- "Toute sorte de mécanismes. A. Sharon dit qu'il n'est pas opposé au principe de la rencontre, mais qu'elle ne peut servir qu'à discuter d'un cessez-le-feu et absolument pas de perspectives politiques. Or, nous, les Européens - et nous sommes parfaitement d'accord entre nous et même avec les Américains -, nous disons que l'absence totale de perspectives politiques est à elle seule un facteur de violences, d'exaspérations, de désespoirs. D'autre part, A. Sharon est contesté dans sa propre majorité : une partie du Likoud lui reproche d'être trop "faible", ce qui peut étonner du point de vue de l'opinion européenne, qui lui reproche de ne pas contester le principe d'un Etat palestinien, qui lui reproche de ne pas réprimer autant qu'il le faudrait. Ceux qui le critiquent sont à sa droite sur l'échiquier politique israélien. Il faut bien voir que l'opinion israélienne a complètement basculé de ce côté-là tellement elle est traumatisée par l'insécurité, la violence et les attentats. Quant à l'opinion palestinienne, n'en parlons pas : elle est dans un tel état de désespoir et d'accablement qu'elle soutient de moins en moins la ligne raisonnable du Président Arafat et elle est tentée par des positions plus dures. De chaque côté, il y a des obstacles internes considérables à surmonter. Ce que S. Peres continue à essayer d'obtenir avec beaucoup de ténacité et de persévérance. Pourtant, il n'y a pas d'autres solutions."
Ce qui est incroyable est que chacun de son coté sait parfaitement que c'est intenable, notamment M. Sharon ?
- "C'est pour cela que je pense qu'elle finira par avoir lieu."
M. Sharon sait bien que notamment le président Bush ne pourra pas attendre très longtemps. Il va avoir besoin du soutien des Etats arabes dans peu de temps ?
- "C'est peut-être un peu plus compliqué que ce que j'ai entendu sur ce plan. Mais toujours est-il que les Etats-Unis se sont maintenant joints à l'effort européen que nous avons entamé depuis plusieurs mois déjà, avec tous les ministres européens, pour inciter Y. Arafat et A. Sharon à surmonter les obstacles. Nous poussons dans le même sens maintenant. Cette rencontre est absolument indispensable. Mais, je le répète, ce n'est pas cette rencontre en elle seule qui va tout régler. Il y a le cessez-le-feu. Mais naturellement, les Palestiniens voudront parler - et ils ont raison - des conditions de vie abominables des Palestiniens dans les territoires occupés et il faut reparler d'une façon ou d'une autre des perspectives politiques. S. Peres a tout cela en tête, mais il doit tenir compte de la coalition, du Premier ministre, de l'opinion israélienne. L'important est de réenclencher quelque chose. Là, nous sommes dans le vide."
On voit bien qu'A. Sharon continue de réclamer un cessez-le-feu tenu pendant au moins 48 heures. Quand vous avez rencontré, hier soir, Y. Arafat, est-ce qu'il vous a dit qu'il pouvait ou non garantir cela ?
- "Y. Arafat dit qu'il fait tout ce qu'il peut, en donne des témoignages. A. Sharon m'a dit hier qu'il reconnaissait que, pour la première fois, Y. Arafat s'était engagé sérieusement dans la maîtrise de la violence. Pour eux, cela ne suffit pas, les Palestiniens disent qu'ils font tout ce qu'ils peuvent. Naturellement, ils ne contrôlent pas tout, puisqu'il y a des organisations qui les combattent. L'essentiel est de démarrer."
La géométrie depuis le 11 septembre dernier a singulièrement changé. Est-ce que vous le sentez dans les discussions ?
- "Oui et non, parce que la question de la paix était tragique et le processus était urgent et indispensable avant le 11 septembre. Il l'est tout autant après. Les données de base que nous venons d'évoquer - la politique intérieure israélienne, l'état d'esprit interne au monde palestinien - n'ont pas été modifiées de fond en comble. Ce qui a changé depuis la tragédie du 11 septembre, c'est que vous voyez un réengagement américain et peut-être plus de pressions américaines de part et d'autre, pas un bouleversement total."
Mais concernant le travail que font - et ce que vous faites d'ailleurs vous-même, en ce moment - les Européens sur place, dans quel sens poussez-vous au fond pour que la reprise se fasse ?
- "Avant l'été, quand nous avons constaté ce vide dans lequel le Proche-Orient s'enfonçait, j'ai suggéré à un certain nombre de mes collègues - à commencer par le Belge, qui est président en exercice, à J. Fischer, au Britannique, à l'Espagnol, à l'Italien et d'ailleurs à beaucoup d'autres - que nous allions régulièrement au Proche-Orient pour nous relayer dans le même sens, pour persuader A. Sharon, pour encourager Arafat à aller plus loin, pour encourager Peres à persévérer et pour parler à tous ceux qui constituaient auparavant le camp de la paix du côté des Palestiniens et des Israéliens, qui sont aujourd'hui quand même extrêmement découragés, démobilisés. Nous le faisons avec peut-être encore plus d'ardeur et de conviction depuis le 11 septembre, et le sentiment qu'il y a maintenant une convergence plus grande avec les Américains, ce qui est naturellement très important. C'est cela notre objectif pour le moment. On sait bien qu'après la rencontre, quand il y en aura eu une, il en faudra une deuxième, une troisième, que la discussion s'approfondisse sur des questions de sécurité, mais aussi politiques. Il faut reconstituer après un climat, entre eux, qui permettrait de commencer à mettre en oeuvre les conclusions de la Commission Mitchell. Tout cela revenant, un jour ou l'autre, à une négociation, comme on l'avait vu l'an dernier. Parce que ma conviction est qu'il y aura toujours un peuple israélien, un peuple palestinien, côte à côte. Ils se seront faits peut-être énormément de mal entre temps, mais à un moment ou à un autre, ils devront reparler sur les conditions de leur coexistence. Et à ce moment-là, on retrouvera ce qu'on avait appelé l'an dernier "les paramètres Clinton." Il n'y a pas d'autre solution."
On mesure l'incroyable complexité de la situation.
- "Oui, mais il ne faut pas baisser les bras."
S'il se passait quelque chose, maintenant, et notamment une rencontre au Proche-Orient, cela pourrait-il modifier la posture américaine et peut-être même le type de réponse qu'elle pourrait apporter à ce qui s'est passé à New-York et à Washington ?
- "Non, parce que c'est un problème en soi. De toute façon, la paix au Proche-Orient, en tout cas interrompre l'engrenage et reprendre un processus de paix, c'est une nécessité vitale pour le Proche-Orient, pour nous, les Occidentaux, pour d'autres peuples. Ca l'était avant le 11 septembre, ça l'est tout autant, si ce n'est plus, après. Cela ne change pas les données générales, d'abord de la légitime réaction des Américains en fonction de l'article 51 de la Charte des Nations unies, après ce qu'ils ont subi par rapport aux réseaux terroristes et sans doute aussi des taliban. Et d'autre part, cela ne modifie pas les données du travail international qu'il faut entamer pour réussir à extirper le terrorisme. En combattant tout ce qui l'alimente, en traitant, à la fois des problèmes de financement, mais aussi des crises qui lui fournissent des arguments, des hommes, des dévouements, des réseaux. C'est un travail de longue haleine, qui concerne des dizaines de pays dans le monde. Et il n'y a pas un lien immédiat avec la question du Proche-Orient : même quand nous aurons atteint la paix au Proche-Orient, ce travail devra continuer. Cela reste donc un drame en soi. Il ne faut pas partir de l'idée que plus rien n'a de rapport avec ce qu'il se passait avant. D'ailleurs, on voit bien que les arguments des uns et des autres que nous citons dans cet échange sont les mêmes qu'avant. Je pense qu'on va y arriver, en tout cas à réenclencher quelque chose."
On le souhaite tous. Pensez-vous que S. Peres va rester au sein de la coalition ou qu'il va finir par se lasser et peut-être en sortir ?
- "C'est à lui d'apprécier. Mais tel que je l'ai vu, courageux déterminé, pensant que la relance de la paix au Proche-Orient est largement aujourd'hui entre ses mains, je l'ai plus vu convaincu de tout faire pour arracher l'accord du gouvernement dont il fait partie pour que cette rencontre ait lieu, c'est plus cela son objectif, que de trouver un prétexte pour sortir. La position est inconfortable, c'est évident. Il défend une vision de la relation israélo-palestinienne qui n'est pas partagée aujourd'hui, ni par la majorité des Israéliens, ni par la majorité des Palestiniens. Et je crois qu'il a raison. C'est le moment de l'aider, tout en parlant aux autres naturellement. Il faut les persuader qu'il n'y a pas d'alternative, sauf le gouffre."
Merci monsieur Védrine d'avoir répondu à l'invitation de France-Inter. Et puis j'ai envie de vous dire : "Bon courage" ! Il y a beaucoup à faire.
- "Merci, mais c'est à eux qu'il faut le dire."
(Source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 26 septembre 2001)
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Interview à TV5 le 26 septembre 2001 :
Q - Monsieur le Ministre, bonjour, vous rentrez d'un voyage en Israël et dans les Territoires palestiniens. Comment réagissez-vous à la rencontre Peres-Arafat qui vient de s'achever ?
R - C'est peut-être enfin le début que nous recherchions. Depuis des mois et des mois, le Proche-Orient s'enfonçait dans une spirale et une aggravation sans fin. Nous avons beaucoup travaillé pour que cette rencontre ait lieu, les Américains, les Européens. Durant ces trois jours que j'ai passé en Israël et chez les Palestiniens, j'ai à mon tour fait tout ce que j'ai pu pour convaincre Ariel Sharon qu'il a raison de vouloir la sécurité pour le peuple d'Israël, mais qu'il faut chercher la sécurité par des moyens qui ne sont pas seulement militaires, sinon il n'y arrivera pas. Donc un processus politique. J'ai tout fait pour encourager Shimon Pères, qui voulait cette rencontre mais qui en avait été empêché à plusieurs reprises, et j'ai également tout fait pour convaincre Yasser Arafat qu'il fallait cette fois-ci saisir l'occasion. L'effort que j'ai accompli venait après d'autres efforts européens, avant d'autres efforts. Nous, Européens, sommes très présents, nous nous passons le relais. L'objectif, maintenant que cette rencontre a eu lieu et qu'Ariel Sharon, Shimon Peres et Yasser Arafat ont eu de façon différente le courage de la vouloir et de l'accepter, c'est que cette rencontre soit le début d'un processus et non pas une rencontre isolée. Je constate que déjà ils envisagent une autre rencontre pour la semaine prochaine, qu'ils se sont mis d'accord sur un calendrier, donc il faut repartir.
Q - Il a semblé à différents moments qu'Ariel Sharon était un peu incité, notamment par la diplomatie européenne ou américaine, à accepter ces rencontres. Vous avez discuté avec lui, est-il sincèrement désireux de reprendre les négociations ?
R - C'est un homme avec qui on peut parler en réalité. Ce qu'il veut, c'est la sécurité pour Israël. Et quand on lui dit : "Vous voyez bien que les moyens militaires, employés jusqu'ici, ne donnent pas la sécurité. N'opposez pas la sécurité par des moyens militaires et de répression à la recherche d'une solution politique. Complétez les deux, associez les deux démarches. Ce n'est pas sa ligne, ce n'est pas sa vision, ses convictions, mais c'est quelqu'un qui écoute. Ce que je constate, c'est qu'il a fini par accepter cette rencontre, qu'il ne voulait pas, à un moment donné. Je crois comprendre qu'il est déjà d'accord pour la deuxième rencontre. L'important, c'est qu'il ne parle pas que de sécurité. C'est très important la sécurité, pour les Israéliens comme pour les Palestiniens, mais il faut aussi parler des conditions de vie des Palestiniens dans les Territoires occupés, et elles sont insupportables, absolument insupportables. Et d'ailleurs indéfendables à aucun point de vue. Il faut que cela revienne à un processus politique. Nous avons les instruments : la Commission Mitchell, il y a quelques mois, est parvenue à des conclusions acceptées par tout le monde et qui dessinent le cheminement pour que l'on puisse reprendre des discussions politiques. Un jour, je l'espère, j'en suis sûr même, on reviendra à des discussions comme celles qui avaient eu lieu à la fin de l'année 2000. On n'en est pas là, mais il faut aller dans ce sens et tout notre effort, désormais, doit aller dans ce sens pour consolider ce qui s'est passé entre Peres et Arafat, en réalité entre Sharon et Arafat.
Q - Il vous semble qu'il y a une ligne homogène entre Peres et Sharon ? N'y a-t-il pas deux approches politiques contradictoires à l'intérieur de ce gouvernement ?
R - C'est un gouvernement de coalition. Ils ont des points de vue différents, tout le monde le sait. On en parle toute la journée, c'est évident. Sauf qu'ils se sont mis d'accord pour que cette rencontre ait lieu. Il faut regarder les faits : la rencontre a finalement eu lieu, un calendrier en sort. Il faut tout faire pour que, pendant cette période et après la deuxième rencontre, il n'y ait pas d'événement qui fournisse des prétextes pour arrêter tout cela. Il n'y pas de véritable sécurité sans la recherche d'une solution politique, et la solution politique doit être recherchée. On ne peut pas laisser le Proche-Orient s'enfoncer dans cet abîme.
Q - Il y a eu une intense activité diplomatique de la France et de l'Europe au cours de ces derniers mois, il a semblé que les Américains étaient relativement absents. N'avez-vous pas eu cette impression dans vos contacts avec, notamment, Georges Bush ?
R - C'est un peu dépassé. Pendant un certain temps, les Etats-Unis ne voulaient pas se mêler des affaires du Proche-Orient, en première ligne. La nouvelle administration considérait que le président Clinton avait vraiment fait tout ce qu'il était possible de faire et que cela n'avait pas marché, ils étaient donc un peu plus attentistes. Ils voyaient d'ailleurs d'un bon il, contrairement à l'administration Clinton qui, sur ce point, était plus possessive, que les Européens s'engagent plus et, notamment, l'idée que nous avions lancée avant l'été d'un relais presque permanent de ministres européens qui vont sur place, parce que nous sommes très homogènes entre Européens, maintenant, sur cette question. Je note d'ailleurs que ces derniers jours, le président Bush et M. Powell ont manifesté un intérêt réel pour la recherche de la paix au Proche-Orient. Aujourd'hui, les efforts américains et européens sont très convergents, et le fait que cette rencontre ait pu finalement avoir lieu est lié à ce contexte.
Q - Au lendemain des attentats aux Etats-Unis, à New York et sur le Pentagone à Washington, on a senti une communauté internationale très soudée. Où en est-on aujourd'hui et les Américains ont-ils à présent demandé aux Européens une aide militaire, ou seulement des bases, ou bien en est-on simplement aux phases de l'information réciproque ?
R - Il faut distinguer l'action militaire américaine en représailles au titre de la légitime défense, en tout cas de l'article 51 de la Charte des Nations unies et d'autre part la coalition politique à long terme contre le terrorisme. Il y a aujourd'hui une réunion à Bruxelles des ministres de la Défense de l'OTAN où le numéro deux du Pentagone a expliqué qu'il n'avait pas de demande à faire à ses alliés. Il les tient informés. Sur le plan militaire, on voit que les Etats-Unis ont été cruellement meurtris par ces attentats et ces milliers de morts, mais d'une part, profondément blessés dans leur fierté nationale, d'abord parce qu'ils se pensaient invulnérables, d'autre part parce qu'il s'agit de lieux très symboliques. Les Etats-Unis veulent donc réagir par eux-mêmes et ils ne cherchent donc pas spécialement à bâtir une coalition militaire. Cela ne veut pas dire qu'ils ne demanderont pas à tel ou tel pays qui disposent de moyens militaires spécialisés ou placés à un endroit stratégique telle ou telle facilité ou appui, mais ils ne cherchent pas à faire une coalition militaire à proprement parler. Les autres pays n'ont donc pas à se poser la question sous cette forme.
Par contre, ils voudraient vraiment qu'il y ait une coalition politique mondiale contre le terrorisme, mais cela ils ne sont pas les seuls à le vouloir ; tout le monde le veut. Mais cela suppose évidemment que l'on prenne des mesures drastiques, parce que réagir militairement est une chose, briser des réseaux en est une autre, asphyxier financièrement le terrorisme est encore plus ample, ce qui veut dire qu'il faut être beaucoup plus percutant dans la lutte contre le blanchiment. C'est à dire qu'il y a certains aspects du système financier international, des mouvements de capitaux qu'il faut mieux contrôler. Il faut lutter contre tout ce qui alimente le terrorisme, ce ne sont pas que des idéologies démentes : il y a des situations de désespoir, d'humiliation nationale, de pauvreté infinie, de sentiments de rejet. Tout cela ne crée pas l'idéologie extrémiste, mais l'alimente en permanence. C'est donc un travail pour des années et vous voyez bien que cela ramène à des problèmes du monde que nous avions parfaitement en tête avant le 11 septembre. La France est l'un des pays les plus engagés sur ces questions Nord-Sud, du développement, des crises régionales, au Proche-Orient et ailleurs. Nous sommes dans une situation où il ne faut pas seulement lutter contre le terrorisme, mais aussi contre tous les problèmes graves qui affectent ce monde.
Q - Vous n'êtes pas surpris justement par la gestion de cette crise par les Etats-Unis - il ne s'est rien passé en tant que tel au plan militaire ?
R - Je trouve qu'ils gèrent cette situation avec beaucoup de sang-froid, un grand sens des responsabilités. Le président Bush et M. Powell ont dit, tout de suite, qu'il n'était pas question de réagir précipitamment et à l'aveugle. Tout de suite, ils ont souligné qu'il s'agissait de détruire des réseaux terroristes et évidemment pas de se lancer dans des opérations contre le monde arabe et musulman. Ils ont, tout de suite, vu le danger de l'amalgame, ils ont, tout de suite, vu que c'était un calcul pervers des auteurs des attentats, jusqu'ici ils ont très bien réagi.
Q - Le monde entier est concerné par cette stratégie, on peut penser à des pays modérés comme l'Egypte qui s'interrogent sur la participation à une telle coalition. Il y a une mobilisation mondiale derrière cette stratégie selon vous ?
R - Je constate qu'il y a une mobilisation quasiment mondiale pour la lutte contre le terrorisme. Ensuite les pays discutent en fonction de leur expérience en disant "je pense que pour lutter efficacement il faut faire ceci ou cela". Les pays ont différentes conceptions sur la façon d'extirper, d'éradiquer les racines du terrorisme. C'est normal et si l'on bâtit des coalitions, ce sont des coalitions entre alliés ; donc on discute, mais l'objectif me paraît mondialement clair. Mais, encore une fois, cela ne se substitue pas au travail que nous devons faire dans le monde tel qu'il est pour réduire l'écart entre les pauvres et les riches, pour que les institutions mondiales soient plus consensuelles et plus efficaces, pour que tout sorte de crises terribles et non résolues trouvent des solutions. Cela doit se combiner.
Q - Monsieur le Ministre, si l'on conclut sur la France, toujours en situation exceptionnelle de cohabitation. Pour gérer une telle crise, est-ce que cela vous pose le moindre problème ?
R - Non pas du tout, les rôles constitutionnels et politiques du président de la République et du Premier ministre sont tout à fait clairs, chacun est dans son rôle, assume ses responsabilités, et quand on voit le président de la République s'exprimer ou faire des voyages très importants comme celui qu'il a fait à Washington et à New York, c'est précédé de concertations. Il en parle au Premier ministre, au ministre concerné. Le gouvernement exerce toutes ses responsabilités en ce qui concerne la sécurité des Français : le plan Vigipirate renforcé, et tout ce qui en découle, et d'autre part en ce qui concerne l'activité économique. Et vous n'avez pu noter aucune contradiction sur ces différents points. La France se montre à la hauteur de ce type de circonstances et elle se montre forte.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 28 septembre 2001)
S. Paoli Comment s'en sortir ? Cette interrogation du ministre français des Affaires étrangères s'applique au Proche-Orient, alors que le Premier ministre israélien, A. Sharon, a donc une nouvelle fois reporté la rencontre prévue entre le chef de la diplomatie israélienne et Y. Arafat. C'est une question qui prend une résonance démesurée depuis le 11 septembre dernier. Vous êtes à Jérusalem, où vous poursuivez un voyage de trois jours qui vous a aussi conduit dans les territoires palestiniens. Ce premier pas, décidément, qu'est-ce qu'il est difficile à faire...
- "C'est pour cela qu'il faut faire tout ce que l'on peut pour sortir de ce blocage, pour enrayer cet engrenage dans lequel s'enfonce le Proche-Orient, depuis maintenant des mois et des mois. Je suis venu voir les Israéliens et les Palestiniens pour encourager S. Peres dans son projet, pour persuader A. Sharon d'arrêter de mettre son veto et pour, par ailleurs, inciter Y. Arafat à faire encore plus pour la maîtrise de la violence et du terrorisme. Au bout du compte, cette rencontre va finir par avoir lieu. Je ne sais pas quand, mais sans doute assez vite. En tout cas, elle est absolument indispensable. Elle ne va pas tout régler en une fois. Il faudrait que ce soit le début d'un nouveau processus, le début d'une désescalade."
On a vraiment envie de comprendre. Vous qui êtes en ce moment entre ces deux hommes, qui avez vu les deux, pourquoi cela ne fonctionne-t-il pas ? Ce sont les coalitions, chacun de leurs côtés, qui les bloquent ? Qu'est-ce qui empêche que la rencontre ait lieu ?
- "Toute sorte de mécanismes. A. Sharon dit qu'il n'est pas opposé au principe de la rencontre, mais qu'elle ne peut servir qu'à discuter d'un cessez-le-feu et absolument pas de perspectives politiques. Or, nous, les Européens - et nous sommes parfaitement d'accord entre nous et même avec les Américains -, nous disons que l'absence totale de perspectives politiques est à elle seule un facteur de violences, d'exaspérations, de désespoirs. D'autre part, A. Sharon est contesté dans sa propre majorité : une partie du Likoud lui reproche d'être trop "faible", ce qui peut étonner du point de vue de l'opinion européenne, qui lui reproche de ne pas contester le principe d'un Etat palestinien, qui lui reproche de ne pas réprimer autant qu'il le faudrait. Ceux qui le critiquent sont à sa droite sur l'échiquier politique israélien. Il faut bien voir que l'opinion israélienne a complètement basculé de ce côté-là tellement elle est traumatisée par l'insécurité, la violence et les attentats. Quant à l'opinion palestinienne, n'en parlons pas : elle est dans un tel état de désespoir et d'accablement qu'elle soutient de moins en moins la ligne raisonnable du Président Arafat et elle est tentée par des positions plus dures. De chaque côté, il y a des obstacles internes considérables à surmonter. Ce que S. Peres continue à essayer d'obtenir avec beaucoup de ténacité et de persévérance. Pourtant, il n'y a pas d'autres solutions."
Ce qui est incroyable est que chacun de son coté sait parfaitement que c'est intenable, notamment M. Sharon ?
- "C'est pour cela que je pense qu'elle finira par avoir lieu."
M. Sharon sait bien que notamment le président Bush ne pourra pas attendre très longtemps. Il va avoir besoin du soutien des Etats arabes dans peu de temps ?
- "C'est peut-être un peu plus compliqué que ce que j'ai entendu sur ce plan. Mais toujours est-il que les Etats-Unis se sont maintenant joints à l'effort européen que nous avons entamé depuis plusieurs mois déjà, avec tous les ministres européens, pour inciter Y. Arafat et A. Sharon à surmonter les obstacles. Nous poussons dans le même sens maintenant. Cette rencontre est absolument indispensable. Mais, je le répète, ce n'est pas cette rencontre en elle seule qui va tout régler. Il y a le cessez-le-feu. Mais naturellement, les Palestiniens voudront parler - et ils ont raison - des conditions de vie abominables des Palestiniens dans les territoires occupés et il faut reparler d'une façon ou d'une autre des perspectives politiques. S. Peres a tout cela en tête, mais il doit tenir compte de la coalition, du Premier ministre, de l'opinion israélienne. L'important est de réenclencher quelque chose. Là, nous sommes dans le vide."
On voit bien qu'A. Sharon continue de réclamer un cessez-le-feu tenu pendant au moins 48 heures. Quand vous avez rencontré, hier soir, Y. Arafat, est-ce qu'il vous a dit qu'il pouvait ou non garantir cela ?
- "Y. Arafat dit qu'il fait tout ce qu'il peut, en donne des témoignages. A. Sharon m'a dit hier qu'il reconnaissait que, pour la première fois, Y. Arafat s'était engagé sérieusement dans la maîtrise de la violence. Pour eux, cela ne suffit pas, les Palestiniens disent qu'ils font tout ce qu'ils peuvent. Naturellement, ils ne contrôlent pas tout, puisqu'il y a des organisations qui les combattent. L'essentiel est de démarrer."
La géométrie depuis le 11 septembre dernier a singulièrement changé. Est-ce que vous le sentez dans les discussions ?
- "Oui et non, parce que la question de la paix était tragique et le processus était urgent et indispensable avant le 11 septembre. Il l'est tout autant après. Les données de base que nous venons d'évoquer - la politique intérieure israélienne, l'état d'esprit interne au monde palestinien - n'ont pas été modifiées de fond en comble. Ce qui a changé depuis la tragédie du 11 septembre, c'est que vous voyez un réengagement américain et peut-être plus de pressions américaines de part et d'autre, pas un bouleversement total."
Mais concernant le travail que font - et ce que vous faites d'ailleurs vous-même, en ce moment - les Européens sur place, dans quel sens poussez-vous au fond pour que la reprise se fasse ?
- "Avant l'été, quand nous avons constaté ce vide dans lequel le Proche-Orient s'enfonçait, j'ai suggéré à un certain nombre de mes collègues - à commencer par le Belge, qui est président en exercice, à J. Fischer, au Britannique, à l'Espagnol, à l'Italien et d'ailleurs à beaucoup d'autres - que nous allions régulièrement au Proche-Orient pour nous relayer dans le même sens, pour persuader A. Sharon, pour encourager Arafat à aller plus loin, pour encourager Peres à persévérer et pour parler à tous ceux qui constituaient auparavant le camp de la paix du côté des Palestiniens et des Israéliens, qui sont aujourd'hui quand même extrêmement découragés, démobilisés. Nous le faisons avec peut-être encore plus d'ardeur et de conviction depuis le 11 septembre, et le sentiment qu'il y a maintenant une convergence plus grande avec les Américains, ce qui est naturellement très important. C'est cela notre objectif pour le moment. On sait bien qu'après la rencontre, quand il y en aura eu une, il en faudra une deuxième, une troisième, que la discussion s'approfondisse sur des questions de sécurité, mais aussi politiques. Il faut reconstituer après un climat, entre eux, qui permettrait de commencer à mettre en oeuvre les conclusions de la Commission Mitchell. Tout cela revenant, un jour ou l'autre, à une négociation, comme on l'avait vu l'an dernier. Parce que ma conviction est qu'il y aura toujours un peuple israélien, un peuple palestinien, côte à côte. Ils se seront faits peut-être énormément de mal entre temps, mais à un moment ou à un autre, ils devront reparler sur les conditions de leur coexistence. Et à ce moment-là, on retrouvera ce qu'on avait appelé l'an dernier "les paramètres Clinton." Il n'y a pas d'autre solution."
On mesure l'incroyable complexité de la situation.
- "Oui, mais il ne faut pas baisser les bras."
S'il se passait quelque chose, maintenant, et notamment une rencontre au Proche-Orient, cela pourrait-il modifier la posture américaine et peut-être même le type de réponse qu'elle pourrait apporter à ce qui s'est passé à New-York et à Washington ?
- "Non, parce que c'est un problème en soi. De toute façon, la paix au Proche-Orient, en tout cas interrompre l'engrenage et reprendre un processus de paix, c'est une nécessité vitale pour le Proche-Orient, pour nous, les Occidentaux, pour d'autres peuples. Ca l'était avant le 11 septembre, ça l'est tout autant, si ce n'est plus, après. Cela ne change pas les données générales, d'abord de la légitime réaction des Américains en fonction de l'article 51 de la Charte des Nations unies, après ce qu'ils ont subi par rapport aux réseaux terroristes et sans doute aussi des taliban. Et d'autre part, cela ne modifie pas les données du travail international qu'il faut entamer pour réussir à extirper le terrorisme. En combattant tout ce qui l'alimente, en traitant, à la fois des problèmes de financement, mais aussi des crises qui lui fournissent des arguments, des hommes, des dévouements, des réseaux. C'est un travail de longue haleine, qui concerne des dizaines de pays dans le monde. Et il n'y a pas un lien immédiat avec la question du Proche-Orient : même quand nous aurons atteint la paix au Proche-Orient, ce travail devra continuer. Cela reste donc un drame en soi. Il ne faut pas partir de l'idée que plus rien n'a de rapport avec ce qu'il se passait avant. D'ailleurs, on voit bien que les arguments des uns et des autres que nous citons dans cet échange sont les mêmes qu'avant. Je pense qu'on va y arriver, en tout cas à réenclencher quelque chose."
On le souhaite tous. Pensez-vous que S. Peres va rester au sein de la coalition ou qu'il va finir par se lasser et peut-être en sortir ?
- "C'est à lui d'apprécier. Mais tel que je l'ai vu, courageux déterminé, pensant que la relance de la paix au Proche-Orient est largement aujourd'hui entre ses mains, je l'ai plus vu convaincu de tout faire pour arracher l'accord du gouvernement dont il fait partie pour que cette rencontre ait lieu, c'est plus cela son objectif, que de trouver un prétexte pour sortir. La position est inconfortable, c'est évident. Il défend une vision de la relation israélo-palestinienne qui n'est pas partagée aujourd'hui, ni par la majorité des Israéliens, ni par la majorité des Palestiniens. Et je crois qu'il a raison. C'est le moment de l'aider, tout en parlant aux autres naturellement. Il faut les persuader qu'il n'y a pas d'alternative, sauf le gouffre."
Merci monsieur Védrine d'avoir répondu à l'invitation de France-Inter. Et puis j'ai envie de vous dire : "Bon courage" ! Il y a beaucoup à faire.
- "Merci, mais c'est à eux qu'il faut le dire."
(Source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 26 septembre 2001)
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Interview à TV5 le 26 septembre 2001 :
Q - Monsieur le Ministre, bonjour, vous rentrez d'un voyage en Israël et dans les Territoires palestiniens. Comment réagissez-vous à la rencontre Peres-Arafat qui vient de s'achever ?
R - C'est peut-être enfin le début que nous recherchions. Depuis des mois et des mois, le Proche-Orient s'enfonçait dans une spirale et une aggravation sans fin. Nous avons beaucoup travaillé pour que cette rencontre ait lieu, les Américains, les Européens. Durant ces trois jours que j'ai passé en Israël et chez les Palestiniens, j'ai à mon tour fait tout ce que j'ai pu pour convaincre Ariel Sharon qu'il a raison de vouloir la sécurité pour le peuple d'Israël, mais qu'il faut chercher la sécurité par des moyens qui ne sont pas seulement militaires, sinon il n'y arrivera pas. Donc un processus politique. J'ai tout fait pour encourager Shimon Pères, qui voulait cette rencontre mais qui en avait été empêché à plusieurs reprises, et j'ai également tout fait pour convaincre Yasser Arafat qu'il fallait cette fois-ci saisir l'occasion. L'effort que j'ai accompli venait après d'autres efforts européens, avant d'autres efforts. Nous, Européens, sommes très présents, nous nous passons le relais. L'objectif, maintenant que cette rencontre a eu lieu et qu'Ariel Sharon, Shimon Peres et Yasser Arafat ont eu de façon différente le courage de la vouloir et de l'accepter, c'est que cette rencontre soit le début d'un processus et non pas une rencontre isolée. Je constate que déjà ils envisagent une autre rencontre pour la semaine prochaine, qu'ils se sont mis d'accord sur un calendrier, donc il faut repartir.
Q - Il a semblé à différents moments qu'Ariel Sharon était un peu incité, notamment par la diplomatie européenne ou américaine, à accepter ces rencontres. Vous avez discuté avec lui, est-il sincèrement désireux de reprendre les négociations ?
R - C'est un homme avec qui on peut parler en réalité. Ce qu'il veut, c'est la sécurité pour Israël. Et quand on lui dit : "Vous voyez bien que les moyens militaires, employés jusqu'ici, ne donnent pas la sécurité. N'opposez pas la sécurité par des moyens militaires et de répression à la recherche d'une solution politique. Complétez les deux, associez les deux démarches. Ce n'est pas sa ligne, ce n'est pas sa vision, ses convictions, mais c'est quelqu'un qui écoute. Ce que je constate, c'est qu'il a fini par accepter cette rencontre, qu'il ne voulait pas, à un moment donné. Je crois comprendre qu'il est déjà d'accord pour la deuxième rencontre. L'important, c'est qu'il ne parle pas que de sécurité. C'est très important la sécurité, pour les Israéliens comme pour les Palestiniens, mais il faut aussi parler des conditions de vie des Palestiniens dans les Territoires occupés, et elles sont insupportables, absolument insupportables. Et d'ailleurs indéfendables à aucun point de vue. Il faut que cela revienne à un processus politique. Nous avons les instruments : la Commission Mitchell, il y a quelques mois, est parvenue à des conclusions acceptées par tout le monde et qui dessinent le cheminement pour que l'on puisse reprendre des discussions politiques. Un jour, je l'espère, j'en suis sûr même, on reviendra à des discussions comme celles qui avaient eu lieu à la fin de l'année 2000. On n'en est pas là, mais il faut aller dans ce sens et tout notre effort, désormais, doit aller dans ce sens pour consolider ce qui s'est passé entre Peres et Arafat, en réalité entre Sharon et Arafat.
Q - Il vous semble qu'il y a une ligne homogène entre Peres et Sharon ? N'y a-t-il pas deux approches politiques contradictoires à l'intérieur de ce gouvernement ?
R - C'est un gouvernement de coalition. Ils ont des points de vue différents, tout le monde le sait. On en parle toute la journée, c'est évident. Sauf qu'ils se sont mis d'accord pour que cette rencontre ait lieu. Il faut regarder les faits : la rencontre a finalement eu lieu, un calendrier en sort. Il faut tout faire pour que, pendant cette période et après la deuxième rencontre, il n'y ait pas d'événement qui fournisse des prétextes pour arrêter tout cela. Il n'y pas de véritable sécurité sans la recherche d'une solution politique, et la solution politique doit être recherchée. On ne peut pas laisser le Proche-Orient s'enfoncer dans cet abîme.
Q - Il y a eu une intense activité diplomatique de la France et de l'Europe au cours de ces derniers mois, il a semblé que les Américains étaient relativement absents. N'avez-vous pas eu cette impression dans vos contacts avec, notamment, Georges Bush ?
R - C'est un peu dépassé. Pendant un certain temps, les Etats-Unis ne voulaient pas se mêler des affaires du Proche-Orient, en première ligne. La nouvelle administration considérait que le président Clinton avait vraiment fait tout ce qu'il était possible de faire et que cela n'avait pas marché, ils étaient donc un peu plus attentistes. Ils voyaient d'ailleurs d'un bon il, contrairement à l'administration Clinton qui, sur ce point, était plus possessive, que les Européens s'engagent plus et, notamment, l'idée que nous avions lancée avant l'été d'un relais presque permanent de ministres européens qui vont sur place, parce que nous sommes très homogènes entre Européens, maintenant, sur cette question. Je note d'ailleurs que ces derniers jours, le président Bush et M. Powell ont manifesté un intérêt réel pour la recherche de la paix au Proche-Orient. Aujourd'hui, les efforts américains et européens sont très convergents, et le fait que cette rencontre ait pu finalement avoir lieu est lié à ce contexte.
Q - Au lendemain des attentats aux Etats-Unis, à New York et sur le Pentagone à Washington, on a senti une communauté internationale très soudée. Où en est-on aujourd'hui et les Américains ont-ils à présent demandé aux Européens une aide militaire, ou seulement des bases, ou bien en est-on simplement aux phases de l'information réciproque ?
R - Il faut distinguer l'action militaire américaine en représailles au titre de la légitime défense, en tout cas de l'article 51 de la Charte des Nations unies et d'autre part la coalition politique à long terme contre le terrorisme. Il y a aujourd'hui une réunion à Bruxelles des ministres de la Défense de l'OTAN où le numéro deux du Pentagone a expliqué qu'il n'avait pas de demande à faire à ses alliés. Il les tient informés. Sur le plan militaire, on voit que les Etats-Unis ont été cruellement meurtris par ces attentats et ces milliers de morts, mais d'une part, profondément blessés dans leur fierté nationale, d'abord parce qu'ils se pensaient invulnérables, d'autre part parce qu'il s'agit de lieux très symboliques. Les Etats-Unis veulent donc réagir par eux-mêmes et ils ne cherchent donc pas spécialement à bâtir une coalition militaire. Cela ne veut pas dire qu'ils ne demanderont pas à tel ou tel pays qui disposent de moyens militaires spécialisés ou placés à un endroit stratégique telle ou telle facilité ou appui, mais ils ne cherchent pas à faire une coalition militaire à proprement parler. Les autres pays n'ont donc pas à se poser la question sous cette forme.
Par contre, ils voudraient vraiment qu'il y ait une coalition politique mondiale contre le terrorisme, mais cela ils ne sont pas les seuls à le vouloir ; tout le monde le veut. Mais cela suppose évidemment que l'on prenne des mesures drastiques, parce que réagir militairement est une chose, briser des réseaux en est une autre, asphyxier financièrement le terrorisme est encore plus ample, ce qui veut dire qu'il faut être beaucoup plus percutant dans la lutte contre le blanchiment. C'est à dire qu'il y a certains aspects du système financier international, des mouvements de capitaux qu'il faut mieux contrôler. Il faut lutter contre tout ce qui alimente le terrorisme, ce ne sont pas que des idéologies démentes : il y a des situations de désespoir, d'humiliation nationale, de pauvreté infinie, de sentiments de rejet. Tout cela ne crée pas l'idéologie extrémiste, mais l'alimente en permanence. C'est donc un travail pour des années et vous voyez bien que cela ramène à des problèmes du monde que nous avions parfaitement en tête avant le 11 septembre. La France est l'un des pays les plus engagés sur ces questions Nord-Sud, du développement, des crises régionales, au Proche-Orient et ailleurs. Nous sommes dans une situation où il ne faut pas seulement lutter contre le terrorisme, mais aussi contre tous les problèmes graves qui affectent ce monde.
Q - Vous n'êtes pas surpris justement par la gestion de cette crise par les Etats-Unis - il ne s'est rien passé en tant que tel au plan militaire ?
R - Je trouve qu'ils gèrent cette situation avec beaucoup de sang-froid, un grand sens des responsabilités. Le président Bush et M. Powell ont dit, tout de suite, qu'il n'était pas question de réagir précipitamment et à l'aveugle. Tout de suite, ils ont souligné qu'il s'agissait de détruire des réseaux terroristes et évidemment pas de se lancer dans des opérations contre le monde arabe et musulman. Ils ont, tout de suite, vu le danger de l'amalgame, ils ont, tout de suite, vu que c'était un calcul pervers des auteurs des attentats, jusqu'ici ils ont très bien réagi.
Q - Le monde entier est concerné par cette stratégie, on peut penser à des pays modérés comme l'Egypte qui s'interrogent sur la participation à une telle coalition. Il y a une mobilisation mondiale derrière cette stratégie selon vous ?
R - Je constate qu'il y a une mobilisation quasiment mondiale pour la lutte contre le terrorisme. Ensuite les pays discutent en fonction de leur expérience en disant "je pense que pour lutter efficacement il faut faire ceci ou cela". Les pays ont différentes conceptions sur la façon d'extirper, d'éradiquer les racines du terrorisme. C'est normal et si l'on bâtit des coalitions, ce sont des coalitions entre alliés ; donc on discute, mais l'objectif me paraît mondialement clair. Mais, encore une fois, cela ne se substitue pas au travail que nous devons faire dans le monde tel qu'il est pour réduire l'écart entre les pauvres et les riches, pour que les institutions mondiales soient plus consensuelles et plus efficaces, pour que tout sorte de crises terribles et non résolues trouvent des solutions. Cela doit se combiner.
Q - Monsieur le Ministre, si l'on conclut sur la France, toujours en situation exceptionnelle de cohabitation. Pour gérer une telle crise, est-ce que cela vous pose le moindre problème ?
R - Non pas du tout, les rôles constitutionnels et politiques du président de la République et du Premier ministre sont tout à fait clairs, chacun est dans son rôle, assume ses responsabilités, et quand on voit le président de la République s'exprimer ou faire des voyages très importants comme celui qu'il a fait à Washington et à New York, c'est précédé de concertations. Il en parle au Premier ministre, au ministre concerné. Le gouvernement exerce toutes ses responsabilités en ce qui concerne la sécurité des Français : le plan Vigipirate renforcé, et tout ce qui en découle, et d'autre part en ce qui concerne l'activité économique. Et vous n'avez pu noter aucune contradiction sur ces différents points. La France se montre à la hauteur de ce type de circonstances et elle se montre forte.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 28 septembre 2001)