Déclaration de M. Jean-Marc Ayrault, ministre des affaires étrangères et du développement international, sur la Grèce et l'Union européenne et sur la question chypriote, à Athènes le 25 octobre 2016.

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Circonstance : Point de presse avec son homologue grec, à Athènes le 25 octobre 2016

Texte intégral


J'ai été très heureux de m'entretenir avec le ministre des affaires étrangères grec, mon ami Nikos Kotzias.
Nous nous voyons souvent à Paris et aujourd'hui à Athènes, et lors de beaucoup de réunions que nous avons en commun, en particulier les conseils des ministres des affaires étrangères de l'Union européenne.
Aujourd'hui, je suis venu ici voir des amis pour profiter de leur hospitalité, et celle que la Grèce nous apporte, vous le savez, est toujours conforme à sa réputation. J'ai vu le président de la République, entretien très chaleureux à l'image de la qualité et de la force de l'amitié entre la France et la Grèce, mais aussi le Premier ministre, M. Tsipras, et, à l'instant, Nikos en entretien en tête-à-tête.
Nous avons ce point commun que nous parlons allemand, lui et moi, mais aujourd'hui nous avons fait un effort exceptionnel, nous avons parlé chacun dans notre langue pour aborder les sujets particulièrement importants pour poursuivre le dialogue approfondi que nous avons constamment.
Nous partageons une longue histoire et une longue amitié et de confiance, que le slogan historique célèbre, que vous connaissez sûrement, «Grèce-France-Alliance» symbolise parfaitement.
Ce slogan, qui avait aussi été celui de la Saison culturelle de la France en Grèce en 2014 est plus que jamais d'actualité pour la relation entre nos deux pays. Ce n'est pas seulement un clin d'oeil vers le passé que je fais là, mais c'est surtout la promesse de coopérations fructueuses pour l'avenir, dans l'esprit du «partenariat stratégique» que tu viens d'évoquer, Nikos, et qui a été conclu en octobre dernier à l'occasion de la visite du président de la République française, François Hollande en Grèce.
Bien sûr, nous avons abordé beaucoup de questions qui sont des préoccupations communes et qui nous mobilisent totalement :
L'afflux massif de réfugiés et de migrants, c'est le premier point que nous avons abordé. Nous avons évoqué la mise en oeuvre nécessaire de l'accord UE-Turquie. Cet accord a permis de sauver des vies, de lutter contre les réseaux de passeurs, ces passeurs qui prospèrent sur la misère des personnes jetées sur les routes, souvent à cause de la guerre mais aussi à cause de la pauvreté.
Cet accord a permis de mettre en place une gestion commune de la crise, dans l'intérêt de tous : les réfugiés, la Turquie, les États membres de l'Union européenne. Les résultats sont là, mais bien sûr ils ne sont pas suffisants. Les efforts doivent être poursuivis, nos efforts communs dans le cadre des engagements qui ont été pris. La France a pris des engagements, notamment vis-à-vis de la Grèce, en matière d'aide pour les frontières mais aussi en matière d'engagements pour les relocalisations des réfugiés en France. Ces engagements, nous les tenons et allons continuer de les tenir comme ceux que nous avons pris par rapport à l'accord UE-Turquie concernant les réinstallations en France. Nous allons donc inscrire notre soutien à la Grèce dans la durée.
Nous avons bien sûr abordé les crises, les crises majeures que connaissent l'humanité depuis la Seconde guerre mondiale, les crises les plus terribles dont la première est évidemment la guerre en Syrie, qui fait tant de malheurs, plus de 300.000 morts, 10 millions de déplacés, beaucoup de réfugiés. Notre objectif est l'arrêt des bombardements, la reprise du processus de paix. Nous avons évoqué bien sûr la lutte contre le terrorisme en Syrie, en Irak, nous avons aussi abordé la question libyenne, qui sont des défis considérables pour l'Europe. Et la condition pour les traiter c'est que l'Europe soit plus unie, qu'elle soit plus solidaire.
C'est important de rappeler cette exigence au moment où le projet européen se trouve à un tournant, depuis le «Brexit» en particulier. Donc nous avons parlé de l'avenir de l'Europe. Les efforts fournis par la Grèce et le peuple grec au cours des dernières années sont considérables. Nous, la France , avons la conviction, que «l'Europe a besoin de la Grèce, comme la Grèce a besoin de l'Europe», c'est ce qu'avait dit le président Hollande le 9 septembre dernier lorsqu'il était venu à ce sommet organisé ici, à Athènes.
Je disais que le gouvernement, le peuple grec ont fourni des efforts considérables, des sacrifices aussi. La France en est parfaitement consciente. Ces efforts étaient nécessaires. Ils ont été décidés par les autorités d'un pays souverain. Car il s'agissait de conditions prévues dans des accords signés avec les institutions européennes. Il faut que les engagements des institutions soient tenus, ils le sont : on l'a vu, lors du sommet de l'Eurogroupe le 10 octobre dernier, avec l'annonce d'un accord de principe sur le décaissement d'une partie des 2,8 milliards d'euros prévus.
Ces efforts doivent se poursuivre dans le cadre de la 2ème revue de programme d'aide qui vient de débuter. Les autorités grecques ont fait état de leur volonté de conclure cette revue rapidement, d'ici quelques semaines. C'est une détermination sur laquelle nous allons nous appuyer pour travailler tous ensemble dans cette direction.
Dans le même temps, la France est, avec d'autres États membres, engagée dans une assistance technique auprès de l'État grec, à sa demande, qui lui permettra de retrouver les moyens nécessaires à des politiques publiques ambitieuses au service de sa population.
Je sais, nous en avons parlé avec le Premier ministre, avec Nikos, qu'un règlement rapide de la question de la dette est important pour la Grèce et pour les autorités grecques. Il conditionne aussi leur retour sur les marchés. C'est en tout cas ce que dit la Banque centrale européenne et il faut donc y être attentif. Il y a encore beaucoup de travail, vous le savez, mais, en tout cas, la France souhaite non seulement que les engagements soient tenus mais que le peuple grec soit conscient que nous sommes solidaires de tous les efforts qu'il entreprend pour permettre à la Grèce de réussir le redressement qu'elle a engagé avec des premiers résultats qui sont tout à fait encourageant.
Le projet européen conserve toute sa pertinence. Il faut donc travailler à son renforcement, en mettant en oeuvre les décisions qui ont déjà été prises. J'ai évoqué la question des réfugiés : il ne faut pas seulement parler, il faut ensuite décider, et agir. C'est la base de la confiance. Pour l'avenir, l'Union européenne doit apporter des réponses concrètes à ses citoyens pour qu'ils ne soient pas tentés par l'euroscepticisme, pour que leurs problèmes soient réglés, traités, pour qu'ils soient entendus, qu'ils aient une Europe qui les protège, une Europe qui favorise leur prospérité et une Europe qui ouvre des perspectives à sa jeunesse. En tout cas nous avons, la Grèce et la France, la volonté d'y contribuer ensemble.
Nous avons aussi abordé la question chypriote. J'ai redit notre soutien aux pourparlers en cours. La réunification serait un formidable message d'espoir, de confiance dans la capacité des deux communautés à s'entendre dans le rôle que les pays de la région peuvent jouer ; mais aussi un acte majeur de confiance dans l'Union européenne avec ses valeurs et sa conception de la vie en commun.
Nous avons évoqué des pistes de coopération nouvelles, notamment dans le domaine économique, et nous avons abordé aussi rapidement, car nous avons manqué de temps, des coopérations dans les domaines de la culture, de l'éducation, de la recherche et de l'innovation.
Car nous sommes convaincus que la jeunesse est un formidable atout pour nos deux pays. C'est en tout cas l'impression que j'ai eue de mes rencontres avec des représentants de la société civile. Hier soir, à l'initiative de l'ambassadeur, j'ai en effet rencontré des acteurs de la vie culturelle, scientifique, économique. Il faut renforcer les échanges entre étudiants, renforcer la coopération en matière d'innovation.
La Grèce est l'un des pays d'Europe qui a la plus forte concentration de start-ups et cela ne se sait pas assez. Il faut le dire, le répéter et nous mobiliser davantage. L'ambassade organise bientôt un forum qui va concerner les entreprises françaises et grecques qui peuvent travailler ensemble, notamment dans le domaine de l'énergie, du développement durable. Je crois que ce sont vraiment des signes très importants que les coopérations entre la Grèce et la France existent et vont se renforcer, pour l'intérêt de chacun de nos deux pays.
Encore une fois merci, Nikos, de ton accueil. J'ai été heureux de venir chez toi, à Athènes, pour continuer de renforcer une amitié qui est sincère et forte.
Q - M. Kotzias a évoqué les positions de la partie grecque concernant le dossier chypriote, notamment la question des garanties et le régime de sécurité. Le ministre des affaires étrangères peut-il commenter ce point ?
R - Je l'ai dit brièvement déjà, la France est bien sûr très attentive aux évolutions récentes mais aussi rapides de la question chypriote, qui est un signe d'espoir depuis si longtemps. Je voudrais saluer ce qui a été entrepris qui est, je crois, le reflet d'un dialogue profond, sincère des dirigeants des deux communautés avec un objectif qui est de trouver une solution. C'est d'autant plus nécessaire que cette plaie ouverte déchire le pays depuis 1974. Vous savez que la France est membre permanent du conseil de sécurité, mais aussi de l'Union européenne. Elle soutient les négociations inter chypriotes qui doivent être fondées à nos yeux sur les paramètres des Nations unies de bizonalité, de bicommunalité avec une égalité politique mais également pleinement compatible avec l'acquis européen.
La France n'est pas une puissance garante. Elle ne veut pas intervenir, elle ne peut intervenir directement dans le processus de négociations. Je ne vais pas à Nicosie pour participer aux négociations, j'y vais pour rencontrer les différents responsables, les écouter, et participer à une réflexion commune - et nous y sommes prêts - pour la réunification de Chypre. Ce serait un message fort en faveur de la paix et de l'unité dans une région troublée. Nous avons besoin de ce type de message pour bâtir un avenir meilleur, et je crois que ce serait formidable que nous puissions en faire la démonstration et que Chypre réunifiée devienne un membre à part entière de l'Union européenne.
Q -. Vous avez évoqué la nécessité d'un règlement rapide sur la question de la dette grecque. M. Tsipras, pour sa part, souhaiterait un règlement avant fin 2016, mais l'Allemagne et notamment son ministre des finances renvoie pour le moment tout éventuel règlement à après fin 2017. Est-ce que la France a une possibilité de faire bouger la ligne allemande là-dessus ? Est-ce qu'elle en a la volonté ? Selon vous, quel serait un calendrier idéal pour un allègement substantiel de la dette grecque ?
R - Les discussions ont déjà commencé. Simplement, il faut aller vers des réponses plus concrètes, plus ambitieuses. On sait que cette question existe, et il faut la traiter.
Après, concernant le calendrier, bien sûr le Premier ministre grec souhaite avancer vite, je le comprends. Vous avez évoqué les déclarations du ministre des finances allemand qui évoque un autre calendrier. Mais si ce calendrier est lié à une échéance électorale, ce n'est pas forcément un argument suffisamment convaincant. Donc il faut avoir une approche rationnelle.
J'ai évoqué les différentes étapes des engagements européens et de la Grèce : les négociations, la 2ème revue du programme d'aide, il faut que les choses s'emboîtent au fur et à mesure. Nous savons qu'il y a une question liée à la dette grecque, d'un commun accord, tout le monde l'a admis. La Banque centrale européenne évoque elle-même la nécessité de traiter cette question si on veut que la Grèce puisse bénéficier des marchés financiers et des aides que la banque apporte à tous les pays concernés.
Je crois qu'effectivement cette question doit être abordée, et plus tôt on l'abordera - cela ne veut pas dire qu'on aura déjà la solution - mieux cela sera. Il ne faut pas laisser de doute sur la bonne volonté des uns et des autres mais travailler ensemble.
C'est une discussion, il faut l'avoir sereinement, et ne pas s'envoyer des formules, comme cela, à travers les médias. Je sais que les uns et les autres sont conscients des efforts qui ont été faits par la Grèce. Il faut en tenir compte et aider la Grèce à réussir, la Grèce qui est en train de réussir. Donc il ne faut pas perdre de temps pour consolider ce qui a été entrepris ici.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 26 octobre 2016