Interview de M. Matthias Fekl, secrétaire d'Etat au commerce extérieur, à la promotion du tourisme et aux Français de l'étranger, avec France Inter le 2 novembre 2016, sur l'Accord économique et commercial global entre l'Union européenne et le Canada.

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Média : France Inter

Texte intégral


PATRICK COHEN
Bonjour Matthias FEKL.
MATTHIAS FEKL
Bonjour.
PATRICK COHEN
Le coup de pression des Wallons ça été utile, ça vraiment changé quelque chose au CETA ou ça n'a fait que brasser du vent ?
MATTHIAS FEKL
Non, le texte du CETA n'a pas bougé et Paul MAGNETTE lui-même dit qu'il s'agit d'une déclaration belgo-belge, c'est-à-dire que...
PATRICK COHEN
Pas une virgule, souligne le Premier ministre Belge Charles MICHEL.
MATTHIAS FEKL
Oui. Mais ce qui est important c'est que Paul MAGNETTE a manifesté qu'il y avait un besoin de démocratie et moi je partage parfaitement l'idée qu'après des années et des années de négociations commerciales sur toute une série de pays qui se sont fait dans l'opacité, à l'abri des regards des citoyens et souvent même des parlementaires, il y a besoin de mettre de la démocratie et de mettre de la transparence ; et c'est ça en réalité...
PATRICK COHEN
C'est un peu tard, non ? Pourquoi maintenant, parce qu'il y a eu sept ans de négociations, la France avait dit oui, la cérémonie de signatures était programmée ? Si c'est si important, pourquoi c'est arrivé si tard ?
MATTHIAS FEKL
La France a fait un travail démocratique depuis des années, je suis allé plus de 20 fois devant le Parlement français, nous avons d'ailleurs réussi à rouvrir les négociations précisément sur l'arbitrage pour nous attaquer - et nous avons été parmi les premiers à le faire – à l'arbitrage qui est un scandale démocratique et, depuis deux ans, plus de 20 auditions parlementaires, je reçois au quai d'Orsay les syndicats, les ONG, les élus pour leur rendre des comptes et aussi pour faire bouger les choses au niveau européen. Mais la Wallonie, de par les processus des décisions européennes, arrive tard parce qu'à aucun moment pour l'instant elle n'avait été intégrée – c'est ça le problème – et il faut que dans les négociations commerciales la démocratie arrive au début parce qu'il est absolument insoutenable qu'à la fin des Parlements soient mis devant le fait accompli et puissent dire simplement oui ou non ou alors comme certains voudraient le faire simplement oui ou oui et, donc, il est important dans la refondation qui va venir maintenant de la politique commerciale européenne de mettre les Parlements au début du processus.
PATRICK COHEN
Vous par exemple député de la majorité, puis ministre, quand avez-vous appris qu'il y avait des discussions en cours avec le Canada ?
MATTHIAS FEKL
Moi quand j'ai été nommé il y a deux ans les discussions venaient d'être conclues, à quelques jours près c'était la fin des négociations.
PATRICK COHEN
Député de la majorité vous saviez qu'il y avait un…
MATTHIAS FEKL
Moi je n'étais pas dans la commission des Affaires internationales, donc je ne suivais pas ça particulièrement de près...
PATRICK COHEN
Donc vous ne le saviez pas, comme la grande majorité de l'opinion publique française ?
MATTHIAS FEKL
Mais bien sûr.
PATRICK COHEN
Donc, il y avait une opacité ?
MATTHIAS FEKL
Mais, pardon, mais c'est pour ça qu'il faut dans la refondation de la politique commerciale européenne mettre les Parlements au début. J'ai déjà fait des propositions là-dessus, vous savez qu'aux Etats-Unis les parlementaires ont le droit d'être dans le tour de table des négociations pour être informés, je me suis battu pour que les parlementaires aient accès aux documents de négociations - c'est vrai pour le TAFTA maintenant où ils ont enfin accès à cela - je me suis attaqué à l'arbitrage qui permet d'attaquer les états précisément parce que, après 30 années de dérégulation néolibérale, il y a besoin d'un retour de la démocratie et d'un retour de la puissance publique dans les négociations économiques internationales.
PATRICK COHEN
Une telle opacité sur une aussi longue période, pour un sujet qui concerne autant de monde, forcément ça laisse croire qu'il y a derrière ça des intérêts cachés ou inavouables Matthias FEKL, même si votre combat est louable...
MATTHIAS FEKL
Bien sûr, bien sûr.
PATRICK COHEN
Et donc il y a des intérêts cachés ou inavouables ?
MATTHIAS FEKL
Non. Mais maintenant le texte est entièrement en ligne, le texte tel qu'il est validé, ce qui est important c'est que les négociations le soient aussi. Je suis favorable à ce que sur des négos commerciales on puisse faire de l'open data, c'est-à-dire que les citoyens aient accès à tout en temps réel en ligne, tout ce qui est caché ne doit pas être négocié parce que ce n'est pas avouable et tout ce qui est négocié doit parfaitement pouvoir se faire, et c'est le...
PATRICK COHEN
C'est à dire le contraire de ce qui a été fait jusqu'à présent.
MATTHIAS FEKL
Mais bien sûr.
PATRICK COHEN
Ca profite à qui s'il n'y a pas d'intérêt caché, s'il y a des gagnants il y a forcément des perdants ? Etes-vous certain que le jeu en vaut la chandelle, que quelques marchés gagnés au Canada valent des protections qui sautent, des concurrences nouvelles, des normes qui pourraient être tirées vers le bas ?
MATTHIAS FEKL
Quelles normes et quelle protection sauteraient ?
PATRICK COHEN
Il y a un processus qui est prévu dans le traité, de convergence... processus de convergence des normes ?
MATTHIAS FEKL
Et pourquoi selon vous la convergence des normes avec un pays comme le Canada tirerait nécessairement les choses vers le bas ? Le Canada pour nous est un partenaire équivalent à la Roumanie, à la Thaïlande, donc vous voyez ce n'est pas demain un marché qui va venir submerger les marchés européens. Je veux dire il faut quand même qu'on soit...
PATRICK COHEN
Non, non, les normes ça peut être des normes alimentaires, environnementales.
MATTHIAS FEKL
Mais il est précisément écrit que les états – et on s'est battu là-dessus – les états conservent le droit à réguler, c'est-à-dire que les normes ne peuvent pas être attaquées ; on s'est battus pour que l‘agriculture soit défendue et jamais dans un accord commercial l'agriculture n'a été aussi bien défendue qu'avec le Canada, notamment sur les indications géographiques, nos appellations – c'est-à-dire ce que j‘ai appelé la diplomatie des territoires - tout cela est très positif ; et quand je dis : « le CETA c'est le contraire du TAFTA » pourquoi ? Parce que nous avons obtenu un accès aux marché publics canadiens, que nous avons obtenu une défense de notre agriculture et précisément parce que nous avons obtenu pour la première fois que l'on s'attaque à l'arbitrage privé pour le remplacer par des règles publiques, par des règles transparentes et par de la déontologie, c'est la première fois pendant des années que cela arrive et donc, quand les choses sont positives, il faut le dire. Il faut que l'Europe... moi je rêve d'une Europe qui s'affirme sur la scène internationale, qui fasse entendre sa voix, qui participe à la définition de règles élevées au lieu de se laisser imposer, lorsque c'est le cas il faut le dire, lorsque ce n'est pas le cas il faut le dénoncer et j'ai été le premier à tirer la sonnette d'alarme sur le TAFTA où précisément ce qui se passe c'est exactement le contraire, c'est-à-dire mépris de l'agriculture européenne et française, c'est-à-dire absence de réciprocité totale, c'est-à-dire – comment dire – refus des Etats-Unis de mettre des règles dans la mondialisation. Donc il faut regarder le fond des choses à chaque fois et la ligne rouge c'est la démocratie, c'est la transparence et ce sont les règles qui nous réussissons à imposer ou non.
PATRICK COHEN
Donc, je reviens à ma question, est-ce que le jeu en vaut la chandelle ? Qui sont les gagnants et qui sont les perdants ? Est-ce qu'il y a eu par exemple des études d'impact qui ont été réalisées pour savoir quels effets économiques ça produira, parce forcément par nature le libre-échange produit des perdants, des exclus...
MATTHIAS FEKL
Mais moi je ne suis pas du tout partisan...
PATRICK COHEN
Des emplois qui sont détruits ?
MATTHIAS FEKL
Bien sûr. Moi je suis élu du Lot-et-Garonne, dans lequel je peux vous dire qu'on a payé un lourd tribut à la mondialisation dite heureuse, avec de la désindustrialisation, avec de la crise agricole, plus de 70 productions agricoles différentes, mais c'est aussi un département qui tire sa force dans un certain nombre de secteurs - précisément dans notre capacité à exporter dans l'aéronautique, dans l'agroalimentaire - donc il faut regarder ce qu'est la France aujourd'hui, il faut arrêter de croire au dogme disant : « la mondialisation ne fait que des gagnants », ça pendant 30 ans on nous a seriné ça, c'est totalement faux, on voit bien que la désindustrialisation est à la clé, qu'il y a des – comment dire - des suppressions de règles qui ont fait que des salaires ont pu être tirés vers le bas et donc il faut le retour de la puissance publique, le retour des règles dans la mondialisation, c'est le combat de la France et c'est le combat de l'Europe que de se battre pour cela et, à chaque fois que ce type de victoire est au rendez-vous, il faut le dire. Si vous pensez, pour répondre clairement à votre question, si vous pensez que notre agriculture demain va s'en sortir en arrêtant d'exporter - alors que l'agriculture et l'agroalimentaire c'est en fonction des années le deuxième ou le troisième excédent commercial français – si vous pensez que la France va aller mieux en arrêter d'exporter des Airbus, non. Ce qu'il faut c'est cibler la mondialisation, il y a un certain nombre d'échanges qui n'ont pas de sens, ça n'a pas de sens d'importer et d'exporter des produits qui sont strictement identiques, en revanche ça a du sens de se battre pour des règles et pour une mondialisation qui respectent la démocratie...
PATRICK COHEN
Réguler donc, mais sans dresser des barrières, sans rétablir des frontières, sans revenir à des solutions purement protectionnistes, c'est ça votre credo Matthias FEKL ?
MATTHIAS FEKL
Et il y a besoin de réciprocité, il y a besoin de réciprocité, ce que l'Europe donne elle doit le recevoir en échange, et pendant trop longtemps elle a appliqué naïvement des dogmes néolibéraux, en disant : « c'est formidable, si l'on applique tout ce que dit FRIEDMAN et HAYEK il va y avoir le retour de la croissance », on voit bien que c'est faux et on voit bien que ça ne marche pas.
PATRICK COHEN
Dogmes néolibéraux, c'est la deuxième fois depuis le début de cet entretien que vous utilisez l'expression...
MATTHIAS FEKL
Mais oui, parce que c'est très marquant, c'est très marquant, c'est très marquant de voir...
PATRICK COHEN
Matthias FEKL, il y a un mois vous avez lancé votre propre mouvement « Movida », pour Mouvement pour la Vie des Idées et les Alternatives...
MATTHIAS FEKL
Oui.
PATRICK COHEN
Avec pour objectif porter la gauche de demain et vous avez dit lors du lancement de ce mouvement que vous rêviez que la gauche reprenne le pouvoir après 30 ans de néolibéralisme...
MATTHIAS FEKL
Mais oui !
PATRICK COHEN
Dernier quinquennat compris ?
MATTHIAS FEKL
Non, mais jusque assez loin dans la social-démocratie européenne ces dogmes-là, cette contrainte a été intégrée, en disant : « après tout, il faut accompagner le marché et c'est ça le rôle de la gauche », non moi je ne crois pas ça, je crois que la gauche c'est de dire qu'il y a toujours des alternatives, que la politique c'est la capacité à faire des choix et à avoir une...
PATRICK COHEN
Mais ça ne répond pas à ma question.
MATTHIAS FEKL
Si, parce que quand...
PATRICK COHEN
30 ans de néolibéralisme...
MATTHIAS FEKL
Non, mais je sais bien que la presse depuis le début considère que tout ce qui se fait dans ce quinquennat est mauvais, mais quand il y a de la...
PATRICK COHEN
Mais je ne parle pas de la presse-là, je vous parle de vous et de votre expression, de votre déclaration.
MATTHIAS FEKL
Mais je vais vous dire très clairement ! Quand il y a une revalorisation des petites retraites agricoles, comme il n'y en a jamais eue depuis 10 ans, c'est clairement qu'il y a la possibilité d'alternative ; quand il y a un combat pour la médecine pour tous, avec le tiers-payant, ça me semble...
PATRICK COHEN
D'accord ! Donc, les trois décennies néolibéralistes (sic) se sont achevées quand…
MATTHIAS FEKL
Ah ! Mais bien sûr que non, ça ne marche pas comme ça.
PATRICK COHEN
Ah ! Bon.
MATTHIAS FEKL
Mais ça c'est la magie de la Vème République que de penser que parce qu'on élit un nouveau président tous les problèmes vont être réglés comme le roi guérissait des...
PATRICK COHEN
Oui, vous êtes partisan d'une nouvelle République.
MATTHIAS FEKL
Parce que ça ne marche pas comme ça et cette pensée magique fait beaucoup de mal à la vie politique française, parce que penser que tous les cinq ans ou tous les sept ans on va régler le problème comme ça d'un coup de baguette magique on voit bien que ça ne fonctionne pas.
PATRICK COHEN
On va revenir éventuellement sur vos positions institutionnelles, Matthias FEKL, secrétaire d'Etat au Commerce extérieur.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 3 novembre 2016