Déclaration de Mme Marylise Lebranchu, ministre de la justice, en hommage à Pierre Michel, juge d'instruction assassiné le 21 octobre 1981, Marseille le 20 octobre 2001.

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Circonstance : Cérémonie commémorative à l'occasion du vingtième anniversaire de l'assassinat du juge Pierre Michel, à Marseille le 20 octobre 2001.

Texte intégral

Monsieur le Sénateur-Maire de Marseille
Monsieur le Président du Conseil régional
Monsieur le Président du Conseil général
Mesdames et Messieurs les élus
Mesdames et Messieurs les magistrats
Mesdames et Messieurs les membres du barreau
Mesdames et Messieurs les représentants des services de police et de gendarmerie,
Mesdames et Messieurs les fonctionnaires du tribunal de grande instance de Marseille,
Madame Pierre Michel,
Mesdames Emmanuelle et Béatrice Michel,
Mesdames et Messieurs
Permettez-moi d'abord de saluer l'initiative des magistrats et fonctionnaires du tribunal de grande instance de Marseille qui, avec la mairie de Marseille, ont organisé cette cérémonie.
Comment mieux montrer en cette ville, en ce lieu, où Pierre Michel a exercé ses fonctions que son souvenir est toujours présent ?
La République veut ici, par ma voix, en présence d'un représentant du Premier ministre, rendre hommage à l'un de ses plus courageux serviteurs en ce vingtième anniversaire de sa tragique disparition, le 21 octobre 1981 à l'âge de 37 ans, victime de son devoir.
Républicaine, cette cérémonie est aussi amicale et familiale.
Ce ne sont pas les seuls pouvoirs publics qui sont réunis ici, mais aussi celles et ceux qui ont travaillé avec Pierre Michel, celles et ceux qui l'ont connu et aimé, des magistrats, des fonctionnaires de justice, des membres du barreau, des représentants des services de police et de gendarmerie et bien sûr sa famille.
A cette famille éprouvée, et tout particulièrement à son épouse Madame Jacqueline MICHEL, et à ses filles Emmanuelle et Béatrice, je voudrais dire toute ma sympathie.
Aucune parole ne peut combler une souffrance que même l'écoulement du temps laisse vive, aucun hommage ne peut apporter de véritable réconfort à l'absence.
Mais qu'au moins il soit dit, publiquement, officiellement, que le souvenir de Pierre MICHEL est toujours aussi présent, que la révolte causée par sa disparition est toujours aussi vive que le chagrin des siens et de ses amis.
C'est que, vingt ans après, bien des personnes, et pas nécessairement des magistrats, des avocats, des fonctionnaires ou des marseillais passant sur cette place qui porte son nom et qu'il a souvent foulée, savent qui était Pierre Michel, ou plus exactement qui était LE juge Michel.
ll était entré dans la magistrature en 1973 après de brillantes études universitaires qui l'avaient conduit jusqu'au doctorat et lui avaient donné du droit la compréhension la plus complète, à la fois théorique et pratique, et chacun sait combien cette qualité est précieuse chez un juge d'instruction pour qui la réflexion juridique doit nourrir l'action.
Son activité professionnelle exemplaire a fait de lui un modèle, pour les magistrats qu'il a formés, pour ceux qui ont eu le privilège de travailler avec lui, pour ceux qui ont donné son nom à leur promotion, pour tous ceux qui voient à travers lui ce que peut être le dévouement au service public.
De ses investigations, je sais qu'elles ne laissaient rien dans l'ombre alors que son cabinet était spécialisé dans les affaires les plus difficiles et les plus complexes de grand banditisme et de trafic de stupéfiants.
Il fallait sa détermination, son savoir-faire, et bien sûr son courage, pour lancer des enquêtes internationales à une époque où ce type de coopération était très rare, ce qui lui a permis de remonter le premier la filière de plusieurs laboratoires clandestins de fabrication d'héroïne quand il faut souvent, même aujourd'hui, se contenter de la prise de quelques passeurs.
Dans ce combat contre le crime international, son nom reste associé à celui de Giovanni FALCONE avec qui il conduisait des enquêtes difficiles, qui était venu se souvenir ici même le 21 octobre 1986 et qui a aussi payé de sa vie son sens du devoir.
Un mois après sa disparition, les auditeurs de justice en formation à l'Ecole nationale de la magistrature ont choisi de donner le nom de Pierre MICHEL à leur promotion, apportant le témoignage collectif de leur tristesse, de leur solidarité et aussi de leur admiration pour cet aîné exemplaire, témoignage d'autant plus fort que l'usage de donner un nom à une promotion de magistrats était perdu.
Au cours du baptême de cette promotion, un auditeur de justice qui avait été formé par Pierre MICHEL a rappelé quelles étaient ses qualités humaines qui l'amenaient non seulement à se montrer inflexible dans la lutte contre la criminalité organisée mais aussi à aider à s'en sortir ceux pour qui la délinquance n'était qu'un faux pas.
Ainsi, rendre hommage à la mémoire de Pierre Michel, c'est aussi lui exprimer la reconnaissance de parents qui n'ont pas vu leur enfant s'enfoncer dans cette mortelle déchéance de la drogue.
Aujourd'hui, des gens sont en vie et ne savent pas que c'est grâce à lui, qui a su couper les fils conduisant à la mort les consommateurs de stupéfiants.
Rendre hommage à Pierre Michel, c'est satisfaire un devoir de fidélité mais aussi de solidarité de la part de l'institution judiciaire qui a perdu l'un des siens et qui, 20 ans après, se souvient comme au premier jour.
Un autre magistrat, le juge RENAUD à Lyon est aussi tombé sous les balles d'assassins. D'autres, ainsi que des fonctionnaires, ont été pris en otages, ont été agressés, ont reçu des menaces.
Des attentats ont été commis contre des bâtiments judiciaire, à Aix, à Nîmes, à Annecy et très récemment à Bastia.
Il ne s'agit pas que d'atteinte aux biens, car de tels faits sont aussi des agressions contres les personnes qui travaillent et parfois vivent en ces lieux et subissent le traumatisme de la destruction, du mépris de leur existence, causé par les ennemis de l'Etat de droit et de la démocratie.
Chacun sait enfin le nombre insupportable des deuils qui frappent chaque année les services de police et de gendarmerie et l'actualité récente est encore venu nous le rappeler cruellement.
Aux membres de cette communauté judiciaire qui accomplissent avec constance et dévouement leurs difficiles et trop souvent dangereuses fonctions je veux aussi rendre hommage et exprimer la reconnaissance de la Nation.
Cette reconnaissance, en ce jour, elle est tout particulièrement due à Pierre MICHEL, qui, au mépris des menaces et des intimidations, a servi la justice sans dévier de son chemin. Cette leçon est restée et restera gravée dans les mémoires.
(Source http://www.justice gouv.fr, le 24 octobre 2001)