Interview de M. Jean-Jack Queyranne, ministre des relations avec le Parlement, à France 2 le 12 septembre 2001, sur les attentats terroristes commis aux Etats-Unis, la difficulté d'identifier leurs auteurs et la mise en place en France du plan Vigipirate renforcé avec la participation de l'armée.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Attentats terroristes contre le World Trade Center à New York, le Département de la Défense à Washington et en Pennsylvanie, le 11 septembre 2001

Média : Emission Les Quatre Vérités - France 2 - Télévision

Texte intégral

F. Laborde : Nous allons étudier les dispositions prises par le Gouvernement français. Mais d'abord, un commentaire sur cet attentat qui s'approche pratiquement d'un acte de guerre et qui concerne évidemment l'ensemble du monde occidental.
- "D'abord, c'est une réaction d'horreur devant les images que nous voyons, des milliers de morts probablement, l'effondrement de la région Sud de Manhattan... Je suis particulièrement touché aussi parce que nous avions - je suis Lyonnais vous savez - une équipe de développement économique qui travaillait dans une des tours du World Trade : il y a trois disparus, on ne sait pas encore, mais c'est dramatique. Et puis, c'est aussi le traumatisme qui touche les Etats-Unis et, par l'onde de choc, qui touche l'ensemble des pays et notamment les pays occidentaux. On vient de le voir, sur le plan économique."
En France, quelles mesures sont prises ce matin ? Hier soir, il y avait déjà des mesures prises, je sais que vous venez d'avoir Alain Richard au téléphone... Quelles mesures à l'heure actuelle ?
- "Le Premier ministre a réuni une cellule de crise. Il a été décidé de mettre en uvre le plan Vigipirate renforcé, c'est-à-dire de poster les forces de sécurité dans les lieux importants, les lieux publics, les gares, les aéroports, les lieux stratégiques aussi, les lieux sensibles. L'armée commence à se déployer, donc, sur ce plan, notre action est une action de précaution"
C'est une mobilisation maximum de l'armée ?
- "Mobilisation maximum"
Les avions sont prêts à décoller à tous moments, en cas d'avion suspect qui survolerait le territoire ?
- "Il y a également une mise en alerte aérienne, donc la possibilité pour des chasseurs français de décoller rapidement, en moins de 2 minutes, s'il y avait des missions d'interception, et nous travaillons avec les pays voisins, avec les ministres de la Défense voisins, pour justement réagir si une action de cette nature pouvait être envisagée. Mais je crois que l'essentiel, c'est la précaution, la vigilance, le sang-froid, devant des événements d'une ampleur totalement inconnue."
Sans tomber dans la psychose, quelques conseils pratiques à donner aux Français. Quand on est dans le cadre d'un plan comme Vigipirate, que faut-il faire ?
- "Il faut éviter la psychose. Evidemment, il peut toujours y avoir des appels intempestifs, mais je pense qu'il faut être vigilant et regarder s'il y a par exemple des choses suspectes qui peuvent traîner, alerter les services de police, ne pas le faire à mauvais escient, parce qu'évidemment les services de police sont fortement mobilisés, les gendarmes aussi. C'est une vigilance, mais il faut le faire dans le calme, dans le sang-froid, parce que c'est essentiel face à de tels événements."
Quelle va être la réponse - enfin la réponse militaire ? Ce sont sans doute les Américains qui le décideront, quand on aura véritablement identifié les auteurs. Est-ce qu'il y a une réponse politique à apporter ?
- "Les Etats-Unis sont dans le traumatisme, les Américains n'ont jamais eu de tels actes sur leur territoire. Pearl Harbor, c'était dans le Pacifique. Il n'y a jamais eu la guerre sur le territoire américain. Là, c'est vraiment les symboles de la puissance américaine, le Pentagone, le pouvoir financier, le pouvoir militaire... J'imagine le traumatisme qui doit saisir les dirigeants américains et toute la nation américaine. L'Amérique est un pays qui a aussi montré au cours de son histoire qu'il savait se redresser, réagir. Il y aura sûrement ce type de comportement au niveau des Etats-Unis. Et puis il y aura la recherche des auteurs, des commanditaires de cet attentat dont l'organisation est stupéfiante. Le pire film de science-fiction, de terrorisme fiction ne pouvait imaginer une action aussi coordonnée, militairement organisée."
Comment peut-on expliquer que les services de renseignements américains, dont on dit que ce sont les meilleurs du monde, ou occidentaux en général, n'aient rien vu venir ?
- "C'est assez surprenant parce que c'est une action qui se mène sur plusieurs années de préparation."
Vous dites plusieurs années de préparation ?
- "On peut le penser, en tous cas, qui nécessite un certain nombre d'hommes. On a cité un millier sur votre chaîne, je pense que c'est sûrement beaucoup. En tous cas, les services américains sont des services d'écoute, de renseignements, et là, ils ont laissé passer une organisation terroriste à un niveau totalement insoupçonné."
Parce qu'il a fallu former des pilotes
- "Probablement."
Pour atteindre, si je puis dire, des cibles, on ne peut pas diriger un Boeing comme ça sur les deux tours...
- "Bien sûr, pénétrer dans les avions et le faire en plus dans un intervalle de temps très limité, c'est une organisation très forte, ce n'est pas un desperado qui mène une action comme on peut le voir dans les actions terroristes classiques."
Est-ce que cela veut dire que c'est quelque chose qui s'apparente au terrorisme d'Etat ? On parle déjà beaucoup évidemment du fameux milliardaire saoudien O. Ben Laden, dont on sait qu'il a fait de la destruction des cibles américaines un de ses objectifs. Est-ce que cela peut être lui tout seul ou lui avec d'autres ?
- "C'est difficile à dire à ce stade, il y a des présomptions qui peuvent exister, c'est ce que l'on entend. Il faut se garder de toute conclusion définitive. Quand il y a eu l'attentat d'Oklahoma City, il y a eu des pistes et finalement, c'était une secte américaine... Là, nous sommes dans une action d'une très grande ampleur, coordonnée. Il faut attendre pour voir à partir des éléments qui seront rassemblés, quelle est la piste, quels sont les commanditaires."
Aujourd'hui tous les services secrets occidentaux travaillent, se téléphonent ?
- "J'imagine qu'ils travaillent, qu'ils échangent des renseignements pour essayer de détecter. Mais on est vraiment dans l'immédiat événement. La difficulté est aujourd'hui d'identifier quels sont les auteurs, et puis on imagine aussi que ceux qui étaient dans les avions étaient d'une détermination complète parce qu'ils allaient mourir. C'est donc une organisation à la fois militarisée mais aussi fanatisée."
Sur le plan économique, on le voit avec l'ouverture des marchés boursiers en Asie, c'est l'effondrement partout. Est-ce qu'une affaire de cette ampleur peut créer une crise économique grave ?
- "Il peut y avoir le choc, mais les fondamentaux économiques vont quand même se redresser. Vous savez, il y a toujours dans ce genre événement le traumatisme, et puis après la réaction, on peut essayer de penser que c'est une crise passagère, mais qui frappe au moins, 5, 7 ou 8 %. On vient de le voir en ce qui concerne les bourses asiatiques, on verra à Paris. Evidemment, c'est le cur de la finance, des affaires, qui a aussi été touché."
(Source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 12 septembre 2001)