Interview de Mme Laurence Rossignol, ministre des familles, de l'enfance et des droits des femmes à RMC le 30 novembre 2016, sur l'IVG et notamment le délit d'entrave à l'avortement sur internet.

Prononcé le

Média : Emission Forum RMC FR3 - RMC

Texte intégral


MATTHIEU
8 h 11 sur RMC ! Votre invitée Jean-Jacques BOURDIN, Laurence ROSSIGNOL, ministre des Familles, de l'Enfant et du Droit des femmes.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Laurence ROSSIGNOL, bonjour.
LAURENCE ROSSIGNOL
Bonjour.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Avant de parler de l'interruption volontaire de grossesse, je voudrais revenir sur ce qui s'est passé à Reims, vous avez vu ce petit Tony – 3 ans – qui n'a pas survécu aux violences subies ce week-end, ii est mort sous les coups de son beau-père et, si l'on en croit le procureur, si le voisinage avait parlé, il serait encore vivant aux violences répétées depuis septembre, les voisins entendaient mais n'ont jamais osé dénoncer. Ecoutez Jonathan qui a accepté de se confier, c'est un voisin de la famille, Jonathan a accepté de se confier au micro de Marion DUBREUIL.
JONATHAN, VOISIN DU PETIT TONY
Tous les matins il frappait sur le petit parce qu'il avait fait pipi au lit, il mettait son visage dedans et il criait ce qu'il faisait, ça s'entendait, enfin tout l'immeuble peut le dire. J'ai failli monter plus d'une fois, mais ma femme m'a retenu, et maintenant il est trop tard. Le soir même je n'ai pas dormi de la nuit, je suis sous le choc, et on est tous responsables. Je n'aurais peut-être pas pu faire grand-chose mais j'aurais aimé faire plus oui, ce n'est pas quand il est trop tard qu'il faut le dire.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Une marche blanche aura lieu ce soir à 18 h. Que faire, Laurence ROSSIGNOL, contre ce silence collectif ?
LAURENCE ROSSIGNOL
C'est ce que je fais depuis deux ans, promouvoir une éducation sans violence, et j'ai toujours dit qu'entre les coups quotidiens ou les petites claques dites éducatives il était très difficile en fait de repérer à quel moment on franchissait le seuil de la maltraitance et, pour les politiques de prévention, c'est difficile de dire aux gens : « vous pouvez taper jusqu'à ce moment-là et puis après au-dessus vous ne pouvez plus » et donc, dès qu'on admet que les parents peuvent frapper les enfants, bien entendu les voisins se disent : « est-ce que j'ai le droit d'intervenir ? ». On a vécu la même chose il y a 20 ou 25 ans avec les femmes victimes de violences, on pensait que c'était des affaires privées et qu'il ne fallait pas s'en mêler, ça a changé, aujourd'hui quand une femme est frappée par son mari les voisins interviennent auprès d'elle, eh bien il faut rompre avec l'idée qu'on peut taper les enfants parce que c'est les siens – en fait on a le droit – que ça fait partie de l'éducation et puis il faut, au contraire, promouvoir l'idée qu'on ne peut pas frapper un enfant, qu'un enfant est un être vulnérable et qu'on est collectivement impliqués.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, mais le voisin, les voisins, est-ce que les voisins pourraient être poursuivis pour non assistance à personne en danger par exemple ?
LAURENCE ROSSIGNOL
Je ne souhaite pas qu'ils soient poursuivis, je crois que de toute façon malheureusement ils vont être poursuivis toute leur vie parce que ce à quoi ils ont assisté...
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, oui, par leur conscience.
LAURENCE ROSSIGNOL
Eh oui ! Et puis on ne peut pas les charger, on vit dans une société...
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, non mais bien sûr, bien sûr.
LAURENCE ROSSIGNOL
Où effectivement quand vous intervenez auprès d'un parent qui est en train de frapper un enfant en public, il vous retourne immédiatement la phrase : « mais c'est mon gosse, je fais ce que je veux », non on ne peut pas faire ce qu'on veut avec ses enfants et collectivement il faut qu'on change d'approche, de regard.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Donc, il faut inciter vraiment les parents à intervenir si on entend dans l'appartement voisin...
LAURENCE ROSSIGNOL
Absolument.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Des cris répétés, si on soupçonne des violences répétées, il ne faut pas hésiter ?
LAURENCE ROSSIGNOL
Absolument, ce n'est pas se mêler de ce qui nous ne regarde pas que d'intervenir quand on voit des violences ou quand on entend des violences exercées.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Bien. Je change de sujet, débat, vif débat à la veille de l'examen à l'Assemblée nationale du délit d'entrave à l'avortement sur Internet, pourquoi vouloir interdire certains sites Laurence ROSSIGNOL ?
LAURENCE ROSSIGNOL
L'idée n'est pas d'interdire des sites, je crois qu'il faut distinguer deux choses, d'abord l'hostilité à l'avortement, qui est une opinion qui peut s'exprimer, qui est protégée par toutes les libertés publiques et puis ces sites qu'on a vu se déployer depuis deux – trois ans qui sont des sites qui ressemblent à des sites d'information et qui en réalité visent à dissuader des femmes qui veulent recourir à une IVG de le faire. En fait, comment ça se passe ? Une femme est confrontée à une grossesse non désirée, elle va chercher à s'informer, elle va aller sur Internet, elle va taper : avortement, enceinte, grossesse, tout ce qu'on veut - des mots clés – et elle veut, elle, des informations, donc : dans quel délai, est-ce que c'est remboursé, où s'adresser, quelles sont les méthodes ? Et elle a un risque...
JEAN-JACQUES BOURDIN
On peut aussi lui expliquer que l'avortement ce n'est pas un acte anodin ?
LAURENCE ROSSIGNOL
Elle le sait, vous croyez qu'une femme qui prend la décision d'avorter elle ne sait pas que ce n'est pas un acte anodin, elle ne sait parfaitement, il n'y a pas besoin d'en rajouter et d'essayer de la culpabiliser. Donc, elle va faire cette démarche sur Internet et elle a un risque élevé de tomber, d'entrer sur un site qui en fait n'est pas un site d'informations mais qui est un site militant anti-choix, anti-IVG et qui va insidieusement lui donner des informations tronquées, fausses et essayer de la dissuader, de la mettre en liaison avec un numéro vert ou des écoutantes vont expliquer qu'il y a ces fameuses alternatives...
JEAN-JACQUES BOURDIN
Pour la dissuader quoi ?
LAURENCE ROSSIGNOL
Pour la dissuader ! Et donc ce que cette proposition de loi vise à faire c'est à étendre le délit d'entrave qui existe déjà depuis 1993 lorsque les mouvements anti-IVG s'enchaînaient aux portes des hôpitaux pour empêcher les femmes d'avorter et puis ensuite, après le délit d'entrave, ils sont entrés dans les services, on a étendu le délit d'entrave, maintenant ils sont sur Internet, on étend le délit d'entrave à Internet, c'est-à-dire qu'on les suit, ils se déplacent, nous les suivons pour qu'ils respectent, pour que soit respecter la liberté des femmes de s'informer et de choisir.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Merci Laurence ROSSIGNOL, 8h17, merci d'être venu nous voir ce matin.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 1er décembre 2016