Texte intégral
PATRICK COHEN
La ministre des Familles, de l'enfance et des droits des femmes est votre invitée, Léa SALAME.
LÉA SALAME
Bonjour Laurence ROSSIGNOL.
LAURENCE ROSSIGNOL
Bonjour.
LÉA SALAME
Vous voulez donc étendre le délit d'entrave à l'IVG à certains sites Internet qui diffusent, selon vous, des informations fausses ou biaisées, vous portez le texte aujourd'hui au Sénat après l'Assemblée nationale. Ce texte, Madame la Ministre, suscite crispation, opposition depuis plusieurs semaines. Est-ce que c'est vraiment l'urgence absolue de faire ça, de légiférer sur ce sujet-là, là, maintenant ?
LAURENCE ROSSIGNOL
Écoutez, qu'est-ce qui est urgent et qu'est-ce qui ne l'est pas, surtout quand on parle d'IVG ? Depuis 2008, ces sites se sont développés, ont envahi l'espace Internet. En 2013, 2014, on a ouvert un site d'information du gouvernement sur l'IVG, qui sont des informations objectives, qui répondent aux questions que se posent les femmes qui veulent pratiquer une IVG, dans quels délais, selon quelles méthodes, où dois-je m'adresser, quelle prise en charge par la Sécurité sociale.
LÉA SALAME
Il n'y a que le gouvernement qui peut donner les informations ?
LAURENCE ROSSIGNOL
Il y a le site du planning familial également
LÉA SALAME
D'accord, mais si je veux ouvrir un site, moi, sur l'IVG, je n'ai pas le droit ?
LAURENCE ROSSIGNOL
Vous pouvez, vous pouvez ouvrir un site sur l'IVG, vous pouvez ouvrir un site de militant anti-IVG, en expliquant : voilà, depuis toujours, je pense que l'IVG est un crime
LÉA SALAME
Voilà, mais c'est le cas de ces sites-là : ivg.net
LAURENCE ROSSIGNOL
Non, ces sites-là
LÉA SALAME
Ecouteivg.org ou encore le joliment nommé AfterBaiz.
LAURENCE ROSSIGNOL
Oui, et puis Détresse
LÉA SALAME
Pourquoi vous voulez les interdire ?
LAURENCE ROSSIGNOL
Parce que ce sont des sites militants, ce sont des sites qui sont créés et animés par les groupuscules anti-IVG, et ils se dissimulent sous l'apparence d'un site d'information, ils ne disent pas que ce sont des sites militants, ils attirent les femmes qui cherchent des informations pour leur IVG, et une fois que ces femmes sont entrées dans ce site, qu'elles ont décroché le téléphone pour faire le numéro Vert, où elles pensent trouver une réponse aux questions que j'évoquais il y a un instant, elles vont rencontrer ces fameuses écoutantes, on ne sait pas qui c'est, elles ne se présentent jamais, on ne peut pas avoir ni leurs compétences ni leur profession, ni rien. Et à partir de ce moment, elles vont essayer de dissuader les femmes de recourir à une IVG, avec des bêtises, elles vont dire
LÉA SALAME
En disant quoi ?
LAURENCE ROSSIGNOL
Alors, on en a répertorié un certain nombre de sottises, les plus marquantes, par exemple, expliquer que l'IVG est un traumatisme définitif pour les femmes, dont elles ne se relèveront pas, qu'elles feront des cauchemars toute leur vie, que les enfants qui naîtront après les IVG seront aussi traumatisés de l'IVG qu'a subie leur mère, enfin, leur maman avant, que toutes les femmes qui recourent à la procréation médicalement assistée ont toutes, auparavant, fait une IVG, que l'IVG rend stérile, etc., etc., qui sont des bêtises scientifiques. Et nous avons des associations, à la fois le planning familial, également l'ANCIC, qui est une association nationale sur l'information à la contraception, qui ont fait un travail sérieux, scientifique, pour démontrer que ces sites disent des bêtises médicales. Et mon problème n'est pas qu'il y ait des militants anti-IVG, il y en a depuis la loi Veil, ils n'ont jamais désarmé. Dans un premier temps, ils se sont enchaînés aux grilles des services hospitaliers, après, ils sont allés distribuer des tracts dans les salles d'attente des centres d'orthogénie, maintenant, ils sont sur le Net. Là où ils sont allés, nous les avons à chaque fois empêché de nuire. Nuire, ce n'est pas expliquer leur position, c'est une opinion d'être contre l'IVG, nuire, c'est profiter d'un moment où les femmes sont en recherche d'informations particulières pour les faire douter de la légitimité et de leur capacité à prendre elles-mêmes leur décision.
LÉA SALAME
Vous parlez de position scientifique pour vous opposer à ces textes-là, il y a un scientifique qui s'appelle le professeur Israël NISAND, qui est le chef du pôle gynécologie au CHU de Strasbourg, il est militant de la première heure de l'IVG. Madame la Ministre, il est dur avec vous. Il dit : évoquer aujourd'hui les conséquences psychologiques d'une IVG est devenu tabou, il n'est pas politiquement correct de dire qu'il peut y avoir des troubles psychiques quand on se fait avorter. Vous répondez quoi ?
LAURENCE ROSSIGNOL
Alors, je sais à quelle interview vous faites référence, Israël NISAND
LÉA SALAME
Au Point
LAURENCE ROSSIGNOL
Dans la même interview apporte par ailleurs son soutien à la proposition de loi, il dit que cette proposition de loi est justifiée. Ce qu'il dit, et je le partage, c'est qu'on ne peut pas dire que l'IVG est anodin, d'ailleurs, je ne le dis jamais, mais on ne peut pas non plus assigner les femmes à un traumatisme systématique, imposé, et il y a des femmes qui pratiquent des IVG et qui n'en ressentent aucun traumatisme, il y a des femmes qui ont pratiqué une IVG et qui vont être troublées, ça dépend au moment où on la pratique, est-ce qu'on a déjà eu des enfants, est-ce qu'on n'en a pas eu, ça dépend de son histoire personnelle, on n'a pas la même histoire
LÉA SALAME
Alors, pourquoi, quand on va sur le site du gouvernement, pourquoi quand on va sur votre site, le site du gouvernement, le site officiel, pourquoi on a un gynécologue qui nous explique qu'il n'y a pas de séquelles à long terme psychologiques après un avortement ; c'est juste, je cite : c'est juste un moment pas très agréable à passer. Ce n'est pas un peu léger de dire ça ? Est-ce que vous n'allez pas dans l'autre extrême ?
LAURENCE ROSSIGNOL
Non, je ne crois pas que de dire qu'il n'y a pas de séquelles à long terme de l'IVG, sur les cohortes de femmes qui ont été étudiées, il y a une enquête de l'INSERM à ce propos, qui d'ailleurs fait la collection de toutes les enquêtes qui ont été faites, et qui en conclut qu'on ne peut pas dire qu'il y a un traumatisme à long terme de l'IVG. Mais d'un certain point de vue, toute intervention médicale, un accouchement aussi peut déclencher un post-partum, une dépression post-partum, pour autant, on ne va pas dire aux femmes : vous savez, si vous accouchez, vous allez avoir une dépression post-partum, on dit : ça peut. Mais par ailleurs, je voudrais dire une chose, lorsqu'une femme pratique une IVG, elle a deux rendez-vous médicaux, et au cours de ces deux rendez-vous médicaux, avec un médecin, il va lui être justement expliqué comment, quel suivi il faut qu'elle fasse de son IVG, à la fois sur le plan médical, et aussi comment il faut qu'elle soit alertée si elle a un moment de difficulté psychologique. Et elle le trouvera auprès des médecins. Le problème, c'est que, il y a une différence entre confier à des militants anti-IVG le soin de parler aux femmes, et le confier au médecin qui va suivre la femme qui pratique une IVG. Donc ces sites je le maintiens ont pour but de dissuader les femmes. Ne parlons pas, comme si sur l'IVG, on était tous d'accord et s'il n'y avait pas un sujet politique, il y a un sujet politique sur l'IVG
LÉA SALAME
Oui, et la droite est contre d'ailleurs, et elle sera contre cet après-midi au Sénat, ils ont déjà prévenu.
LAURENCE ROSSIGNOL
Oui, mais parce qu'ils ont déjà été contre toutes les réformes que nous avons faites pour faciliter l'accès à l'IVG depuis la loi Veil, tout ce qui a été fait, la droite a toujours été contre.
LÉA SALAME
Laurence ROSSIGNOL, sans aucune transition, j'ai essayé de la chercher, mais il n'y en a pas. Vous êtes une Aubryste historique, vous l'aviez soutenue, Martine AUBRY, en 2011, mais pour vous, aujourd'hui, c'est VALLS, vous l'avez dit, hier, Benoît HAMON, à votre place, disait que c'est le candidat le plus clivant qui soit. Il n'a pas un peu raison, Benoît HAMON ?
LAURENCE ROSSIGNOL
Moi, je soutiens Manuel VALLS parce que je n'imagine pas une élection présidentielle qui se ferait avec des candidats de droite, de gauche ou certains indéterminés, qui, tous, soit, engendreraient le bilan du quinquennat, soit, engendreraient le quinquennat, piétineraient le quinquennat, ou s'essuieraient les pieds sur le quinquennat. Pour être encore plus claire, je n'imagine pas, et je ne veux pas que le bilan de ce gouvernement soit en fin de compte uniquement la déchéance de nationalité et la loi Travail. Et je sais
LÉA SALAME
C'est embêtant, parce que ce sont deux marqueurs de Manuel VALLS, la déchéance de nationalité qu'il a défendue jusqu'au bout
LAURENCE ROSSIGNOL
La déchéance de nationalité n'est pas un marqueur mais Manuel VALLS a été dans tout ce quinquennat, à la fois, extrêmement protecteur et extrêmement actif auprès du président de la République. Manuel VALLS a défendu tout ce qui était la position du gouvernement. Il n'a pas été un Premier ministre qui a fait entendre publiquement les moindres états d'âme, il n'a jamais fait de pas de côté à l'égard du président de la République
LÉA SALAME
Je vous parle de fond, là, je ne vous parle pas de son respect de François HOLLANDE
LAURENCE ROSSIGNOL
Moi aussi, je vous parle de fond. je reviens sur ce que je dis, le quinquennat, ce n'est pas la déchéance de nationalité et la loi Travail, ces deux sujets, effectivement, ils seront traités dans la primaire de la gauche, mais le quinquennat, c'est aussi de nombreuses réformes, c'est aussi une politique de transformation de la société, c'est un accompagnement, une consolidation de la protection sociale, c'est tous les sujets qu'on aura dans la présidentielle, et je souhaite que celui qui porte le bilan de la gauche soit capable de le faire avec son expérience, son regard critique, et aussi la fierté de ce que nous avons fait et qui mérite d'être dit.
LÉA SALAME
Laurence ROSSIGNOL était notre invitée. Belle journée à vous.
PATRICK COHEN
Merci à vous, Léa SALAME.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 9 décembre 2016