Interview de Mme Laurence Rossignol, ministre des familles, de l'enfance et des droits des femmes à I-Télé le 12 décembre 2016, sur l'extension du délit d'entrave à l'IVG à certains sites internet.

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Média : Itélé

Texte intégral


ROMAIN DESARBRES
Tout de suite l'invitée politique avec Myriam ENCAOUA. Vous recevez ce matin Laurence ROSSIGNOL, la ministre des Familles et droits des femmes.
MYRIAM ENCAOUA
Bienvenue sur ce plateau, Laurence ROSSIGNOL.
LAURENCE ROSSIGNOL
Bonjour.
MYRIAM ENCAOUA
Avant de parler de la condition et de la situation des femmes dans certains quartiers populaires – vous ne vous êtes pas exprimée sur le sujet après la diffusion d'un reportage-choc sur France 2 la semaine dernière – un mot d'abord sur votre loi qui vise à étendre le délit d'entrave à l'IVG à certains sites Internet. Le texte a été voté au parlement. Qu'est-ce que ça va concrètement changer pour les femmes ?
LAURENCE ROSSIGNOL
Ce que ça doit changer, c'est que quand les femmes vont sur un site Internet chercher des informations sur une IVG – et une information pour une femme qui a décidé d'interrompre une grossesse, c'est quels sont les délais, comment ça se passe, est-ce que c'est remboursé - elles doivent pouvoir être sûres de rencontrer des interlocuteurs sur ce site qui ne vont pas essayer de les faire changer d'avis, qui vont respecter leur décision. On a observé que s'étaient multipliés les sites Internet qui avaient l'apparence de la neutralité.
MYRIAM ENCAOUA
Mais concrètement elles vont pouvoir, si elles sont victimes de cette désinformation, porter plainte. Ce n'est pas ces sites Internet qui seront interdits.
LAURENCE ROSSIGNOL
Notre idée, ce n'est pas de fermer ces sites Internet. On ne ferme pas un site, on n'interdit pas. La liberté d'opinion et d'expression est garantie pour tous, y compris pour les gens qui sont hostiles à l'IVG. Mais ils ne peuvent pas continuer de se dissimuler sous l'apparence de la neutralité et des informations légales ou sanitaires objectives pour, en réalité, attirer les femmes sur des numéros de téléphone type numéro vert dans des conversations où à tout instant on va essayer de les faire douter de leur propre capacité à prendre une décision sur leur destin et le fait qu'elles ont décidé d'arrêter une grossesse.
MYRIAM ENCAOUA
Elles pourront porter plainte et se reconnaître victime, toucher des dommages et intérêts ?
LAURENCE ROSSIGNOL
Les associations surtout pourront porter plainte. Surtout pendant toute cette séquence, on a beaucoup parlé de ces sites. Déjà, on les a rendus visibles, on les a démasqués d'un certain point de vue, et je rappelle que pour les informations fiables, ivg.gouv.fr : c'est le site du ministère de la Santé, celui qui donne des informations objectives et à distance sur le sujet de l'IVG. Juste les informations que recherchent les femmes.
MYRIAM ENCAOUA
D'un mot, la levée de bouclier d'une partie de la droite sur ce texte vous a surprise ou pas ?
LAURENCE ROSSIGNOL
Oui, elle m'a surprise en fait dans ce qu'elle a révélé d'une résistance jamais disparue sur le droit des femmes à disposer de leur corps.
MYRIAM ENCAOUA
Depuis la loi Veil en fait.
LAURENCE ROSSIGNOL
Depuis la loi Veil, depuis les commandos anti-IVG ; à chaque fois ils se sont déplacés. Elle m'a inquiétée pour l'avenir. Je crois qu'en cas d'alternance, si par malheur ça arrivait, il faudrait être extrêmement vigilant sur la manière dont le gouvernement de droite pourrait en fait atteindre le droit à l'IVG pas en s'en prenant à la loi Veil, mais tout simplement en coupant les moyens, en laissant les services disparaître, en changeant l'information et en développant ce qui est en fait le fond de leurs pensées : les alternatives à l'IVG. Or pour une femme, l'IVG est l'alternative à une grossesse non désirée. Ce que je souhaite, c'est qu'on respecte le choix des femmes. Elles sont majeures, elles sont mûres même quand elles sont mineures. C'est une décision lourde, pas anodine. Elles la prennent en toute responsabilité.
MYRIAM ENCAOUA
On continue à parler des femmes parce qu'on a découvert pour certains – peut-être que les Français le savaient déjà – que des femmes étaient interdites de fait dans certains cafés dans certains quartiers populaires. Vous avez vu évidemment ce reportage de France 2 tourné notamment à Sevran en caméra cachée avec deux femmes de l'association La Brigade des Mères, toutes les deux refoulées à l'entrée d'un bistrot. « T'es dans le 93 ici, c'est pas Paris. C'est des mentalités différentes, c'est comme au bled » : voilà ce que leur répond le responsable à l'entrée de ce café.
LAURENCE ROSSIGNOL
Oui. Je n'ai à la fois rien appris dans ce reportage mais c'est bien qu'il ait eu lieu parce que c'est un vrai sujet social d'abord. Première remarque : dans l'enquête que j'ai lancée quand on a commencé la campagne Sexisme Pas Notre Genre, cette enquête nous a révélé que près de deux tiers des jeunes filles dans toute la France, dans tous les quartiers et toutes les catégories sociales avaient déjà été amenées à changer leur manière de s'habiller ou cesser de fréquenter certains lieux pour se mettre à l'abri du sexisme. Il y a donc une espèce de culture sexiste ambiante qui ne concerne pas que les quartiers populaires. Ceci étant dit, je ne minore pas ce qui se passe dans certains quartiers. En effet, il y a des endroits où les femmes sont invisibles, absentes. Elles disparaissent.
MYRIAM ENCAOUA
Mais il y a des zones entières de non-droit dans la république pour les femmes. Vous n'avez pas réagi jusqu'à présent alors que vous n'avez pas découvert ce sujet. Pourquoi ?
LAURENCE ROSSIGNOL
Parce que je ne réagis pas sur la base simplement d'un reportage télé aussi juste et ultime soit-il.
MYRIAM ENCAOUA
Mais qui met à jour une réalité.
LAURENCE ROSSIGNOL
Oui, mais j'ai réagi depuis fort longtemps. Si vous regardez bien ce qu'il y avait par exemple dans le plan de lutte contre le sexisme, il y a aussi la reconquête de l'espace public par les femmes dans les quartiers populaires et nous y travaillons quand même. Manuel VALLS disait il y a environ deux ans que certains quartiers vivaient un véritable apartheid géographique, social et ethnique. Quand nous employons le mot de ghettoïsation, cela inclut bien entendu les femmes.
MYRIAM ENCAOUA
Qu'est-ce qu'on fait ? Si on prend ce reportage et cette réalité-là, qu'est-ce que vous proposez concrètement comme solution pour que ces femmes puissent revenir dans ces lieux publics que finalement on leur interdit de fait ?
LAURENCE ROSSIGNOL
On ne peut pas dissocier la relégation des femmes dans ces quartiers de la relégation globale de ces quartiers.
MYRIAM ENCAOUA
Pour vous, ça n'a rien à voir avec la religion musulmane ?
LAURENCE ROSSIGNOL
Je pense que la religion… Non, d'abord je ne peux pas…
MYRIAM ENCAOUA
Ou une forme de pratique, de coutume imprégnées de morale religieuse.
LAURENCE ROSSIGNOL
Ne rentrons pas dans le problème comme ça parce qu'on va faire des erreurs.
MYRIAM ENCAOUA
Ce serait quoi les erreurs ? L'amalgame ? La stigmatisation ?
LAURENCE ROSSIGNOL
Commençons par analyser ce qui se passe. Dans un quartier où beaucoup d'hommes sont au chômage, beaucoup de femmes sont au chômage, qui est un quartier relégué, qui est un quartier qui est victime déjà de ghettoïsation, dans un quartier où il n'y a plus de mixité qu'elle soit sociale, culturelle ou ethnique, vous croyez qu'il y a de la mixité pour les femmes ? Bien entendu, c'est toujours sur les femmes que ça finit le plus mal. Qu'est-ce que nous faisons ?
MYRIAM ENCAOUA
Mais alors qu'est-ce qu'on peut faire concrètement ? Est-ce que ces femmes ou le maire de la ville doit porter plainte ?
LAURENCE ROSSIGNOL
On peut porter plainte toujours quand il y a un refus de vente et des discriminations sexistes. Il y a la loi.
MYRIAM ENCAOUA
Ça ne servira à rien selon vous ? Ça ne changera pas la réalité ?
LAURENCE ROSSIGNOL
Vous voulez bien que je vous explique ce que nous faisons depuis déjà un moment ? D'abord, il faut comprendre. Où avons-nous fait des erreurs ? La première des erreurs pour moi, ç'a été la politique des grands frères. Parce qu'il y a une vingtaine d'années, on identifiait les beurettes et on disait que c'étaient elles qui étaient porteuses d'émancipation, que la promesse républicaine était portée par les jeunes filles qui réussissaient à l'école. Puis la politique des grands frères a installé des garçons qui ont pris le pouvoir dans les quartiers. Beaucoup d'entre eux ensuite ont réussi bien entendu, mais certains d'entre eux soit sont tombés dans le caïdat avec l'économie souterraine, soit se sont dirigés vers les mosquées. En les installant dans les quartiers comme étant les représentants de la loi et de l'ordre, d'abord c'est sur leurs soeurs et sur leurs mères qu'ils ont exercé la loi et l'ordre.
MYRIAM ENCAOUA
Donc c'est le sexisme le problème. C'est sur cela qu'il faut lutter ?
LAURENCE ROSSIGNOL
Le problème c'est... mais je commence par ça. Deuxième problème, c'est le chômage et la relégation des femmes. Quand les hommes sont au bistrot, parce qu'ils n'ont pas de travail, les femmes sont à la maison. Donc ces femmes, il faut qu'elles sortent de leurs quartiers. Qu'est-ce que nous faisons depuis deux ans ? D'abord une politique de mixité sociale. Quand j'entends les mêmes qui refusent que dans leurs communes on construise des logements sociaux, mais qui en même temps, subitement, s'intéressent aux quartiers populaires, quand il s'agit juste d'aller dénonce la place des femmes, dans ces quartiers populaires, alors que par ailleurs l'égalité femmes-hommes n'est pas leur sujet, je me dis : il y a quelque chose qui n'est pas cohérent dans le raisonnement. Il faut de la mixité sociale...
MYRIAM ENCAOUA
Il nous reste peu de temps.
LAURENCE ROSSIGNOL
Oui. De la mixité sociale, de l'accompagnement, soutenir les femmes qui résistent et qui luttent pour la place des femmes dans ces quartiers, et surtout soutenir tout ce qui leur permet de sortir de chez elles. Et je soutiens les centres sociaux et les marches exploratoires.
MYRIAM ENCAOUA
On voit bien que c'est une politique globale, de long terme, en profondeur, avec différents acteurs.
LAURENCE ROSSIGNOL
C'est une politique globale, il ne faut ni angélisme à l'égard de l'emprise religieuse et de l'outil religieux pour reléguer ces femmes.
MYRIAM ENCAOUA
Il n'y a pas de déni, il n'y a pas de complicité de certains élus sur le terrain ?
LAURENCE ROSSIGNOL
Je ne sais pas, probablement si, il y en a à l'égard des, je l'ai évoqué, des grands-frères, il y a de la complicité des élus, probablement, pour avoir la paix sociale, et la paix sociale, si elle passe par les femmes à la maison, c'est très bien, pour eux. Moi, ce que je cherche à faire, c'est aider les femmes, d'abord, à sortir de chez elles. Les marges exploratoires, je finis juste là-dessus, que nous avons mis en place, permettent aux femmes de reconquérir l'espace public et de se faire entendre dans leurs quartiers, comme citoyennes, aussi bien auprès de leurs familles, qu'auprès des élus.
MYRIAM ENCAOUA
Laurence ROSSIGNOL, il nous reste moins d'une minute, on va parler un tout petit peu de politique. Je voulais vous demander : Vincent PEILLON, il a sa place dans cette primaire ou pas ?
LAURENCE ROSSIGNOL
Mais tout le monde a sa place dans cette primaire, mais je ne crois pas que ce soit...
MYRIAM ENCAOUA
Bien. Vous soutenez Manuel VALLS, je le rappelle.
LAURENCE ROSSIGNOL
Oui, je soutiens Manuel VALLS.
MYRIAM ENCAOUA
Très vite, parce que vous êtes en charge des femmes, où sont les femmes dans cette primaire ?
LAURENCE ROSSIGNOL
Ecoutez, il y en avait une, c'était Marie-Noëlle LIENEMANN, qui était candidate...
MYRIAM ENCAOUA
Et qui a renoncé.
LAURENCE ROSSIGNOL
Et qui a renoncé, pas parce qu'elle a eu peur, parce qu'elle a renoncé par sens des responsabilités. Ce que j'observe, c'est que les femmes font preuve d'un grand sens des responsabilités...
MYRIAM ENCAOUA
Et Christiane TAUBIRA, Martine AUBRY, Anne HIDALGO, elles se cachent ?
LAURENCE ROSSIGNOL
Elles ne sont pas candidates. Marie-Noëlle LIENEMANN, c'est assez exemplaire ce qu'elle a fait, parce qu'elle aurait pu être candidate, elle en a les compétences et le dynamisme, mais elle a préféré le sens des responsabilités, et j'observe que les garçons, les hommes, n'ont aucun problème à aller rajouter des candidatures, pour se montrer, et que les femmes, en revanche, se demandent : « Est-ce que c'est bien utile que je sois candidate ? Est-ce que je vais aider au rassemblement en étant candidate ? ». Donc c'est chez les femmes...
MYRIAM ENCAOUA
Plus responsables que les hommes. Même si elles sont absentes de la compétition et qu'on peut le regretter.
LAURENCE ROSSIGNOL
... le sens des responsabilités, au prix de leur absence.
MYRIAM ENCAOUA
Merci beaucoup Laurence ROSSIGNOL.
LAURENCE ROSSIGNOL
Merci.
MYRIAM ENCAOUA
Et belle journée à vous.
ROMAIN DESARBRES
« Il y a la paix sociale dans certains quartiers difficiles en France », c'est ce qu'a dit Laurence ROSSIGNOL, ministre des Droits des Femmes ce matin sur iTélé, elle était votre invitée, Myriam ENCAOUA.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 13 décembre 2016