Déclaration de Mme Emmanuelle Cosse, ministre du logement et de l'habitat durable, sur les rapports successifs de l'Etat à l'immigration et le rôle d'ADOMA face aux mutations des populations immigrées de France, à Paris le 7 septembre 2016.

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Circonstance : Colloque pour le 60e anniversaire d'ADOMA (anciennement Sonacotral puis Sonacotra), dans les locaux de la Philharmonie de Paris le 7 septembre 2016

Texte intégral

Monsieur le Président, cher Patrick Doutreligne
Monsieur le Directeur Général, cher Jean-Paul Clément,
Mesdames, Messieurs,
Chers amis,
C'est avec grand plaisir que j'ai répondu à votre invitation de prononcer le discours de clôture de ce colloque qui célèbre le 60ème anniversaire d'ADOMA. En tant que Ministre du Logement et de l'Habitat durable, c'est un honneur d'être parmi vous, pour célébrer un des plus grands acteurs de l'hébergement en France, à la suite de tous les brillants intervenants qui se sont exprimés et… juste avant le gâteau d'anniversaire. Mais c'est également un plaisir d'intervenir ici, dans cette salle prestigieuse de la Philharmonie qui accueille habituellement d'autres talents que ceux des acteurs de l'hébergement.
Alors, oui, chers amis, je vais vous le dire peut-être un peu pompeusement, mais simplement : l'histoire d'ADOMA, c'est l'histoire de la France, c'est l'aventure de son immigration, c'est l'épopée du travail dans notre pays. Je ne me ferai pas historienne de l'entreprise ADOMA. D'autres que moi sont plus compétents pour le faire, comme vous vous en êtes sans doute aperçus au cours de cette journée. Je veux simplement dire ma conviction, à la suite de l'intervention de Nancy Green tout à l'heure, que le lien entre l'immigration et le dynamisme de notre pays est avéré et essentiel.
Mais revenons à ADOMA.
Si, comme je vous le disais, l'histoire d'ADOMA, c'est l'histoire de la France, c'est aussi celle de l'Etat, de ses rapports successifs à l'immigration et de sa conception de ses missions. Et c'est à la fois en tant qu'institution héritière de ces grands choix stratégiques de l'Etat, mais également animée d'une volonté réformatrice (que nous partageons), que je veux relire rapidement l'histoire d'ADOMA.
Il y a donc 60 ans, ADOMA nait de la volonté de l'Etat en pleine guerre d'Algérie sous le nom de la SONACOTRAL (SOciété NAtionale de COnstruction de logements pour les TRAvailleurs ALgériens). L'ancêtre d'ADOMA est fondée en 1956 pour résorber les bidonvilles qui entourent Paris, pour mettre fin à l'habitat dans des cafés-hôtels insalubres, pour donner un toit digne aux dizaines de milliers d'algériens venus construire en métropole les logements et les routes de la France du baby-boom. Le « public » (comme on dit aujourd'hui) de la SONACOTRAL est parfaitement homogène. Rapidement, en 1962, la fin de la guerre d'Algérie oblige à changer de nom et à élargir le public attendu. La SONACOTRAL devient ainsi la SONACOTRA (Société nationale de construction de logements pour les travailleurs).
Cette immigration économique dans un pays de plein emploi qui connait une croissance à plus de 5% est composée d'ouvriers, des hommes jeunes, venus de de l'ancien empire colonial français, très peu formés, le plus souvent issus des campagnes. Ils sont hébergés dans des Foyers de Travailleurs Migrants. Rapide, massive, on peut même dire industrielle, la prise en charge de ces immigrés correspond à une vision de cette classe ouvrière venue des anciennes colonies que l'on pourrait aujourd'hui discuter assez longuement. Mais ce n'est pas notre sujet.
Après l'effort de reconstruction, la main d'oeuvre étrangère va participer à la croissance soutenue des Trente Glorieuses. La SONACOTRA doit maintenir un rythme de construction important. C'est le temps des chambres collectives, des sanitaires et des cuisines partagées. Pour le dire vite et franchement, la France a logé rapidement et en masse ceux qui affluaient sur son territoire pour venir y travailler sans trop se soucier d'en faire des habitants à part entière de notre pays. La SONACOTRA a participé de cet accueil massif et son patrimoine et son nom ont été durablement associés à cette époque d'accueil massif.
Mais ceux que l'on pensait être des travailleurs interchangeables qui repartiraient dans leurs pays d'origine se sont attachés à la France, y ont construit des solidarités, des histoires militantes, amoureuses, citoyennes. Durant les années 70, je suis désolé de rappeler des moments difficiles, la SONACOTRA a fait face à des mouvements de contestation forts. Mais Les grèves de loyers et les secousses sociales qui ont traversé les foyers de travailleurs migrants, parlent autant de l'état des bâtiments construits (très et peut-être trop rapidement), que de la nécessité pour cette immigration de devenir visible. Encore une fois, les mutations d'ADOMA, les difficultés d'ADOMA sont celles de l'Etat et de toute la France.
Les immigrés, arrivés jeunes, ont vieilli, se sont mariés, veulent faire venir leur femmes, leurs enfants souvent restés au pays. La France se confronte au regroupement familial et ADOMA doit alors faire face à la mutation des populations immigrées de France. La fin des années 70, les chocs pétroliers, l'arrivée de la gauche au pouvoir, la crise économique qui s'installe, la montée du chômage appellent à une révision de notre conception de l'immigration, et ADOMA va accompagner ce mouvement. La société qui construisait et gérait des Foyers de travailleurs migrants presque 100 % masculins va devoir réinventer ses métiers pour répondre à de nouveaux besoins et pour s'adapter à de nouveaux publics.
Dans le courant des années 90, il s'impose à tous que le modèle des Foyers de Travailleurs Migrants des Trente Glorieuses a vécu et s'est considérablement essoufflé. La SONACOTRA commence alors un long travail de mutation et de réhabilitation de son patrimoine, autant qu'une réflexion sur son action. Les FTM sont progressivement transformés en résidences sociales et les configurations des logements changent. Dans cette grande vague de modernisation (qui s'achèvera en 2026), le standard de confort évolue et la norme devient celle d'une kitchenette et d'une salle d'eau par logement. Cela n'ira pas sans poser quelques difficultés.
Cette mutation-modernisation de la SONACOTRA, ce développement des résidences sociales et des pensions de familles aux côtés des anciens FTM, c'est aussi une réponse aux nécessités de l'époque. Le travailleur pauvre a changé de visage. Il est aujourd'hui précaire, enchaînement de courts CDD, travaillant quelques heures le matin, parfois diplômé. Je dis « il », mais je devrais aussi dire « elle » en pensant à ces nouvelles pauvretés, à ces femmes seules qui élèvent leurs enfants et courent de petits boulots en mission d'intérim. La SONACOTRA ne va pas les ignorer et va faire évoluer son patrimoine, ses métiers, ses dispositifs d'accompagnement social. Au tournant des années 2000, le temps de la SONACOTRAL semble lointain.
C'est en 2007, à l'occasion d'une transformation de l'actionnariat, la SONACOTRA devient ADOMA. En oubliant ce nom sans doute un peu désuet et que l'on pouvait regarder comme une photo sépia, l'entreprise se déleste ainsi de l'étiquette d'un passé qui ne correspond plus vraiment aux réalités de son action, mais elle perd aussi une identité forte. Les Français connaissaient la SONACOTRA, comme une partie de leur histoire, il peine encore à s'approprier ADOMA. Cette évolution institutionnelle ne s'en poursuit pas moins avec le nouveau pacte actionnarial établi en 2014. Il a permis à la Société Nationale Immobilière, filière immobilière de la Caisse des Dépôts et Consignation, de devenir majoritaire, tout en préservant une participation stratégique de l'Etat, à plus de 42%. Cela a permis de renforcer ADOMA et de lui permettre son développement.
Nous voici donc à la fin d'une décennie de profondes mutations pour ADOMA et pour la société française. ADOMA prend aujourd'hui toute sa part et accompagne pleinement l'Etat pour faire face à la grande précarité, aux mutations des migrations, aux nouvelles incertitudes du temps présent. Avec plus de 70 000 logements gérés et 74 000 clients, la moitié des Foyers de Travailleurs Migrants en gestion, ADOMA reste l'acteur majeur du secteur du logement accompagné.
ADOMA participe également de l'engagement de l'Etat pour faire face à une crise migratoire sans précédent et vous êtes pleinement à nos côtés pour gérer les Centres d'Accueil et d'Orientation, les Centres d'Accueil pour les Demandeurs d'Asile.
A vos côtés, aussi prestigieuse soit cette salle de la Philharmonie, je n'oublie pas que je parle ici depuis les quartiers du Nord-Est parisien où des femmes et d'hommes viennent trouver refuge. Je n'oublie pas que vous accompagnez chaque jour les services de l'Etat pour mettre à l'abri ceux qui fuient les guerres et les violences. Sans vous, nous n'aurions pas réussi à mettre à l'abri (à Paris), au cours de 28 opérations d'évacuation, près de 16 000 personnes. Sans votre concours, nous ne pourrions pas héberger et accompagner à ce jour près de 6790 personnes, en ouvrant 161 CAO dans 78 départements. Sans vous, nous ne pourrions pas construire convenablement le chemin qui va de la mise à l'abri des migrants jusqu'à leur demande d'asile.
En 5 ans, avec votre concours, l'Etat a ainsi quasiment doublé le nombre de places du Dispositif National d'Accueil des demandeurs d'asile, passant de 21 000 places en 2011 à 37 932 aujourd'hui. Grâce à vous enfin, la France peut tenir ses engagements européens et vous contribuez à accueillir dignement les « relocalisés » et « réinstallés » qui nous arrivent des hotspots grecs et turques ou des camps de Jordanie et du Liban, en les accompagnants dans des logements sociaux répartis sur l'ensemble du territoire.
La plate-forme de relogement des réfugiés mis en place à la DIHAL, dans laquelle je sais que vous êtes très impliqués, est un dispositif réellement innovant qui a déjà permis de loger plus de 1000 personnes et a vocation à monter en charge au cours de l'année qui vient.
En poursuivant la modernisation de son patrimoine, en s'ouvrant à des nouveaux publics et à de nouveaux métiers, en réinventant les cadres de son action, en répondant présent lors des crises auxquelles la France doit faire face, ADOMA a su rester le premier opérateur français du logement accompagné.
Pour autant, des défis importants nous attendent. Ils tiennent autant à notre histoire qu'aux enjeux des mutations à venir. Comment moderniser sans faire table rase du passé ? Comment conserver votre identité et votre coeur d'action tout en repensant les fondamentaux de l'accompagnement social ?
Je veux tout d'abord parler du passé, de celui qui se lit sur les rides de vos résidents, dans la fatigue des mains de travailleurs manuels, sur les dos usés et les pas lents d'hommes qui ont beaucoup donné pour la France. Les jeunes travailleurs immigrés des Trente Glorieuses sont aujourd'hui à la retraite. Ces « chibanis » que l'on voit dans les rues de Paris avec leur costume impeccable et leur chapeau hiver comme été, qui jouent ensemble aux dominos sur les bancs du boulevard de Belleville, qui se sont attachés à notre pays, ces chibanis ou ces africains subsahariens qui portent le passé d'ADOMA et de la France, nous leur devons de rester à leurs côtés. Nous leur devons de les accompagner dans la vie sans usine, dans le grand âge, face à l'isolement.
Je sais que nous partageons cette ambition et que vous saurez relever le défi du vieillissement de vos résidents. C'est le sens de l'allocation spécifique que le gouvernement a mise en place, pour que les allers-retours qu'ils font souvent entre le Maghreb et la France ne les pénalisent pas dans leurs droits. Des formules nouvelles de type baux tournants sont peut-être aussi à imaginer pour faciliter leur maintien dans les résidences ADOMA, auquel la plupart d'entre eux sont très attachés.
Mais le passé, ce sont aussi des rémanences, comme ces bidonvilles aux portes de nos grandes métropoles. Sans commune mesure avec ceux des années 50 et 60, vous avez tout de même « repris du service » si j'ose dire, en participant depuis 2014 à une mission de résorption des bidonvilles. Grâce à votre savoir-faire, nous avons pu établir des diagnostics sociaux, accompagné les personnes vers un parc d'hébergement et les diriger pour une majorité vers le droit commun. Votre savoir-faire en la matière nous sera précieux pour aborder les défis urbains à venir.
On le voit, vous avez la lourde tâche de gérer les permanences des politiques publiques et d'en amorcer les mutations. La modernisation de votre patrimoine a été une demande forte des résidents et une volonté partagée de tous les acteurs. Elle s'est accompagnée d'un traitement plus individualisé des résidents et d'une individualisation des espaces de vie. Cela a été et reste un progrès important.
Malgré tout, on le voit encore aujourd'hui avec les hommes et les femmes qui arrivent chaque jour à Paris, le besoin de se réunir est consubstantiel à la migration. Le besoin d'être avec un « pays » (comme disaient les provinciaux montés à Paris au début du XXe siècle) est irrépressible. Le besoin de faire ensemble, de manger ensemble. Le besoin de parler sa langue maternelle, comme de construire un refuge sûr et bienveillant.
Ces besoins, nous ne pouvons les ignorer. Je ne méconnais pas les problèmes, je ne mésestime pas vos difficultés, je suis malgré tout persuadée que l'on peut proposer à chacun une réelle amélioration de sa qualité de vie sans nier son besoin de collectif.
En tant que ministre du Logement, je n'ai pas à prescrire telle ou telle solution pratique car vous êtes les meilleurs connaisseurs de vos métiers, mais je veux croire qu'ADOMA saura contribuer à produire des modes d'émancipation collectifs et personnels. Les comités de résidents mis en place par la loi ALUR doivent par exemple permettre de favoriser le dialogue entres gestionnaires et résidents. Au-delà des publics d'ADOMA, je pense que notre responsabilité dans la période difficile que la France traverse, c'est de retisser du lien social pour ne pas laisser aux idéologies mortifères le monopole de la cohésion collective.
Vivre ensemble : ce devrait être je crois le maitre mot de toute action publique aujourd'hui. La République fait face à des épreuves importantes, à des risques inconnus et à des mutations économiques et sociales conséquentes. L'enjeu est à la fois de vivre en sécurité (mon collègue Bernard Cazeneuve a dû vous en parler), dans respect des singularités ET de la cohésion nationale. L'histoire d'ADOMA, c'est l'histoire de la France disais-je en commençant mon propos. Comment allez-vous répondre à ces défis contemporains ? Comment renforcer la citoyenneté, comment construire des parcours d'intégration sociale et républicaine réussis, comment permettre à chacun de trouver une place dans notre pays ?
Vous avez déjà mis en place des solutions. Vous savez que la qualité de votre patrimoine, de son entretien et de sa gestion, est avant tout le signe du respect de la France pour les plus fragiles d'entre nous. Vous savez aussi que le monde s'est complexifié et que l'action sociale doit savoir guider dans une société en mouvement. Je ne doute pas que l'engagement de l'ensemble de vos équipes autour des convictions profondes de votre président Patrick Doutreligne aille dans le sens d'un renforcement de la qualité des bâtiments et des accompagnements sociaux. S'il ne fallait citer qu'un seul exemple, je pense à la transformation du plus grand centre d'hébergement parisien (la Boulangerie) afin de donner à chacun, 365 jours par an, des conditions d'accueil dignes et respectueuses.
Chers amis, vous le comprenez, pour votre nouvelle dcennie, notre défi commun, c'est de produire de la citoyenneté, de la décision collective, de la co-construction. Non pas pour sacrifier à une pseudo-modernité, mais parce que notre garantie commune, c'est que chacun se sente acteur de son parcours, y compris parmi les plus précaires d'entre nous. Le temps des décisions centralisées, qui vont tranquillement et efficacement du haut vers le bas, le temps des hiérarchies pyramidales n'est plus.
ADOMA, comme de très nombreuses institutions publiques et privées, intègre petit à petit cette nouvelle donne. Mais on ne va pas se raconter d'histoires, c'est parfois difficile de changer de modèle. Je suis persuadée, ici comme ailleurs, dans le secteur de l'hébergement comme dans le logement social ou les éco-quartiers, qu'il nous faut organiser la participation des habitants à la conception et au bon usage de de leur lieu de vie. Encore une fois, je n'ai pas d'injonction à vous donner, c'est à vous de trouver ces nouvelles voies pour construire une organisation plus inclusive, plus participative et devenir une véritable fabrique citoyenne. C'est je crois l'enjeu des années à venir.
Pour conclure chers amis, je voudrais vous redire que l'Etat reste pleinement mobilisé à vos côtés. Nous l'avons vu, nous avons une histoire commune, des enjeux partagés et un avenir à construire ensemble. Notre défi, c'est bien de permettre à la société française de se montrer accueillante pour ces femmes et ces hommes qui ont tout perdu, pour celles et ceux qui fuient la guerre, pour les accidentés de la vie, pour ceux qui se reconstruisent peu à peu, pour ceux dont le travail n'assure pas une existence digne.
Ensemble, nous allons ainsi redire que la société française peut être fière d'elle-même en se montrant solidaire et généreuse. C'est notre histoire et c'est bien là la véritable ambition républicaine.
Je vous remercie.
Source https://www.adoma.fr, le 7 décembre 2016 Monsieur le Président, cher Patrick Doutreligne
Monsieur le Directeur Général, cher Jean-Paul Clément,
Mesdames, Messieurs,
Chers amis,
C'est avec grand plaisir que j'ai répondu à votre invitation de prononcer le discours de clôture de ce colloque qui célèbre le 60ème anniversaire d'ADOMA. En tant que Ministre du Logement et de l'Habitat durable, c'est un honneur d'être parmi vous, pour célébrer un des plus grands acteurs de l'hébergement en France, à la suite de tous les brillants intervenants qui se sont exprimés et… juste avant le gâteau d'anniversaire. Mais c'est également un plaisir d'intervenir ici, dans cette salle prestigieuse de la Philharmonie qui accueille habituellement d'autres talents que ceux des acteurs de l'hébergement.
Alors, oui, chers amis, je vais vous le dire peut-être un peu pompeusement, mais simplement : l'histoire d'ADOMA, c'est l'histoire de la France, c'est l'aventure de son immigration, c'est l'épopée du travail dans notre pays. Je ne me ferai pas historienne de l'entreprise ADOMA. D'autres que moi sont plus compétents pour le faire, comme vous vous en êtes sans doute aperçus au cours de cette journée. Je veux simplement dire ma conviction, à la suite de l'intervention de Nancy Green tout à l'heure, que le lien entre l'immigration et le dynamisme de notre pays est avéré et essentiel.
Mais revenons à ADOMA.
Si, comme je vous le disais, l'histoire d'ADOMA, c'est l'histoire de la France, c'est aussi celle de l'Etat, de ses rapports successifs à l'immigration et de sa conception de ses missions. Et c'est à la fois en tant qu'institution héritière de ces grands choix stratégiques de l'Etat, mais également animée d'une volonté réformatrice (que nous partageons), que je veux relire rapidement l'histoire d'ADOMA.
Il y a donc 60 ans, ADOMA nait de la volonté de l'Etat en pleine guerre d'Algérie sous le nom de la SONACOTRAL (SOciété NAtionale de COnstruction de logements pour les TRAvailleurs ALgériens). L'ancêtre d'ADOMA est fondée en 1956 pour résorber les bidonvilles qui entourent Paris, pour mettre fin à l'habitat dans des cafés-hôtels insalubres, pour donner un toit digne aux dizaines de milliers d'algériens venus construire en métropole les logements et les routes de la France du baby-boom. Le « public » (comme on dit aujourd'hui) de la SONACOTRAL est parfaitement homogène. Rapidement, en 1962, la fin de la guerre d'Algérie oblige à changer de nom et à élargir le public attendu. La SONACOTRAL devient ainsi la SONACOTRA (Société nationale de construction de logements pour les travailleurs).
Cette immigration économique dans un pays de plein emploi qui connait une croissance à plus de 5% est composée d'ouvriers, des hommes jeunes, venus de de l'ancien empire colonial français, très peu formés, le plus souvent issus des campagnes. Ils sont hébergés dans des Foyers de Travailleurs Migrants. Rapide, massive, on peut même dire industrielle, la prise en charge de ces immigrés correspond à une vision de cette classe ouvrière venue des anciennes colonies que l'on pourrait aujourd'hui discuter assez longuement. Mais ce n'est pas notre sujet.
Après l'effort de reconstruction, la main d'oeuvre étrangère va participer à la croissance soutenue des Trente Glorieuses. La SONACOTRA doit maintenir un rythme de construction important. C'est le temps des chambres collectives, des sanitaires et des cuisines partagées. Pour le dire vite et franchement, la France a logé rapidement et en masse ceux qui affluaient sur son territoire pour venir y travailler sans trop se soucier d'en faire des habitants à part entière de notre pays. La SONACOTRA a participé de cet accueil massif et son patrimoine et son nom ont été durablement associés à cette époque d'accueil massif.
Mais ceux que l'on pensait être des travailleurs interchangeables qui repartiraient dans leurs pays d'origine se sont attachés à la France, y ont construit des solidarités, des histoires militantes, amoureuses, citoyennes. Durant les années 70, je suis désolé de rappeler des moments difficiles, la SONACOTRA a fait face à des mouvements de contestation forts. Mais Les grèves de loyers et les secousses sociales qui ont traversé les foyers de travailleurs migrants, parlent autant de l'état des bâtiments construits (très et peut-être trop rapidement), que de la nécessité pour cette immigration de devenir visible. Encore une fois, les mutations d'ADOMA, les difficultés d'ADOMA sont celles de l'Etat et de toute la France.
Les immigrés, arrivés jeunes, ont vieilli, se sont mariés, veulent faire venir leur femmes, leurs enfants souvent restés au pays. La France se confronte au regroupement familial et ADOMA doit alors faire face à la mutation des populations immigrées de France. La fin des années 70, les chocs pétroliers, l'arrivée de la gauche au pouvoir, la crise économique qui s'installe, la montée du chômage appellent à une révision de notre conception de l'immigration, et ADOMA va accompagner ce mouvement. La société qui construisait et gérait des Foyers de travailleurs migrants presque 100 % masculins va devoir réinventer ses métiers pour répondre à de nouveaux besoins et pour s'adapter à de nouveaux publics.
Dans le courant des années 90, il s'impose à tous que le modèle des Foyers de Travailleurs Migrants des Trente Glorieuses a vécu et s'est considérablement essoufflé. La SONACOTRA commence alors un long travail de mutation et de réhabilitation de son patrimoine, autant qu'une réflexion sur son action. Les FTM sont progressivement transformés en résidences sociales et les configurations des logements changent. Dans cette grande vague de modernisation (qui s'achèvera en 2026), le standard de confort évolue et la norme devient celle d'une kitchenette et d'une salle d'eau par logement. Cela n'ira pas sans poser quelques difficultés.
Cette mutation-modernisation de la SONACOTRA, ce développement des résidences sociales et des pensions de familles aux côtés des anciens FTM, c'est aussi une réponse aux nécessités de l'époque. Le travailleur pauvre a changé de visage. Il est aujourd'hui précaire, enchaînement de courts CDD, travaillant quelques heures le matin, parfois diplômé. Je dis « il », mais je devrais aussi dire « elle » en pensant à ces nouvelles pauvretés, à ces femmes seules qui élèvent leurs enfants et courent de petits boulots en mission d'intérim. La SONACOTRA ne va pas les ignorer et va faire évoluer son patrimoine, ses métiers, ses dispositifs d'accompagnement social. Au tournant des années 2000, le temps de la SONACOTRAL semble lointain.
C'est en 2007, à l'occasion d'une transformation de l'actionnariat, la SONACOTRA devient ADOMA. En oubliant ce nom sans doute un peu désuet et que l'on pouvait regarder comme une photo sépia, l'entreprise se déleste ainsi de l'étiquette d'un passé qui ne correspond plus vraiment aux réalités de son action, mais elle perd aussi une identité forte. Les Français connaissaient la SONACOTRA, comme une partie de leur histoire, il peine encore à s'approprier ADOMA. Cette évolution institutionnelle ne s'en poursuit pas moins avec le nouveau pacte actionnarial établi en 2014. Il a permis à la Société Nationale Immobilière, filière immobilière de la Caisse des Dépôts et Consignation, de devenir majoritaire, tout en préservant une participation stratégique de l'Etat, à plus de 42%. Cela a permis de renforcer ADOMA et de lui permettre son développement.
Nous voici donc à la fin d'une décennie de profondes mutations pour ADOMA et pour la société française. ADOMA prend aujourd'hui toute sa part et accompagne pleinement l'Etat pour faire face à la grande précarité, aux mutations des migrations, aux nouvelles incertitudes du temps présent. Avec plus de 70 000 logements gérés et 74 000 clients, la moitié des Foyers de Travailleurs Migrants en gestion, ADOMA reste l'acteur majeur du secteur du logement accompagné.
ADOMA participe également de l'engagement de l'Etat pour faire face à une crise migratoire sans précédent et vous êtes pleinement à nos côtés pour gérer les Centres d'Accueil et d'Orientation, les Centres d'Accueil pour les Demandeurs d'Asile.
A vos côtés, aussi prestigieuse soit cette salle de la Philharmonie, je n'oublie pas que je parle ici depuis les quartiers du Nord-Est parisien où des femmes et d'hommes viennent trouver refuge. Je n'oublie pas que vous accompagnez chaque jour les services de l'Etat pour mettre à l'abri ceux qui fuient les guerres et les violences. Sans vous, nous n'aurions pas réussi à mettre à l'abri (à Paris), au cours de 28 opérations d'évacuation, près de 16 000 personnes. Sans votre concours, nous ne pourrions pas héberger et accompagner à ce jour près de 6790 personnes, en ouvrant 161 CAO dans 78 départements. Sans vous, nous ne pourrions pas construire convenablement le chemin qui va de la mise à l'abri des migrants jusqu'à leur demande d'asile.
En 5 ans, avec votre concours, l'Etat a ainsi quasiment doublé le nombre de places du Dispositif National d'Accueil des demandeurs d'asile, passant de 21 000 places en 2011 à 37 932 aujourd'hui. Grâce à vous enfin, la France peut tenir ses engagements européens et vous contribuez à accueillir dignement les « relocalisés » et « réinstallés » qui nous arrivent des hotspots grecs et turques ou des camps de Jordanie et du Liban, en les accompagnants dans des logements sociaux répartis sur l'ensemble du territoire.
La plate-forme de relogement des réfugiés mis en place à la DIHAL, dans laquelle je sais que vous êtes très impliqués, est un dispositif réellement innovant qui a déjà permis de loger plus de 1000 personnes et a vocation à monter en charge au cours de l'année qui vient.
En poursuivant la modernisation de son patrimoine, en s'ouvrant à des nouveaux publics et à de nouveaux métiers, en réinventant les cadres de son action, en répondant présent lors des crises auxquelles la France doit faire face, ADOMA a su rester le premier opérateur français du logement accompagné.
Pour autant, des défis importants nous attendent. Ils tiennent autant à notre histoire qu'aux enjeux des mutations à venir. Comment moderniser sans faire table rase du passé ? Comment conserver votre identité et votre coeur d'action tout en repensant les fondamentaux de l'accompagnement social ?
Je veux tout d'abord parler du passé, de celui qui se lit sur les rides de vos résidents, dans la fatigue des mains de travailleurs manuels, sur les dos usés et les pas lents d'hommes qui ont beaucoup donné pour la France. Les jeunes travailleurs immigrés des Trente Glorieuses sont aujourd'hui à la retraite. Ces « chibanis » que l'on voit dans les rues de Paris avec leur costume impeccable et leur chapeau hiver comme été, qui jouent ensemble aux dominos sur les bancs du boulevard de Belleville, qui se sont attachés à notre pays, ces chibanis ou ces africains subsahariens qui portent le passé d'ADOMA et de la France, nous leur devons de rester à leurs côtés. Nous leur devons de les accompagner dans la vie sans usine, dans le grand âge, face à l'isolement.
Je sais que nous partageons cette ambition et que vous saurez relever le défi du vieillissement de vos résidents. C'est le sens de l'allocation spécifique que le gouvernement a mise en place, pour que les allers-retours qu'ils font souvent entre le Maghreb et la France ne les pénalisent pas dans leurs droits. Des formules nouvelles de type baux tournants sont peut-être aussi à imaginer pour faciliter leur maintien dans les résidences ADOMA, auquel la plupart d'entre eux sont très attachés.
Mais le passé, ce sont aussi des rémanences, comme ces bidonvilles aux portes de nos grandes métropoles. Sans commune mesure avec ceux des années 50 et 60, vous avez tout de même « repris du service » si j'ose dire, en participant depuis 2014 à une mission de résorption des bidonvilles. Grâce à votre savoir-faire, nous avons pu établir des diagnostics sociaux, accompagné les personnes vers un parc d'hébergement et les diriger pour une majorité vers le droit commun. Votre savoir-faire en la matière nous sera précieux pour aborder les défis urbains à venir.
On le voit, vous avez la lourde tâche de gérer les permanences des politiques publiques et d'en amorcer les mutations. La modernisation de votre patrimoine a été une demande forte des résidents et une volonté partagée de tous les acteurs. Elle s'est accompagnée d'un traitement plus individualisé des résidents et d'une individualisation des espaces de vie. Cela a été et reste un progrès important.
Malgré tout, on le voit encore aujourd'hui avec les hommes et les femmes qui arrivent chaque jour à Paris, le besoin de se réunir est consubstantiel à la migration. Le besoin d'être avec un « pays » (comme disaient les provinciaux montés à Paris au début du XXe siècle) est irrépressible. Le besoin de faire ensemble, de manger ensemble. Le besoin de parler sa langue maternelle, comme de construire un refuge sûr et bienveillant.
Ces besoins, nous ne pouvons les ignorer. Je ne méconnais pas les problèmes, je ne mésestime pas vos difficultés, je suis malgré tout persuadée que l'on peut proposer à chacun une réelle amélioration de sa qualité de vie sans nier son besoin de collectif.
En tant que ministre du Logement, je n'ai pas à prescrire telle ou telle solution pratique car vous êtes les meilleurs connaisseurs de vos métiers, mais je veux croire qu'ADOMA saura contribuer à produire des modes d'émancipation collectifs et personnels. Les comités de résidents mis en place par la loi ALUR doivent par exemple permettre de favoriser le dialogue entres gestionnaires et résidents. Au-delà des publics d'ADOMA, je pense que notre responsabilité dans la période difficile que la France traverse, c'est de retisser du lien social pour ne pas laisser aux idéologies mortifères le monopole de la cohésion collective.
Vivre ensemble : ce devrait être je crois le maitre mot de toute action publique aujourd'hui. La République fait face à des épreuves importantes, à des risques inconnus et à des mutations économiques et sociales conséquentes. L'enjeu est à la fois de vivre en sécurité (mon collègue Bernard Cazeneuve a dû vous en parler), dans respect des singularités ET de la cohésion nationale. L'histoire d'ADOMA, c'est l'histoire de la France disais-je en commençant mon propos. Comment allez-vous répondre à ces défis contemporains ? Comment renforcer la citoyenneté, comment construire des parcours d'intégration sociale et républicaine réussis, comment permettre à chacun de trouver une place dans notre pays ?
Vous avez déjà mis en place des solutions. Vous savez que la qualité de votre patrimoine, de son entretien et de sa gestion, est avant tout le signe du respect de la France pour les plus fragiles d'entre nous. Vous savez aussi que le monde s'est complexifié et que l'action sociale doit savoir guider dans une société en mouvement. Je ne doute pas que l'engagement de l'ensemble de vos équipes autour des convictions profondes de votre président Patrick Doutreligne aille dans le sens d'un renforcement de la qualité des bâtiments et des accompagnements sociaux. S'il ne fallait citer qu'un seul exemple, je pense à la transformation du plus grand centre d'hébergement parisien (la Boulangerie) afin de donner à chacun, 365 jours par an, des conditions d'accueil dignes et respectueuses.
Chers amis, vous le comprenez, pour votre nouvelle décennie, notre défi commun, c'est de produire de la citoyenneté, de la décision collective, de la co-construction. Non pas pour sacrifier à une pseudo-modernité, mais parce que notre garantie commune, c'est que chacun se sente acteur de son parcours, y compris parmi les plus précaires d'entre nous. Le temps des décisions centralisées, qui vont tranquillement et efficacement du haut vers le bas, le temps des hiérarchies pyramidales n'est plus.
ADOMA, comme de très nombreuses institutions publiques et privées, intègre petit à petit cette nouvelle donne. Mais on ne va pas se raconter d'histoires, c'est parfois difficile de changer de modèle. Je suis persuadée, ici comme ailleurs, dans le secteur de l'hébergement comme dans le logement social ou les éco-quartiers, qu'il nous faut organiser la participation des habitants à la conception et au bon usage de de leur lieu de vie. Encore une fois, je n'ai pas d'injonction à vous donner, c'est à vous de trouver ces nouvelles voies pour construire une organisation plus inclusive, plus participative et devenir une véritable fabrique citoyenne. C'est je crois l'enjeu des années à venir.
Pour conclure chers amis, je voudrais vous redire que l'Etat reste pleinement mobilisé à vos côtés. Nous l'avons vu, nous avons une histoire commune, des enjeux partagés et un avenir à construire ensemble. Notre défi, c'est bien de permettre à la société française de se montrer accueillante pour ces femmes et ces hommes qui ont tout perdu, pour celles et ceux qui fuient la guerre, pour les accidentés de la vie, pour ceux qui se reconstruisent peu à peu, pour ceux dont le travail n'assure pas une existence digne.
Ensemble, nous allons ainsi redire que la société française peut être fière d'elle-même en se montrant solidaire et généreuse. C'est notre histoire et c'est bien là la véritable ambition républicaine.
Je vous remercie.
Source https://www.adoma.fr, le 7 décembre 2016 Monsieur le Président, cher Patrick Doutreligne
Monsieur le Directeur Général, cher Jean-Paul Clément,
Mesdames, Messieurs,
Chers amis,
C'est avec grand plaisir que j'ai répondu à votre invitation de prononcer le discours de clôture de ce colloque qui célèbre le 60ème anniversaire d'ADOMA. En tant que Ministre du Logement et de l'Habitat durable, c'est un honneur d'être parmi vous, pour célébrer un des plus grands acteurs de l'hébergement en France, à la suite de tous les brillants intervenants qui se sont exprimés et… juste avant le gâteau d'anniversaire. Mais c'est également un plaisir d'intervenir ici, dans cette salle prestigieuse de la Philharmonie qui accueille habituellement d'autres talents que ceux des acteurs de l'hébergement.
Alors, oui, chers amis, je vais vous le dire peut-être un peu pompeusement, mais simplement : l'histoire d'ADOMA, c'est l'histoire de la France, c'est l'aventure de son immigration, c'est l'popée du travail dans notre pays. Je ne me ferai pas historienne de l'entreprise ADOMA. D'autres que moi sont plus compétents pour le faire, comme vous vous en êtes sans doute aperçus au cours de cette journée. Je veux simplement dire ma conviction, à la suite de l'intervention de Nancy Green tout à l'heure, que le lien entre l'immigration et le dynamisme de notre pays est avéré et essentiel.
Mais revenons à ADOMA.
Si, comme je vous le disais, l'histoire d'ADOMA, c'est l'histoire de la France, c'est aussi celle de l'Etat, de ses rapports successifs à l'immigration et de sa conception de ses missions. Et c'est à la fois en tant qu'institution héritière de ces grands choix stratégiques de l'Etat, mais également animée d'une volonté réformatrice (que nous partageons), que je veux relire rapidement l'histoire d'ADOMA.
Il y a donc 60 ans, ADOMA nait de la volonté de l'Etat en pleine guerre d'Algérie sous le nom de la SONACOTRAL (SOciété NAtionale de COnstruction de logements pour les TRAvailleurs ALgériens). L'ancêtre d'ADOMA est fondée en 1956 pour résorber les bidonvilles qui entourent Paris, pour mettre fin à l'habitat dans des cafés-hôtels insalubres, pour donner un toit digne aux dizaines de milliers d'algériens venus construire en métropole les logements et les routes de la France du baby-boom. Le « public » (comme on dit aujourd'hui) de la SONACOTRAL est parfaitement homogène. Rapidement, en 1962, la fin de la guerre d'Algérie oblige à changer de nom et à élargir le public attendu. La SONACOTRAL devient ainsi la SONACOTRA (Société nationale de construction de logements pour les travailleurs).
Cette immigration économique dans un pays de plein emploi qui connait une croissance à plus de 5% est composée d'ouvriers, des hommes jeunes, venus de de l'ancien empire colonial français, très peu formés, le plus souvent issus des campagnes. Ils sont hébergés dans des Foyers de Travailleurs Migrants. Rapide, massive, on peut même dire industrielle, la prise en charge de ces immigrés correspond à une vision de cette classe ouvrière venue des anciennes colonies que l'on pourrait aujourd'hui discuter assez longuement. Mais ce n'est pas notre sujet.
Après l'effort de reconstruction, la main d'oeuvre étrangère va participer à la croissance soutenue des Trente Glorieuses. La SONACOTRA doit maintenir un rythme de construction important. C'est le temps des chambres collectives, des sanitaires et des cuisines partagées. Pour le dire vite et franchement, la France a logé rapidement et en masse ceux qui affluaient sur son territoire pour venir y travailler sans trop se soucier d'en faire des habitants à part entière de notre pays. La SONACOTRA a participé de cet accueil massif et son patrimoine et son nom ont été durablement associés à cette époque d'accueil massif.
Mais ceux que l'on pensait être des travailleurs interchangeables qui repartiraient dans leurs pays d'origine se sont attachés à la France, y ont construit des solidarités, des histoires militantes, amoureuses, citoyennes. Durant les années 70, je suis désolé de rappeler des moments difficiles, la SONACOTRA a fait face à des mouvements de contestation forts. Mais Les grèves de loyers et les secousses sociales qui ont traversé les foyers de travailleurs migrants, parlent autant de l'état des bâtiments construits (très et peut-être trop rapidement), que de la nécessité pour cette immigration de devenir visible. Encore une fois, les mutations d'ADOMA, les difficultés d'ADOMA sont celles de l'Etat et de toute la France.
Les immigrés, arrivés jeunes, ont vieilli, se sont mariés, veulent faire venir leur femmes, leurs enfants souvent restés au pays. La France se confronte au regroupement familial et ADOMA doit alors faire face à la mutation des populations immigrées de France. La fin des années 70, les chocs pétroliers, l'arrivée de la gauche au pouvoir, la crise économique qui s'installe, la montée du chômage appellent à une révision de notre conception de l'immigration, et ADOMA va accompagner ce mouvement. La société qui construisait et gérait des Foyers de travailleurs migrants presque 100 % masculins va devoir réinventer ses métiers pour répondre à de nouveaux besoins et pour s'adapter à de nouveaux publics.
Dans le courant des années 90, il s'impose à tous que le modèle des Foyers de Travailleurs Migrants des Trente Glorieuses a vécu et s'est considérablement essoufflé. La SONACOTRA commence alors un long travail de mutation et de réhabilitation de son patrimoine, autant qu'une réflexion sur son action. Les FTM sont progressivement transformés en résidences sociales et les configurations des logements changent. Dans cette grande vague de modernisation (qui s'achèvera en 2026), le standard de confort évolue et la norme devient celle d'une kitchenette et d'une salle d'eau par logement. Cela n'ira pas sans poser quelques difficultés.
Cette mutation-modernisation de la SONACOTRA, ce développement des résidences sociales et des pensions de familles aux côtés des anciens FTM, c'est aussi une réponse aux nécessités de l'époque. Le travailleur pauvre a changé de visage. Il est aujourd'hui précaire, enchaînement de courts CDD, travaillant quelques heures le matin, parfois diplômé. Je dis « il », mais je devrais aussi dire « elle » en pensant à ces nouvelles pauvretés, à ces femmes seules qui élèvent leurs enfants et courent de petits boulots en mission d'intérim. La SONACOTRA ne va pas les ignorer et va faire évoluer son patrimoine, ses métiers, ses dispositifs d'accompagnement social. Au tournant des années 2000, le temps de la SONACOTRAL semble lointain.
C'est en 2007, à l'occasion d'une transformation de l'actionnariat, la SONACOTRA devient ADOMA. En oubliant ce nom sans doute un peu désuet et que l'on pouvait regarder comme une photo sépia, l'entreprise se déleste ainsi de l'étiquette d'un passé qui ne correspond plus vraiment aux réalités de son action, mais elle perd aussi une identité forte. Les Français connaissaient la SONACOTRA, comme une partie de leur histoire, il peine encore à s'approprier ADOMA. Cette évolution institutionnelle ne s'en poursuit pas moins avec le nouveau pacte actionnarial établi en 2014. Il a permis à la Société Nationale Immobilière, filière immobilière de la Caisse des Dépôts et Consignation, de devenir majoritaire, tout en préservant une participation stratégique de l'Etat, à plus de 42%. Cela a permis de renforcer ADOMA et de lui permettre son développement.
Nous voici donc à la fin d'une décennie de profondes mutations pour ADOMA et pour la société française. ADOMA prend aujourd'hui toute sa part et accompagne pleinement l'Etat pour faire face à la grande précarité, aux mutations des migrations, aux nouvelles incertitudes du temps présent. Avec plus de 70 000 logements gérés et 74 000 clients, la moitié des Foyers de Travailleurs Migrants en gestion, ADOMA reste l'acteur majeur du secteur du logement accompagné.
ADOMA participe également de l'engagement de l'Etat pour faire face à une crise migratoire sans précédent et vous êtes pleinement à nos côtés pour gérer les Centres d'Accueil et d'Orientation, les Centres d'Accueil pour les Demandeurs d'Asile.
A vos côtés, aussi prestigieuse soit cette salle de la Philharmonie, je n'oublie pas que je parle ici depuis les quartiers du Nord-Est parisien où des femmes et d'hommes viennent trouver refuge. Je n'oublie pas que vous accompagnez chaque jour les services de l'Etat pour mettre à l'abri ceux qui fuient les guerres et les violences. Sans vous, nous n'aurions pas réussi à mettre à l'abri (à Paris), au cours de 28 opérations d'évacuation, près de 16 000 personnes. Sans votre concours, nous ne pourrions pas héberger et accompagner à ce jour près de 6790 personnes, en ouvrant 161 CAO dans 78 départements. Sans vous, nous ne pourrions pas construire convenablement le chemin qui va de la mise à l'abri des migrants jusqu'à leur demande d'asile.
En 5 ans, avec votre concours, l'Etat a ainsi quasiment doublé le nombre de places du Dispositif National d'Accueil des demandeurs d'asile, passant de 21 000 places en 2011 à 37 932 aujourd'hui. Grâce à vous enfin, la France peut tenir ses engagements européens et vous contribuez à accueillir dignement les « relocalisés » et « réinstallés » qui nous arrivent des hotspots grecs et turques ou des camps de Jordanie et du Liban, en les accompagnants dans des logements sociaux répartis sur l'ensemble du territoire.
La plate-forme de relogement des réfugiés mis en place à la DIHAL, dans laquelle je sais que vous êtes très impliqués, est un dispositif réellement innovant qui a déjà permis de loger plus de 1000 personnes et a vocation à monter en charge au cours de l'année qui vient.
En poursuivant la modernisation de son patrimoine, en s'ouvrant à des nouveaux publics et à de nouveaux métiers, en réinventant les cadres de son action, en répondant présent lors des crises auxquelles la France doit faire face, ADOMA a su rester le premier opérateur français du logement accompagné.
Pour autant, des défis importants nous attendent. Ils tiennent autant à notre histoire qu'aux enjeux des mutations à venir. Comment moderniser sans faire table rase du passé ? Comment conserver votre identité et votre coeur d'action tout en repensant les fondamentaux de l'accompagnement social ?
Je veux tout d'abord parler du passé, de celui qui se lit sur les rides de vos résidents, dans la fatigue des mains de travailleurs manuels, sur les dos usés et les pas lents d'hommes qui ont beaucoup donné pour la France. Les jeunes travailleurs immigrés des Trente Glorieuses sont aujourd'hui à la retraite. Ces « chibanis » que l'on voit dans les rues de Paris avec leur costume impeccable et leur chapeau hiver comme été, qui jouent ensemble aux dominos sur les bancs du boulevard de Belleville, qui se sont attachés à notre pays, ces chibanis ou ces africains subsahariens qui portent le passé d'ADOMA et de la France, nous leur devons de rester à leurs côtés. Nous leur devons de les accompagner dans la vie sans usine, dans le grand âge, face à l'isolement.
Je sais que nous partageons cette ambition et que vous saurez relever le défi du vieillissement de vos résidents. C'est le sens de l'allocation spécifique que le gouvernement a mise en place, pour que les allers-retours qu'ils font souvent entre le Maghreb et la France ne les pénalisent pas dans leurs droits. Des formules nouvelles de type baux tournants sont peut-être aussi à imaginer pour faciliter leur maintien dans les résidences ADOMA, auquel la plupart d'entre eux sont très attachés.
Mais le passé, ce sont aussi des rémanences, comme ces bidonvilles aux portes de nos grandes métropoles. Sans commune mesure avec ceux des années 50 et 60, vous avez tout de même « repris du service » si j'ose dire, en participant depuis 2014 à une mission de résorption des bidonvilles. Grâce à votre savoir-faire, nous avons pu établir des diagnostics sociaux, accompagné les personnes vers un parc d'hébergement et les diriger pour une majorité vers le droit commun. Votre savoir-faire en la matière nous sera précieux pour aborder les défis urbains à venir.
On le voit, vous avez la lourde tâche de gérer les permanences des politiques publiques et d'en amorcer les mutations. La modernisation de votre patrimoine a été une demande forte des résidents et une volonté partagée de tous les acteurs. Elle s'est accompagnée d'un traitement plus individualisé des résidents et d'une individualisation des espaces de vie. Cela a été et reste un progrès important.
Malgré tout, on le voit encore aujourd'hui avec les hommes et les femmes qui arrivent chaque jour à Paris, le besoin de se réunir est consubstantiel à la migration. Le besoin d'être avec un « pays » (comme disaient les provinciaux montés à Paris au début du XXe siècle) est irrépressible. Le besoin de faire ensemble, de manger ensemble. Le besoin de parler sa langue maternelle, comme de construire un refuge sûr et bienveillant.
Ces besoins, nous ne pouvons les ignorer. Je ne méconnais pas les problèmes, je ne mésestime pas vos difficultés, je suis malgré tout persuadée que l'on peut proposer à chacun une réelle amélioration de sa qualité de vie sans nier son besoin de collectif.
En tant que ministre du Logement, je n'ai pas à prescrire telle ou telle solution pratique car vous êtes les meilleurs connaisseurs de vos métiers, mais je veux croire qu'ADOMA saura contribuer à produire des modes d'émancipation collectifs et personnels. Les comités de résidents mis en place par la loi ALUR doivent par exemple permettre de favoriser le dialogue entres gestionnaires et résidents. Au-delà des publics d'ADOMA, je pense que notre responsabilité dans la période difficile que la France traverse, c'est de retisser du lien social pour ne pas laisser aux idéologies mortifères le monopole de la cohésion collective.
Vivre ensemble : ce devrait être je crois le maitre mot de toute action publique aujourd'hui. La République fait face à des épreuves importantes, à des risques inconnus et à des mutations économiques et sociales conséquentes. L'enjeu est à la fois de vivre en sécurité (mon collègue Bernard Cazeneuve a dû vous en parler), dans respect des singularités ET de la cohésion nationale. L'histoire d'ADOMA, c'est l'histoire de la France disais-je en commençant mon propos. Comment allez-vous répondre à ces défis contemporains ? Comment renforcer la citoyenneté, comment construire des parcours d'intégration sociale et républicaine réussis, comment permettre à chacun de trouver une place dans notre pays ?
Vous avez déjà mis en place des solutions. Vous savez que la qualité de votre patrimoine, de son entretien et de sa gestion, est avant tout le signe du respect de la France pour les plus fragiles d'entre nous. Vous savez aussi que le monde s'est complexifié et que l'action sociale doit savoir guider dans une société en mouvement. Je ne doute pas que l'engagement de l'ensemble de vos équipes autour des convictions profondes de votre président Patrick Doutreligne aille dans le sens d'un renforcement de la qualité des bâtiments et des accompagnements sociaux. S'il ne fallait citer qu'un seul exemple, je pense à la transformation du plus grand centre d'hébergement parisien (la Boulangerie) afin de donner à chacun, 365 jours par an, des conditions d'accueil dignes et respectueuses.
Chers amis, vous le comprenez, pour votre nouvelle décennie, notre défi commun, c'est de produire de la citoyenneté, de la décision collective, de la co-construction. Non pas pour sacrifier à une pseudo-modernité, mais parce que notre garantie commune, c'est que chacun se sente acteur de son parcours, y compris parmi les plus précaires d'entre nous. Le temps des décisions centralisées, qui vont tranquillement et efficacement du haut vers le bas, le temps des hiérarchies pyramidales n'est plus.
ADOMA, comme de très nombreuses institutions publiques et privées, intègre petit à petit cette nouvelle donne. Mais on ne va pas se raconter d'histoires, c'est parfois difficile de changer de modèle. Je suis persuadée, ici comme ailleurs, dans le secteur de l'hébergement comme dans le logement social ou les éco-quartiers, qu'il nous faut organiser la participation des habitants à la conception et au bon usage de de leur lieu de vie. Encore une fois, je n'ai pas d'injonction à vous donner, c'est à vous de trouver ces nouvelles voies pour construire une organisation plus inclusive, plus participative et devenir une véritable fabrique citoyenne. C'est je crois l'enjeu des années à venir.
Pour conclure chers amis, je voudrais vous redire que l'Etat reste pleinement mobilisé à vos côtés. Nous l'avons vu, nous avons une histoire commune, des enjeux partagés et un avenir à construire ensemble. Notre défi, c'est bien de permettre à la société française de se montrer accueillante pour ces femmes et ces hommes qui ont tout perdu, pour celles et ceux qui fuient la guerre, pour les accidentés de la vie, pour ceux qui se reconstruisent peu à peu, pour ceux dont le travail n'assure pas une existence digne.
Ensemble, nous allons ainsi redire que la société française peut être fière d'elle-même en se montrant solidaire et généreuse. C'est notre histoire et c'est bien là la véritable ambition républicaine.
Je vous remercie.
Source https://www.adoma.fr, le 7 décembre 2016 Monsieur le Président, cher Patrick Doutreligne
Monsieur le Directeur Général, cher Jean-Paul Clément,
Mesdames, Messieurs,
Chers amis,
C'est avec grand plaisir que j'ai répondu à votre invitation de prononcer le discours de clôture de ce colloque qui célèbre le 60ème anniversaire d'ADOMA. En tant que Ministre du Logement et de l'Habitat durable, c'est un honneur d'être parmi vous, pour célébrer un des plus grands acteurs de l'hébergement en France, à la suite de tous les brillants intervenants qui se sont exprimés et… juste avant le gâteau d'anniversaire. Mais c'est également un plaisir d'intervenir ici, dans cette salle prestigieuse de la Philharmonie qui accueille habituellement d'autres talents que ceux des acteurs de l'hébergement.
Alors, oui, chers amis, je vais vous le dire peut-être un peu pompeusement, mais simplement : l'histoire d'ADOMA, c'est l'histoire de la France, c'est l'aventure de son immigration, c'est l'épopée du travail dans notre pays. Je ne me ferai pas historienne de l'entreprise ADOMA. D'autres que moi sont plus compétents pour le faire, comme vous vous en êtes sans doute aperçus au cours de cette journée. Je veux simplement dire ma conviction, à la suite de l'intervention de Nancy Green tout à l'heure, que le lien entre l'immigration et le dynamisme de notre pays est avéré et essentiel.
Mais revenons à ADOMA.
Si, comme je vous le disais, l'histoire d'ADOMA, c'est l'histoire de la France, c'est aussi celle de l'Etat, de ses rapports successifs à l'immigration et de sa conception de ses missions. Et c'est à la fois en tant qu'institution héritière de ces grands choix stratégiques de l'Etat, mais également animée d'une volonté réformatrice (que nous partageons), que je veux relire rapidement l'histoire d'ADOMA.
Il y a donc 60 ans, ADOMA nait de la volonté de l'Etat en pleine guerre d'Algérie sous le nom de la SONACOTRAL (SOciété NAtionale de COnstruction de logements pour les TRAvailleurs ALgériens). L'ancêtre d'ADOMA est fondée en 1956 pour résorber les bidonvilles qui entourent Paris, pour mettre fin à l'habitat dans des cafés-hôtels insalubres, pour donner un toit digne aux dizaines de milliers d'algériens venus construire en métropole les logements et les routes de la France du baby-boom. Le « public » (comme on dit aujourd'hui) de la SONACOTRAL est parfaitement homogène. Rapidement, en 1962, la fin de la guerre d'Algérie oblige à changer de nom et à élargir le public attendu. La SONACOTRAL devient ainsi la SONACOTRA (Société nationale de construction de logements pour les travailleurs).
Cette immigration économique dans un pays de plein emploi qui connait une croissance à plus de 5% est composée d'ouvriers, des hommes jeunes, venus de de l'ancien empire colonial français, très peu formés, le plus souvent issus des campagnes. Ils sont hébergés dans des Foyers de Travailleurs Migrants. Rapide, massive, on peut même dire industrielle, la prise en charge de ces immigrés correspond à une vision de cette classe ouvrière venue des anciennes colonies que l'on pourrait aujourd'hui discuter assez longuement. Mais ce n'est pas notre sujet.
Après l'effort de reconstruction, la main d'oeuvre étrangère va participer à la croissance soutenue des Trente Glorieuses. La SONACOTRA doit maintenir un rythme de construction important. C'est le temps des chambres collectives, des sanitaires et des cuisines partagées. Pour le dire vite et franchement, la France a logé rapidement et en masse ceux qui affluaient sur son territoire pour venir y travailler sans trop se soucier d'en faire des habitants à part entière de notre pays. La SONACOTRA a participé de cet accueil massif et son patrimoine et son nom ont été durablement associés à cette époque d'accueil massif.
Mais ceux que l'on pensait être des travailleurs interchangeables qui repartiraient dans leurs pays d'origine se sont attachés à la France, y ont construit des solidarités, des histoires militantes, amoureuses, citoyennes. Durant les années 70, je suis désolé de rappeler des moments difficiles, la SONACOTRA a fait face à des mouvements de contestation forts. Mais Les grèves de loyers et les secousses sociales qui ont traversé les foyers de travailleurs migrants, parlent autant de l'état des bâtiments construits (très et peut-être trop rapidement), que de la nécessité pour cette immigration de devenir visible. Encore une fois, les mutations d'ADOMA, les difficultés d'ADOMA sont celles de l'Etat et de toute la France.
Les immigrés, arrivés jeunes, ont vieilli, se sont mariés, veulent faire venir leur femmes, leurs enfants souvent restés au pays. La France se confronte au regroupement familial et ADOMA doit alors faire face à la mutation des populations immigrées de France. La fin des années 70, les chocs pétroliers, l'arrivée de la gauche au pouvoir, la crise économique qui s'installe, la montée du chômage appellent à une révision de notre conception de l'immigration, et ADOMA va accompagner ce mouvement. La société qui construisait et gérait des Foyers de travailleurs migrants presque 100 % masculins va devoir réinventer ses métiers pour répondre à de nouveaux besoins et pour s'adapter à de nouveaux publics.
Dans le courant des années 90, il s'impose à tous que le modèle des Foyers de Travailleurs Migrants des Trente Glorieuses a vécu et s'est considérablement essoufflé. La SONACOTRA commence alors un long travail de mutation et de réhabilitation de son patrimoine, autant qu'une réflexion sur son action. Les FTM sont progressivement transformés en résidences sociales et les configurations des logements changent. Dans cette grande vague de modernisation (qui s'achèvera en 2026), le standard de confort évolue et la norme devient celle d'une kitchenette et d'une salle d'eau par logement. Cela n'ira pas sans poser quelques difficultés.
Cette mutation-modernisation de la SONACOTRA, ce développement des résidences sociales et des pensions de familles aux côtés des anciens FTM, c'est aussi une réponse aux nécessités de l'époque. Le travailleur pauvre a changé de visage. Il est aujourd'hui précaire, enchaînement de courts CDD, travaillant quelques heures le matin, parfois diplômé. Je dis « il », mais je devrais aussi dire « elle » en pensant à ces nouvelles pauvretés, à ces femmes seules qui élèvent leurs enfants et courent de petits boulots en mission d'intérim. La SONACOTRA ne va pas les ignorer et va faire évoluer son patrimoine, ses métiers, ses dispositifs d'accompagnement social. Au tournant des années 2000, le temps de la SONACOTRAL semble lointain.
C'est en 2007, à l'occasion d'une transformation de l'actionnariat, la SONACOTRA devient ADOMA. En oubliant ce nom sans doute un peu désuet et que l'on pouvait regarder comme une photo sépia, l'entreprise se déleste ainsi de l'étiquette d'un passé qui ne correspond plus vraiment aux réalités de son action, mais elle perd aussi une identité forte. Les Français connaissaient la SONACOTRA, comme une partie de leur histoire, il peine encore à s'approprier ADOMA. Cette évolution institutionnelle ne s'en poursuit pas moins avec le nouveau pacte actionnarial établi en 2014. Il a permis à la Société Nationale Immobilière, filière immobilière de la Caisse des Dépôts et Consignation, de devenir majoritaire, tout en préservant une participation stratégique de l'Etat, à plus de 42%. Cela a permis de renforcer ADOMA et de lui permettre son développement.
Nous voici donc à la fin d'une décennie de profondes mutations pour ADOMA et pour la société française. ADOMA prend aujourd'hui toute sa part et accompagne pleinement l'Etat pour faire face à la grande précarité, aux mutations des migrations, aux nouvelles incertitudes du temps présent. Avec plus de 70 000 logements gérés et 74 000 clients, la moitié des Foyers de Travailleurs Migrants en gestion, ADOMA reste l'acteur majeur du secteur du logement accompagné.
ADOMA participe également de l'engagement de l'Etat pour faire face à une crise migratoire sans précédent et vous êtes pleinement à nos côtés pour gérer les Centres d'Accueil et d'Orientation, les Centres d'Accueil pour les Demandeurs d'Asile.
A vos côtés, aussi prestigieuse soit cette salle de la Philharmonie, je n'oublie pas que je parle ici depuis les quartiers du Nord-Est parisien où des femmes et d'hommes viennent trouver refuge. Je n'oublie pas que vous accompagnez chaque jour les services de l'Etat pour mettre à l'abri ceux qui fuient les guerres et les violences. Sans vous, nous n'aurions pas réussi à mettre à l'abri (à Paris), au cours de 28 opérations d'évacuation, près de 16 000 personnes. Sans votre concours, nous ne pourrions pas héberger et accompagner à ce jour près de 6790 personnes, en ouvrant 161 CAO dans 78 départements. Sans vous, nous ne pourrions pas construire convenablement le chemin qui va de la mise à l'abri des migrants jusqu'à leur demande d'asile.
En 5 ans, avec votre concours, l'Etat a ainsi quasiment doublé le nombre de places du Dispositif National d'Accueil des demandeurs d'asile, passant de 21 000 places en 2011 à 37 932 aujourd'hui. Grâce à vous enfin, la France peut tenir ses engagements européens et vous contribuez à accueillir dignement les « relocalisés » et « réinstallés » qui nous arrivent des hotspots grecs et turques ou des camps de Jordanie et du Liban, en les accompagnants dans des logements sociaux répartis sur l'ensemble du territoire.
La plate-forme de relogement des réfugiés mis en place à la DIHAL, dans laquelle je sais que vous êtes très impliqués, est un dispositif réellement innovant qui a déjà permis de loger plus de 1000 personnes et a vocation à monter en charge au cours de l'année qui vient.
En poursuivant la modernisation de son patrimoine, en s'ouvrant à des nouveaux publics et à de nouveaux métiers, en réinventant les cadres de son action, en répondant présent lors des crises auxquelles la France doit faire face, ADOMA a su rester le premier opérateur français du logement accompagné.
Pour autant, des défis importants nous attendent. Ils tiennent autant à notre histoire qu'aux enjeux des mutations à venir. Comment moderniser sans faire table rase du passé ? Comment conserver votre identité et votre coeur d'action tout en repensant les fondamentaux de l'accompagnement social ?
Je veux tout d'abord parler du passé, de celui qui se lit sur les rides de vos résidents, dans la fatigue des mains de travailleurs manuels, sur les dos usés et les pas lents d'hommes qui ont beaucoup donné pour la France. Les jeunes travailleurs immigrés des Trente Glorieuses sont aujourd'hui à la retraite. Ces « chibanis » que l'on voit dans les rues de Paris avec leur costume impeccable et leur chapeau hiver comme été, qui jouent ensemble aux dominos sur les bancs du boulevard de Belleville, qui se sont attachés à notre pays, ces chibanis ou ces africains subsahariens qui portent le passé d'ADOMA et de la France, nous leur devons de rester à leurs côtés. Nous leur devons de les accompagner dans la vie sans usine, dans le grand âge, face à l'isolement.
Je sais que nous partageons cette ambition et que vous saurez relever le défi du vieillissement de vos résidents. C'est le sens de l'allocation spécifique que le gouvernement a mise en place, pour que les allers-retours qu'ils font souvent entre le Maghreb et la France ne les pénalisent pas dans leurs droits. Des formules nouvelles de type baux tournants sont peut-être aussi à imaginer pour faciliter leur maintien dans les résidences ADOMA, auquel la plupart d'entre eux sont très attachés.
Mais le passé, ce sont aussi des rémanences, comme ces bidonvilles aux portes de nos grandes métropoles. Sans commune mesure avec ceux des années 50 et 60, vous avez tout de même « repris du service » si j'ose dire, en participant depuis 2014 à une mission de résorption des bidonvilles. Grâce à votre savoir-faire, nous avons pu établir des diagnostics sociaux, accompagné les personnes vers un parc d'hébergement et les diriger pour une majorité vers le droit commun. Votre savoir-faire en la matière nous sera précieux pour aborder les défis urbains à venir.
On le voit, vous avez la lourde tâche de gérer les permanences des politiques publiques et d'en amorcer les mutations. La modernisation de votre patrimoine a été une demande forte des résidents et une volonté partagée de tous les acteurs. Elle s'est accompagnée d'un traitement plus individualisé des résidents et d'une individualisation des espaces de vie. Cela a été et reste un progrès important.
Malgré tout, on le voit encore aujourd'hui avec les hommes et les femmes qui arrivent chaque jour à Paris, le besoin de se réunir est consubstantiel à la migration. Le besoin d'être avec un « pays » (comme disaient les provinciaux montés à Paris au début du XXe siècle) est irrépressible. Le besoin de faire ensemble, de manger ensemble. Le besoin de parler sa langue maternelle, comme de construire un refuge sûr et bienveillant.
Ces besoins, nous ne pouvons les ignorer. Je ne méconnais pas les problèmes, je ne mésestime pas vos difficultés, je suis malgré tout persuadée que l'on peut proposer à chacun une réelle amélioration de sa qualité de vie sans nier son besoin de collectif.
En tant que ministre du Logement, je n'ai pas à prescrire telle ou telle solution pratique car vous êtes les meilleurs connaisseurs de vos métiers, mais je veux croire qu'ADOMA saura contribuer à produire des modes d'émancipation collectifs et personnels. Les comités de résidents mis en place par la loi ALUR doivent par exemple permettre de favoriser le dialogue entres gestionnaires et résidents. Au-delà des publics d'ADOMA, je pense que notre responsabilité dans la période difficile que la France traverse, c'est de retisser du lien social pour ne pas laisser aux idéologies mortifères le monopole de la cohésion collective.
Vivre ensemble : ce devrait être je crois le maitre mot de toute action publique aujourd'hui. La République fait face à des épreuves importantes, à des risques inconnus et à des mutations économiques et sociales conséquentes. L'enjeu est à la fois de vivre en sécurité (mon collègue Bernard Cazeneuve a dû vous en parler), dans respect des singularités ET de la cohésion nationale. L'histoire d'ADOMA, c'est l'histoire de la France disais-je en commençant mon propos. Comment allez-vous répondre à ces défis contemporains ? Comment renforcer la citoyenneté, comment construire des parcours d'intégration sociale et républicaine réussis, comment permettre à chacun de trouver une place dans notre pays ?
Vous avez déjà mis en place des solutions. Vous savez que la qualité de votre patrimoine, de son entretien et de sa gestion, est avant tout le signe du respect de la France pour les plus fragiles d'entre nous. Vous savez aussi que le monde s'est complexifié et que l'action sociale doit savoir guider dans une société en mouvement. Je ne doute pas que l'engagement de l'ensemble de vos équipes autour des convictions profondes de votre président Patrick Doutreligne aille dans le sens d'un renforcement de la qualité des bâtiments et des accompagnements sociaux. S'il ne fallait citer qu'un seul exemple, je pense à la transformation du plus grand centre d'hébergement parisien (la Boulangerie) afin de donner à chacun, 365 jours par an, des conditions d'accueil dignes et respectueuses.
Chers amis, vous le comprenez, pour votre nouvelle décennie, notre défi commun, c'est de produire de la citoyenneté, de la décision collective, de la co-construction. Non pas pour sacrifier à une pseudo-modernité, mais parce que notre garantie commune, c'est que chacun se sente acteur de son parcours, y compris parmi les plus précaires d'entre nous. Le temps des décisions centralisées, qui vont tranquillement et efficacement du haut vers le bas, le temps des hiérarchies pyramidales n'est plus.
ADOMA, comme de très nombreuses institutions publiques et privées, intègre petit à petit cette nouvelle donne. Mais on ne va pas se raconter d'histoires, c'est parfois difficile de changer de modèle. Je suis persuadée, ici comme ailleurs, dans le secteur de l'hébergement comme dans le logement social ou les éco-quartiers, qu'il nous faut organiser la participation des habitants à la conception et au bon usage de de leur lieu de vie. Encore une fois, je n'ai pas d'injonction à vous donner, c'est à vous de trouver ces nouvelles voies pour construire une organisation plus inclusive, plus participative et devenir une véritable fabrique citoyenne. C'est je crois l'enjeu des années à venir.
Pour conclure chers amis, je voudrais vous redire que l'Etat reste pleinement mobilisé à vos côtés. Nous l'avons vu, nous avons une histoire commune, des enjeux partagés et un avenir à construire ensemble. Notre défi, c'est bien de permettre à la société française de se montrer accueillante pour ces femmes et ces hommes qui ont tout perdu, pour celles et ceux qui fuient la guerre, pour les accidentés de la vie, pour ceux qui se reconstruisent peu à peu, pour ceux dont le travail n'assure pas une existence digne.
Ensemble, nous allons ainsi redire que la société française peut être fière d'elle-même en se montrant solidaire et généreuse. C'est notre histoire et c'est bien là la véritable ambition républicaine.
Je vous remercie.Source https://www.adoma.fr, le 7 décembre 2016